Surréalisme et photographie à Charleroi
L'exposition Photographie et surréalisme au Musée de la photographie à Charleroi avenue Pastur 11, 6032 Charleroi (le très beau musée de la photographie, au rayonnement international, est à Mont-sur-Marchienne), est à voir. Le surréalisme est lié à la photographie. Car «L’oeil existe à l’état sauvage» disait André Breton. Et peut-être (contrairement à ce qu’on eût pu penser), autant le regard du photographe que celui du peintre.
La méprise bien belge sur «surréalisme»
Dommage que le mot «surréalisme» ne soit le plus souvent utilisé, notamment par les journalistes politiques, que pour désigner ce qui est un peu étrange, un peu bizarre, sortant de l’ordinaire, baroque etc. Et notamment certains aspects de la réforme de l’État. Au fond le surréalisme n’a rien à avoir avec cela. Dans ses Mythologies ( Seuil, Paris, 1957), Barthes assimile l’équivalence surréalisme et irrationalité (de l’enfance en l’occurrence), à de la «bouffonnerie». À la limite, l’emploi du mot «surréalisme» est un emploi très «mythique» du mot en ce qu’il tend à figer une essence belge d’inspiration conservatrice: Belgique = surréalisme.
L’exposition nous fait découvrir ou redécouvrir le photographe américain Man-Ray, Marcel Mariën, des morceaux de films surréalistes comme le très célèbre Kin Kong (cette histoire d’enlèvement d’une jeune fille par un singe titanesque qui l’aime), des portraits des grands écrivains surréalistes de Wallonie comme Chavée, Dumont, Scutenaire... Justement, à propos de l’expression inadéquate du mot «surréalisme», soulignons que les historiens de la littérature ont vu plus qu’une coïncidence entre l’éclosion du surréalisme en Belgique et le fait qu’il ait trouvé sa meilleure implantation, dans les régions les plus déshéritées du sillon industriel wallon, du Centre au Borinage. Justement là où il n’était pas possible de tricher avec la réalité et où la révolte de la poésie s’alliait intimement avec celle des hommes écrasés.
Le «réalisme» du «surréalisme» est plus réel que le «réalisme» du «réalisme»
On peut rire de ces «mannequins enlevés», de ce sein de femme que semble happer le bec d’une cafetière et trouver cela «surréaliste» au mauvais sens du terme que l’on relevait plus haut (la photo est intitulée non sans humour «Les bouts rimés»). Mais le langage le plus quotidien est plein de poésie «surréaliste» (cette fois au bon sens du terme): «Tirer le diable par la queue», «Ne pas pouvoir nouer les deux bouts», «Couper les cheveux en quatre». Le surréalisme comme tout langage poétique, cherche à modifier le langage afin de nous ramener à la vérité de notre condition, avec un énorme clin d’oeil. «L’oeil voit comme la main prend», ce vers de Nougé nous introduit au coeur de l’exposition où brillent mille photos plus attirantes les unes que les autres: un bras passe par l’échancrure d’une porte et se replie sur le manteau de la porte, photo intitulée Le bras révélateur. Une autre photo de Madoz nous montre des souliers dont les lacets sont eux-mêmes enlacés, liant inexorablement les deux souliers l’un à l’autre.
Preuve que le «surréalisme» est lui-même réaliste: ces photos assez nombreuses de magasins de sous-vêtements qui font évidemment «surréalistes» mais qui sont parfaitement vraies. On retiendra celle d’Alvarez-Bravo d’une affiche de corsetier. Il y en a d’autres, drôles, émouvantes et ce mot du poète André Breton, le fondateur du surréalisme: «Le portait d’un être qu’on aime doit pouvoir être non seulement une image à laquelle on sourit mais encore un oracle qu’on interroge.» Ceux qui parlent de la Belgique comme »surréaliste» (au sens faux de ce mot), montrent par là qu’ils n’aiment pas ce pays.
Bien que ne pouvant pas exactement se définir comme photographe surréaliste, le photographe wallon Georges Thiry participe quelque peu de cette atmosphère. Il a photographié une série d’artistes et de poètes, disant, dans le sens de la phrase d’André Breton que nous venons de citer: «Je connaissais un peu tous ces poètes, ces rêveurs. J’ai tâché de ”vibrer ” tout juste un peu avec eux.» dit-il. Mais aussi avec les êtres les plus simples comme ce petit garçon pêchant dans la Vesdre et observé par un garde-pêche, cette vendeuse de légumes à Bruxelles devant une charrette à bras ou encore ce bus portant le calicot (années trente) Wallonie, réveille-toi!
Ce qui nous a le plus ému, c’est la photo de la jeune et jolie Pim vers 1950, modèle de peintres célèbres et qui montre de sa main gantée de noir l’ombre d’un fumeur sur un mur, ce qui me faisait penser à Thierry Haumont et son «Conservateur des ombres» où il rappelle la théorie mythique (mais qui a son poids de réel): l’ombre à l’origine de la peinture, comme... de la photographie, cette autre peinture et tout aussi peu «objective» malgré les apparences.
Expo. jusqu’au 3 juin de 10 à 18 heures, excepté les lundis 071/ 43 58 10.
Brèves
À noter aussi les photographies de la photographe canadienne Elaine Ling sur le désert de Namibie, d’une très grande intelligence et beauté.
Le musée de Charleroi s’est vu confier le dépôt des photographies appartenant à la collection de la Province de Hainaut, riche de 4.000 pièces, dont certaines seront incorporées dans les collections permanentes du musée.
Les «Archives de Wallonie»
Les «Archives de Wallonie» en accord avec le musée de la photographie de Charleroi passent la main. Dans la communication à ce sujet, Jeanne Vercheval-Vervoort écrit à propos de l’année de création des «Archives» «: «C’était l’époque où, affaiblie par la crise économique, la Wallonie puisait dans son passé des raisons d’espérer. Historiens, syndicalistes, chercheurs, économistes, intellectuels de tous bords se mobilisaient pour endiguer le “wallo-pessimisme” ambiant, nourri d’un passéisme peu propre à l’émergence d’une Wallonie ouverte sur l’avenir et le monde.». De très beaux albums ont été réalisés sur les sidérurgistes, les travailleurs de la santé, les Italiens de Wallonie, le Borinage en 1959, les verreries, les charbonnages, le Roton... Grâce au musée de Charleroi, si nous comprenons bien, cette activité trouvera des prolongements. On ne cessera de recommander le musée de Charleroi pour la place importante qu’il occupe dans le paysage culturel wallon, l’éducation à la photographie d’ici et du monde entier.