"Pour l'histoire" (II)

Analyse du livre de Léopold III (suite)
Toudi mensuel n°44, février-mars 2002

Notre ami Olivier poursuit ici son étude d’un livre que la télé a réussi à transformer en best-seller et qui mérite d’autant plus d’être passé au peigne fin de la critique. Les violences et les colères de notre mai sont plus justes et plus objectives que maints comptes rendus de la presse «généralee», pourtant critiques comme La Libre et Le Soir mais nous songeons surtout à un article calamiteux du «Monde» sur lequel mieux vaut ne plus revenir...

Chapitre 14 . Léopold annonce ses réflexions politiques au début de l'occupation

«J'ai considéré, en 1940, que les forces armées allemandes avaient remporté une victoire militaire sur le continent.» (p. 57) La victoire militaire était incontestable, mais victoire militaire ne veut pas dire fin de la guerre, quant au continent, il ne se réduisait pas à quelques pays proches de la Belgique. La victoire était donc limitée, tandis que le continent ne l'était pas.
«Je devais à mon pays, dont j'avais juré de maintenir l'indépendance, d'envisager toutes les hypothèses, si cruelles fussent-elles.» (p. 57) Toutes les hypothèses ne vont que dans un seul sens: «Victoire allemande et paix de compromis» (p.58) puisque comme il l'écrit plus loin: «L'hypothèse de la victoire finale de l'Angleterre et de ses futurs Alliés, encore inconnus, en était une troisième, mais combien éloignée dans le temps.»(p.58). Il ne parie pas sur le temps et l'incompréhension de Léopold sur l'évolution de la guerre est dramatique. Si «régner et gouverner c'est prévoir», comme il ne prévoit pas, il ne règnera plus, puisqu'il prenait une position d'attente, d'abstention, de neutralité. En été 40, c'était peut-être réaliste, mais au fil du temps, continuer à s'en tenir à cette position devenait irréaliste. «Je ne pouvais me laisser prendre par mes sentiments.» (p. 58). Il s'incline face à la raison du plus fort du moment. La victoire finale de l'Angleterre et de ses futurs Alliès, c'est se laisser prendre par les sentiments!!! Que dire, sinon qu'heureusement d'autres se sont laissés prendre par les sentiments!

Soyons raisonnables, pardi ! «Quelle que fût l'issue du conflit, Hitler était en mai 1940, le maître de l'heure.» (p. 58) Maître de l'heure, oui, mais pas du monde! Pour Léopold, puisque Hitler est le maître de l'heure, il ne s'agit pas de voir plus loin dans le temps. Les minutes comptent pour se soumettre au maître de l'heure. La faillite de la neutralité ne lui a rien appris, il revient sur le devoir d'un petit pays d'être neutre pour n'avoir «Rien à faire en 1870, 1914, ou en 1940 dans les querelles qui opposaient nos voisins.» (p. 59). Traiter de «querelles de voisins», des conflits aussi importants que la démocratie ou la dictature, c'est d'une royale légèreté et mettre 1870, 1914 ou 1940 sur le même pied, c'est le fruit d'une méconnaissance de l'histoire inouïe, alors qu'on écrit Pour l'histoire! Époustouflant, non? «La brutale agression de mai 1940, avait fait de l'Allemagne notre ennemie.»(p. 59) Et avant mai 1940, elle était donc notre alliée? Le sommet est atteint quand Léopold poursuit «Vu de Belgique, fallait il engager pour autant notre pays davantage dans la guerre, sans provocation ni nécessité. Fallait-il sans raisons profondes, liées à nos intérêts, déclarer la guerre à l'Italie? Devait-on entraîner le Congo belge dans la bagarre (sic) alors que la sécurité n'était pas menacée? Gardé en dehors du conflit, n'aurait-il pas économiquement parlant mieux profité à l'effort de guerre britannique (sic), tout en ne courant pas de risque.» (p.59).

Ce n'est plus une défaite subie, c'est une abstention consentie! Une grande partie de la planète brûle, alors faisons comme ce pauvre type qui face à sa maison en feu, veut éteindre l'incendie avec un verre d'eau! Ne pas s'engager davantage dans la guerre et garder le Congo en dehors du conflit avec comme «but de guerre essentiel de recouvrer notre indépendance et notre intégrité territoriale.» (p. 59). C'est pire qu'une politique de l'autruche, c'est le lion belge qui se rase la crinière, s'arrache les dents et se coupe les pattes. Il sera ainsi indépendant de ses membres et rivé sur son territoire! «Reprendre sa place de nation souveraine, seule maîtresse de ses destinées.» (p. 59). C'est la vision (!) de Léopold sur l'issue du conflit. Compte tenu de la nature de celui-ci, remise en cause de toutes les souverainetés, cette vision est une représentation imaginaire absure. C'est une forme de fidélité impossible à réaliser! Après cinq ans de guerre mondiale, sans y participer, le roi des Belges s'imaginait sortir du château de Laeken en chantant la Brabançonne, comme le Belge sortant du tombeau en 1830, et s'installer sur le même trône que Léopold I! Ainsi le roi défendait la monarchie telle que la définissait la constitution de 1830. Imagerie pour manuels de l'école primaire! Léopold n'en finit pas de briller (!), il ajoute une perle à sa couronne d'extralucide. En bas de page 59, il écrit: «N'oublions pas que les horreurs du régime (hitlérien) ne sont apparues dans toute leur ampleur qu'après coup.»

De 1933 à 1940, aucune horreur en Allemagne! Le coup de «ON NE SAVAIT PAS», ça suffit, on nous l'a assez fait, c'est râpé ce truc. Comme maintenant on peut savoir, on ne voulait pas savoir. Un point c'est tout! Ce chapitre se termine par un procès léopoldien en règle contre notre système politique. «L'influence de plus en plus grande des partis politiques et des syndicats qui violaient notre charte fondamentale.» (p. 60). Rien de moins! Les syndicats violeurs! On aura tout lu! Plus de viols, retour à la vertu! Pour ce faire, Léopold réfléchit sérieusement à ce problème (p. 60) et après la guerre, il aurait proposé un renforcement du pouvoir exécutif. C'est aussi simple! Mais attention, bonnes gens, ces projets: «ne visaient en rien l'instauration d'un régime autoritaire ou à une augmentation du pouvoir personnel.» (p. 60). Qu'iriez-vous croire là? On renforce l'exécutif sans que l'autoritarisme et le pouvoir personnel n'augmentent! On demande un dessin et on est prié de pas rire!

Chapitre 15 Mes rapports avec le gouvernement Pierlot

«Il était susceptible, méfiant, sans souplesse et de surcroît, borné et incapable d'un geste simplement humain.»(p. 62). Un monstre! Cette fine étude psychologique toute en nuance et d'une connaissance humaine débordante concerne le Premier Ministre Hubert Pierlot, signée Léopold III! Avec une telle perspicacité, on ne doit pas s'étonner que Léopold ait eu des problèmes relationnels avec d'autres personnes! Et ce n'est pas fini, Léopold en remet une couche sur la pierre tombale de Monsieur le Comte Hubert Pierlot. Si B. Vian a écrit: «J'irai cracher sur vos tombes.», Léopold le fait sur celle de Pierlot: «Hubert Pierlot a causé à la monarchie un tort dont elle ne se remettra sans doute jamais. Il a de plus ébranlé l'unité du pays.» (p. 62). La monarchie qui ne se relèvera sans doute jamais, ce n'est pas très fair-play vis-à-vis de son fils Baudouin qui règne encore quand son père écrit cela! Ensuite, pourquoi s'arrêter là tant qu'il y est? Pourquoi ne pas rendre Pierlot responsable de l'invasion allemande de mai 1940, de la capitulation, de sa déportation en Allemagne et de son abdication? Pierlot, fossoyeur de la monarchie et briseur de la Belgique, ce n'est pas un enterrement de dernière classe qu'il mérite, mais bien un bûcher funèbre perpétuel! Il y a de quoi le faire sortir écumant du tombeau! Et ce n'est pas fini, Léopold s'acharne, il accuse Pierlot d'avoir: «entériné par son silence, le discours de Paul Reynaud.» (p. 63). Ceci ne l'oublions pas, est écrit en 1983. Tous les documents publiés auparavant prouvent qu'il n'en est rien. Léopold ment! Pierlot ne s'est pas tu, puisqu'un des reproches continuels de Léopold est qu'il a trop parlé. Il faudrait savoir! Les discours respectifs de Reynaud et Pierlot montrent leur différence. Il suffit de les lire. Quant au soi-disant silence, Léopold est mal placé pour mettre Pierlot en accusation sur ce chapitre-là. En effet, n'a-t-il pas, lui, usé et abusé du silence pendant quatre ans? D'abord en ne répondant pas aux nombreuses sollicitations du gouvernement de Londres et ensuite en refusant royalement de prendre position publiquement contre le travail obligatoire et les déportations? Ce silence là est assourdissant, celui de Pierlot est inexistant. Enfin Pierlot et Spaak, le 31 mai à Limoges n'ont pas: «jeté Léopold en pâture aux parlementaires»(p. 63), puisqu'il s'était lui-même jeté dans sa pâture laekenoise le 28 mai 1940!

Tant bien que mal, à Limoges, Pierlot et Spaak, ont résisté aux représentants d'un Parlement croupion dont beaucoup de membres se sentaient d'autant plus forts, à ce moment-là, qu'ils avaient un os royal à se mettre sous la dent, alors que jusque là, ils avaient dû se contenter de ronger leurs osselets réciproques! Au vu de leur condition physique peu brillante, ils avaient de quoi se régaler et ils ne s'en sont pas privés. Toutefois leurs capacités dentaires n'étaient pas à la mesure de leur voracité régicide, et ils n'ont pas réussi à Limoges, à ... limoger Léopold! Ce fut un repas de petits fauves, incapables d'assouvir leur faim! La plupart en ont eu une indigestion et ont régurgité leur repas limousin dès leur retour au pays. Larmoyant, pleurnichant d'avoir été trompés, implorant le pardon, sonnant à toutes les portes pour se faire réintroduire dans le sérail royal, pitoyablement obséquieux, reniant leurs discours régicides, ils se bousculaient pour remanger à la table du Roi! Quel spectacle lamentable!

«Il se trouve encore, principalement à l'étranger, des personnalités et non des moindres, pour m'accuser de trahison et de félonie et ce à cause de l'attitude belge en mai et juin 1940.» (p.63). Cette accusation de Léopold n'est pas valable. Le gouvernement belge n'a jamais accusé Léopold de trahison et de félonie. Il n'est pas responsable des diatribes de P. Reynaud et s'est démarqué des plus excités de Limoges. Spaak a prononcé le mot trahison à Limoges à propos de l'entretien du 18 mai qu'il relate ainsi: «Avant que vous ne prononciez les mot horribles de déshonneur, de désertion et de trahison, ils sont sortis de nos lèvres en présence même de celui qui allait accomplir cet acte.» (M.Demoulin, Spaak, Racine, Bruxelles, 1999, p.181). Pierlot dans son article de 1947 écrit: «Le roi n'a pas trahi» (Le Soir). (Note complémentaire p 98, commission d'information 1948). Auprès des Alliés, ce qui a compté, ce ne sont pas les querelles Léopold-gouvernement Pierlot, mais sa décision de se constituer prisonnier et de ne pas continuer la guerre ... à l'étranger! Le reste est subalterne, c'est une querelle de famille. Que quarante-trois ans après, Léopold continue à vouloir en faire une polémique internationale, n'est-ce-pas qu'il est «susceptible, méfiant, sans souplesse, borné...!!!» ( portrait de Pierlot p. 14).

Chapitre 16 Les Instructions de Berne

Juin 1940: «Le gouvernement Pierlot est alors en plein désarroi.» (p. 66). Comme l'armée belge l'était quelques jours plus tôt!! Ce désarroi se passe fin juin 1940 et durera jusque fin août 1940. Pierlot et Spaak, à l'encontre de Léopold qui lui ne reconnaît rien, l'ont reconnu. Voulant profiter de ce vide gouvernemental qui existe, Léopold s'active auprès des diplomates belges dont certains craignent déjà pour leur paie en fin de mois! Par l'entremise du Ministre de Berne, le conte d'Ursel, il fait parvenir des directives dans le sens suivant: «La Cause de la Patrie ne saurait se confondre intégralement avec celle de la France ou de l'Angleterre.» (pp. 67-68). Passe encore que Léopold lâche l'Angleterre et la France, mais il y a plus grave. Par Capelle interposé, il envoie à Berne au Comte d'Ursel des instructions: «L'impression générale est que notre indépendance politique pourrait se retrouver en partie du moins. C'est vous dire que nous ne pouvons en aucune façon appuyer les ministres qui actuellement, soit de Londres, soit de Lisbonne, poursuivent une guerre qui est à l' opposé de notre intérêt et de la loyauté, et il serait souhaitable que vous et vos collègues vous rétablissiez vos relations avec les représentants diplomatiques de l'Allemagne. Nous ne sommes plus en guerre avec ce pays, nous devons être loyaux, corrects.» (Le Livre Blanc Tome I, Publié par le Secrétariat du Roi, Bruxelles, 1946, p. 248-249). Cet extrait des instructions ne se trouve pas dans Pour l'histoire Pourquoi? Ce qui est nouveau et important, c'est qu'il reconnaît avoir envoyé des directives à Berne, mais sans en produire les textes. (p 68). Après la guerre, ces directives furent d'abord attribuées à J. Pirenne, secrétaire de Léopold, à l'initiative du conte d'Ursel, alors qu'elles émanaient de Capelle, secrétaire précédent de Léopold qui les reconnaît maintenant comme siennes. Cet imbroglio est dû à J. Pirenne. Roulé dans la farine par Capelle, qui lui a fait le coup du sophisme du chef de musique. - (voir J.Stengers Léopold et le gouvernement ed. Duculot, Gembloux, 1980, p 198). Pirenne, roulé dans la farine, était plus doué pour le pétrin que pour être historien! On a vu dans quel pétrin il a mis Léopold, quand il a été son secrétaire pendant la Question Royale (Le roi le premier des résistants).

Chapitre 17. L'entrevue de Berchtesgaden

«D'aucuns me pressaient de voir Hitler. Ils étaient animés des meilleures intentions.» (p. 69) On sait que l'enfer en est pavé! Et pourquoi ne pas citer ces «d'aucuns» qui sont: la Reine Elisabeth, H. De Man, Capelle et la princesse Marie-José, sa soeur. Celle-ci insiste pour que Léopold rencontre Hitler. Elle lui aurait dit: «Le Führer est encore favorablement disposé à l'égard de la Belgique - (ça s'est vu en mai 1940) - et est prêt à écouter les revendications que tu voudrais lui exprimer pour alléger le sort de tes compatriotes. Tu devrais le voir.» «Je fus sensible à ses arguments.» (p.70) Pour aller voir Hitler, Léopold est «sensible», mais face à l'occupation: «Je ne pouvais me laisser prendre par les sentiments.» (p. 58). Vous avez dit «bizarre»! Par ailleurs, dans La Libre Belgique du 13/03/1973, Marie-José affirme que c'est son frère qui l'a envoyée chez Hitler comme «go-between». Confirmé par M. Brélaz dans son analyse du livre Pour l'histoire (p 10).Le sort des compatriotes présenté comme primordial par Marie-José passera vite au second plan. En effet: «La question de l'indépendance constituait pour moi un préalable essentiel.» (p. 71). Qu'est-ce-à-dire, sinon que pour Léopold, l'indépendance se confond avec son trône et donc peu importe la guerre et l'occupation, il lui faut, de la part d'Hitler, des garanties pour garder sa place. C'est la démarche essentielle de Léopold avec en plus une tentative de constituer un Conseil économique à sa botte avec l'industriel catholique flamand Bekaert à sa tète. Léopold s'occupe aussi des royalties de l'industrie! Hitler, en bon aryen, n'est sensible à rien (!) venant de Léopold! Heureusement pour Léopold s'il y avait eu accord, il aurait fait l'objet d'une annonce publique qui aurait reconnu l'indépendance future de la Belgique avec Léopold sur le trône, garantie par l'Allemagne en temps de guerre. C'est-à-dire l'installation de la Belgique dans le Reich Allemand avec le Limbourg comme zone royale, comme Pétain avec sa zone libre! Pour l'après- guerre, Hitler refusa d'en parler. En somme, un coq libre dans un poulailler bien gardé!

Chapitre 18. Le Travail obligatoire et les Déportations

Le 14 novembre 1942, le gouvernement de Londres écrit au Roi: «La protestation du Roi (contre le travail obligatoire et les déportations, NDLR.) devrait être publique, affichée sur les murs.» (p. 77). Léopold réunit alors: «Quelques personnalités du monde des affaires, de patronat, du monde ouvrier» (p. 77) Tous pratiquants de la politique du «moindre mal», c'est-à-dire, s'adapter à l'occupation. Il veut savoir s'il convient de faire un éclat: protester publiquement contre le travail obligatoire et les déportations. «Des manifestations politiques ne pouvaient qu'être vaines.» (p. 78) Votre simple présence, même silencieuse, lui disent ces messieurs, est trop nécessaire pour maintenir l'unité du pays (p. 78). On admire le mot «simple» et «présence silencieuse». Restez dans votre coin et fermez-la! Nos affaires avec les Allemands sont trop importantes que pour les incommoder avec des protestations et pour ce qui est du patriotisme venant de Londres, l'extérieur n'a rien à voir avec nos affaires intérieures. À Bruxelles, l'aréopage patriotique affairiste ignore le mouvement de résistance intérieure ainsi que celui d'une grande partie de l'opinion publique qui souhaite de la part du Roi une protestation publique; ce que le gouvernement de Londres lui demande de faire. Depuis mai 1940, l'opinion publique a basculé pour Londres et contre Laeken! (Voir P. Struye, L'évolution du sentiment public en Belgique sous l'occupation allemande, Bruxelles, 1945, p 58). En plus, entre-temps, Léopold s'est marié, ce qui a provoqué un divorce avec une partie de la population. «J'étais resté en Belgique pour protéger mon peuple des rigueurs de l'occupation.» (p. 78). Si le travail obligatoire et les déportations ne font pas partie «des rigueurs de l'occupation» qui exigent autre chose qu'une «simple présence» et le «silence» qu'est ce qui leur faut à ces "moindre(s)mal(es) et au Roi pour «s'afficher» autrement que comme des «pleutres». Tant qu'on n'est pas déporté, nous les personnalités, silence dans les rangs! Tout ce que Léopold se sent capable de faire c'est: «écrire au docteur Nolf, président de la Croix-Rouge de Belgique, en vue d'essayer de soulager le sort des déportés» (78) avec une citerne d'eau bénite offerte par le Cardinal Van Roey! Il écrit à Hitler. Le maître du premier quart d'heure en est irrité et menace Léopold de le faire changer de crémerie! Grand et royal épicier derrière son comptoir de petit indépendant rivé à son royal tiroir, il s'écrase! Travailleurs obligatoires et déportés politiques, débrouillez-vous sans moi! Je suis aux ... abonnés absents.

Chapitre 19. Mon entourage

Pour justifier la présence de son entourage, Léopold accuse l'instabilité gouvernementale: «J'ai connu en six ans, du 23 février 1934 au 10 mai 1940, six crises majeures et en outre dix-huit remaniements ministériels.» (p. 88). À première vue, cet argument peut faire mouche, mais en l'examinant de plus près, on se rend compte que, s'il y a effectivement remaniements ministériels, ce sont souvent les mêmes ministres qui reviennent: Pierlot, Gutt, Van Zeeland, Devèze, Spaak, De Man, De Schrijver etc. Il y donc stabilité dans les remaniements ce que Léopold ne signale pas. Le couplet anti-politicien revient à nouveau: «Les ministres sont trop souvent paralysés (sic) par la discipline de parti.» (p. 89). L'entourage royal, lui, ne l'est évidemment pas, alors qu'il se compose principalement de militaires qui ne sont, eux, pas du tout du parti de la discipline c'est bien connu! Il n'y a pas de Parti militaire! Ben, voyons! La discipline du parti, c'est pire que la discipline militaire qui, elle, ne paralyse pas! Certains trouvent quand même grâce, momentanément, aux yeux de Léopold «Van Zeeland, Spaak, De Man, Denis» (p. 89). Mais tout de suite après, Léopold réagit: «Les ministres du gouvernement Pierlot m'ayant abandonné - n'est ce pas l'inverse? - il n'y avait plus que mon entourage pour demeurer à l'écoute du pays.»(p. 89). Comme on l'a vu pendant toutes les années de guerre, cette «écoute du pays» était un tant soit peu ... trop unilatérale, en ce sens que l'entourage n'était à l'écoute que des collaborateurs et des adeptes «du moindre mal» à savoir: Galopin, de Launoit, Van Roey, Bekaert, Rulot, Segers, Huyssens, Poulet, De Becker, sans parler de Léon Degrelle au début de l'occupation. À part le M.N.B. et l'armée secrète qui fonctionnent moins comme résistants et plus en préparateurs du maintien de l'ordre après la libération, les Partisans du Front de l'indépendance, les journaux clandestins (p.95), les syndicats clandestins, tous ceux-là n'ont pas l' «écoute» de l'entourage, de même que les prisonniers politiques, les juifs et les otages. Quelques interventions personnelles de Léopold pour en sauver quelques-uns ne pèsent pas lourd dans la balance de l' «écoute» du pays. Il est vrai que pour «l'entourage» tous ces gêneurs de l'occupation en rond, sont à la solde soit de Londres, soit de Moscou!

Chapitre 20. Le Testament Politique de janvier 1944

«La défaite de l'Allemagne parait certaine» (p. 91) écrit Léopold III en 1983. Le 25 janvier 1944, Léopold écrit: «Rien ne permet de certifier que nous sommes proches de la cessation des hostilités en Europe ou de la libération du territoire national.» (annexe 14, p. 224). Il fait passer en 1983 une idée qu'il n'a pas en 1944 tout en faisant croire qu'il l'avait. C'est ce qu'on appelle: «Être pris la main dans le sac.» C'est un procédé qui n'honore pas celui qui l'utilise. Quand on écrit Pour l'histoire on n'utilise pas un tel procédé. Si on peut avoir du respect pour la fonction royale, on ne peut en avoir pour une telle falsification. La suite de ce paragraphe du testament politique de janvier 1944 est tout aussi grave, la voici: «Par contre on peut entrevoir telle tournure des événements qui entraînerait un changement brusque dans le régime d'occupation de la Belgique.» (p. 224). On a bien lu «d'occupation» et non «libération». C'est à se demander où Léopold a sa tête! En 1943 à Londres, Pierlot craignait aussi une occupation comme la Sicile. Des discussions s'ensuivirent entre le gouvernement belge et les Anglo-américains pour l'éviter. Elles ont fini par aboutir en reconnaissant au gouvernement belge le droit d'administrer le pays. «Le gouvernement est à Londres. Il a mené la guerre et maintenu la Belgique dans le camp des Alliés. Mais nos rapports ont été pratiquement inexistants, et en tous cas, n'ont jamais évoqué les options politiques devant lesquelles le pays se trouvera placé à sa libération. De plus certains ministres ont perdu ma confiance en mai 1940 et n'ont rien fait pour essayer de la recouvrer.» (p. 91)

En 1983, il est heureux que Léopold écrive libération et non plus occupation. Louable évolution! Il n'écrit pas, et pour cause que c'est lui le principal responsable des rapports pratiquement inexistants avec le gouvernement. Et cela de mai 1940 à juin 1944. «Jamais, pendant ces quatre ans le gouvernement n'a reçu du Roi, ni directement, ni indirectement, un mot d'approbation, d'encouragement ou d'adhésion.»(Pierlot. Pages d'histoire, Bruxelles, 1947, 12). «Dès octobre 1940, le gouvernement n'a cessé d'informer Léopold sur sa position: Réconciliation unilatérale avec le Roi, serrez-vous autour du Roi prisonnier. Restez-lui fidèles. Il représente la Patrie pour vous, comme pour nous qui sommes ici et travaillons pour vous.» (Recueil de documents établi par le Secrétariat du Roi concernant la période 1936-1949 (slnd) (1950), p 476-477). Chaque discours, chaque intervention à la radio de Londres reprend le même thème. Et cela pendant quatre ans! Même qu'une grande partie de l'opinion publique en Belgique commence à trouver que le gouvernement de Londres en fait trop pour «repêcher» Léopold. Quant à la confiance perdue, elle est réciproque. Elle n'est pas l'apanage exclusif de Léopold et pour la recouvrer, le gouvernement a en fait plus pendant quatre ans de salamalecs que Léopold qui, pendant tout ce temps, n'a pas daigné mettre la main au képi pour les saluer! En tant qu'agnostique, au sujet de cette querelle qui ressemble à une bouderie d'époux chrétiens mal accordés, je trouve que ceux-ci, Léopold et le gouvernement, auraient pu profiter de leur séparation forcée pour pratiquer le pardon de leurs péchés véniels commis de part et d'autres en mai 1940! Aucun d'eux n'a été capable de le faire. Mais le grand coupable reste quand même Léopold qui a toujours considéré que Pierlot a commis un péché mortel, un crime de lèse-majesté comme au temps de l'Ancien Régime, et ça, pour lui, c'est impardonnable! Plus loin, dans le même chapitre, Léopold ne veut «qu'éviter l'incompréhension des aspirations flamandes» (p. 92). Il passe donc sous silence celles des Wallons. Curieuse conception de l'unité nationale. Il termine en écrivant: «Ce document - le Testament Politique - était destiné au gouvernement, non au pays.»(p. 224). C'est faux. En effet, de sa captivité en Allemagne, Léopold III s'adressa au Grand Maréchal de la Cour en août 1944 en ces termes: «Volonté que le testament politique soit remis aux autorités belges et alliées et qu'il soit connu de la nation.» (M.Brélaz- Léopold III et H. De Man, éd. des antipodes, Genève, 1988, p 255; Capelle, Dix-huit ans auprès du roi Léopold, Fayard, Paris, 1970 p 276). De plus, «La réparation nécessaire»(p 93) - excuses publiques des ministres de mai 1940 au Roi - passent avant les remerciements aux Alliés, au Congo, aux déportés, aux combattants, aux résistants. «La circonstance n'était donc pas indiquée pour rendre hommage à ceux qui avaient combattu ou s'étaient sacrifiés pour la Patrie.»(p. 93). Si tout au long de son testament politique de 8 pages, Léopold ne trouve pas «la circonstance» pour rendre hommage à «ces gens-là», on peut se demander quand il l'aurait trouvée? En 1983, il écrit: «Ces remerciements, cet hommage étaient évidents.» (p. 93). Tellement évidents qu'ils ne sont pas rendus et ne méritent qu'un silence royal!

Chapitre 21. Ma déportation en Allemagne

Pendant onze mois, Léopold sera effectivement plus prisonnier en Allemagne que dans son château de Laeken, encore qu'il le sera avec sa famille, des dignitaires de son entourage et dans des châteaux plus ou moins confortables; ce qui n'est pas le cas des vrais prisonniers, principalement wallons. Ce n'est donc pas la même déportation en Allemagne que celle subie par les autres déportés. De Laeken à Hirschtein, d'Hirschtein à Strobl, Léopold décrit sa déportation et ses transferts, en voiture et pas en wagons à bestiaux comme les autres déportés (pp. 101-102-103). Conséquence pour lui: il s'était déjà isolé dans son château de Laeken de 40 à 44, pendant les onze mois qui vont suivre sa déportation, d'un château l'autre (!) il le sera de plus en plus. Cet isolement lui sera non seulement pénible mais surtout néfaste, lorsqu'il sera confronté à la réalité, lors de sa libération en mai 1945. Il fonctionnera alors avec une mémoire ancrée sur le passé, isolée du présent. Et cela lui sera fatal.

[À suivre]