Le plus beau 1er mai de notre histoire

République n°38, juin 1996

François Maréchal "Vox Populi" Vive la Commune! Peuple, souviens-toi!

Une société qui n'enseigne pas est une société qui ne s'aime pas (Péguy)

Mon peuple... Plus personne ne parle comme ça! Mon peuple! Et les flics tout à l'heure, c'était mon peuple aussi, peut-être ? (Chiquet Mawet)

En 1942, la philosophe Simone Weil (1905-1944) réfléchissait, depuis le Londres de la France libre, sur la compassion. « Ce sentiment de tendresse » écrivait-elle « pour une chose belle, précieuse, fragile et périssable, est autrement chaleureux que celui de la grandeur nationale (...) Un amour parfaitement pur de la patrie a une affinité avec les sentiments qu'inspirent à un homme ses jeunes enfants, ses vieux parents, une femme aimée (...) La compassion pour la fragilité est toujours liée à l'amour pour la véritable beauté, parce que nous sentons vivement que les choses vraiment belles devraient être assurées d'une existence éternelle et ne le sont pas. » 1 La situation actuelle des sociétés d'Europe requiert de tels sentiments. La dérive autoritaire du gouvernement wallon, c'est le souci de démontrer au partenaire flamand qu'il sera dur avec lui puisqu'il est dur avec...les Wallons. La dérive autoritaire se double donc d'une dérive nationaliste - jamais le mot n'aura été employé à meilleur escient - et force à repenser l'identité wallonne. Il faut la repenser à partir du 1er mai 1996. Il a sauvé la Wallonie du nationalisme antidémocratique des politiciens par leur mise hors-jeu, même temporaire et symbolique. Spectacle grandiose, à Liège, de ces militants enlevant calmement les affiches du 1er mai officiel. Infiniment plus que la pointe du Grognon, que les bâtiments du confluent de la Sambre et de la Meuse, que toutes les « cellules identité », que les oublis grossiers de Charleroi et ses statuettes de Schtroumpfs, ce 1er mai recrée la Cité humaine en Wallonie.

Un 1er mai de RDA

La Revue Nouvelle le compare avec la vague de vérité qui balaya les bureaucrates de la RDA. Effectivement, le Pouvoir en Wallonie ment. Il ment sur les chiffres et nous en avons fait plusieurs fois la démonstration. Il ment sur les intentions. L.Onkelinx à la RTBF-radio, le 15 juin, parle de la participation des citoyens aux décisions comme de l'idéal de sa vie! Le 22 juin, elle dit « travailler pour maintenir la confiance ». Le système médiatique est tel (les journalistes n'en peuvent rien) que le pouvoir peut recréer ce qu'il veut dans les studios. L'opposition « marxiste » de Philippe Moureaux semble (semble!) du même acabit; pour le reste: théâtre, théâtre, théâtre d'ombres! S'il n'y avait eu les désaveux de Liège à Charleroi en passant par Bruxelles, La Louvière, Froidfontaine... de quoi aurions-nous l'air? Onkelinx et ses pairs n'ont pas pu parler, pas pu s'enfermer dans les tours d'ivoire du système médiatique, pas pu se retrancher derrière les chevaux de frise des gendarmes, pas pu baisser les rideaux de leurs cabinets et « maisons du peuple » (sic). Ils ne disposaient pas, le 1er mai 1996, d'une police bruxelloise chargée de matraquer les citoyens autour de l'assemblée des « représentants du peuple » comme le jour du vote du décret du 2 avril envoyant jeunes femmes et hommes enseignants au chômage. Van Cau n'avait pas, comme le jeudi 23 mai à Charleroi, 250 gendarmes autour de lui. Les socialistes liégeois n'avaient pas, comme le Vendredi 31 mai, à Liège, un mur de conteneurs autour de la Maison du peuple pour se préserver du peuple. Alors, ils ont dû faire face à celle qui, depuis longtemps, à travers sondages et élections, est exclue du système « démocratique »: l'opinion publique. Après des mois de charges de gendarmerie, de mensonges, de poses devant les caméras, de « discussions » bidons au Parlement, de démocratie virtuelle... Et ils semblaient étonnés! Cela ne marche pas comme en studio! « J'ai voulu travailler de telle manière que la confiance demeure » déclarait Laurette Onkelinx le 22 juin. La « confiance » comme au Congrès du 29 juin, mais pas dans le pays où le dégoût s'accumule.

L'autonomie wallonne n'est devenue pleinement effective qu'après les élections de mai 1995. En effet, nous avons un gouvernement wallon, plus prépondérant dans la Communauté française de Belgique, et placé face à une assemblée représentative - du moins d'après les critères institutionnels! - du peuple wallon. C'est justement cette autonomie qui a permis que se révèle, au 1er mai, l'insignifiance du Parlement wallon, la vacuité des « socialistes » et de leurs partenaires. Le 1er mai 1996, on comptait: 23 manifestations de milliers d'enseignants chacune, en sept mois, trois mois de grèves enseignantes, une agitation endémique des étudiants, le malaise à Clabecq, Caterpillar, au Borinage, à la FN, dans les chemins de fer, les services publics, 135 milliards de ponction fédérale sur les petits et moyens revenus (65 autres annoncés), l'érosion de l'Etat social, les brutalités policières en novembre, en mars, en avril... A quoi d'autre pouvaient-ils s'attendre, les dirigeants wallons?

Mais le désaveu vient de plus loin. Rappelons-le un peu comme, en 1995, nous rappelions à J.Bauduin que l'autonomie wallonne ne tombe pas du ciel.

Rejet du renardisme

La revendication wallonne et syndicale socialiste de 1961 fut d'abord violemment combattue par les politiques socialistes. Jamais, quand ils finirent par y souscrire, les socialistes ne voulurent ou ne purent lui donner la profondeur de champ d'une revendication « nationale », au sens républicain de la Nation. Les premiers instruments allant vaguement dans le sens d'une politique économique régionale - la Société de développement régional (SDR) ou le Conseil économique et social -, furent installés en 1971. Vint le gouvernement du socialiste Leburton qui, face à ces timides avancées renardistes, clama journellement que l'économie devait rester « nationale et globale ». Il tomba en 1974. La crise se pointait déjà. Les socialistes furent écartés, trois ans, du pouvoir. En 1977, ils remirent le fédéralisme politique en route. Cette avancée, seulement politique de 1980, fut d'un effet nul économiquement et socialement: les politiques d'austérité menées dès 1981 par le gouvernement Martens-Maystadt (et non Martens-Gol comme on le dit officiellement mais à tort), étaient conduites au niveau belge. Chaque année, Maystadt-Martens distribua des dizaines voire des centaines de milliards aux riches pendant que la dette publique passait de 2000 milliards en 1980 à 6000 milliards en 1987 (fin des gouvernements Martens-Maystadt) 2 Le chômage passait à un million de personnes. Ce n'est qu'au prix de luttes violentes que la sidérurgie wallonne n'était pas enterrée. B.Francq a écrit que le renardisme se résumait, in fine, à cette lutte pour la sidérurgie.

Le projet renardiste de la maîtrise démocratique de l'économie reste cependant à l'ordre du jour. Sans cette perspective, ouverte par les Lumières, de voir les êtres humains s'émanciper des contraintes extérieures à travers le libre débat qui fixe de commun accord les politiques à suivre, l'identité humaine individuelle se rétracterait comme la chair sous la morsure du feu. Parce que nous avons goûté, si peu que ce soit depuis deux siècles, à l'idéal de « participation des citoyens », la structure de nos sociétés s'est modifiée. Nos sociétés sont devenues incapables de supporter l'autoritarisme féodal. Elles ont besoin de dialogue et parce que celui-ci leur est refusé, sauf sous la forme virtuelle des entretiens télévisés et des interviews commanditées, elles étouffent de désespoir: drogue, violence autour des stades, augmentation du taux des suicides et des maladies mentales. L'un des premiers abonnés de République fut un psychiatre très conscient de l'origine des maux dont souffrent ses malades. On dit que les contraintes économiques imposées par le capitalisme international ont détruit le « vieux » projet renardiste. Mais comme celui-ci s'inscrit dans la perspective démocratique, il reste vital d'en retrouver les voies et moyens. Madame Onkelinx et Monsieur Van Cauwenberghe ont trouvé six milliards d'économies, mais, indépendamment même du dégoût suscité dans le monde enseignant, ils ont gravement hypothéqué la préparation des jeunes à l' exercice de la citoyenneté puisqu'ils se sont comportés comme si la Cité n'existait pas. Inspirer à la jeunesse le sentiment qu'il ne sert à rien de se battre alors que tout est déjà désespérant, cela valait-il les trois milliards de suppression de postes dans l'enseignement le plus pauvre des pays développés (lire l'étude officielle republiée par les Cahiers marxistes, références p. 1 et p.2 dans l'article de Populus)? La culture démocratique leur coûtait trop cher, ils ont choisi l'ignorance, l'inculture et la barbarie. A quoi pourraient encore bien croire les Wallons en matière de citoyenneté quand il ne sert à rien de manifester, d'écrire aux journaux, de faire grève, d'avoir une presse qui informe toute une année puisque tout cela ne change rien à rien? On nous rappelle les contraintes internationales et budgétaires. Mais comment pourrions-nous y croire quand, dans des domaines où celles-ci n'existent pratiquement pas, les dirigeants socialistes ont été aussi profondément impuissants...

Le rejet des intellectuels

Lorsque, le 15 septembre 1983, quatre-vingts intellectuels parlèrent de culture wallonne dans le sens de cette identité citoyenne indispensable à l'identité humaine d'aujourd'hui, le mot d'ordre de l'appareil du PS fut: on ne parle pas de cela. Une répression des partisans de la culture wallonne s'ensuivit. J'ai essayé de la faire voir sur quelqu'un comme Jean-Jacques Andrien qui avait eu l'intention d'être un cinéaste et d'être aussi un cinéaste wallon et que les ukases des bureaucrates de la culture réduisirent à se renier comme cinéaste wallon puis comme cinéaste tout court. Ce meurtre symbolique révèle l'incapacité des dirigeants devant le problème culturel. La plupart des politiques ignorent ce dont il s'agit. Il est peu probable que s'ouvre un enseignement wallon, enraciné dans la culture universelle, notamment française, mais y amalgamant les éléments tout aussi universels de notre culture: de Delvaux à Plisnier en passant par Magritte, Sax, Defrance, Vaneigem, Lemaître, l'histoire des soulèvements de 1893, 1950, 1960, la Résistance, le féminisme, les mystiques du moyen âge à aujourd'hui, la beauté de nos paysages, les récits de la peine des hommes à travers Malva, Detrez, Paulus, Haumont, Louvet, ... Un tel programme devrait être celui des « humanités » tant en Wallonie qu'à Bruxelles. Mais quoi! On baptise « Roi-Baudouin » les ponts de Charleroi, on occulte l'histoire de Wallonie dans les livres officiels et on élève des monuments aux armées françaises. Pour les Wallons, des Schtroumpfs. Les conseillers de L.Onkelinx, invitent les enseignants à « préparer l'homme et le citoyen épanouis du 21e siècle ». Mais d'où est ce citoyen? Il peut être de la Planète Mars ou du Kamtchaka: un lien remarquable s'est noué entre le refus de l'identité wallonne propre à la Communauté et cette proposition surréaliste faite aux profs (que les gendarmes de la Ministre viennent de tabasser), de préparer un « citoyen épanoui » 3. Comme, de toute façon, ces mots de « citoyen », de « participation » n'ont aucun sens dans la bouche de ceux qui s'abritent derrière la police, les conteneurs et les serrures électroniques, mieux valait ne rien préciser en termes d'identité. Ceci fait penser aux manuels analysés jadis par Hypothèse d'école. Ce groupe avait réussi à montrer que deux choses en étaient absentes: la politique et le sexe, tout ce qui fait la chair de nos vies dans le privé et dans le public. C'est à cette même fadeur que nous condamne le gouvernement wallon et/ou communautaire.

Le rejet du « peuple happartiste »

Depuis 1984, avec un premier triomphe aux élections européennes et 200.000 suffrages, un homme comme Happart en a conquis 300.000 en 1989 et en a gardé l'essentiel en 94. Notamment à partir de sa défense courageuse de ces six villages rattachés à la Flandre en 1963, contre leur gré et en dépit de toute démocratie. D'un déni de démocratie sortait un homme populaire. Mais cet homme fut habilement trompé dès 1988. La volonté de l'écarter en 1989 est évidente, notamment en raison de la place qu'on lui donne sur les listes européennes. Il s'en sort encore mieux! En 1994, une campagne de presse violente se déchaîne contre lui après une nouvelle victoire. Rarement homme politique subit à ce point la vindicte de certains journalistes de connivence avec le pouvoir. Puis, on l'écarta de la présidence des fédérations wallonnes en supprimant la règle qui lui aurait permis d'y accéder.

Quelle a été la réponse de l'appareil PS à ce triple vote happartiste, signe de l'opinion au-delà de l'addition arithmétique d'avis isolés que constitue toujours une élection? Nulle. L'obstruction habile de l'appareil va-t-elle porter ses fruits? Happart sera-t-il finalement écrasé par l'appareil du PS? On craint de revivre sur le plan politique, ce qui fut vécu sur le plan culturel par Andrien.

Pouvoir wallon = gendarmes belges + sondages + mensonges

Résumons-nous. Les socialistes furent incapables de donner quelque contenu économique et social que ce soit à l'autonomie wallonne. Cet échec est sévère même si l'on peut comprendre les difficultés de pareil projet aujourd'hui. Car la proposition fut faite, dès 1960, et même depuis les congrès FGTB de 1954. On ne peut pas l'excuser par la difficulté de toute politique de gauche aujourd'hui: pour un indice = 100 en 1970, la production industrielle en Flandre est à 180 aujourd'hui et stagne du côté wallon; le chômage est aujourd'hui le double en Wallonie de ce qu'il est en Flandre.

Les socialistes ont été incapables de donner quelque contenu culturel que ce soit à l'autonomie wallonne. Il n'y a que peu d'éléments wallons dans l'enseignement des lettres et de l'histoire. Denise Van Dam a montré à quel point c'est tragique: les élites wallonnes, économiques, sociales, intellectuelles ne peuvent identifier la Wallonie même seulement comme problème.

Les socialistes ont malgré tout réussi quelque chose en Wallonie: ils y sont parvenus au pouvoir! Ce pouvoir wallon connut un premier achèvement institutionnel avec l'élection directe du Parlement wallon en 95. Depuis, on n'a jamais vu autant de gendarmes belges en Wallonie. Dérision de l' « autonomie » qui peut se traduire par « se gouverner soi-même ». Depuis que les Wallons se gouvernent « eux-mêmes », il n'a jamais fallu autant les matraquer. Les trois points gagnés par L.Onkelinx dans les sondages - même si personne n'est en mesure de dire ce que veut dire ce + 3 - pèseront probablement plus dans l'esprit de la caste au pouvoir, voire dans l'opinion qu'un an d'agitations enseignantes. Ce + 3 sera interprété comme un encouragement à continuer à casser du prof. Que reste-t-il aux citoyens pour s'exprimer quand règnent à ce point ces « agrégats statiques d'avis privés » (JM Ferry)? Répétons-le: nous ne sommes plus en démocratie.

S'il y a un Gouvernement wallon, un Parlement wallon, c'est à cause de la Résistance, de 1950, de 1960, des luttes syndicales menées sous l'emblème wallon à partir de cette date, d'incontestables poussées populaires (le vote Happart) et intellectuelles (le Manifeste pour la culture wallonne). Mais ce gouvernement et ce parlement ne sont en rien le relais de ces événements. On rencontre tous les jours dans les cabinets « wallons » des gens étrangers au problème wallon et Laurette Onkelinx tient le langage de Leburton en 1974. Le ministre de la culture en Wallonie est bruxellois (et on sait comment il est bruxellois), la ministre de l'éducation est opposée à l'idée de culture wallonne. Le pouvoir wallon cherche à mater la Wallonie par raison d'Etat, pour se mettre en bonne position devant la renégociation du pacte fédéral en 99. Il s'est fait le relais des pires néolibéralismes d'une Europe à laquelle la Belgique s'est soumise en 1830. On s'étonne de la modération des manifestants du 1er mai qui n'ont quand même jeté que des oeufs aux socialistes. Mais les socialistes sont en train de l'enterrer la Wallonie.

En attendant la grande révolte de l'Europe

L'espoir, c'est que cette révolte wallonne s'étende à l'Europe. Nous avons entendu le Chancelier allemand déclarer, avant l'extraordinaire manifestation de Bonn le 15 juin, avec 400.000 travailleurs, qu'il ne changerait pas un iota à sa politique, quel que soit le nombre de manifestants. C'est l'esprit de tous les gouvernements européens. L'espoir, c'est de marquer de plus en plus notre mépris pour ces gens à rejeter comme ils nous rejettent. Aucune confiance, aucune estime, aucun appui ne doit être apporté aux actuels gouvernements d'Europe en train de perpétrer une barbarie pire que la précédente. Celle-ci ne revêtira pas de forme violente: elle coule déjà dans les veines de nos enfants avec la drogue, l'alcool, le désespoir, la folie, la violence sans but. Elle se pare des formes extérieures de la démocratie, mais a perdu toute substance démocratique. Le vieux fascisme n'est plus qu'un dragon gâteux. Les politiques organisent contre lui un nouveau Doudou pour faire oublier qu'ils couvrent la face sainte de la Cité humaine de leurs crachats haineux. Comment organiser cette nouvelle Résistance? Les autres procédures - la militance dans les partis, les élections - n'ont plus d'effet. Le vote qui élit les parlements est pratiquement déterminé d'avance, mais en outre, dès qu'ils sont élus, les gouvernements cherchent à geler ces parlements devenus pourtant déjà si peu incommodes. Enfin, comme on l'a vu avec Clabecq, une longue et vraie discussion dans tel espace public (le refinancement de la sidérurgie de cette localité), qui débouche dans cet espace, dans un contexte dramatique de tragédie sociale, peut être annulée sans autre forme de procès par une institution qui n'a pas de comptes à rendre à l'opinion publique: la Commission Van Miert. Si vos gendarmes ne sont pas à la hauteur, il y a toujours l'Europe.

Nous devons aimer la Wallonie! C'est à la mesure de la nouvelle Résistance à mener, amour proportionné aux tragédies présentes, amour de la Cité charnelle étendu à toute l'humanité: « Celui qui a froid et a faim, et qui est tenté d'avoir pitié de soi-même, peut, au lieu de cela, à travers sa propre chair contractée, diriger sa pitié vers la France; le froid et la faim même font alors entrer l'amour de la France par la chair jusqu'au fond de l'âme. Et cette compassion peut sans obstacles franchir les frontières, s'étendre à tous les pays malheureux, à tous les pays sans exception; car toutes les populations humaines sont soumises aux misères de notre condition. Alors que l'orgueil de la grandeur nationale est par nature exclusif, non transposable, la compassion est universelle par nature; elle est seulement plus virtuelle pour les choses lointaines et étrangères, plus réelle, plus charnelle, plus chargée de sang, de larmes et d'énergies pour les choses proches [...] Si la patrie est présentée [au peuple] comme une chose belle et précieuse, mais d'une part imparfaite, d'autre part très fragile, exposée au malheur, qu'il faut chérir et préserver, il s'en sentira avec raison plus proche que les autres classes sociales. Car le peuple a le monopole d'une connaissance, la plus importante de toutes peut-être, celle de la réalité du malheur. » 4

Le malheur? Il est une joie. Ce 1er mai. Il vit au plus profond de notre honneur « comme un songe invincible »

  1. 1. Simone Weil, L'enracinement, Gallimard, Paris, 1949, p. 148.
  2. 2. Chiffres donnés par Necker, notamment dans République n° 13, p. 8.
  3. 3. « Pour former des personnes épanouies, des citoyens actifs et des acteurs de la vie économique du 21e siècle, il faut aujourd'hui transformer l'école construite sur une logique de sélection en une école ambitieuse pour tous, une école de la réussite. » in Réussir l'école, Ministère de l'Education, Bruxelles, Avril 1996.
  4. 4. Simone Weil, L'enracinement pp.150 et 152.