Compte rendu : L'illusion économique (Emmanuel Todd)

Paru sous le titre "Illusion (économique), égalité, Nation"
Toudi mensuel n°10, mars 1998

La lutte des classes est un élément nécessaire de la réémergence de l'idée nationale. (E.Todd)

Le prolétariat doit s'ériger en classe dirigeante de la nation. (K.Marx)

Il nous semble que la lecture du livre d'Emmanuel Todd L'illusion économique (Gallimard, Paris, 1998), est incontournable. Certes, ce n'est pas le premier Français que nous voyons se lancer dans une réhabilitation progressiste et démocratique de la nation. Mais Todd ne se contente pas d'argumenter philosophiquement, politiquement ou moralement. Son propos, qui reste celui d'un historien, est aussi économique et sociologique. Nous sommes persuadés depuis le départ que le mouvement blanc - dont les tendances contestataires sont loin de nous effrayer, on s'en doute - réussirait s'il assumait mieux la société dont il est né et où il a le plus de chances de se propager et d'être actif: la Wallonie. Il ne s'agirait certainement pas de se couper de la Flandre (ni de Bruxelles) ni de lui être hostile - on nous connaît aussi à cet égard. Mais s'il s'agit de citoyenneté en l'affaire, il s'agit aussi de Nation. Ce ne peut être la Belgique.

Il y a si longtemps que nous espérons un sursaut progressiste en Wallonie! Il y a si longtemps que nous disons que les associations, actions, mouvement politiques s'inscrivent nécessairement d'emblée dans un cadre soit flamand, soit wallon (et francophone) que l'on ne pourra nous suspecter de récupération si nous proposons tout ceci.

La mondialisation n'est pas irréversible

Todd renverse la perspective qui est celle de quelqu'un comme Riccardo Petrella par exemple. Pour Todd, ce n'est pas la mondialisation qui vient limiter la nation et la dépasser, c'est l'auto-dissolution progressive de la nation qui provoque la mondialisation. Quiconque s'est engagé politiquement après 1960 a entendu dire que tel projet était sans doute justifié, mais impossible économiquement. Et même les projets menés par les plus machiavéliens: la politique étrangère de De Gaulle par exemple visant à l'émancipation de l'Europe vis-à-vis des USA, était surtout jugée impossible, « d'un point de vue économique » , la France « n'ayant pas les moyens de sa politique » . Une rengaine! Surtout en Belgique où l'idéologie de l' « impossibilité économique » plonge ses racines dans l'auto-amputation de la souveraineté nationale en 1831. Auto-amputation tartinée de marxisme quand il le faut: « marxisme » économique ou internationaliste, selon les besoins. Alors que le peuple des barricades de 1830, les émeutiers de février 1848, ceux de Pétrograd en 1917, les résistants de France et de Wallonie ne se sont jamais posés la question de la faisabilité économique de leur action. Etrange conception matérialiste des choses alors que l'on sait que, même dans le domaine du développement économique en lui-même, le chemin de fer inauguré en 1835 sur le tronçon Bruxelles-Malines, par exemple, n'est nullement l'effet figé d'un déterminisme rigide, mais le projet volontaire d'une classe dominante accompagné par l'Etat belge (éclairé au moins sur le plan industriel) de 1831.

Qu'en est-il de cet « économique » sans cesse invoqué depuis 35 ans? Cet « économique » est, premièrement, selon Todd, le capitalisme de type anglais et américain, fondé sur la structure familiale dominante dans ces deux pays, à savoir la famille nucléaire absolue qui est en même temps libérale et inégalitaire (l'héritage n'est pas distribué également entre les frères). Cette structure anthropologique profonde, à laquelle les vagues d'immigrés se sont peu à peu soumis en Amérique, induit un certain type de capitalisme: l'optimisation à court terme du profit des entreprises dont la justification idéologique est la satisfaction des consommateurs. Ce système a tendance à consommer plus qu'à produire. Todd en voit la preuve dans le déficit devenu permanent de la balance commerciale américaine et dans la faiblesse du chiffre américain du PIB par actif occupé: 54.308 dollars par tête contre 71.219 au Japon (2e puissance économique), 57.001 à l'Allemagne (3e puissance économique) et 60.889 en France (4e puissance économique). Le Royaume-Uni, qui possède la même structure anthropologique profonde que les USA fait encore plus mal: 40.380 dollars par tête. Si l'on essaye encore d'affiner ces chiffres, pour pénétrer au coeur du noeud créatif ou producteur de ces nations, on observe, pour le produit manufacturier, c'est-à-dire la production industrielle, et en termes absolus, que les USA, avec un chiffre de 1063 milliards de dollars, sont presque rejoints par le Japon, avec 1023 milliards, laissant derrière eux l'Allemagne avec 565 milliards et la France avec 271 milliards. La faiblesse des Etats-Unis se mesure également au recul du nombre des diplômés et aux faibles résultats des élèves américains en mathématiques atteignant l'indice 500, après le Japon (605), l'Allemagne (509), la France (538), la Flandre (565), la Wallonie (526) etc.

Certains s'interrogeront sur la validité de cette explication par les structures anthropologiques profondes. Mais l'objection de Todd nous semble valable: on semble parfois expliquer la mondialisation par... la mondialisation. Telle est l' « illusion économique »: faire de l' «économique » un facteur détaché du contexte et tombant du ciel, l'infrastructure matérielle étant ainsi, bizarrement on en conviendra, comme hypostasiée, idéologisée. On peut être réservé sur l'explication de Todd par les structures familiales, mais la pertinence de son propos est en partie indépendant de cette explication. En effet, ce sont les hommes qui font l'histoire, qui rechargent, si l'on peut dire, la structure économique. Celle-ci, pas plus que les idées, ne tombe du ciel.

Deux capitalismes

Contrairement aux capitalismes anglais et américain, les capitalismes japonais ou allemand ont comme objectif la conquête de parts de marché par le perfectionnement, l'expansion de la production. L'attention à la formation est primordiale. Il faut plutôt produire que consommer. C'est l'exportation qui est l'objectif et, de fait, l'excédent commercial japonais était, en 1995, de 107 milliards, celui de l'Allemagne de 65 milliards, reproduisant à cet égard des chiffres analogues depuis belle lurette. Japon et Allemagne se caractérisent par une structure familiale de type « souche » où la famille est autoritaire (alors qu'elle est libérale chez les Anglo-saxons) avec la volonté de maintenir ensemble les frères (même si ceux-ci sont traités de manière inégale). Il s'agit pour la famille (puis ses prolongements dans ces sortes de familles élargies que sont l'entreprise, petite, moyenne, grande et enfin la nation) de, précisément, « faire souche».

Cela entraîne un encadrement maximal de l'individu en Allemagne (avec l'effort fait pour la formation d'ouvriers qualifiés par exemple) et au Japon (où cela peut aller jusqu'à garantir l'emploi à vie dans les grandes entreprises). Au Japon et en Allemagne, la dimension nationale de l'effort économique est centrale: les multinationales japonaises ou allemandes choisissent leurs fournisseurs chez des compatriotes. On peut dire que le Japon et l'Allemagne sont ce qu'ils sont, non par la vertu de leur propre système d'organisation, de production, de légitimation, mais parce que ces capacités trouvent des débouchés (pour le Japon, les Etats-Unis, avec l'aide de l'Allemagne pense Todd). Mais les deux grands systèmes capitalistes (et pour établir cette typologie, Todd n'est pas sans s'inspirer de Michel Albert), le libre-échangiste (américain) et l'intégré (nippo-allemand) sont en difficultés.

Le libre-échange à outrance aboutit à mettre en péril les deux grands types de capitalisme, car les entreprises s'acharnent toutes à réduire leurs coûts salariaux (et donc la demande intérieure) pour être compétitives sur des marchés extérieurs. Mais, comme chacun compresse sa demande intérieure, la demande globale, au niveau du monde, tend à diminuer sur le long terme. Nous avons déjà dit la faiblesse des Etats-Unis (déficit commercial, baisse du niveau culturel, faible productivité, emplois de plus en plus nombreux, mais de moins en moins bien payés sans compter une criminalité forte). Si les capitalismes allemand et japonais ont pu sembler gagnants fin des années 80, début des années 90, ils sont également en perte de vitesse: l'Allemagne est envahie par un chômage croissant malgré le fait que les jeunes demandeurs d'emplois y soient bien moins nombreux qu'en France par exemple (en effet la population de la tranche d'âge de 20 à 25 ans va tomber en Allemagne de près d'un tiers dans la période où nous sommes). Le Japon voit son taux de croissance retomber.

Le libre-échange renforce les inégalités

Allant au-delà de l'économie, Emmanuel Todd insiste sur le fait que le libre-échange à tout prix a été rendu possible par le recul de l'égalité au niveau de l'idéologie, mais aussi par la montée des inégalités concrètes (on retrouvera ici l'inspiration de Robert Reich que Todd critique par ailleurs). Aux USA, le moins riche des 10% les plus riches gagne 6 fois plus que le moins pauvre des 10% les plus pauvres. Alors que ce chiffre est de 3,5 en France et de 2,7 en Suède. Pour lui, la montée de ces inégalités concrètes est parallèle à la croissance des diplômés du secondaire et du supérieur engendrant, non pas l'idée de progrès et d'égalité comme ce fut le cas pour l'alphabétisation dans les siècles antérieurs, mais se liant à des théories sur l'inégalité. Surtout aux USA où le fond anthropologique est favorable à l'idée d'inégalité (combinée avec l'idée de liberté), les citoyens les plus pauvres s'estiment responsables de leur pauvreté et, notamment, s'excluent du droit citoyen, notamment en n'allant pas voter. C'est bien moins le cas en France où même les chômeurs revendiquent hautement leur qualité de citoyens. Si le nombre de diplômés augmente, il existe une couche importante de la population dont la capacité d'adaptation à la vie moderne est réellement problématique selon l'Enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes (p.54). Le groupe des individus « problématiques » (au-dessous du niveau primaire) est de 23,7 % de la population (compréhension de textes schématiques) aux USA contre 9% en Allemagne et 6,2% en Suède. En France, pense Todd, l'inconscient égalitaire de la société se pervertit dans les classes supérieures parisiennes (surtout les journalistes). Elle sont indifférentes aux problèmes des adaptations économiques en province et chez les moins favorisés comme le montrent le vote favorable à Maastricht dans l'Île de France, le ton dominant de médias favorables à la mondialisation, l'antipopulisme des élites.

Prenons acte de cette idée que le libre-échange est facteur d'inégalité. Il est facteur d'appauvrissement, nous l'avons déjà vu. S'appuyant sur deux économistes suédois, Hechsker et Ohlin, Todd montre que l'échange entre Nord et Sud tend à mettre en concurrence les salaires des individus faiblement qualifiés avec la masse illimitée des travailleurs du tiers-monde. Si l'échange accroît le PIB, il tend à appauvrir les plus pauvres, les moins qualifiés et même à les éliminer. Mais pourquoi consent-on à de telles évolutions, qu'est-ce qui les permet ou ne les empêche pas?

C'est ici qu'il faut faire intervenir la nation: « La nation, qui enferme les riches et les pauvres dans un réseau de solidarités, est pour les privilégiés une gêne de tous les instants. Elle est la condition d'existence d'institutions comme la Sécurité sociale qui est, en pratique, un système de redistribution nationale, incompréhensible sans l'hypothèse d'une communauté d'individus solidaires et égaux. L'antinationisme est, pour des classes supérieures qui veulent se débarrasser de leurs obligations, fonctionnel, efficace et discret. Il tend à déligitimer l'égalitarisme interne à la société, en activant le projet parfaitement honorable d'un dépassement du nationalisme et des phénomènes d'agressivité entre peuples. » (p.153-154). Emmanuel Todd va jusqu'à écrire : « L'analyse anthropologique et culturelle qui perçoit, sous les phénomènes économiques conscients, des déterminations subconscientes et inconscientes, impose une vision inversée du processus historique de la mondialisation: la dynamique de fragmentation des nations, endogène, s'exprime par l'ouverture économique et mène au phénomène visible et conscient qu'est la mondialisation. » (p.154)

Todd réfute Gellner en quelques lignes. Pour Gellner, l'alphabétisation est la résultante d'une exigence du développement industriel. Or historiquement, ce phénomène s'est développé bien longtemps avant toute industrialisation. Il a d'abord représenté la volonté démocratique, notamment sous la poussée protestante, du partage du savoir avec les clercs. C'est alphabétisation qui (parmi bien d'autres facteurs) rend possible l'industrialisation, non l'inverse (p.141).

Hannah Arendt et Emmanuel Todd

J-C Eslin a montré dans son livre sur Hannah Arendt L'obligée du monde 1 que c'est non pas la nation, mais le déclin de la nation qui explique la montée du fascisme et des totalitarismes. C'est vrai sur le plan philosophique ou politique où se placent Arendt comme maints réhabiliteurs de la nation en France ou ailleurs, parce que la nation est aussi protectrice: « Jamais», écrit JC Eslin, « Hannah Arendt ne perd la perception vive de la valeur de la protection nationale, qui donne des droits non abstraits. Perception qui, aujourd'hui, manque tant aux moralistes qu'à l'économiste, souvent les deux faces du même personnage! ». Le rapprochement entre Arendt et Todd pourra surprendre. Pourtant, on le voit: il s'impose. E.Todd évoque aussi la possibilité que même les sociétés dites de « capitalisme intégré » comme l'Allemagne et le Japon, implicitement protectionnistes (par leur système social, par leur volonté de produire plus que de consommer, par leur organisation de la société et de la production) ne parviennent plus à éviter le déclassement des travailleurs les moins qualifiés (éliminés, comme nous l'avons vu plus haut, notamment par les échanges avec le tiers monde). En ce cas poindrait le danger du fascisme que pourtant il écarte vu le vieillissement de la population, notamment en Allemagne.

Se fondant notamment sur des évolutions économiques favorables de l'Angleterre (de Cromwell à 1850) des USA (jusqu'en 1900) qui ont mené ces pays de réputation libre-échangiste à la prospérité, mais par le protectionnisme, arguant de la diminution de la demande globale que finira par provoquer le libre-échange et la compétitivité, citant les dysfonctionnements profonds de la société américaine (criminalité dix fois supérieure à la moyenne européenne, pauvreté énorme, abondance d'emplois prolétaires ou sous-prolétaires), Emmanuel Todd propose de recentrer les choses sur la nation avec ses efficaces barrages protectionnistes et douaniers. On criera évidemment à l'hérésie et à la régression puisque la pensée unique (que Todd appelle la « pensée zéro » ) a condamné la nation sous le prétexte qu'elle serait dépassée. Mais, et c'est nous-mêmes qui posons la question ici: par quoi et par qui? Il est étrange que personne ne pose assez souvent cette question à laquelle on ne voit guère de réponse possible. Todd élimine facilement la comparaison de l'unification européenne avec celle de l'unification allemande à travers le Zollverein (union douanière allemande) au 19e siècle. On veut, remarque Todd, une monnaie européenne unique qui aurait cet effet d'homogénéisation ou de rationalisation des sociétés européennes et de leur économie: une monnaie (forte ou faible) protège contre l'extérieur. Mais, dans le même temps, cette drôle d'union douanière qu'est l'Union européenne garde ses frontières ouvertes à tous les vents économiques et commerciaux: « Dans le traité de Maastricht, on trouve certainement l'idée d'abolition des nations; on ne discerne pas la volonté positive de créer une nation. » (p.195) Dès lors qu'est-ce que l'Europe dans ce cadre? Evidemment: rien.

D'un point de vue politique ou philosophique, il est important de revenir sur cette idée de nation et le danger de nationalisme qu'elle recèle. Le rassemblement autour de la nation peut mener au nationalisme. Mais il y a là une idée aussi juste que pauvre. Quelle est la réalité humaine de base qui ne connaîtrait pas sa perversion? La sexualité, par exemple, peut mener au viol ... Est-ce une raison pour la nier?

Une tradition française, républicaine de TOUDI

Lorsque l'on voit ce qui se met en place sous nos yeux pour remplacer les nations, il y a de quoi frémir: c'est la liberté du renard libre dans le poulailler libre, sans protection ni sociale ni nationale, accommodée simplement d'idées « larges » vis-à-vis des minorités ethniques, sexuelles ou religieuses... Traditionnellement et, notamment, sous l'influence de Jean-Marc Ferry, Alain Lipietz, J.Habermas, nous avons sans cesse combattu la manière de construire l'Europe et de faire une politique en Europe qui débouche sur le vide. En 1989 Pascal Zambra (dans TOUDI (annuel n°3 p. 41): « Ces nations [européennes] ne savent que faire d'elles-mêmes, ne savent plus que faire de leurs citoyen(ne)s. Elles ne savent plus si elles se fondent encore sur le droit au travail ou s'il faut supprimer ce droit. Alors, il reste au-delà de l'horizon, cet Eden à portée de la main dans lequel on projettera tout, un paradis sans cesse " élargi " dans son territoire, " approfondi " dans sa logique économiste et libérale. » En 1992, Jean-Marc Ferry (dans République, n°4, p.2): « Si le traité de Maastricht est important, s'il a de fortes implications politiques, ce que je crains, c'est que ce ne soit après que cela se casse la figure, parce que les nationaux ne s'apercevront qu'après que c'était important ». En 1993, Yves de Wasseige (dans République n°12, juin 1993, p.1): « Dans leur zèle à mettre en route au plus vite les plans de convergence, les Gouvernements ont aggravé la crise, ont freiné la consommation et les investissements publics. Les entreprises, doutant de l'avenir, ont stoppé leurs investissements (...) Maastricht a amplifié la crise en Europe. L'obstination à appliquer Maastricht ruinera l'Europe. » En 1995, Luc Vandendorpe, (dans République n°28-29, p.1) après la fausse tentative de sécession de José Happart écrivait: « Le débat politique n'est pas seulement sans objectif, il est surtout sans passion, sans réel enjeu. L'engagement des citoyens envers ce système n'est dès lors plus perceptible que comme un consensus mou, plutôt réactionnaire, autour de l'existant. » En 1996, José Fontaine (dans République n°38, juin, p.8): « Aucune confiance, aucune estime, aucun appui ne doit être apporté aux gouvernements d'Europe en train de perpétrer une barbarie pire que la précédente. Celle-ci ne revêtira pas de forme violente: elle coule déjà dans les veines de nos enfants avec la drogue, l'alcool, le désespoir, la folie... » En 1997 Philippe Larsimont (dans TOUDI (mensuel) n° 6, p. 9) écrivait, tirant la leçon de Renault et de Clabecq écrivait: « On n'assiste pas ainsi à une quelconque construction de l'Europe, mais bien à sa destruction planifiée et organisée. » De même, nous n'avons cessé de nous référer à la conception républicaine de la Nation à travers Paul Thibaud, Dominique Schnapper, Simone Weil, Hannah Arendt et à l'Honneur de cette idée à travers Georges Bernanos, Marguerite Bervoets, la Résistance, Madeleine Bourdouxhe.

C'est dire que nous avons été impressionnés par la pensée de Todd. Elle nous semble aller à l'encontre de la déglingue actuelle, y compris celle de la pensée. Il ne s'agit pas d'un retour enflammé à la Nation. Tout le monde voit bien - et Todd le tout premier - que ce recentrage des économies ne pourra se faire que lentement. Il estime même qu'il y faudra une génération. Ce processus lent n'évacuera nullement, à notre sens, les habitudes « internationalistes » prises depuis sous la poussée de revendications écologiques par exemple (dont Todd ne nous semble pas assez prendre la mesure), sous la poussée d'une aspiration profonde à la paix, sous la poussée d'une forte exigence de justice venant du tiers monde (mais que nous n'arrivons plus à rencontrer dans le stress de nos propres faillites). S'il n'y a jamais eu autant de Français qui parlent le français et l'écrivent (comme c'est le cas de l'allemand pour les Allemands, de l'anglais pour les Anglais etc.), on voit aussi la connaissance des langues se répandre, les échanges entre Universités, la facilité des communications internationales. Tous ces phénomènes ont peut-être été facilités par le libre-échangisme mais ils n'y sont pas nécessairement liés. Bref on peut concevoir un recentrage économique et politique sur les Nations qui aille de pair avec la poursuite de l'ouverture de ces Nations les unes sur les autres.

A notre sens, c'est ainsi qu'il faut concevoir l'indépendance de la Wallonie, qui ne signifie nullement une sorte de rupture spirituelle ou affective ni avec la Flandre ni avec Bruxelles. Mais qui suppose la disparition d'une Belgique prête d'avance à toutes les libre-échangismes et à atlantismes et européennes. Car elle a accepté dès le départ sa citoyenneté déclassée à l'ombre tutélaire d'une monarchie qu'il faudra éliminer, en vue, surtout chez nous, à l'ère des Nations, du retour de la Fraternité.

La République, plus que jamais!


  1. 1. J-C Eslin, L'obligée du monde, Michalon, Paris, 1996, pages 36-37 notamment.