Pourquoi nous sommes des Romands
Français nous sommes donc par la langue et la culture, sans avoir besoin de l'être par le Droit et l'Etat. De langue et de culture française, nous ne sommes pas de la langue et de la culture du pouvoir de la France, mais de celle de tous ceux qui, de par le monde, usent de ces outils et de cette mémoire pour «dissoudre les monstres». La France n'est qu'un Etat, quand la francité est un monde - un monde dans le monde, un monde qui dépasse cet Etat et parfois le nie. Par le fait, donc, que nous sommes de culture française, même lorsque nous le nions (mais en quelle langue le nions-nous?) nous ne sommes plus Suisses. Ou plus seulement Suisses, ce qui revient au même. Et cela sans être pour autant Français. C'est en quoi nous pouvons être Romands. La revendication, l'exigence même (parce que la nécessité) d'une Romandie culturelle n'est pas repli sur soi: nous ne sommes pas régionalistes, mais mondialistes, cosmopolites, dans le même temps et pour les mêmes raisons que nous sommes «communalistes» 1. Toute culture vient du dehors et porte fruit en s'implantant: il faut que le créateur se sente étranger à son monde pour qu'il crée. Ce qui germe ici nous vient d'ailleurs, la langue française en premier, qui nous fut apportée par la Réforme et ses pasteurs. Ici, on parlait franco-provençal, savoyard (sauf dans le Jura, qui est d'oïl); la langue de Rousseau et de Ramuz, c'est la langue de Calvin, mouillée au lac et frottée aux montagnes. Nous ne sommes aujourd'hui Romands que parce que nous parlons français sans être Français. Notre identité est une ambiguïté, et donc une ouverture. Sont de Romandie tous ceux qui y vivent et veulent en être 2. Peuvent être de Romandie tous ceux qui n'y étant pas veulent en être.
Pascal Holenweg
Ce texte de P. Holenweg, extrait de la revue socialiste de Genève Troubles aujourd'hui disparue, se réfère au français sans ramener à la Suisse (comme ceux qui soulignent que nous sommes seulement Belges francophones), sans dériver vers un rattachisme absolu. Il ancre dans la réalité romande. Manière pour les Bruxellois francophones d'admettre que, quelque part, ils sont « wallons» au sens où notre ami de Genève dit qu'il est « romand»? Et de réconcilier indépendantistes wallons et rattachistes? Cette interrogation sur la nation, chez P.Holenweg (déjà relevée en 93 et en 95 dans République), est au-delà de tout nationalisme et même de toute revendication institutionnelle immédiate. Elle est orientée vers le socialisme. Ces approches s'enracinent dans le besoin de patrie qui est aussi le besoin de Cité, de justice et, finalement, d'universel, d'une Francophonie plurielle comme la veut Willy Bal.