La Wallonie et la Première Guerre mondiale, perspectives historiques récentes (II Jean-Pierre Delhaye et Paul Delforge)

Franz Foulon ou la tentation inopportune

Publié le 16 septembre 2009

La lecture simultanée du neuvième titre de la collection « écrits politiques wallons » consacré à Franz Foulon coécrit par Paul Delforge et Jean-Pierre Delhaye 1 constitue un complément remarquable à l’étude de Paul Delforge analysée précédemment. 2

Figure oubliée et méconnue du mouvement wallon, Franz Foulon (1861-1928) paya lourdement son activité journalistique et politique durant la première occupation allemande. Alors qu’il ne fit l’objet d’aucune condamnation pénale, Foulon devint avec les dirigeants des ministères wallons à Namur (Oscar Colson, Limet, Henquinez, etc.) la figure incarnée de ces « activistes » wallons méprisés tant au sein du mouvement wallon que par les nationalistes belges. Les années de guerre constituent logiquement le centre de cet ouvrage mais il représente aussi une histoire politique de la Wallonie picarde, terre francophile empreinte de libéralisme et de radicalisme y compris républicain. Citons Adelson Castieau (1804-1879), député de Tournai, faisant en 1848 à la tribune de la Chambre l’éloge du mode du régime républicain, le député-bourgmestre radical d’Ath Jean-Baptiste Delescluse (1803-1861), l’avocat flobecquois Jean Fontaine (1826-1892)…

C’est dans le milieu libéral « doctrinaire », franc-maçon et anticlérical que Franz Foulon a évolué durant la première partie de son existence qui culmina avec la vice-présidence de l’association libérale de l’arrondissement d’Ath et, à partir de 1894, la direction du quotidien « L’Avenir du Tournaisis ». Originaire de Dendermonde, mais descendant par son père d’une famille de commerçants originaire de Calais, Foulon est un représentant de la bourgeoisie moyenne francophone et libérale de Flandre 3 qui va s’engager dans la défense de la primauté de la langue française dans le cadre de l’Etat belge. Ce premier mouvement wallon apparaît en réaction à la politique pro-flamande des gouvernements catholique homogène qui vont se succéder sans interruption de 1884 à 1916. Accorder au flamand le statut de langue officielle, c’est remettre en question l’un des éléments fondateurs, voire même trahir, le pacte fondateur des élites « belges » conclu en 1830-31. Les parlers flamands, tout comme le wallon et le picard méritent l’attention, mais seul le français peut être pris en considération comme langue de l’administration et de la Culture. 4 Les premières élections partiellement au suffrage universel masculin de 1894 voient les arrondissements flamands élire uniquement des élus catholiques, les arrondissements wallons élisant essentiellement des élus socialistes et libéraux. En 1898, la loi dite d’égalité ou Coremans-De Vriendt est votée par la majorité catholique et ce au grand dam des libéraux mais aussi de certains socialistes wallons. Jules Destrée vota en sa faveur, les ouvriers flamands ayant selon lui le droit d’être administrés dans leur langue, tous les députés socialistes de cette autre terre de francophilie et de radicalisme qu’est le Borinage s’abstinrent, la discipline de parti les ayant empêchés de voter contre ! 5.

Pour Foulon, patriote belge et francophile, mais pas irrédentiste, d’autres aspects de la politique suivie par les gouvernements catholiques successifs remettent aussi en cause le pacte de 1830-31 : la place de l’Eglise dans les affaires temporelles, le financement de l’enseignement privé catholique au détriment de l’enseignement public, les libertés communales et provinciales contre le centralisme « bruxellois » 6 Tout au long de cette période et jusqu’à son départ pour Bruxelles en 1906 où il prend la direction de la rédaction de l’hebdomadaire Le Ralliement , Foulon « navigue entre anti-flamingantisme, défense absolue de la langue française dans une Belgique unitaire, (…) recherche de l’intérêt du parti libéral, anticléricalisme, accommodement sur la question sociale et affirmation d’un régionalisme wallon. 7 L’unitarisme de Foulon, confronté au progrès constant des revendications linguistiques flamandes et à la minorisation politique des Wallons, qui se traduit notamment en termes de travaux publics et de défense nationale, va évoluer à la veille de la grande guerre vers le soutien à une forme de « séparation administrative ». D’abord membre du comité de patronage pour l’érection d’un monument commémoratif à Jemappes en l’honneur des armées victorieuses de la République, Foulon prend part aux Congrès wallons de 1912 et 1913 et devient l’un des délégués fondateurs de l’Assemblée wallonne pour Tournai-Ath. Il est proche de la ligne dite « provincialiste » défendue par les hennuyers François André, Emile Buisset et Paul Pastur, soit l’élargissement dans un sens autonomiste des prérogatives des conseils provinciaux et communaux, option issue de la politique volontariste notamment en matière d’enseignement, de culture, de santé menée par la coalition socialiste-libérale qui dirige le Hainaut depuis 1900.

Lorsque le territoire national est envahi en août 1914, Franz Foulon va l’être l’un des rares militants wallons en pays occupé à rejeter «publiquement » 8 le parti de joindre sa plume à l’union sacrée. Curieusement, le francophile qu’il est ne va pas comprendre que la Belgique de 1914 n’est plus tout à fait la même, n’en déplaise à une grande partie du gouvernement et au palais royal: par la force des choses, elle est devenue l’alliée de la France et donc son sort est dorénavant lié à celui des armées de la République, de Jemappes à Jemappes en quelque sorte…9 Considérant, à juste titre serait-on tenté d’écrire de manière rétrospective, que l’occupation de la Belgique est le résultat de la désastreuse politique de défense menée par les gouvernements cléricaux qui, de surcroit, ont livré sans le défendre le territoire wallon aux hordes teutonnes, Foulon refuse de soutenir le gouvernement en exil au Havre, gouvernement où s’agitent d’ailleurs divers partisans d’une Grande Belgique tels Henry Carton de Wiart et Pierre Nothomb. Si les auteurs ne peuvent trancher la question de savoir si c’est Foulon lui-même qui a sollicité les autorités allemandes en vue de la parution d’un journal wallon favorable à la séparation administrative ou bien l’inverse, il n’en demeure pas moins que celui-ci lance à Bruxelles en novembre 1916 l’hebdomadaire L’Avenir wallon soit quasi simultanément à l’ouverture de l’université flamande de Gand et à la scission du Ministère des Sciences et des Arts en sections flamande et wallonne. Pour Foulon, « il est du devoir des wallons d’envisager l’avenir et de se préparer courageusement aux réalités futures. » 10

Il est évident que par le biais de son journal publié sous la censure et le contrôle des autorités d’occupation, Foulon sert les buts de l’occupant, mais les auteurs considèrent que notamment en raison de son anticléricalisme, L'Avenir wallon fut finalement jugé peu efficace par l’occupant. 11 Foulon réussit à faire passer dans les colonnes de son journal ses idées , mais il ne fut jamais maitre des événements, il passa ou gaspilla une grande partie de son talent à réagir aux divers soubresauts de la politique menée par l’occupant, mais aussi par les activistes flamands. En février 1918, il publie La question wallonne et se place dans le sillage du droit à l’autodétermination des peuples proclamé par le président américain Wilson comme l’un des buts de guerre de son pays. Ce principe doit être appliqué, une fois la guerre terminée, aux peuples wallon et flamand ballottés par le cours de l’histoire sous diverses souverainetés qu’ils n’ont jamais réellement souhaitées. Foulon propose donc la mise en place de deux régions « linguistiques » autonomes qui viendraient se substituer aux provinces. Ces régions reposant sur l’unité de langue provoquée par l’Etat belge et qui a conduit à l’affermissement d’une conscience wallonne et d’une conscience flamande, en clair à l’émergence de deux nationalités distinctes. Même s’il ne précise pas quels liens subsisteraient concrètement entre ces deux régions, Foulon envisage quand même la survie de la Belgique tout en précisant que si les Flamands n’en veulent pas, la Wallonie, dont l’élément unificateur est la langue française, devra alors s’intégrer à l’ensemble français. 12 Foulon précisera plus tard ce qu’il laisse en commun aux deux régions soit l’armée, la politique extérieure et la colonie, les chemins de fer et une union douanière et monétaire, l’exécutif fédéral étant paritaire et composé de d’une section flamande et d’une section wallonne délibérant séparément, soit un fédéralisme avec des traits confédéraux. 13

Témoin inquiet de la radicalisation des activistes flamands qui en janvier 1918 choisissent la carte de l’indépendance et confronté à un conflit mondial dont l’issue demeure indécise, Foulon avec Oscar Colson et Arille Carlier va publier en mars 1918 un manifeste Au Peuple de Wallonie. Celui-ci met en place un Comité de Défense de la Wallonie chargé de faire entendre le point de vue wallon tant en Belgique occupée qu’au niveau international. Ce Comité, outre les trois précités ne rassembla aucune personnalité de premier plan (Arille Carlier en démissionnant d’ailleurs rapidement), fut accueilli par un silence glacial par les personnalités du mouvement wallon et se lança de manière pathétique et vaine dans une tentative de dialogue avec des dirigeants activistes flamands qui avaient dépassé l’option fédéraliste belge depuis longtemps. En dépit de la fin de non-recevoir flamande, le Comité s’entêtera à publier en juillet 1918 un second manifeste rappelant son choix fédéraliste, ce manifeste aura aussi peu de répercussions que son prédécesseur. Foulon paiera cher son manque de clairvoyance et son idéalisme maladroit durant l’occupation. Notons toutefois qu’à la différence d’Oscar Colson il ne devint pas l’un des dirigeants des ministères wallons à Namur. La réprobation quasi unanime de tous les milieux va s’abattre sur lui. Même s’il bénéficia d’un non-lieu en 1920 par rapport aux poursuites pénales engagées contre lui, Foulon est exclu de sa loge maçonnique et, après de nombreuses péripéties, il sera fortement poussé à renoncer à son mandat de délégué au sein de l’Assemblée wallonne qui, en 1921, le condamna moralement. 14

En conclusion, les auteurs nous invitent à considérer Franz Foulon non comme un martyr ou un précurseur de la cause wallonne (il fut longtemps un représentant typique du courant défensif et conservateur du mouvement wallon), mais bien comme une illustration « de l’évolution d’un unioniste attaché à la langue française et au cadre belge, qui renonce, avec peine, à la nostalgie de 1830, pour entreprendre une lente et laborieuse réflexion sur le fédéralisme. Mais la lenteur de sa réflexion et l’inopportunité de son action ont mis en danger le mouvement wallon et freiné son évolution (…) En voulant donner une coloration wallonne à la décision allemande (de séparation administrative), Foulon a attiré sur lui toutes les critiques et détourné l’opposition qui aurait dû logiquement se focaliser sur les seuls Prussiens. 15

  1. 1. Franz Foulon. La tentation inopportune. Institut Jules Destrée, 2008
  2. 2. La Wallonie et la Première Guerre mondiale, perspectives historiques récentes (I Paul Delforge)
  3. 3. notons toutefois que Foulon connaît et parle le flamand, la famille de sa mère étant flamande
  4. 4. rappelons qu’à l’époque, la population wallonne a pour première langue véhiculaire dans sa vie quotidienne et dans son travail, non pas le français, mais le wallon et le picard. Situation qui n’évoluera progressivement qu’après la mise en place, à partir de 1919, de l’enseignement obligatoire jusque l’âge de 14 ans
  5. 5. signalons ici une petite erreur dans les notes de l’ouvrage, la notice biographique d’Henri Roger (1861-1917) a été confondue avec celle d’un autre parlementaire borain du P.O.B. Arthur Bastien (1855-1918), oncle de Charles Plisnier. Henri Roger, instituteur et publiciste fut secrétaire du syndicat général des Mineurs (Borinage). Il fut 1er Echevin faisant fonction de Bourgmestre de Quaregnon de 1896 à 1903 ainsi que membre de la Chambre des représentants de 1894 à 1900. Il n'est pas réélu en 1900 suite à l'introduction du mode de scrutin proportionnel. Il crée en 1902 la "Ligue révolutionnaire" avec d'autres dissidents ou exclus du P.O.B., celle-ci verra vite son activité limitée à la politique locale de Quaregnon. Il redevient Echevin de cette localité en 1908 et le restera jusqu’à son décès en 1917
  6. 6. J-P Delhaye et P. Delforge, P 40-41
  7. 7. J-P Delhaye et P. Delforge, pp. 61
  8. 8. voir P. Delforge pour toute l’activité clandestine du mouvement wallon pendant l’occupation
  9. 9. Même si en août 1914, ce furent les britanniques qui affrontèrent dans cette région les troupes allemandes
  10. 10. J-P Delhaye et P. Delforge, pp. 97
  11. 11. J-P Delhaye et P. Delforge, P98
  12. 12. J-P Delhaye et P. Delforge, P. 107 -110
  13. 13. J-P Delhaye et P. Delforge, pp. 124-125
  14. 14. Son honneur ne peut être suspecté mais son « civisme n’a pas été à la hauteur des circonstances et tel que l’on est en droit d’attendre de membres d’un groupement comme l’Assemblée wallonne » voir J-P Delhaye et P. Delforge, p. 140
  15. 15. voir J-P Delhaye et P. Delforge, pp. 159-160