"Pour l'histoire" (III)

Analyse du livre de Léopold III (suite et fin)
Toudi mensuel n°47-48, juin 2002
Chapitre 22. Notre libération à Strobl.

«Un détachement de 70 S.S. avec des chiens policiers (....) prirent position (...) décidés à vendre chèrement leur vie.» (p. 114). Ils n'en feront rien et «furent embarqués dans des camions de l'armée américaine» (p. 115) après que Léopold leur eut sauvé la vie!

On est chevaleresque ou on ne l'est pas!

Bien que libéré par des soldats américains, le gouvernement de ceux-ci n'est pas favorable au retour de Léopold sur son trône, ayant eu connaissance de son Testament Politique de janvier 1944 dans lequel Léopold écrivait qu'un traité n'a de valeur que s'il est revêtu de la signature du Roi (p. 231). Le gouvernement américain craignait que Léopold ne remette en question les traités passés pendant la guerre entre le gouvernement belge de Londres et le gouvernement américain. Mais de là, comme l'écrit Léopold, à ce que le général Patch lui dise qu'il a reçu des ordres de son gouvernement «et du gouvernement belge disant que je devais vous empêcher de rentrer en Belgique» (p. 115) c'est mettre dans la bouche de Patch à ce moment là des propos assez étonnants.

Chapitre 24. Les entretiens politiques de Strobl, Augsburg et Sankt-Wolfgang en mai-juin-juillet 1945.

Dans la relation écrite de ces entretiens politiques, Léopold attaque immédiatement du Bus de Warnaffe, représentant du parti catholique, seul parti allié à sa cause! On n'est pas plus diplomate! «Il fit preuve d'une passivité totale et omit de me faire-part de l'ordre du jour voté à l'unanimité par les droites parlementaires.»(p. 117). Or dans le Livre Blanc 1 (p. 376), on peut lire: «M du Bus de Warnaffe déclare que le Parti Catholique est favorable au Roi.». Où est la passivité totale que relève Léopold?

Après du Bus de Warnaffe, c'est le Régent qui en prend pour son grade: «Son comportement faussement protecteur m'exaspérera.»(p. 117). Ce n'est pas facile d'entrer dans les bonnes grâces de Sa Majesté! même pour un «Frère Affectionné» comme on lira plus loin!

Quant à Van Acker: «Cinq ans plus tard, au lendemain de mon abdication», il aurait déclaré au roi: «J'ai suivi les conseils de votre frère, j'étais certain qu'il disait la vérité, j'ai été induit en erreur.» (p. 117). Achille Van Acker allé à Canossa à Laeken, cela nous parait douteux, surtout que sur la même page, Léopold écrit: «Achille Van Acker, Premier Ministre socialiste, adopta la même attitude qui était conforme à celle de son parti.»(p. 117). Alors Achille Van Acker dans le parti de son Frère ou frère de son parti? Il faut choisir! À moins que le Régent ne sympathise avec le Parti Socialiste? Ce genre de fantaisie, il ne la fera que plus tard!

Le 12 mai, la santé du Roi est altérée et les membres de la délégation s'en servirent dixit Léopold: «pour retarder mon retour» (p. 118). Les membres de la délégation n'allaient quand même pas ramener le roi sur une civière... même royale, cela aurait manqué de tenue et de style! En 24 heures, le retour est retardé (!!!) Car le 13, le malade confirme à son «Frère Affectionné» (!) que «mon état de santé ne me permet pas de rentrer directement en Belgique».2

Mais, dites-moi, n'est ce pas aussi la santé de l'État (!) Belgique qui ne permet pas de le recevoir? Après ce début de consultations ... politiques et médicales mais qui ne sont pas encore populaires (!), le roi ne se manifeste plus pendant trois semaines.

Le 5 et le 6 juin, Van Acker revient le voir à Augsburg et lui fait part de ce que les alliés ne sont pas favorables à son retour. Fort d'un entretien que le secrétaire du roi a eu le 3 novembre 1945 avec l'ambassadeur des États-Unis à Bruxelles, Mr Sawyer, Léopold écrit: «Jamais, comme le prétendit Van Acker le 5 juin, il (l'ambassadeur) n'avait dit que je devais abdiquer» (p. 118). Van Acker, le 5 juin, a parlé des Alliés, il n'a pas cité l'ambassadeur des États-Unis. Il est très possible que l'ambassadeur ignorait l'activité des groupes de pression de la haute finance qui, à Washington et à Londres, n'étaient pas favorables à Léopold. La diplomatie parallèle, ça existe!3.

La messagère envoyée à Londres par Léopold, la reine Élisabeth trouve porte de bois: «elle ne put, ni voir Churchill, ni même lui remettre un message» (p. 119). Et la politesse Winston!

Churchill avait toujours été adversaire de la politique de neutralité de Léopold et désapprouvait son choix de ne pas avoir suivi le gouvernement à Londres. Il a donc éconduit la messagère de Léopold.

Le 15 juin, Léopold décide de rentrer en Belgique; le 18 juin, Van Acker: «approuva moyennant quelques modifications immédiatement apportées, le discours du trône que je lui soumis» (p. 119). «Il accepta, en principe de constituer un nouveau gouvernement sans garantir qu'il réussirait.» (p. 119). Mais, il ne réussit pas. De retour à Bruxelles, le ministre de l'intérieur et le ministre de la Défense Nationale refusèrent de garantir le maintien de l'ordre public.

Pendant le restant du mois de juin, c'est un va et vient de personnalités diverses entre Bruxelles et Sang Wolfgang au point que les Américains commencent à la trouver mauvaise de devoir s'occuper en permanence de tout ce beau monde!

«Je restais cependant convaincu que la majorité du pays désirait mon retour (...) et j'attendais que la volonté nationale s'exprime suivant les modes légaux [...] Mais il n'était pas possible de constituer un gouvernement disposant d'une majorité parlementaire.» (p. 120). Léopold veut-il dire par-là que la majorité parlementaire est illégale? Puisqu'il souhaite «des modes légaux»! C'est lui qui proposera un mode illégal avec sa consultation populaire qui n'est pas inscrite dans la Constitution. Pour Léopold, c'est un OUI de la nation qu'il attend, bien qu'il soit confronté à un NON du parlement. Curieux respect de notre charte fondamentale qu'il brandit continuellement. Quant au OUI de la nation, il se compose de beaucoup de révérends avec leurs zélotes endoctrinés, de politiciens mitigés, de militaires «naphtalinisés»!, etc. Le NON se concrétise dans des dossiers: Berchtesgaden, Van Straelen, Archives allemandes, mariage, Wynendaele, mais aussi dans une volonté populaire nourrie - très mal - par l'occupation subie, la résistance active, la volonté démocratique. Pour ce peuple, Léopold symbolisait un monde ancien dont il fallait se débarrasser.

«Si vous abdiquez, ils (les dossiers) partiront en fumée, je les brûlerai devant vous» dixit Van Acker au Roi (p. 121). «Je ne renoncerai pas à mes prérogatives constitutionnelles aussi longtemps que le peuple belge ne se sera pas prononcé, quant à vos papiers, faites en ce que vous voulez.» répond Léopold! Ambiance!

Le 14 juillet 1945, Léopold fait savoir à Van Acker et Spaak qu'il a décidé: «d'attendre le verdict de la Nation qui se prononcerait par la voie d'une consultation populaire» (p. 121). Cette voie qui devra être légalisée par une majorité parlementaire mettra cinq ans pour accoucher aux forceps d'un règne qui ne survivra que huit jours (du 22 juillet au 1er août 1950)! Avant de partir, le Régent et Van Acker offre «une somme importante à la princesse Lilian pour quelle rentre en Belgique avec Baudouin (p. 121) (...) Cette offre fut évidemment rejetée avec mépris et indignation.»(p. 121). Si non e vero! Aucun document, aucun témoignage actuel pour appuyer cette version. Ce chapitre épineux se termine par un souhait irréalisable de Léopold qui montre d'une façon flagrante son incompréhension totale des événements qui s'étaient déroulés depuis 1939.

«J'avais cru que les hommes politiques au pouvoir en 1939 seraient remplacés par d'autres qui rejetteraient les idées et les mœurs politiques qui avaient conduit les démocraties à leur perte.» (p. 122). Au risque de se perdre, il faut reconnaître que depuis 1939 les démocraties s'étaient bien ressaisies. Des nouvelles idées politiques avaient conduit à la victoire des démocraties avec d'autres prétendues telles! Un totalitarisme était vaincu, sans l'aide de Léopold, non seulement avec les hommes politiques en 1939, mais surtout avec les armées qui n'avaient pas capitulé et des partisans qui avaient pris les armes.

Chapitre 25. Mes contacts principaux avec les gouvernements belges entre juillet 1945 et mars 1949

En juillet 1945, débat public au parlement sur l'attitude du Roi pendant la guerre. Il y est question des dossiers communiqués ou non à Sankt-Wolfgang entre Léopold et les ministres en juin 1945. «Van Acker fut pris, là, en flagrant délit de mensonge» (p. 127) écrit Léopold. Or, aux pages 199 et 200 du livre Léopold III et le gouvernement4, J. Stengers relate en détail cette histoire de dossiers et démontre que Van Acker n'a pas menti. Le Livre Blanc (op. cit. p. 433), confirme que la séance des dossiers fut suspendue et ne fut pas reprise. Depuis la parution de ces deux livres, comment se fait-il que Léopold ne les ait pas consultés? Pourquoi ne lisait-il pas ces livres là?

«Je proposai en janvier 1946 que le gouvernement d'une part, mon secrétariat de l'autre, publient simultanément leurs dossiers.» (p. 128). Les élections de 1946 l'empêchent de le faire pour ne pas les perturber, avance Léopold. De «commissions d'informations» aux articles de Pierlot dans Le Soir en juillet 1947, en passant par des raisons personnelles, ce n'est qu'à l'automne 1949 que les documents furent remis aux représentants des journaux belges et étrangers (p. 129). Trois ans d'hésitations, de reports, de craintes, pour publier ou non un Livre Blanc et le Recueil de Documents, ce n'est pas là la marque d'un monarque déterminé!

Après Van Acker, traité abusivement de menteur, Léopold s'en prend à Camille Huysmans, nouveau Premier Ministre, qui, dans une interview à United Press déclarait: «Si Léopold abdiquait, la route serait libre pour l'accession au trône du Prince Charles, frère de Léopold (à condition qu'il l'accepte).» (p. 129). Léopold en conclut: «Le prochain pas était facile à franchir pour atteindre la république.»(p. 130). Extrapolation, quand tu nous tiens! Camille Huymans n'évoque en rien, dans cette interview, l'avènement de la république, au contraire, il propose par l'intermédiaire du Prince Charles, une monarchie un peu moins délabrée que celle que présente Léopold. Et Léopold ajoute: «Ce fait prouve que la lutte engagée à l'époque en Belgique dépassait de loin ma personne.» (p. 130). C'est lui qui est dépassé; il était visible, audible et lisible que depuis mai 1940, tout prouvait et la suite le démontrera que la lutte se concentrait exclusivement contre sa personne. Il n'y avait que lui pour ne pas le reconnaître.

Après Camille Huymans, c'est Spaak qui est Premier Ministre et les 18 janvier, 29 et 30 mai 1948, il a des entretiens à Pregny avec Léopold: «Ces entretiens n'aboutiront à rien.» (p. 130) écrit Léopold sans autre commentaire.

Chapitre 26. L'entrevue de Berne du 25 avril 1949

«Dans le cadre de notre loi fondamentale, il me paressait, en effet, inconcevable que, quatre ans après la fin de la guerre avec l'Allemagne, je sois encore considéré comme dans l'impossibilité de régner, du fait de l'ennemi.» (p. 131). Ces derniers termes «du fait de l'ennemi», repris par toute la presse de droite jusqu'en 1950, sont faux. en effet, la loi du 19 juillet 1945 votée par le Parlement est la suivante: «Lorsqu'il a été fait application de l'article 82 de la Constitution, le Roi ne reprend l'exercice de ses pouvoirs constitutionnels qu'après une délibération des Chambres réunies constatant que l'impossibilité de régner a pris fin.» (Contribution à l'étude de la Question Royale, p. 424).

137 membres y prennent part, 99 répondent oui, 6 répondent non, 32 s'abstiennent. en conséquence la Chambre adopte.

Nulle trace «du fait de l'ennemi». C'est de cette loi qu'en juillet 1950, le gouvernement en poursuivra l'application. Le «du fait de l'ennemi» est une rajoute démagogique et juridiquement un faux.

De même le 28 mai 1940 «Les Ministres réunis en Conseil constatent que le Roi se trouve dans l'impossibilité de régner.»5 (La seule fois que ces termes «du fait de l'ennemi» sont utilisés, c'est le 21 septembre 1944:

Texte du décret appelant le Prince Charles à la régence.

«Au nom du Peuple Belge,

Les Chambres réunies, conformément à l'article 82 de la Constitution,

Considèrent que le Roi se trouve par le fait de l'ennemi dans l'impossibilité de régner

Décrètent: Article Unique

Son Altesse Royale, le Prince Charles, Théodore, Henri, Antoine, Meinrad, Comte de Flandre, Prince de Belgique est nommé Régent de Belgique.». (Contribution à l'étude de la Question Royale p. 349). Léopold ne vérifie pas ses sources.

C'est affligeant! D'après lui, le monde politique belge était déterminé à l'empêcher de régner parce que: «Ces ministres et parlementaires avaient prononcé contre moi des mots que même le temps n'efface pas.»(p.131) C'est une véritable psychose chez Léopold de concentrer toute la Question Royale sur quelques phrases prononcées en mai 1940. Alors qu'il réclame de l'indulgence pour son Testament Politique de janvier 1944, il faut «se mettre dans l'ambiance de l'époque»(p. 91) écrit-il, quelle ambiance et quelle époque, il n'en accorde aucune aux autres! Ce n'est pas très chrétien! Pour son ambiance de janvier 1944, beaucoup d'indulgence, mais pour celle des autres en mai 1940, pas de pardon! Dans cette pièce, Arletti ferait merveille: «Ambiance, Ambiance, quelle gueule a l'Ambiance !!!»

Quant au «temps (qui) n'efface pas», (p 131), il est regrettable que J. Prévert et L. Ferré ne fassent pas partie de la culture de Léopold, il aurait appris que: «La mer efface sur le sable et qu'avec le temps va, tout s'en va!»

À Berne l'entrevue commence mal et Léopold va se sentir...berné (!) parce qu'au lieu de l'entretien «fraternel» qu'il voulait avoir avec le Régent, il se trouve face à une ... «Coalition politique»(p. 132). Cette coalition politique est composée du Régent, de Spaak et de Moreau de Melen! Comme coalition politique, c'est un peu maigre! Cette «coalition politique»l'empêche d'avoir un entretien «fraternel» avec son frère. Qui l'empêchait de voir son frère quand et comme il le voulait pour autant que Charles accepte! Cela devient grotesque!

Spaak parle des événements de 1940, Léopold refuse d'en parler. Léopold veut mettre fin à l'impossibilité de régner, Spaak répond que cela dépend du Conseil des Ministres. Le Régent refuse d'exprimer le moindre avis personnel et Moreau de Melen participe à peine à la conversation (p. 134-135). On tourne en rond pendant deux heures et l'après-midi le trop rond Spaak s'assit sur un lit qui s'effondre comme les espoirs de Léopold parce que le Régent: «éluda toutes mes tentatives de lui expliquer mon point de vue.» (p. 133).

Avec Léopold, c'est toujours la même rengaine, ce sont les autres qui font tout échouer! Pour Spaak, cette fois là, c'est vrai, il échoue dans un lit et en juin 1940, c'était dans la campagne française, avant de rejoindre Londres où il n'échoue pas mais renaît. Léopold, lui, s'échoue à Laeken pour quatre ans.

Chapitre 27. La Consultation Populaire

Ces élections - du 26 juin 1949 «s'étaient malgré moi déroulées autour de ma personne.» (p. 134). Plus inconscient ou fourbe que ça tu meurs! Depuis quatre ans, il a tout fait pour que tout converge vers sa personne et subitement il affecte de s'en étonner! La victoire du PSC n'est acquise que parce que celui-ci réclame le retour inconditionnel de Léopold. Malgré cela, le PSC n'a pas la majorité absolue à la Chambre. Il doit composer avec les libéraux pour former le gouvernement. Ceux-ci sont divisés sur la Question Royale. Ils exigent que même si Léopold obtient 55% des voix, il lui faut une majorité dans chacune des deux parties, flamande et wallonne, pour garder l'unité du pays et retrouver son trône. Il faut quand même rappeler que cette consultation populaire voulue par Léopold n'existe pas dans la Constitution, alors que Léopold en réclame toujours la stricte application. Pour atténuer son illégalité, tout le monde est d'accord sur le fait qu'elle n'aurait qu'un «caractère strictement consultatif» (p. 134). Autour de ces 55% avancés par Léopold pour son retour et confronté aux partis politiques opposés à son retour, il abuse des termes «engagements et consignes» que ceux-ci auraient pris avec lui. «Cette consigne ne fut pas observée par les libéraux - (55% égale retour) - Il en va ainsi des engagements des hommes politiques» (p. 134). Nouveau coup de pied de l'âne léopoldien aux politiciens.

Pour cette consultation populaire, le gouvernement a fait le choix d'un dépouillement par arrondissement comme pour des élections législatives plutôt qu'en faveur d'un dépouillement national que souhaite le roi et la droite. «Si ce mode de dépouillement par arrondissement donnait de façon plus précise l'état de l'opinion dans le pays, il comportait à mon avis le grave danger de voir nos deux communautés se dresser lune contre l'autre.» (p. 135).

(Certains historiens affirment que si les résultats avaient été de 57 pour cent pour et 43 pour cent contre, sans autre précision, Léopold aurait sauvé son trône. Avec des si!)

Cela fait cinq ans que suite à son obstination, il est responsable de cet affrontement! Alors qui est donc ce Léopold: ingénu, niais, aveugle, retors? Manifestement incapable d'évaluer les conséquences directes de ses choix. «À l'insu de mon plein gré!!!»

Une dernière note de cinq hommes politiques du PSC remise à Eyskens, Premier ministre, est de nouveau l'occasion pour Léopold de remettre le couvert contre un de ceux-ci, en l'occurrence du Bus de Warnaffe qui sert de mauvaise cible à Léopold et devrait s'appeler - «Tu pousses à la gaffe» - puisqu'il en commet une nouvelle: «Il m'avait déjà si mal servi en mai 1945.» (p. 135). Cette note «destinée à m'être transmise et visant à obtenir mon abdication» (p. 135) est encore une note volatile qui ne se trouve pas dans les Mémoires d'Eyskens par ailleurs plus précises que la mémoire très sélective de Léopold. De toute façon, des notes de ce genre là, les bacs à papiers de l'histoire en sont pleins! Et transformer une de celles-ci en lame de guillotine, c'est prendre les Bois de Justice pour régler de comptes de note de service! C'est pire qu'une fausse note, c'est un «désaccordage» du piano royal!

«Pendant la période précédent la consultation populaire, chacun des trois partis traditionnels auraient droit à la radio à deux émissions en français et à deux émissions en flamand, le parti communiste n'en aurait qu'une dans chaque langue." (p. 136). Léopold conteste cette répartition et calcule: dix émissions pour ses adversaires et quatre pour le PSC, seul parti pour son retour. en faisant sous-entendre que le PSC devrait avoir droit au même nombre d'émissions, si pas plus, que ses adversaires, il écrit: «Ceci revenait à permettre à mes adversaires de disposer de dix fois des ondes alors que le PSC qui, en principe, prônait mon retour, n'en disposait que de quatre.» (p. 136). Cette répartition gène manifestement Léopold. Il aurait souhaité mettre le PSC à égalité avec les trois autres partis traditionnels. Un égale trois, il y a quoi se méfier d'un tel calcul royal!

En plus, Léopold est outré du refus du gouvernement qui l'empêche de s'adresser par radio à la nation (p. 136). Tous ceux qui ont lu le discours qu'il comptait prononcer sont unanimes à dire qu'en ce faisant, le gouvernement lui a rendu un grand service, mais sans le savoir6 Jacques Pirenne et Ernest Solvay à qui le roi avait soumis son discours, étaient épouvantés sur base de ses brouillons. Il aurait utilisé les termes: «lamentable spectacle», «querelles mesquines», «décadence civique» et «l'État n'existe plus».7

Léopold se réjouit, mais pas follement d'avoir obtenu 57,68 % de OUI, mais les résultats démontrent une accentuation de tous les conflits: politiques, philosophiques, sociaux et communautaires. Léopold hérite d'une situation à l'opposé de ce qu'il a toujours soi-disant recherché: l'apaisement autour d'un roi au-dessus des partis. Il n'y a pas d'apaisement et il est le Roi d'un parti! Sa politique a été en dessous de tout et tout est sans dessus dessous! Beau Résultat!

Le 15 avril 1950, Léopold adresse un message à la nation et suggère: «Que le Parlement vote une loi me donnant la faculté de déléguer temporairement au Prince héritier, l'exercice de mes prérogatives et de mettre fin à cette délégation avec l'accord du gouvernement du moment que j'estimais conforme à l'intérêt du pays.» (p. 137)

«Le "temporaire" et "au moment où j'estimais" éveillent la méfiance des socialistes qui en contrepartie exigent: "Que je m'engage à quitter la Belgique pendant la délégation des pouvoirs"»(p. 137). Refus de Léopold. Les nouvelles élections donnent la majorité absolue au PSC au Sénat et à la Chambre, majorité absolue en sièges, mais pas en voix. Curiosité arithmétique du système électoral. Le nombre de voix ne concorde pas avec le nombre de sièges. De 57,68%, la cause de Léopold tombe à 47%, soit une perte de 10%. Le électeurs ont rejoint leurs partis respectifs.

Consultation populaire mars 1950

Oui 57.7% Non 42.3%

Élections juin 1950

PSC 47.7% 108 sièges

PSB 34.5% 77 sièges

PL 11.2% 20 sièges

PC 4.7% 7 sièges 50.4% 104 sièges

Au nombre des députés et des sénateurs, le PSC est majoritaire, mais par rapport à l'ensemble des électeurs, il est minoritaire. Le roi devient manifestement le roi d'un seul parti. Le PSC peut faire revenir son roi, mais la mèche est prête. Le retour au petit matin est loin d'être glorieux. On est sur un baril de poudre À la veille du Grand Soir !

Chapitre 28. Le dénouement

Léopold revient le 22 juillet et en fin de matinée, recevant le nouveau Premier Ministre Duvieusart, il lui affirme immédiatement «Je ne pourrais maintenir celui-ci (le nouveau gouvernement) que si sa position est identique à la mienne.» (p. 142).

Pourquoi Léopold prend-il cette position? Parce que ce gouvernement - pas tellement homogène (!) - n'est pas le sien, il est celui de son frère le Régent. Il n'a pas été consulté lors de sa formation. Il ne peut donc que s'en méfier puisqu'il craint que ce gouvernement ne soit pas une copie conforme à sa position. Pour ses ministres, passés de Ministres du Régent aux Ministres du Roi, ils n'ont pas gagné au change puisque Léopold, lui, n'a pas changé! Poursuivant sur sa lancée, Léopold convoque un Conseil de la Couronne, ministres d'État vivants, mais dans quel état (!). Manquant de la plus élémentaire délicatesse vis-à-vis de cet ensemble du troisième âge, il annonce qu'il le réunit, mais qu'il sera seul à leur parler et qu'il ne supportera qu'une réponse toute faite du Premier Ministre. Certains ont bien sûr des difficultés d'audition mais de là à les prendre pour des muets. Ils n'apprécient pas fort de jouer les utilités. Et on les comprend! La majorité de ces conseillers refuse d'assister à ce Conseil de la Couronne où il y aurait une Couronne mais pas de Conseils

«Dix ministres d'État sur vingt-six furent présents» (p. 142) Échec et mat, mais Léopold n'y est pour rien

«À 17 heures, Duvieusart reçut la presse au château de Laeken. À cette occasion, il s'accusa de ne pas avoir averti certains ministres d'État de l'ordre du jour (...) et que cette réunion ne comportait pas de débat.» (p. 143). Léopold passe la patate chaude à Duvieusart! Ce n'est pas très élégant. Pressé de questions par plusieurs dizaines de journalistes au sujet de l'absence de la majorité des Ministres d'État au Conseil de la Couronne, Duvieusart, grand seigneur, admet qu'il y a eu malentendu avec les Ministres. «J'en suis peut-être responsable.» (p. 114)8 Cette réponse de Duvieusart est manifestement faite pour «couvrir la couronne» et pas pour plaider coupable. Malentendu ou pas: «La réunion se borna, suivant mon désir, à un échange de discours entre le Premier Ministre et moi.» (p. 142). Dont acte!

Conséquence du désir de Léopold III: autant à l'extérieur la chaleur est exceptionnelle, autant à l'intérieur, c'est royalement glacial!

Les séances au château de Laeken se poursuivent et c'est le Président du PSC qui «supplie» (p. 143) de dégager en touche le PSC en cas d'abdication. Suppliant suivant, Théo Lefèvre. Lui, c'est «un genou à terre» (p.143) pour dégager la responsabilité du PSC! Il faut savourer l'expression «genou à terre», Léopold n'a pas quitté le moyen âge! Mais ce qui est encore plus savoureux, c'est qu'on chercherait en vain la présence en 1950 de Théo Lefèvre dans le gouvernement Duvieusart, ce n'est qu'en 1961 qu'il devint ministre. L'homme des «poitrines étroites» n'a de toute façon pas le genou aussi flexible que l'on sache! Ce ne sont plus des visions que Léopold développe, ce sont des hallucinations!

«Ces messieurs avaient donc dès ce moment décidé de mon sort, mais ne voulaient pas en porter la responsabilité devant l'opinion.» (p. 143). «Ces messieurs» n'avaient rien décidé du tout. Ils assistaient tout étonnés à une attitude du Roi qui ne présageait rien de bon pour garder leur place. Ils sentaient à ce moment là que la situation en dehors du Château de Laeken devenait explosive. Maintenir le bateau royal à flot, cela peut toujours servir, mais sombrer avec le capitaine, ça jamais! L'amer Léopold ne valait pas une noyade en mer! Pour Léopold «Ce n'est que le 27 juillet que se déclencha l'opposition ouverte des partis socialistes et communistes.» (p. 143). Les grèves, les manifestations populaires, les routes barrées, les mouvements de foule, tout ça n'existe pas, il n'y en a que pour les partis socialistes et communistes qui ont beaucoup de mal par ailleurs à contenir le mouvement! Pauvre Léopold! Il ne voit pas plus loin que son parc de Laeken où les éminences se suivent à la queue-leu-leu, mais la queue de plus en plus entre les jambes! Le pays bascule dans l'insurrection permanente. Léopold s'insurge contre le gouvernement «qui n'avait rien prévu pour faire face aux troubles» (p. 144).

«Le parti social-chrétien me prouvait ainsi qu'il ne s'était servi de moi» (p. 144). Alors qu'à ce moment là le PSC essayait de sauver les meubles, la vaisselle royale était déjà en miette! Léopold tire sur tout ce qui bouge! sur ses adversaires, passe encore, il y la manière, mais tirer sur le seul parti qui réclamait son retour, il faut le faire! Durant cinq ans, le PSC s'était mis au service de Léopold, et ce n'était pas une sinécure, tandis que Léopold n'a jamais servi que lui-même. Il est l'exemple vivant de la négation de cet adage "on n'est jamais si bien servi que par soi-même"!

Après les quatre morts de Grâce-Berleur, et non les trois comme l'écrit Léopold (p. 144), après les offres de bons offices des représentants des prisonniers politiques, après des interventions pressantes des milieux d'affaires, (de Launoit). Duvieusart parvient enfin à convaincre Léopold que pour éviter une guerre civile «il fallait absolument que j'intervienne et favorise une détente par un retour au message du 15 avril d'élégant mes pouvoirs au Prince Baudouin»(p. 144). De cette façon, Léopold veut se donner le beau rôle dans une mauvaise pièce dont il est le metteur en scène. Pendant la journée et la nuit du 31 juillet, veille de la marche sur Bruxelles, c'est à marche forcée que Duvieusart doit faire la navette entre Laeken où Léopold n'a plus que deux adeptes de l'utilisation de la force - De Vleeschauwer et De Taye - il y en a un de plus mais Léopold ne le cite pas - et la rue de la Loi, où les Ministres et les représentants des partis font le pied de grue en attendant que la valse hésitation se termine.

Ce bal comique et tragique à la fois se terminera aux petites heures, comme la plupart des bals, mais l'orchestre ici jouait faux. en cause, son chef qui battait la mesure à contretemps. Les danseurs tournaient en rond et à l'extérieur, personne ne dormait, la foule s'apprêtait à mettre le feu au chapiteau!

Voyons maintenant l'épisode des petits papiers. En juillet 1950, Serge Gainsbourg n'avait pas encore écrit «Laissez passer les petits papiers». S'il avait passé la nuit du 31 juillet à Bruxelles, il aurait pu s'en inspirer. En effet «Après une note rédigée par Léopold, un communiqué des prisonniers politiques, un bout de papier griffonné par le Premier Ministre, un message du PSC, une déclaration des délégués des partis, un texte définitif des trois partis et un autre du Premier Ministre.» (p. 147 à 155), des textes vus par les uns, revus par les autres et corrigés par on ne sait plus qui, on en arrive à une lettre définitive par laquelle Léopold fait monter son fils en première ligne après la seule discussion qu'il eut avec Baudouin durant ces jours dans le parc de Laeken. Le rideau tombe et la couronne glisse du père au fils. Ce n'est pas une couronne d'épines, mais elle n'est pas flamboyante. Le fils va mieux s'en servir que le père!

Pour conclure, compte tenu de tout ce qui s'est passé durant le règne de Léopold, il faut être attentif à deux événements importants parmi d'autres. Les deux fois où Léopold s'est opposé à son gouvernement, à Wynendaele en 1940 et à Laeken en 1945, à chaque fois, il a dû rendre gorge. A Wynendaele, il s'oppose ouvertement à son gouvernement, il ne le suit pas et les Allemands sauvent la couronne en le faisant prisonnier et il est dans l'impossibilité de régner. À Laeken en 1950, il est dans l'impossibilité de constituer un gouvernement tripartite, il s'oppose au gouvernement homogène, il sauve à nouveau la couronne en la refilant à son fils. Deux défaites personnelles pour un sauvetage in extremis. Par deux fois son opposition n'est pas victorieuse. Il n'avait donc pas la carrure de ses ambitions!

«J'ai alors la claire vision de ce que je n'étais pas l'homme à reprendre les rênes du pouvoir dans une situation aussi ambiguë.» (p. 115). La claire vision vient un peu tard et la situation était tout sauf ambiguë! Dernier aveuglement! Il faut relever ce thème d'ambigu qui en ce qui concerne Léopold rime souvent avec malentendu! Deux termes qui reviennent souvent dans les relations avec Léopold.

ÉPILOGUE.

«Hégémonie croissante des Partis»(p. 161)

«Syndicats, organismes également irresponsables» (p. 161)

Dans son épilogue, Léopold embouche les trompettes de ses fixations: les partis et les syndicats. Quelles que soient leur force, leur faiblesse, leurs erreurs, ceux-ci restent, parmi d'autres organismes, des piliers de la démocratie. Les traiter continuellement comme le fait Léopold dans son livre, c'est indigne d'un monarque constitutionnel qui devrait plus les défendre que les attaquer. Les défendre pour mieux les développer au lieu de les attaquer pour les affaiblir. En agissant à contretemps il manifeste sa nostalgie de l'Ancien Régime. «Ainsi, au moment où j'écris ces pages - 1983 - notre pays en vient à être menacé dans son existence même de division, de ruine économique et de faillite financière.» (p. 161)

Rien de moins! Ce constat, s'il n'était grotesque, serait risible! En 1983, c'est le petit monde de Léopold qui achève de s'écrouler. Léopold n'a pas écrit... Pour l'Histoire, mais pour son histoire. Il s'est raconté une histoire personnelle à laquelle il a fini par croire. C'est un processus psychologique Très connu. Primo Levi l'a bien étudié.

Figé sur ses prérogatives, tenu de veiller à «la stricte observation de notre charte fondamentale» (p. 162), il ne pouvait, ni ne voulait saisir le mouvement d'un monde qui lui échappait.

L'histoire se nourrit de multiples événements, qui, s'ils ne sont pas captés dans leur globalité, se rétrécissent. On en retire alors, comme Léopold, des bouts de ficelle montés en épingle. Cela devient une pelote d'anecdotes, de ressentiments, d'arrangements, d'extrapolations. Sa politique de neutralité, cheval de bataille qui l'a mené à la défaite, fut une politique de camp retranché alors qu'il aurait fallu nouer des alliances fermes sur un camp étendu et décider de combattre avant de se faire battre. Les années de guerre l'isoleront autant de ses amis que de ses ennemis, son exil ne fit qu'amplifier son repli sur soi pour finir solitaire, hautain, revanchard. Affaibli de tous les côtés, sa seule force consistait à se persuader que sa couronne était sacrée. En fait, elle s'est avérée trop grande pour lui, au fil du temps, sa royauté n'était plus qu'une peau de chagrin... des Belges qui l'avaient soutenu face aux autres qui voulaient faire peau neuve. Il est le seul roi à avoir subi une défaite populaire après une consultation du même nom! Son drame personnel, en plus du tort fait à son pays par son obstination, réside dans le fait qu'il avait été conçu, formé, éduqué, conseillé, célébré pour être roi, mais qu'il n'en a pas développé les capacités à l'encontre de son fils qui, lui, n'avait pas eu le même cursus, loin s'en faut, mais qui, dès ses vingt ans, s'est efforcé d'acquérir ce qui avait manqué à son père. Au départ, ce trône royal ne convenait pas à Baudouin, mais petit à petit, il s'est bien installé. En termes cyclistes, il a remonté tout le peloton et à l'arrivée, il a gagné...la possibilité de régner à l'encontre de son père qui a dû abandonner!

P.S. Oserait-on parler d'un style léopoldien, puisqu'il s'agit d'un livre? Ces quelques feuillets - 162 pages pour un règne! - sont de l'ordre d'un rapport qui n'est pas travaillé. Un brouillon sans aucune recherche, ni vérification. Il sert «L'Histoire» dans la mesure où cela vient de Lui mais le dessert en tant qu'historien. Il faut le lire pour savoir que la lyre n'est pas l'apanage d'un Roi!


  1. 1. Livre Blanc, Secrétariat du roi, sans lieu ni date.
  2. 2. Recueil de documents établi par le Secrétariat du Roi concernant la période 1936-1949, sans lieu ni date, p. 378.
  3. 3. Manu Ruys Bas les masques, p. 84 éd. Racine et P. Largou dans le livre Léopold III éd. Complexe p.p. 219-228. Bruxelles, 2001
  4. 4. Duculot, Gembloux, 1980
  5. 5. Ibidem, p. 53.
  6. 6. Jean Stengers, L'action du Roi en Belgique depuis 1831, Duculot, Gembloux, 1992, p.p. 282-283
  7. 7. M. Dolhet, Le dénouement de la Question Royale, mémoire UCL, 2001, p 31.
  8. 8. V. Dujardin J. Duvieusart éd. Quorum, Gerpinnes, 2000.