L'homme interdit (Jean Leroy) (spectacle sur la pédophilie)

Toudi mensuel n°7-8, décembre 1997

Jean Leroy et Emmanuel Loretelli

C'est une pièce du jeune dramaturge Jean Leroy dont la première a été présentée cette semaine au Centre dramatique de Wallonie. Le thème en est la pédophilie. Exploitation un peu facile d'un drame au centre de l'actualité? Non. D'abord, nous sommes au théâtre et il ne s'agit pas ici de faire de l'audience à tout prix. Ensuite, le projet de cette pièce avait été élaboré bien avant l'affaire Dutroux.

Comment mettre en scène la pédophilie? C'est délicat, car puisque pédophilie il y a, il faut qu'il y ait des enfants en théorie. Or, on ne peut imaginer faire jouer ce rôle à des vrais enfants même si la scène d'un théâtre est plus pudique. Devant cet obstacle, Jean Leroy a imaginé le personnage d'un ange, un ange symbolisant le désir d'une certaine pureté qui anime les pédophiles, désir de pureté mais - attention! - désir de pureté qui est en fait le désir d'un autre docile, soumis, toujours consentant, bref d'un autre qui n'existe pas vraiment. Au contraire de la femme du pédophile qui, elle, existe, sent confusément l'orientation perverse de son mari, ne consent seulement qu'à ce qu'il lui explique ce qu'il recherche à travers les enfants (d'où cette étonnante scène où l'épouse joue un moment le rôle d'une petite fille, manière adroite et respectueuse de représenter l'enfance).

Dans le texte qui reproduit cette pièce, les acteurs ne sont nommés que dans leur rôle abstrait (L'Homme, l'Ange, l'Epouse). Et aussi un quatrième personnage, le père du pédophile. C'est là que se noue peut-être le drame: le père qui a été un peu absent de sa famille engendre, éventuellement, un homme qui pense que seules les femmes ont eu accès aux enfants, cherchant ainsi à avoir ce qu'il pense que les femmes lui ont pris.

On le voit, cette pièce est toute pénétrée des analyses psychologiques les plus pointues pour dire la pédophilie et l'expliquer. Mais un texte littéraire ne peut jamais être le décalque d'une analyse psychologique, philosophique ou politique. Il faut que le drame y pénètre au-delà des concepts.

C'est à quoi parvient spontanément la pièce de Jean Leroy. Le silence pesant sur la salle attentive en témoigne à lui seul. Et aussi d'une des dernières répliques du fameux « Ange »au pédophile maintenant en prison et qui, tout en reconnaissant partiellement ses torts, crie sa révolte contre les hommes qui l'ont enfermé. L'Ange lui rétorque, parlant du reste des hommes qui l'ont enfermé: « Il est trop tard. Ils ne l'écouteront plus. Tu es allé trop loin. Bien au-delà du rêve, bien au-delà des anges. Tu as souillé leur dernier carré de pureté. Désormais, à leurs yeux, tu n'as plus rien d'humain. » L'idée de l'Ange (et de toute la pièce) étant que la pédophilie n'est peut-être que l'abcès de fixation d'une société qui n'aime plus, qui ne s'aime plus, qui a perdu le sens de la fraternité. Une nouvelle fois, la littérature a été plus loin que la psychologie ou la politique...

E.Delferrière

Jean Leroy, L'homme interdit, in Nouvelles Ecritures, Lansman, Morlanwelz, 1997. Le volume contient d'autres scénarios de théâtre comme le spectacle A comme Adrien de Jeannine Laruelle-Louvet qui est une étonnante réflexion sur l'aliénation dans les médias. La mise en scène en est stupéfiante avec notamment cette scène où un homme, en quelque sorte, ausculte psychologiquement son propre corps. Quai des affres, d'un autre jeune auteur Emmanuel Loretelli, que nous n'avons pu que lire, est un dialogue au coeur d'un métro désert sur la jeunesse, la mondialisation, le chômage. Le tout a été en quelque sorte été coordonné ou « supervisé » par Jean Louvet qui poursuit ainsi un étonnant travail culturel dans la région du Centre en y impulsant des spectacles dont l'intérêt est national et même international. Jean Louvet le dit: «sous-jacent à cet effort, il y a l'interrogation d'une Wallonie démocratique sur elle-même et sur le monde».