Lier la Wallonie à travers une constitution

Toudi mensuel n°70, janvier-février-mars 2006

L'idée de Jean-Claude Van Cauwenberghe de rédiger une Constitution wallonne, jetée dans le débat le mois passé, est intéressante. Le Premier ministre wallon Élio Di Rupo lui a répondu qu'il fallait se préoccuper des relations avec les Bruxellois francophones.

Or, on prétend qu'une Constitution pour un État fédéré comme la Wallonie n'aurait qu'un aspect symbolique, cette Constitution devant pour commencer prescrire qu'elle respecte la Constitution belge.

Il nous semble qu'il y a mieux à faire et que la Constitution wallonne doit être rédigée et adoptée parce qu'elle pourrait ne pas avoir qu'une valeur symbolique.

Pourquoi la Constitution wallonne pourrait ne pas être que symbolique ?

Justement à cause de ce que propose Di Rupo, à savoir le lien avec les Bruxellois francophones. L'intérêt serait que la Constitution wallonne comporte un article qui établirait la solidarité avec Bruxelles. L'article serait à négocier avec les députés communautaires français (wallons et bruxellois francophones), de même que ceux de la Cocof (Commission communautaire française à Bruxelles qui, dans le statut si étrange de la Région bruxelloise est autonome et souveraine).

Ce serait répondre aux craintes exprimées à Bruxelles quant à la régionalisation de la Communauté française. On a en effet peur à Bruxelles que la suppression de la Communauté française ne coupe Bruxelles de la Wallonie. Ce ne serait pas le cas si Wallons et Bruxellois francophones s'engageaient justement, solennellement, dans un texte qu'il ne serait pas facile d'outrepasser, tant sur le plan politique, symbolique que juridique, à demeurer ensemble, mais dans des conditions plus favorables à la Wallonie et à Bruxelles.

On pourrait s'inspirer du projet de décret que le Deuxième Manifeste wallon a déposé au Parlement de Namur le 15 septembre 2003 entre les mains du Président Collignon et dont voici le texte (nous soulignons les passages importants: ci-contre).

Réflexions : une Constitution efficace

Il suffirait effectivement que le Parlement wallon, le Parlement communautaire français de Bruxelles (Cocof) et le Parlement communautaire adopte une loi semblable et la régionalisation de la Communauté - l'un des buts de cette revue depuis vingt ans - serait chose faite. La Constitution à adopter préalablement par le Parlement wallon, le Parlement communautaire français de Bruxelles et le Parlement communautaire énoncerait les grands principes qui garantissent le lien entre la Wallonie et Bruxelles dans l'exercice séparé des compétences communautaires.

Comme on le sait, le Parlement wallon, le Parlement de la Cocof et celui de la Communauté française ont toutes les libertés pour organiser les rapports entre Wallons et Bruxellois sur le plan communautaire. Saisissons-nous de cette liberté !

L'intérêt de donner à ces rapports un fondement constitutionnel serait de produire deux effets conjugués.

D'une part, cela rassurerait les partisans de la Communauté qui veulent voir en elle le lien solide entre Bruxelles et la Wallonie. Ce lien, s'il était constitutionnalisé permettrait de faire l'économie d'un gouvernement (celui de la Communauté française, devenu inutile), et de limiter le coût du Parlement de la Communauté Wallonie-Bruxelles en en limitant les membres et les réunions.

Il donnerait plus de liberté à Bruxelles et à la Wallonie d'agir sur le plan culturel tout en maintenant une unité de vues que la Constitution wallonne et communautaire prescrirait. Il est vrai qu'un texte constitutionnel ne peut être voté par la Région bruxelloise en tant que telle, mais cela revient au même puisque ses députés francophones peuvent le faire au sein de l'Assemblée actuelle de la Communauté.

D'autre part, la Constitution de la Wallonie serait plus qu'un texte purement symbolique. Cette Constitution, fondant le lien avec Bruxelles fonderait aussi la Wallonie comme État autonome dans l'exercice de certaines compétences, l'accord des autres Belges et de l'État fédéral étant inutile.

Contrairement à un mensonge mille fois répété, jamais le Premier Manifeste wallon (1983), jamais le Deuxième Manifeste wallon (2003) n'ont parlé de couper les ponts avec Bruxelles. La rédaction du décret proposé le 15 septembre 2003 en même temps que le Deuxième Manifeste aurait dû montrer la bonne foi des Wallons. Ce qui irrite les Wallons dans la Communauté ce n'est pas le fait qu'elle nous lie aux Bruxellois, mais le fait que ce lien, tel qu'il est présenté, aboutit à rendre la Wallonie «invisible». Rappelons que, en mars 1999, plusieurs intellectuels wallons et bruxellois avaient déjà souligné la chose de commun accord. Voici comment ils s'exprimaient sous le titre proposé par des amis de Bruxelles, La Wallonie est-elle invisible ? (texte publié notamment dans Le Soir du 29 mai 1999, La Revue Nouvelle, Les Cahiers Marxistes et TOUDI n° 20, juin/juillet 1999). Nous y soulignons les passages importants de l'extrait choisi.

«Restent de nombreux exemples de blocage : les programmes d'histoire persistent à faire l'impasse sur la Wallonie (...) Sur le plan culturel, la Communauté pose en fait encore trop souvent la "Belgique francophone" comme la seule voie d'accès à l'universel, comme la seule garante de notre multiculturalité. Le soutien que cette institution apporte aux œuvres de Wallonie tient alors, quand il existe, de la concession ou de la récupération. Si la Communauté empêche la visibilité de la Région, alors elle n'a pas lieu d'être ; si le passage par Bruxelles devient un obstacle au désenclavement de la Wallonie, alors l'alliance se fait censure. (...) C'est en partant de nos expériences de citoyens que ces problèmes prennent tout leur sens. Nous refusons en effet de voir la Wallonie et Bruxelles se faire instrumentaliser au gré des intérêts des partis. Pour nous, le cadre des politiques culturelles ne peut pas être défini uniquement en fonction de conjonctures politiques changeantes. Au-delà des tactiques à mettre en œuvre face aux revendications de certains Flamands, nous appelons les Wallons et les Bruxellois - c'est-à-dire les habitants de Wallonie et de Bruxelles - à dépasser leur "position d'attente stratégique"1 pour s'investir dans les espaces politiques régionaux qu'ils ont revendiqués et obtenus. Si elle veut être partie prenante à ce processus, la Communauté doit renoncer à une homogénéité de façade et prendre radicalement en compte la diversité de ses habitants et de ses composantes régionales. Aux Régions, il appartient de s'inscrire dans cette dynamique.»

Les signatures étaient celles des principaux animateurs de La Revue Nouvelle, des Cahiers marxistes et de la revue TOUDI ou encore de personnalités comme Jacques Bauduin et Jacques Dubois.

Ceux qui veulent une vraie solidarité et une véritable entente entre Wallons et Bruxellois francophones pourraient et même devraient s'inspirer des propositions des Manifestes wallons de 1983 et de 2003 et du Manifeste La Wallonie est-elle invisible? (titre proposé par Théo Hachez), de mars 1999.

Les compétences des États-régions sont déjà importantes, elles s'exercent dans un cadre d'indépendance internationale assez unique au monde. Elles vont encore s'étendre après 2007. Dans un accord négocié avec la Flandre.

Si, en 1945, au Congrès national wallon, la question des rapports entre Wallons et Bruxellois a empoisonné une atmosphère qui se tendit encore bien souvent depuis, nous avons maintenant assez de maturité pour dépasser ces tensions nécessaires à l'éclosion non d'un compromis à la belge, mais d'un vrai et juste accord entre l'écrasante majorité francophone des citoyens de la Ville-État de Bruxelles et ceux de la Nation wallonne.


  1. 1. Expression malheureuse du texte connu sous le titre «Manifeste francophone» (1996)