Avenir économique de la Wallonie
Rappel
La Wallonie a toujours été assimilée à son sillon industriel. Sur le continent, elle fut la première région où s'installa la révolution industrielle, charbon, acier, chemins de fer. A la fin du 19e siècle elle était considérée comme une des régions les plus prospères du monde. Elle a fait la richesse de la Belgique pendant longtemps. Le port d'Anvers, les mines de Campine, Sidmar même, doivent leurs développements aux industries wallonnes.
La période de 1945 à 1974 relance les activités traditionnelles pour faire face à la reconstruction de l'Europe après la seconde guerre mondiale. Déjà en 1948, le mouvement wallon réclame une diversification des productions, pressentant les dangers d'une mono-industrie. L'État unitaire belge pousse l'industrialisation de la Flandre : toutes les usines de l'automobile y seront installées: Anvers, Vilvorde, Gand, Genk. Le port d'Anvers sera développé comme une vaste zone industrielle portuaire, principalement autour des raffineries de pétrole et de la pétrochimie.
En 1974, se produit la rupture brutale et profonde, le capitalisme industriel s'était doté de puissantes sociétés multinationales pendant les trente années de prospérité de l'après-guerre, il veut s'affranchir de la tutelle des États nationaux. Simultanément, le système monétaire international créé à Bretton Woods en 1944 sur base du dollar convertible en or s'effondre en raison des déficits considérables de la balance des paiements des Etats-Unis d'Amérique, principalement dus à la guerre du Vietnam.
Une période d'instabilité s'installe: forte inflation, crise, disparition de pans entiers des industries traditionnelles. La Wallonie sera durement touchée, comme d'autres régions industrielles d'Europe.
Un capitalisme mondialisé et financier
Issu de l'université de Chicago dans les années 1960, le néolibéralisme va apparaître aux yeux de certains courants politiques comme la voie à suivre pour sortir de la crise: moins d'État, tout au marché. Reagan (1981-1989) et Thatcher (1979-1990) en deviennent les modèles.
La construction européenne va s'engager progressivement dans cette voie également: monnaie unique et Banque centrale européenne, politique de concurrence, pacte de stabilité limitant les déficits budgétaires des États vont entraîner progressivement des politiques d'austérité et de rigueur avec une faible croissance économique, la permanence d'un chômage important, la montée des inégalités et l'apparition d'une pauvreté croissante.
Revendiqué depuis près de trente ans, par les mouvements wallons, un début de fédéralisme voit, enfin, le jour en 1980 et se développera dans les années suivantes. Les Gouvernements wallons successifs confrontés à une Wallonie en déclin depuis 1974 pareront au plus pressé en tentant, souvent avec succès, de sauvegarder les entreprises et les emplois: sidérurgie, aéronautique, notamment tout en stimulant la création et le développement des PME dont le tissu économique et social était très dégradé. À partir de 1986, l'emploi ne diminue plus et commence à augmenter, principalement sous l'effet du développement des services et de l'emploi féminin. L'emploi industriel et masculin continue à décroître régulièrement.
Le Contrat d'avenir pour la Wallonie, initié en fin 1999 après de très larges consultations, fixait les axes principaux pour un développement de la Wallonie. Il comportant près de 90 mesures détaillées qui ont servi de guide aux Gouvernements sous sa forme initiale ou actualisée. Les évaluations ont montré une trop grande diversité des mesures et, surtout, une «insuffisance de transversalité». Chaque mesure était poursuivie isolément des autres, avec plus ou moins d'ardeur, chaque administration ou département ministériel s'occupant des mesures qui le concernaient directement.
Par la large consultation dont il a fait l'objet, tant dans sa phase d'élaboration que dans les phases d'actualisation, le Contrat d'avenir a permis de redonner confiance et de concrétiser un dynamisme wallon dont il ne faut pas négliger l'importance.
«Plan Marshall» wallon
Appelé ainsi par le Président du PS, Élio Di Rupo, le plan d'action du Gouvernement wallon pour cette législature est désormais popularisé sous cette appellation. Il comporte cinq priorités sur lesquelles seront concentrés des moyens importants, notamment financiers.
L'allusion au plan Marshall américain de 1948 s'arrête à la volonté de reconstruction et de développement de l'économie. Le plan Marshall avait un double objet: d'une part, favoriser les investissements industriels en Europe occidentale pour relancer une économie gravement affectée par la guerre et les destructions et, d'autre part, soutenir l'activité des industries américaines qui s'était fortement développée dans la production d'armements et voyaient se tarir brusquement leurs carnets de commande. Les États-Unis finançaient les commandes d'équipement sollicités par les entreprises européennes et celles-ci remboursaient ultérieurement grâce aux bénéfices procurés par ces investissements. L'Organisation Européenne de Coopération Économique (OECE) a géré ce plan qui s'est terminé en 1961. L'OECE s'est alors transformée dans l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) groupant les pays européens et les autres pays développés.
Le «plan wallon» ne peut pas compter sur une aide extérieure comme ce fut le cas pour le «plan Marshall», il ne peut compter que sur les forces et les ressources wallonnes. Il vise à concentrer des moyens très importants, 1,4 milliards d'euros en quatre ans, sur cinq priorités:
- créer des pôles de compétitivité,
- stimuler la création d'activités,
- alléger la fiscalité sur l'entreprise,
- doper la recherche et l'innovation en lien avec l'entreprise,
- susciter des compétences pour l'emploi.
Chacune de ces cinq priorités est elle-même composée d'un certain nombre de mesures.
1) pôles de compétitivité Dans chacune des branches : pharmacie/santé, agro-alimentaire, ingénierie mécanique, transport/ logistique et aéronautique/spatial, un «pôle de compétitivité» sera créé. Chacun couvrira l'ensemble de la Wallonie et sera composé de partenaires publics et privés concernés: entreprises, universités, centres de recherche, organisme publics (AWEX par exemple), organismes de formation. Chaque pôle sera géré par un conseil de gouvernance et une direction générale.
Il s'agit bien d'organiser un véritable partenariat en vue de développer des projets innovants, y compris les investissements nécessaires, en vue d'affronter les marchés européens et internationaux.
2) stimulation de l'activité économique Cette priorité rassemble sept mesures déjà existantes mais qui seront coordonnées par une Agence wallonne dotée d'une antenne locale par bassin, soit six au total. On y trouve notamment les mesures d'aides aux investissements et aux exportations, l'accès des jeunes et des femmes à l'emploi, l'assainissement des sites industriels désaffectés.
3) allègement de la fiscalité sur les entreprises L'objectif est de rendre la Wallonie fiscalement concurrentielle sur le plan européen. Les mesures concrètes concernent principalement des réductions et suppressions de taxes provinciales et communales pesant sur les entreprises (comme la taxe sur la force motrice ou la taxe de superficie) et la création de «zones franches» dans un nombre limité de communes dans les zones en reconversion économique et les zones rurales. Le Hainaut, qui a développé des politiques importantes notamment en matière d'enseignement, d'accueil des handicapés, de culture, est gravement touché dans ses ressources financières. La Région wallonne compensera partiellement et de manière dégressive ces suppressions d'impôts.
Dans les «zones franches», les taxes régionales, provinciales et communales touchant les entreprises seront supprimées, mais la Région wallonne compensera le manque de recettes des autorités locales.
La taxe de navigation sera supprimée, favorisant ainsi le transport fluvial.
4) dopage de la recherche et de l'innovation concernant les entreprises Voilà un cas de dopage qui sera légalisé! Si le mot «dopage» est regrettable, l'objectif est important en lui-même. Quelle que soit la vision de la société, la recherche et l'innovation sont à la source des progrès sociaux dans plusieurs domaines.
5) stimulation des compétences Il s'agit de renforcer les compétences des demandeurs d'emploi notamment par un plan langues, le renforcement de l'enseignement qualifiant et la réponse aux pénuries d'emploi, là où elles se manifestent.
Qu'en penser ?
Il faut rappeler que ce Gouvernement, dans la foulée des Contrats d'avenir, avait établi deux «plans stratégiques transversaux», l'un centré sur la création d'activité et, donc, d'emplois, l'autre centré sur la formation et les technologies de l'information et des communications.
Le plan Marshall concentre les efforts sur un plus petit nombre de mesures issues directement de ces plans stratégiques.
1) Le «plan Marshall» s'inscrit clairement dans la mondialisation de l'économie. Les principales mesures sont analogues à celles que les Gouvernements français ont mis en œuvre ou mettent en œuvre, notamment les pôles de compétitivité, les zones franches, ou à celles qui ont été prises en Allemagne, par exemple la relance des exportations. Il prévoit une diminution de la fiscalité des entreprises, limitées, il est vrai aux PME, s'inscrivant, ainsi, dans la concurrence fiscale que se font les États et Régions pour retenir les entreprises installées chez eux ou, éventuellement pour en attirer de nouvelles.
Basé sur la recherche de compétitivité, il n'est pas en lui-même porteur du développement économique. Toute politique de compétitivité porte atteinte à la consommation, base de la croissance économique et de l'emploi. Il est vrai que les mesures qui pourraient être prises dans ce sens dépendent davantage du niveau fédéral.
Il reste, néanmoins, que la suppression d'une grande partie de la fiscalité communale et provinciale touchant les entreprises, même si elle est partiellement compensée, se traduira en restrictions de dépenses et même d'emplois. La concentration des moyens budgétaires wallons sur les priorités du plan Marshall, risque d'avoir des effets négatifs sur l'emploi dans d'autres domaines, qu'ils relèvent de l'administration ou de subsides. On le voit déjà avec l'affaire des agents de sécurité pour les aéroports régionaux : le cadre est insuffisant, la procédure de recrutement est terminée, mais le Gouvernement wallon n'engagera pas les agents nécessaires.
2) Une reprise en main par la Région de la fiscalité des pouvoirs locaux était devenue indispensable pour assurer une cohérence des politiques. Il faudra, sans doute, aller plus loin encore pour formuler des lignes directrices claires pour les politiques communales et provinciales, si tant est que les provinces se justifient encore. Comme tel, le plan Marshall indique des lignes directrices pour la Région, mais il ne situe pas l'action possible des communes.
3) À côté de la mondialisation qui touche directement les cinq secteurs industriels évoqués et d'autres moins présents en Wallonie, le plan Marshall omet d'inclure les services dans le développement et fait l'impasse sur le rôle des banques et des organismes financiers. Or, les services représentent aujourd'hui environ 70% de l'emploi total en Wallonie. Des études récentes de la Banque nationale et du Bureau du Plan ont montré que l'emploi industriel continue à régresser, de même que l'emploi masculin, mais que les services continuent à progresser et à tirer l'emploi principalement féminin. Consacrer tant d'efforts aux secteurs industriels peut s'avérer peu efficace en termes d'emplois: stimuler la compétitivité amène immanquablement des pertes d'emploi et des restructurations.
4) Centrer tous les efforts sur les secteurs industriels liés à la mondialisation laisse de côté les activités qui dépendent des marchés locaux et des services collectifs. La construction et la rénovation de logements, les transports en commun, le tourisme, la plupart des activités culturelles, sportives et de loisirs sont des secteurs marchands qui ne dépendent pas de la mondialisation. Ils sont, pourtant, générateurs d'emplois stables et non soumis aux restructurations et délocalisations.
Les services collectifs, privés et publics, comme l'administration, l'enseignement, l'éducation, les soins de santé, l'accueil des enfants ou celui des personnes âgées, sont fortement générateurs d'emplois et sources de création de richesses matérielles au sens du Produit intérieur brut mais, en même temps, créateurs de richesses immatérielles, non comptabilisées dans le PIB, telles que le niveau général de santé, l'allongement de la durée de vie, l'acquisition des savoirs, le développement culturel, tous éléments par ailleurs nécessaires dans une société de la connaissance et de l'innovation.
Une estimation de l'emploi montre que les activités qui dépendent du développement local beaucoup plus que de la mondialisation représentent aujourd'hui environ 70% de l'emploi salarié total en Wallonie comme en Flandre et une très grande partie des emplois des indépendants..
Conclusion
Le plan Marshall présente des avantages, ils ont été abondamment soulignés. Toutefois, les résultats en emplois, ce qui est essentiel pour les Wallonnes et Wallons, devront être évalués lucidement en chiffres absolus et en termes de coûts par emploi créé.
Étant donné les besoins sociaux et collectifs, notamment en ce qui concerne l'enseignement, l'éducation, la santé et le logement, on peut se demander s'il ne faudrait pas, aussi, un « plan Marshall » de remise à niveau de notre appareil éducatif et d'enseignement ainsi que de l'ensemble du logement.
Article précédent Croire en la Wallonie