Encyclopédie du mouvement wallon et culture wallonne

Toudi mensuel n°28-29, mai-juin 2000

Si le monde culturel pour lequel on lutte est un fait vivant et nécessaire, son expansivité sera irrésistible, il trouvera ses artistes. Mais si, en dépit de la pression, son caractère n'apparaît pas, cela veut dire qu'il s'agissait d'un monde artificiel et faux. (Gramsci)

Il aurait été intéressant que l'Encyclopédie consacre un article à la culture wallonne. Mais cette notion est récente. L'Encyclopédie ne couvre que 1880 - 1980 et le Manifeste pour la culture wallonne qui l'a consacrée date de septembre 1983. Les notices consacrées à la culture wallonne au sens étroit (folklore et dialectes pour faire court) ou «français» (la culture française en général), ne tiennent pas compte de l'évolution des esprits dès les années 70, notamment avec la publication de La Wallonie, le pays et les hommes, publication qui a renforcé la prise de conscience du patrimoine wallon. Deux remarques sont à faire.

Les écrivains «belges de langue française» et le mouvement wallon

Nous avons procédé à un échantillonnage sur la base de l'Alphabet des lettres belges de langue française paru en 1982 (soit à la clôture de la période de référence de l'Encyclopédie). Comme le Tome I va de la lettre A à la lettre E, nous avons répertorié les écrivains de l'Alphabet de A à E (ils sont 60), en en retranchant quelques écrivains nés en Flandre nous semblant appartenir à un monde peu concerné par la Wallonie mais surtout parce que cet alphabet fait des choix - logiquement - très belgicains. Sur les 48 écrivains retenus (sur 60), onze d'entre eux sont cités dans l'Encyclopédie. Nous écrivons leurs noms en lettres grasses:

1) Ayguesparse, 2) Baal, 3) Baie, 4) Baronian, 5) Bauchau, 6) Bauwens, 7) B.Beck, 8) C. Beck, 9) Bertin, 10) Blavier, 11) Bodart, 12) Bosquet de Thoran, 13) Bourdouxhe, 14) Bourgeois, 15) Bronne, 16) Burniaux, 17) Carême, 18) Chavée, 19) Cliff, 20) Closson, 21) Colinet, 22) Collin, 23) Compère, 24) Courouble, 25) Crommelynck, 26) Curvers, 27) Daive, 28) Dasnoy, 29) de Bock, 30) De Boschere, 31) de Coster, 32) Delcarte, 33) Delcourt, 34) Deleve, 35) Della Faille, 36) Demolder, 37) De Reul, 38) Desmeth, 39) Desnoues, 40) Des Ombiaux, 41) Destrée, 42) Detrez, 43) Dotremont, 44) D'Otremont, 45) Hél.Dubois, 46) Hub. Dubois, 47) Dubrau, 48) Dumont.

Nous en avons souligné sept autres: André Blavier comme signataire du Manifeste pour la culture wallonne de 83 (et de sentiment wallon de notoriété publique); Madeleine Bourdouxhe en raison d'une oeuvre qui participe pleinement d'un univers de Wallonie (La femme de Gilles par exemple est un roman féministe qui se déroule dans la classe ouvrière liégeoise, deux choses exceptionnelles pour l'époque); Cliff, en raison de ses poèmes grinçants sur la Wallonie (il est remarquable que Kultuurleven l'utilise en 1979 pour son n° spécial sur la Wallonie); Closson dont la pièce de théâtre «résistante» Le jeu des quatre Fils Aymon s'achève sur un hymne à la Wallonie - cette pièce de théâtre (en 1942) fut d'ailleurs finalement interdite par les Allemands. Nous avons retenu de Coster pour une raison paradoxale. Il était flamingant et il est normal de signaler par rapport à la Wallonie ce qui s'y oppose ou s'en distingue. Dotremont et Dumont, par leur appartenance au surréalisme hennuyer participent d'une radicalité prolétarienne typique (dont Chavée qui leur survécut témoigne aussi: il a une importante notice dans l'Encyclopédie).

Sur les seuls écrivains nés en Wallonie, une majorité est, avec des intensités diverses, concernés par le mouvement wallon (ou la Wallonie). À tous ces noms, il est logique d'ajouter (toujours de A à E) André-Joseph Dubois (et son roman L'oeil de la mouche de 1981, mise en intrigue de la Wallonie comme société et langage), Jacques Dubois (prises de positions en décembre 79 dans Critique Politique). Guy Denis dont nous allons parler.

Le concept de culture wallonne avant 1980

Plusieurs écrivains, poètes, chanteurs, musiciens (Denis, Vanorlé, Cabay, Watrin ...) se réunirent en octobre et décembre 79 à la Maison de la culture de Namur. Roger Bronkart (Mounège) en parle dans La Wallonie du 17/10/79: ces artistes, écrit-il, affirment «l'existence d'un phénomène culturel wallon contemporain» et déclarent «En français ou en wallon, en français serti de wallon, le créateur écrit, chante, crée ce qu'il ressent...» (R. Mounège fondera Wallons-nous?) Dans Critique Politique (décembre 79), Jean Louvet déclare: «Aucun parti ou mouvement se revendiquant du fédéralisme n'a sérieusement posé le problème de l'identité culturelle wallonne. Les modèles littéraires dans les écoles [sont] sans référence (...) à la civilisation wallonne.» J. Dubois participe à l'entretien (voir mon article dans Le Monde du 24/1/80 Une découverte toute neuve: la culture wallonne).

Guy Denis a ébauché une théorie de la culture wallonne dans L'Avenir du Luxembourg en mai 1978. Il y revient dans 4 Millions 4 (2 juin 1978), sous le titre Contre le régionalisme. Il faut, dit-il, «avoir l'audace des Québécois qui, dans notre langue, en inventent une autre que nous comprenons d'emblée mais qui pourtant est autre.» (p. 13) Il s'oppose au «régionalisme des fonds de tiroir», qu'il voit surgir d'une autre époque «où une petite bourgeoisie locale superficiellement instruite, s'effraye des 'nouveautés littéraires' et ne les comprenant pas s'attache au "local", par peur de l'étrange, du neuf. Ces littératures régionalistes, à force de se vouloir "typiques" se ressemblent dans leur insipidité: simplisme de la psychologie et du récit, folklore de surface. Ce régionalisme-là, c'est l'antithèse de la culture populaire. La bourgeoisie s'en sert comme d'un paravent contre les " élucubrations " parisiennes, et, en même temps, secrètement, elle la méprise (...) L'autre régionalisme surgit ces dernières années en Wallonie, Flandre, Occitanie, Bretagne, Québec, là où n'existent ni les moyens d'édition, ni surtout les diffusions des livres... Il veut témoigner d'un non-dire, porter des oeuvres autres, étrangères, barbares, proches de réalités singulières (...) un auteur important ne peut être que français ou, à la rigueur, français de Belgique. Le mot " wallon " est comme interdit. Comment peut-on être wallon? Dans son numéro consacré à la Belgique en décembre 1976, le Magazine Littéraire le restreint à la littérature dialectale ou documentaire. La Wallonie est implicitement considérée comme un passif littéraire, comme un trou artistique ... Et pourtant il y a (...) Claire Lejeune, la confidence de Pascal Lannoy, le silex d'André Doms, le malpropre Verheggen, Cliff, Chenot, Savitzskaya, Rombaut. Ces jeunes poètes wallons sont bien les héritiers de cet esprit frondeur de Watriquet de Couvin (XIVe siècle) et des dadaïstes ou surréalistes: Magritte, Chavée, Norge, Collinet, Scutenaire, Pansaers... « (4 Millions 4, p. 12).

Texte important. Guy Denis souligne d'emblée la modernité et l'ouverture d'une démarche qu'on s'est acharné à décrire comme un repli sur les archaïsmes et le folklore. L'accusation traîne encore chez certains responsables culturels attardés (mais influents). Même s'il arrive encore souvent, surtout si elle est internationalement consacrée - Rosetta par exemple - qu'on en dénie l'origine, l'idée de culture wallonne s'impose et ne suscite plus les sarcasmes lancés pour l'étouffer.