Voile, accommodement raisonnable ?
Quelques-unes de mes voisines portent le voile. Qu'elles soient plus ou moins conscientes que, ce faisant, elles affirment ostensiblement une certaine lecture du Coran (bien que certaines d'entre elles n'interdisent pas à d'autres de se dire aussi musulmanes sans porter de voile) m'importe très peu, moi qui ne suis pas musulman. J'ai tendance à m'accommoder de la présence et des unes et des autres dans l'espace public mais seulement dans certaines limites. Leur comportement social en général m'importe d'ailleurs beaucoup plus que leurs tenues vestimentaires et, vivant à Schaerbeek depuis bien longtemps (et ayant entre autres animé un comité de quartier pendant quelques années), j'ai noué pas mal de liens avec des musulmanes voilées, d'autres qui ne le sont pas et avec des non musulmanes. Vivre ensemble, le bel idéal ! Certaines que je connais fort bien s'y emploient parfois avec énergie et respect des autres et elles sont d'ailleurs parmi les destinataires de ce courrier.
En revanche, le voile porté dans certaines circonstances ou, plus encore, le voile intégral m'empêche de reconnaître celles qui le portent comme des concitoyennes authentiques. Et cela me pose franchement un problème, comme me pose problème n'importe quelle ségrégation de principe entre les membres de la société dont je veux faire partie. (Ce n'est d'ailleurs pas le monde musulman qui aurait inventé la relégation des femmes 1)
Cependant, en l'occurrence, ce qui me révulse particulièrement aujourd'hui, c'est le voile quand il est brandi comme étendard, c'est le voile conçu pour une conception conquérante de l'islam issue d'un volontarisme sectaire.
Que d'aucun(e)s cherchent à se séparer des autres membres de la société dans laquelle ils vivent, à se distinguer par un signe ou par un geste de ralliement (religieux ou autre), qui organise la discrimination entre ceux qui adhèrent à certaines valeurs et tous les autres, c'est assez courant, mais n'est-il pas déraisonnable de toujours et partout s'en accommoder ? Il faut, je crois, pouvoir nommer ces risques de dérive pour ce qu'elles sont en réalité : à savoir du sectarisme.
A l'occasion de l'entrée d'une députée voilée au Parlement bruxellois, on a pu lire ou entendre ici ou là des affirmations pour approuver (voire même applaudir), le choix de cette jeune députée sans pourtant accorder même le bénéfice du doute à ceux qui s'interrogent, comme moi, sur la pertinence du geste politique posé par le Cdh (et éventuellement par ses futurs partenaires de l'Olivier ?).
« Non-événement » affirmait le représentant du Mrax sur les ondes de la RTBF le 22 juin. Les adversaires du port du voile dans un lieu symbolique comme le Parlement bruxellois n'avancent que des arguments dignes du régime sévissant en Corée du Nord, écrivaient d'autres dans Le Soir, le même jour. Ou encore, « si on ne l'autorisait pas chez nous, ce serait comme une révocation de l'édit de Nantes » 2 disait l'éditorial de La Libre Belgique)
Fort heureusement, j'ai découvert ailleurs que dans cette presse-là, une phrase qui alimente ma réflexion. Dans Marianne, le 23 juin 2009, Didier Goux écrivait :
« Une société n'est pas un simple agrégat de libertés individuelles, c'est même quasiment le contraire : c'est la distance par rapport à soi-même, le souci de l'autre, la prise en compte de son regard. Or, la prise en compte du regard, c'est précisément ce que le voile intégral entend supprimer ».
L'article dans Marianne n'évoquait en l'occurrence que le voile intégral de plus en plus présent dans certains quartiers en France (et aussi en Belgique) mais toutes proportions gardées, le simple voile qui peut être perçu comme un étendard dans une enceinte parlementaire devrait faire aussi question et débat et ne pas être admis purement et simplement. Prétendre qu'il n'y a rien à voir (alors qu'on relevait, lors de l'entrée du Parlement bruxellois, une affluence exceptionnelle de journalistes belges et étrangers, de curieux et de sympathisants mais de quelle cause ?), ou affirmer que cela ne pose pas de problème (alors que les avis sont nécessairement partagés en Belgique sur l'opportunité d'admettre le voile déjà dans d'autres lieux publics comme les écoles), est aussi stupide que contre-productif.
Stupide car qui pourrait prétendre que la liberté individuelle est absolue et qu'elle ne devrait pas être exercée dans certaines limites ? L'enceinte d'un parlement où s'échangent les points de vue différents devrait idéalement établir les règles qui permettent que tous la reconnaissent comme le lieu porteur d'un bien commun à préserver. L'absence de règles vestimentaires dans ce lieu permet d'imaginer tous les comportements a priori non interdits. Si j'admets que la députée Cdh n'a enfreint aucune règle écrite, que son élection est valide, si je ne lui prête a priori aucune mauvaise intention 3 comme citoyen bruxellois, je revendique le droit de m'insurger contre le laisser-faire de nos représentants et plus particulièrement des représentants du Cdh.
Contre-productif pour ceux qui prétendent vouloir, comme je le veux aussi, lutter contre les discriminations (dont sont victimes de nombreux immigrés des générations successives) et contre le racisme car suggérer que certains sujets seraient tabous ou sans intérêt n'a jamais résolu aucun problème. Le pourrissement des tensions et des incompréhensions entre les membres d'une société n'est pas une option. Et l'énoncé de grands et beaux principes ne suffira pas pour pacifier les esprits. N'étant pas juriste, c'est en tout cas ma conviction intime que je soumets à votre propre réflexion.
Il sera, très certainement intéressant de suivre « le développement durable des imbroglios » dont la Belgique a le secret, lorsque des problèmes plus urgents dans quelques semaines mobiliseront nos élus en risquant de faire l'impasse, je le crains, sur un sujet non débattu qui illustre malheureusement leur difficulté (leur impuissance ?), à baliser notre vie en commun.
Une dernière remarque : le Coran est respectable, et la conviction qu'il s'agit d'un texte sacré également, mais il est sans utilité au législateur dans la conception européenne de la démocratie pas plus, d'ailleurs, que la Bible ou la Thora. A la différence de ce qui se passe aux Etats-Unis, la démocratie européenne est héritière de longues luttes (et même de guerres civiles), qui ont finalement abouti à séparer le spirituel du temporel. Cette conception de la démocratie mérite qu'on prenne le temps de la réflexion avant d'éventuellement la fragiliser par des expériences que des « novateurs » démagogues s'empressent d'applaudir.
Salut et fraternité à tous et à toutes !
François Brouyaux
- 1. Le gynécée existait bien avant le christianisme et l'islam .
- 2. La révocation de l'Edit de Nantes par Louis XIV (1685) rétablissait l'interdiction de la religion protestante en France. Il allait conduire à des massacres et à des fuites de protestants vers des terres plus accueillantes et allait appauvrir la France.
- 3. la revue Démocratie Schaerbeekoise qui, entre autres excellentes choses, résume le déroulement des conseils communaux, rapporte deux des interventions de la conseillère Mme Ozdemir d'intérêt général lors de la séance de cette assemblée du 18 février. Sa présence voilée au Conseil n'avait suscité, à ma connaissance, jusqu'ici aucun débat.