Le choix de la France (I) (Paul-Henry Gendebien
Ce livre est important pour le mouvement wallon. Le projet de P-H Gendebien n'est pas le mien. Je le discuteici trop brièvement. Il faut que ce livre soit lu et connu. Nous y reviendrons.
Du rattachisme au réunionnisme
À «rattachisme», mot connoté péjorativement. P-H Gendebien préfère «réunionnisme» mais prend ses distances à l'égard de l'argumentaire Belgique = État «artificiel». Toute nation est artificielle au sens ou État et nation sont l'oeuvre des hommes (de l' «art»). P-H Gendebien pense même que la Belgique aurait pu réussir, par exemple après 1950: «un fédéralisme poussé et audacieux, assorti d'une alternance systématique entre Wallons et Flamands pour un nombre déterminé de grandes fonctions étatiques aurait pu être mis en chantier.» (p.18).
Géopolitique de la Wallonie
La France a sans cesse tenté de s'étendre en direction du Nord, arrivant tout juste au début du 18e siècle, à Givet, le reste de la Wallonie demeurant en dehors de France. P-H Gendebien écrit: «Si le Tournaisis, le Hainaut, le Namurois, le Brabant, Liège et le Luxembourg avaient été français à part entière et définitivement sous les règnes d'un Louis XI ou sous Richelieu, la France n'aurait pas manqué d'édifier sur les flancs Nord et Est de ces territoires une chaîne de puissantes fortifications qui eussent détourné de ces régions une partie au moins des innombrables conflits et batailles dont elles eurent à souffrir. Les intérêts objectifs de la France et de la Wallonie n'ont pas cessé en fait, de se confondre depuis des siècles. la soumission des populations wallonnes à des puissances étrangères et lointaines sous l'Ancien régime masqua cette communauté d 'intérêts qui, autrement, eût pris la forme d'une communauté de destin.» (p.25). Mais les populations wallonnes ont-elles été à proprement parler «soumises» par les Princes étrangers qui unifièrent les principautés des Pays-Bas?
P-H Gendebien n'écarte pas l'idée qu'un arrangement aurait pu être trouvé entre Nord et Sud en 1830 pour créer un pays à deux «régions» séparées administrativement mais formant toujours un seul Royaume (p.28). Il pense que le «peuple» en Wallonie aurait souhaité la réunion à la France. Il ajoute que c'est le rapport des forces entre puissances européennes qui permet le maintien de la Belgique au travers de processus complexes. Cependant, la révolution de 1830 me semble aussi malgré tout une révolution populaire, ce qui est surtout vrai du côté wallon.
De la neutralité au neutralisme
L'auteur reconnaît que ces révolutions nationales-libérales n'annoncent pas le prolongement de la nouvelle légitimité mise en place par la Révolution française («sur les barricades de Paris comme au parc de Bruxelles, une légitimité nouvelle avait servi de socle à des régimes nouveaux, celle de la volonté de peuples», p. 36). «La préoccupation principale de la nouvelle bourgeoisie sera de favoriser l'industrialisation et par là son propre enrichissement.» (p.37).
La victoire de 1918 délie la Belgique de ses obligations neutralistes. Mais elle y revient sous la poussée de trois facteurs: le nationalisme flamand, le pacifisme de la démocratie-chrétienne et des socialistes, la crainte des conservateurs par rapport au pacte que Paris signe avec Moscou en 1935. Mais l'auteur n'évoque pas assez, à notre sens, l'avantage qu'en pouvait tirer la monarchie qui, durant toute la guerre de 1914 s'abrita derrière le prétexte du Traité des XXIV articles pour infléchir le zèle pro-alliés du gouvernement Broqueville.
L'opposition à la politique de neutralité, essentiellement wallonne, s'explique par la francophilie des Wallons selon l'auteur mais aussi, à notre avis, par l'aversion éprouvée par les populations à l'égard du régime nazi. L'auteur décrit ce qui se produit après 1945, cette rage de la Belgique à se jeter dans tous les systèmes supranationaux possibles: «Tout se passe alors comme si la Belgique, devenue consciente des risques d'une vie autonome, n'avait de cesse de s'introduire dans des ensembles plus vastes qui la dispensaient de se livrer à des choix douloureux susceptibles d'opposer, à l'intérieur, ses composantes nationales.» (p.42). Ce qui explique aussi l'abandon de toute ambition internationale, la rupture avec l'idée même de souveraineté, le refus de tout référendum sur la politique européenne (p. 46), le repli sur le Bénélux, la méfiance à l'égard de la France (p.47). Et d'attribuer à l'esprit belge l'adoption actuelle de la realpolitik dans le domaine international (L.Michel dans l'affaire Haider, complaisance envers la Chine etc.).
Les mythes nationaux
Comme les Wallons critiques à l'égard de l'État belge, P-H Gendebien s'en prend à Pirenne. Mais Pirenne ne me semble pas « effacer» (p. 54) la dualité belge car il la reconnaît tout en voulant la dépasser, bien sûr. Les critiques de l'historicisme de Pirenne ou des mythes de l'histoire nationale belge en général (p.55) sont très bien faites: critique de la Belgique «petite mais loyale» en 1914, du modèle «germano-latin» ou du fédéralisme belge «modèle de l'Europe». Il s'en prend à cette célébration par le PM canadien Chrétien et G.Verhofstadt. L'euro-fédéralisme belge, rêvant d'un État supranational sur le modèle des anciens Empires, on peut y voir selon Gendebien: «la résurgence d'un vieil inconscient provincial et pré-moderne où les franchises locales et commerciales, prises pour des libertés, s'accommodaient d'un pouvoir étranger plutôt bon enfant. Une Europe qui s'en inspirerait ne pourrait que plaire aux élites belges, car elle serait l'héritière en :ligne directe de l'Europe habsbourgeoise, celle de Marie-Thérèse ou de François-Jospeh.» (p. 62).
Le nationalisme flamand est une aspiration à double dimension: présence d'un État-région flamand en Europe, aspiration de type national. Mais «par essence, le mouvement wallon est un régionalisme et non pas un nationalisme. C'est un régionalisme de déduction né du constat que la Belgique unitaire ne défend plus correctement les intérêts wallons. c'est un régionalisme de précaution, de sauvegarde économique et sociale avant tout, même s'il n'est pas dépourvu d'une vision culturelle et identitaire.» (p.91) Une revue comme TOUDI ne peut en revanche que discuter l'idée que «la dimension culturelle du mouvement wallon est moins prononcée au fur et à mesure que l'on s'avance dans la seconde moitié du XXe siècle.» (p.92). Le «Manifeste pour la culture wallonne» de 1983 a placé cette préoccupation culturelle plus haut qu'elle ne l'avait jamais été et la revue TOUDI est née de ce texte.
La culture wallonne
L'auteur parle certes du faible écho de ce «Manifeste pour la culture wallonne» dans le monde politique et l'opinion publique. Mais parler de faible écho est inexact si l'on tient compte de la violence avec laquelle il fut combattu, par les décideurs médiatiques belges et des institutions culturelles. Dire de la capitale de la Wallonie qu'elle n'est «qu'une charmante préfecture» est une façon de s'exprimer. (p. 92), que la population wallonne «ne trouve pas en soi les références culturelles particulières qui pourraient fonder un quelconque stato-,ationalisme» et que si elle ne le fait pas c'est parce que la Wallonie est «un morceau de France», c'est un peu négliger le travail de TOUDI mais aussi de la Fondation wallonne PM et JF Humblet.
On peut discuter aussi le fait «que les Wallons entretiennent avec la France un même imaginaire, une même représentation du monde, un même système de valeurs» (p.93).
Doit-on rapporter l'absence de sentiment national wallon à la pudeur «vis-à-vis de la souveraineté étatique» (p.93)? Le mot «nation» est connoté négativement depuis les deux grandes guerres. C'est d'ailleurs la raison fondamentale pour laquelle Philippe Destatte (cité p. 94) et José Happart (même «prudence»), refusent l'un et l'autre l'emploi du mot «national».
Dire qu' «il n'y a pas de véritable fête nationale wallonne» semble aussi discutable car les fêtes de Wallonie sont réellement célébrées avec éclat.
Des chercheurs français comme Paul Tourret que cite l'auteur considèrent que personne ne vise à la construction d'un État-nation en Wallonie. Mais d'autres voient les choses autrement comme Christophe Traisnel qui, après un long séjour au Québec, prépare une thèse comparant Québec, Wallonie, Flandre et Acadie. Et qui trouve que les Wallons devraient utiliser le mot «nation»... Paul Tourret estime que «pousser plus avant l'autonomie régionale n'intéresse que les ultrarégionalistes». Mais Collignon, Van Cauwengberghe poussent à une extension des compétences par rapport à la Communauté française. José Happart s'exprime dans le sens du confédéralisme...
Ce livre est important. Nous n'en avons ce mois-ci analysé que les deux premières parties:
DE L'UTILITÉ DE L'ÉTAT BELGE DANS LA GÉOPOLITIQUE EUROPÉENNE et DES NATIONS À LA RECHERCHE D'ELLES-MÊMES.
Nous analyserons dans le prochain numéro le projet réunionniste et les arguments que P-H Gendebien fait valoir en sa faveur.
Voyez Le choix de la France (II) (Paul-Henry Gendebien)