Des masques d'animaux à Binche
Le musée du masque à Binche frappe par la richesse de ses collections et son caractère accessible. Nous ne parlerons pas cette fois-ci des sections du musée consacrées à Binche même et aux autres carnavals wallons (ce qui permet d'observer au passage que l'imaginaire de Wallonie se découpe un territoire remarquablement riche dans toute l'Europe).
Ce qui a retenu l'attention plus particulièrement, cette année, c'est l'exposition Les jardins de l'imaginaire dans le cadre du 25e anniversaire de ce musée réputé internationalement (exposition du 21 mai au 22 décembre 2000).
Des animaux aux dieux
C'est dans le monde des animaux que plonge le musée à partir d'éléments de sa collection plus spécifiquement mis en avant de manière très claire, très pédagogique, très envoûtante. Le directeur Michel Revelard propose l'idée suivant : «Chaque peuple à l'état premier, a adoré les animaux, puis ce même peuple a assimilé les dieux aux animaux; enfin, il a représenté les dieux sous forme humaine en compagnie des animaux avec parfois des réminiscences antérieures.» On a l'impression d'y voir clair à partir de cela mais les explications les plus fines et les plus poussées ne donnent pas de quoi éliminer le mystère.
Ainsi, par exemple, dans le delta du Niger ces masques - si l'on peut dire - en formes de poissons. On croit voir de loin les poissons de nos rivières naturalisés. En fait ces masques incarnent les esprit des eaux et ne couvrent pas le visage mais sont portés horizontalement au-dessus de la tête. Les danses accomplies avec les masques imitent le mouvement des poissons... Passons aux animaux sacrés de Chine comme... le coq. Il est l'un des douze gardiens du zodiaque chinois. Il est homophone de divination et de bon augure, «l'oiseau aux cinq talents». Il chasse les mauvais esprits et pour cela a souvent été sacrifié. J'ai vu aussi des coqs d'Amérique latine et me suis souvenu que Socrate meurt en recommandant de ne pas oublier le coq à sacrifier à Esculape ou cette citation de Shakespeare disant que le coq chasse les miasmes de la nuit pour saluer le dieu du jour. Ou la trahison de Pierre dans l'Évangile au moment de la mort du Christ. Le musée indique que, à travers l'extraordinaire diversité des masques à la surface de la terre, des liaisons se découvrent...
Masque «d'officier de l'armée des singes»
On a tout vu et puis on tombe en arrêt devant ce masque de théâtre thaïlandais représentant un «officier supérieur de l'armée des singes», armée des singes qui dans le drame Thaï met en scène le Prince Rama et son épouse Sita en lutte contre les forces du Mal, appuyés par une armée de singes. Il y a unité du genre humain mais aussi diversité puisque le dragon à Mons est un animal maléfique mais un bon génie en Chine (on se souvient que lors du Nouvel-an chinois, le dragon de l'Empire du Milieu et le Doudou se sont rencontrés sur la grand-place).
Les masques d'Amazonie étonnent par la luxuriance de leurs couleurs qu'ils doivent à des plumes glorieuses et touffues (celles que l'on retrouve aussi sur les Gilles?).
IL y a toutes sortes de masques y compris des «masques» heaumes, voire des masques couvrant tout le corps: masque-heaume de hyène en Côte d'Ivoire, ce corps de licorne à Singapour. Du masque on peut passer en effet au déguisement du carnaval, le déguisement n'étant qu'une modalité du masque.
Ils collaborent avec le grand Manitou...
Chez les Indiens d'Amérique du Nord, tous les animaux des plaines, le coyote, le corbeau, l'araignée, l'oiseau-tonnerre sont des esprits, avatars du grand Manitou qui «travaillent avec lui au perfectionnement du monde». Dans cette série un étonnant masque à tête de moustique.
La visite du musée est bien conçue, avec des explications aux bons moments permettant de ne pas être perdu dans tout ce foisonnement. Même si cela ne fait pas partie de l'exposition spécifique (Jardins de l'imaginaire), il faut signaler ce personnage en Autriche qui avec la chèvre et le diable (notre père fouettard à ce qu'il me semble), sont des Schabs, des personnages habillés d'un costume de paille recouvrant tout le corps et le masquant en haut pour se terminer en pointe au-dessus de la tête. Les Schabs utilisent des fouets pour chasser les mauvais esprits et annoncer l'arrivée de Saint Nicolas. On trouve ainsi des syncrétismes entre les masques plus anciens, des croyances chrétiennes et modernes comme ce costume au Venezuela utilisé dans des manifestations écologiques. Cet avatar ultramoderne ne trahit pas le sens profond du masque qui, comme le rappelle Lévi-Strauss, le grand anthropologue français a comme tâche de faire le pont entre l'homme et la nature: «Le masque est à la fois l'homme et autre chose que l'homme: c'est le médiateur par excellence entre la société et la nature, et l'ordre naturel habituellement confondus.»