Le Ps, comme nous l'avions prévu

Toudi mensuel n°65, septembre-octobre 2004

Il y a quelques mois à peine, nous avions commenté dans TOUDI les résultats des élections fédérales de mai 2003. Avant d'analyser l'élection du Parlement wallon, nous aimerions reprendre la conclusion de cet article comme base de notre analyse. Nous écrivions alors : «S'il confirme son résultat en juin 2004, le PS sera véritablement le maître du jeu de l'après-élection, nous pouvons dire qu'à ce moment là, il aura moins d'intérêt que précédemment à s'allier au MR. Le statu quo par rapport aux résultats de mai 2003 est idéal pour le PS, il devra surtout veiller à ce qu'aucun rapprochement n'ait lieu entre le CDH et le MR,(...) la persistance d'un parti au centre étant sa meilleure garantie contre un très hypothétique «dépassement» par le MR qui se rapproche probablement de plus en plus de son plafond électoral. La question de la coalition à la Région bruxelloise risque, en tout cas, d'influer sur celle qui sera mise en place à Namur, car à Bruxelles, MR et PS sont clairement en compétition et donc dans une logique d'affrontement, celle-ci déterminant par ricochet la coalition devant diriger la Communauté française dont le PS a tout intérêt à l'affaiblir au bénéfice de la Région Wallonne, la subsistance de la Communauté étant le meilleur moyen pour le MR de forcer les portes du gouvernement wallon dont il ne pourrait écarter le PS qu'au moyen d'une tripartite avec ECOLO et le CDH, d'où l'importance pour le PS de ses relations futures avec ces deux derniers partis».

Pour les élections de 2009 voir Elections régionales en Wallonie : analyse des résultats

Comparaisons chiffrées

Il est difficile de comparer statistiquement les élections fédérales et régionales en Wallonie pour plusieurs raisons.

En premier lieu (et c'est avec étonnement que nous avons constaté que la plupart des commentateurs restait silencieux sur ce point), le corps électoral n'est pas identique. En effet, les Belges résidant à l'étranger ne peuvent pas prendre part aux élections régionales, que ce soit par correspondance ou personnellement (ou par procuration) dans une commune de Belgique ou dans un poste diplomatique ou consulaire. Ceci est moins négligeable que l'on ne pourrait le penser, ainsi pour la Province de Hainaut cela constitue une différence potentielle d'environ 12.000 électeurs. Pour l'ensemble de la Wallonie, on peut estimer cette différence aux environs de 40.000 électeurs en moins pour l'élection du Parlement wallon.

Ensuite, le Parlement wallon, à la différence du Parlement flamand, n'a pas instauré des circonscriptions provinciales. Demeuraient donc les 13 circonscriptions en vigueur depuis 1995. Pour toutes ces raisons, il nous semble judicieux de comparer les résultats de 2004 avec ceux de 1999, tout en tentant un rapprochement avec ceux de 2003.

Le PS a confirmé ses résultats de 2003, il obtient 36,91% soit une augmentation plus de 7,47% par rapport à 1999. Par rapport à 2003, avec un électorat plus restreint, le PS est en léger progrès par rapport à ses 36,4%1 obtenus. Si l'on regarde ce chiffre de plus près on s'aperçoit que ces électeurs gagnés le sont dans les circonscriptions des provinces de Luxembourg, de Liège et de Namur. Quelques électeurs sont perdus globalement dans les provinces de Hainaut et de Brabant wallon. Le PS a donc confirmé, voire même renforcé son résultat de 2003.

Pour le MR , c'est un échec relatif même si, par rapport à 1999, il ne perd que 0,4% pour atteindre 24,3%. Son recul par rapport à 1999 est marqué dans les circonscriptions hennuyères (-1,26%) et surtout dans les 2 circonscriptions du Luxembourg (-3,58 %2). Dans les autres circonscriptions, le MR stagne ou progresse de manière infime. Nous nous étions demandé si le MR n'avait pas atteint son plafond électoral en mai 2003. Le seul réservoir de suffrages encore disponibles étant le CDH et le CDF, cela explique les grandes manœuvres finalement ratées de ce début d'année, le MR voulant quasiment imposer au CDH des épousailles forcées. Tout cela n'a finalement abouti qu'au transfert de quelques mandataires de l'aile droite du CDH dont Richard Fournaux. Mais derrière cette agitation se jouait clairement le sort des élections régionales, nous y reviendrons ultérieurement. Il faut aussi insister sur le fait que, par rapport à 2003, le désaveu est cinglant pour le MR, toutes proportions gardées. Il perd en effet de 5 à 6 % ! Ce résultat est surtout dû à un moins bon score dans les circonscriptions de Liège, mais aussi de Namur et de Nivelles. Il semble donc que l'électeur ait moins automatiquement identifié le MR avec le cadre régional, l'absence de circonscriptions provinciales où peuvent s'exprimer des gros «faiseurs de voix» tels Didier Reynders ou Charles Michel est aussi une autre explication possible. Il est en tout cas certain que c'est sur le Hainaut, clé de toute réussite électorale en Wallonie, que le MR devrait se concentrer. On ne peut avoir comme ambition de devenir le premier parti de Wallonie en y stagnant à 20% ! En second lieu, une attention particulière devra aussi être accordée aux circonscriptions namuroises et luxembourgeoises, les bastions liégeois et brabançons wallons semblant mieux assurés. Nous ne pouvons nous empêcher de penser que le MR, ayant surtout basé son identité de parti sur le niveau fédéral et de la Communauté française, il a probablement payé le prix d'une certaine «atonie»sur la Wallonie, mais aussi sur Bruxelles, comme quoi, quand l'on mise en première ligne sur la Communauté, on est presque assuré de perdre !

Venons-en ensuite au CDH qui peut être satisfait de son résultat final: avec ses 17,62%, il progresse en effet de 0,5% par rapport à 1999. C'est surtout par rapport à 2003 que le CDH peut se réjouir. Il a presque retrouvé son niveau de 1999 dans les circonscriptions hennuyères où il a progressé d'environ 3% en un an. Toujours par rapport à 2003, il progresse aussi à Nivelles, dans les circonscriptions liégeoises et, dans une moindre mesure, dans les circonscriptions namuroises et luxembourgeoises. Au fond, le CDH a connu une dynamique inverse de celle du MR: s'il peinait à trouver des têtes de liste ayant une aura portant sur l'ensemble d'une circonscription provinciale, son réel ancrage local lui a permis d'obtenir de bons scores dans le cadre de circonscriptions plus réduites où, en outre, il aligna assez souvent de nouveaux visages illustrant en quelque sorte la rupture avec le «vieux» PSC. La présence du CDF, dont le discours «unitariste» est par définition mal adapté à des élections régionales, a occasionné une gêne nettement moindre qu'en 2003. Ce résultat ne doit néanmoins pas cacher le fait que ce parti est plus devenu spectateur qu'acteur du jeu politique wallon. En effet le CDH est devenu une force d'appoint soit pour le PS - mais ce dernier peut toujours lui préférer à l'avenir un ÉCOLO revenu aux environs de 10% - soit pour le MR. Toutefois dans ce dernier cas, cette coalition n'est pas actuellement, et sans doute pour longtemps, majoritaire en Wallonie. En outre, le MR pâtit beaucoup plus que le PS de la persistance du CDH. En dehors du vote contestataire d'extrême droite, le seul réservoir électoral subsistant pour le MR, s'il veut ne serait-ce que rattraper le PS, est bien celui du CDH et du CDF.

Il était donc beaucoup plus demandeur que le PS de la poursuite de la coalition wallonne défunte purgée de son élément vert. Seule cette configuration pouvant hypothétiquement conduire à une marginalisation du CDH à son profit. Ce retour aux affaires de la famille chrétienne empêche donc les intérêts qu'elle représente toujours dans la société wallonne de se tourner vers le MR, on ne peut que comprendre la rage de Louis Michel et le beau coup tactique réalisé par Élio Di Rupo ! Analysons rapidement le triste sort des «verts». Il faut reconnaître qu'un tel effondrement électoral est unique en l'espace d'une législature, dans des circonstances similaires de participation au gouvernement, le PCB, entre les élections de 1946 et 19493, et le RW, entre celle de 1974 et 1977, n'ont pas connu un tel revers. En Wallonie, Écolo perd près de 10% des suffrages par rapport à 1999 pour atteindre 8,5%. Pour simplifier, l'on peut dire que les nombreux électeurs orientés à gauche qui avaient rejoint ce parti depuis 1995 auront préféré se (re)tourner vers le PS qui s'est intelligemment présenté comme le seul barrage solide à la droite, sous-entendu libérale et flamande, ce que, malgré tout, il est réellement. En fait, la situation des verts wallons est plus préoccupante que les dirigeants d'ÉCOLO veulent bien l'admettre.

S'il est vrai que le parti progresse d'environ 0,5 à maximum 1,5 % par rapport à 2003, il faut signaler qu'en Hainaut, un député wallon sortant a rejoint le PS et un député fédéral a quant à lui rejoint le CDH. Le Hainaut qui, en tant que province la plus peuplée de Wallonie, est la clé de toute réussite électorale, cela n'augure rien de bon. D'autant plus qu'ÉCOLO a déjà dans cette province 27.000 voix de retard par rapport au FN ! Les affrontements entre son aile wallonne et bruxelloise semblent toujours agiter ÉCOLO, la preuve en a été administrée par la participation d'ÉCOLO au gouvernement bruxellois, les verts bruxellois rendant là en quelque sorte la monnaie de leur pièce aux verts wallons qui prirent part aux gouvernements wallon et francophone pendant 5 ans.

Terminons enfin ce tour d'horizon par la montée de l'extrême droite « populiste ». La hausse continue du FN a fait oublier à certains commentateurs que c'est toujours en Flandre qu'elle progresse le plus pour dépasser les 20% des suffrages. Pour la Wallonie, on se trouve autour de 8,1%, la poussée globale est forte par rapport à 1999 (+ 4,17%) mais elle est surtout de 5,62% dans le Hainaut où le FN recueille 11% des suffrages. De manière globale, on peut donc constater que le FN a dépassé son niveau de 1995 pour se rapprocher de son meilleur résultat qui était celui de 1994 (Européennes et Communales). Les provinces wallonnes qui avaient mieux résisté à la poussée de l'extrême droite en 2003, tels Liège, le Brabant wallon et Namur sont maintenant atteintes, un recul étant enregistré en province de Luxembourg. Mais c'est bien en Hainaut que le FN marque le plus de points. Il réussit à quasiment rassembler tous les suffrages d'extrême droite éparpillés précédemment sur d'autres listes tels le FNB, Nation, etc. pour frôler les 80.000 suffrages. Au sein même du Hainaut, il existe des différences, la moyenne provinciale du FN est de 11% mais il dépasse ce score dans les circonscriptions de Thuin (11,15%4) et Charleroi (14,6%5) ainsi que dans 2 des 5 cantons de la circonscription de Mons-Borinage6. Les circonscriptions les moins touchées sont celles de Soignies (9,42%7) et de Tournai-Ath-Mouscron (7,36%8).

Une ascension prévisible du PS et de son chef

En guise de conclusion, nous ne pouvons que constater que le renversement d'alliance qui a eu lieu était déjà perceptible dès 2003, la longueur dans le temps des négociations de formation du gouvernement fédéral ayant montré que la «violette» ne surgit pas toujours aisément.

Le PS d'Élio Di Rupo contrôle clairement le jeu politique, le repêchage de Louis Michel par le biais d'un poste de commissaire européen, montre que le MR reste l'obligé du PS qui peut se débarrasser de lui au niveau fédéral quand bon lui semblera. Le CDH est revenu au pouvoir quasiment de manière inespérée, il y a fort à parier qu'il sera un partenaire peu remuant du PS dans le gouvernement régional. Par le jeu d'élections fédérales et régionales enfin distinctes en Wallonie (et en Flandre), le PS est arrivé à cette situation confortable, il a donc tout intérêt à refuser tout nouveau couplage de ces deux élections comme le demandent certains partis flamands et le CDH ! Pour ce qui est de la Communauté française, on verra à l'usage, mais on assiste à une certaine satellisation de son gouvernement par le gouvernement wallon. Bien sûr, cela aurait pu aller plus loin avec un seul ministre de la santé et un seul de la fonction publique, mais on constate que l'enseignement, la recherche et les relations extérieures sont dorénavant confiés à des ministres wallons, un «simple» ministre wallon présidant même le gouvernement de la Communauté.

Comme nous le faisions valoir en présentant le Deuxième Manifeste wallon en septembre 2003, il est clair que la politique culturelle et l'audiovisuel seront les derniers bastions à tomber, le Manifeste reste donc d'actualité. Il faut aussi constater l'absence de tout membre du gouvernement bruxellois dans le gouvernement de la Communauté. Nous ne nous trompons pas: les innombrables discours entendus ces dernières semaines sur les liens entre la Wallonie et Bruxelles sont essentiellement d'ordre tactique. Comme en 1999, l'objectif des politiques wallons est avant tout de gagner du temps, car celui-ci, tant économiquement que politiquement et démographiquement, joue en faveur de la Wallonie. Quand on se focalise sur Bruxelles, c'est le meilleur moyen de faire durer le petit manège belge, car comme évoqué par Jean-Maurice Dehousse dans le dernier numéro spécial de TOUDI, la Flandre ne peut conserver Bruxelles que si un cadre belge subsiste. Les dirigeants wallons ont donc tout intérêt à ce que se maintienne l'État belge, pour le moment, car le temps travaille pour eux. Mais à terme, ils n'ont pas intérêt à ce que l'Etat belge devienne la coquille vide rêvée par certains dirigeants flamands pour garder Bruxelles ! À terme, leur intérêt c'est l'indépendance de la Wallonie.

  1. 1. Nous nous concentrerons sur les résultats de la Chambre en raison de la maigre influence politique réservée par la Constitution belge au Sénat, sa probable transformation en Conseil des Régions et des Communautés faisant en outre des élections de mai 2003 très probablement les dernières pour cette assemblée.
  2. 2. le recul est plus marqué à Arlon-Marche-Bastogne qu'à Neufchâteau-Virton
  3. 3. les ministres PCB quittent toutefois le gouvernement dès février 1947, le RW voit , quant à lui, en 1976 une partie de ses dirigeants et élus le quitter pour fonder le PRLW.
  4. 4. Les 11% sont dépassés dans tous les cantons sauf ceux de Chimay et Thuin, le maximum étant atteint dans le canton de Binche avec 12,7%
  5. 5. le maximum est atteint dans le canton de Charleroi avec 16,9%, le minimum dans le canton de Seneffe avec 11,5%
  6. 6. il s'agit des cantons de Frameries (11,4%) et Dour (11,3%), celui de Mons étant à 10,9%
  7. 7. Les 11% sont atteints dans le canton de La Louvière, le minimum étant dans le canton d'Enghien avec 8%
  8. 8. Les 11% sont frôlés dans le canton de Mouscron (10,8%), le minimum étant dans le canton de Celles avec 4,4%