La France n'y comprend rien

14 June, 2010
Une amie québécoise nous a envoyé cette dépêche de l'Agence France Presse dont l'analyse est tellement superficielle et Flandro-centrée qu'elle en devient fausse. Au-delà du résultat des élections, on sent bien que les Wallons n'ont plus la place qui leur revient en Belgique. Et ceci, ce n'est évidemment pas dû qu'aux Français. Les phrases de la dépêche sont en maigre et les commentaires en caractères gras. C'est déjà une façon d'analyser les résultats des élections qui fausse complètement leur signification, avant même qu'elles n'aient eu lieu.

La Belgique jouera dimanche son avenir à l'occasion d'élections législatives anticipées provoquées par une aggravation des différends opposant les Wallons et Bruxellois francophones aux Flamands néerlandophones.

Est-ce vraiment une aggravation? Ce contentieux est ancien et il a donné lieu à des crises infiniment plus dures, plus graves. En 1950, en 1962, au début des années 80, en 1991 (le parlement wallon s'est réuni pour approuver une décision que le gouvernement belge rejetait). Depuis il n'y a plus vraiment eu d'incidents graves. Sauf, c'est vrai, la vie difficile du gouvernement fédéral depuis 2007. Mais les gouvernements régionaux n'ont pas de problèmes. Et l'ambassadeur US, lorsque le gouvernement est tombé l'a tout de suite dit. Lui l'a bien compris.

Les derniers sondages plaçaient un des partis indépendantistes flamands, la NVA, en tête chez les néerlandophones avec un quart des voix. Au total, plus de 40% du vote flamand pourrait aller à des groupes indépendantistes ou populistes.

Oui. Mais du côté wallon personne ne refuse de s'asseoir à la table de la NVA. Il y a même des gens influents (moins entendus pour le moment), qui acceptent l'idée de la formation d'une confédération dans l'Etat belge, ce qui est d'autant plus aisé à réaliser qu'il existe DEJA beaucoup de traits de confédéralisme dans le fédéralisme belge, comme par exemple la liberté totale d'action des entités fédérées sur le plan international. Il est vrai qu'une Confédération lie des Etats indépendants et qui le demeurent. Mais les juristes belges qui se sont exprimés sur cette question soulignent que le droit n'est pas une science exacte et qu'il y a une créativité dans ce domaine qui permet des situations spécifiques. L'Union européenne en est une aussi. Il arrive d'ailleurs que certains militants européistes disent que l'Union européenne est vraiment un Etat fédéral car le droit européen y prime sur les droits nationaux (avec des nuances), alors que ce n'est pas du tout le cas en Belgique où les lois wallonnes (par exemple), ont la même force que les lois fédérales et sont édictées dans des domaines distincts (de ce point de vue c'est très différent du Canada et de la Suisse et il n'y a pas chez nous de pouvoir de dépenser, mais, au contraire, un très grand respect des autonomies).

Les deux communautés risquent d'avoir encore plus de mal à passer un compromis d'abord sur la formation d'un gouvernement puis sur un nouveau partage des pouvoirs entre régions et Etat fédéral.

On verra. La seule chose qui risquerait vraiment de poser un problème grave, ce serait le financement de la sécurité sociale mais il n'y a pas en Flandre une majorité pour la scinder dans la mesure où ce financement est national depuis longtemps et où la population flamande très vieillissante risque de coûter le plus cher à cette Sécurité sociale. Mais les Wallons ne remettront pas pour autant le principe de la solidarité en cause.

En cas de nouveau blocage, une radicalisation de leur conflit serait alors à craindre, avec cette fois le spectre d'une partition à terme du pays.

Forte de sa supériorité démographique et économique, la Flandre réclame la suppression des derniers droits linguistiques des francophones vivant sur son territoire, en périphérie de Bruxelles.

La Flandre réclame que l'arrondissement électoral et judiciaire de Bruxelles-Halle-Vilvorde soit scindé car il chevauche les limites entre Etats fédérés, ce qui est une anomalie. Comme le néerlandais a tendance à reculer devant le français, les Flamands souhaitent que les limites soient claires, mais à partir de là on peut penser qu'il leur sera plus facile d'admettre les droits des minorités francophones qu'ils ne remettent pas réellement en cause. Les Flamands souhaitent sans doute être indépendants mais ils savent qu'ils ne peuvent l'être qu'en abandonnant Bruxelles où ils ont des droits importants mais qu'ils ne peuvent pas "annexer" à moins de recourir à la force mais c'est absolument improbable. D'ailleurs Bart De Wever ne réclame pas l'indépendance immédiate mais par étapes, des étapes qui seront encore longues à parcourir et il le laisse entendre.

Pour parachever son émancipation vis-à-vis d'un État au départ unitaire et francophone, elle exige aussi des compétences accrues dans le domaine socio-économique.

Sous sa forme extrême, l'autonomie défendue par la NVA ne laisserait plus à l'État devenu «confédéral» que quelques compétences (défense, affaires étrangères), en attendant l'indépendance.

Ce ne sont pas les partis politiques wallons mais le plus important syndicat wallon (et les syndicats chez nous pèsent beaucoup sur la vie publique), qui a un programme qui ressemble à celui de la NVA sauf sur la question de la sécurité sociale. Au demeurant, les Wallons - c'est ce que le Président wallon a affirmé - sont d'accord avec le transfert de compétences aux entités fédérées. Il est même probable que c'est plus profitable pour les Wallons... Pour le moment les entités fédérées gèrent la moitié des compétences belges et disposent de la moitié des ressources publiques. Quand on fera de nouveaux transferts, on arrivera à 55, 65, peut-être plus. Il n' a rien de dramatique à cela. l'Etat belge s'évapore, c'est ce que dit Bart De Wever aussi.

En fait les Flamands dominent l'Etat belge, du moins l'Etat fédéral et la raison pour laquelle les Wallons ont réclamé le fédéralisme c'est pour échapper à cette domination. Même du temps de l'Etat unitaire et francophone, ce sont les Flamands (qui ont toujours été plus nombreux), qui dominaient l'Etat. Ces Flamands étaient de l'élite flamande qui parle le français depuis des siècles et une partie des élites flamandes sont en fait francophones, mais se sont adaptées à la situation.

Les francophones, avec des nuances, refusent la liquidation sans compensation des droits de 130 000 des leurs en périphérie flamande de Bruxelles ainsi que la fin d'un État belge incarnant la solidarité financière entre régions du Royaume.

Cette solidarité financière, on peut fortement la contester. la Belgique est le pays d'Europe où les transferts entre Régions sont les plus faibles. Le chiffre n'est pas 130.000 mais de moins de 70.000. Seulement dans six communes contiguës à Bruxelles. Pas dans le reste de l'arrondissement. De toute façon, ces questions doivent être réglées par la négociation et des accords ont été manqués de justesse récemment, qui respectaient ces droits.

Le vote à la proportionnelle pour les 150 sièges de la Chambre est obligatoire. Mais les 7,7 millions d'électeurs ne constituent pas un corps électoral unifié et les partis ne font pas de campagne nationale.

Ceci n'est pas neuf. Cela existe depuis pratiquement que le fédéralisme est institué (sinon même avant dans les faits) et cela explique sans doute aussi les traits de confédéralisme dans le fédéralisme belge, traits de confédéralisme voulus par les Wallons désirant dans une structure à 2 ou 3, échapper à leur minorisation dans la Belgique depuis 1830.

Les formations néerlandophones se disputent les suffrages de la Flandre, la région nord, qui représente 60% des 10,5 millions de Belges, et leurs équivalents francophones ceux de la Wallonie, au sud. Au milieu, les habitants de Bruxelles et de sa banlieue peuvent voter pour les uns ou les autres.

Non, ils ne peuvent pas voter les uns pour les autres, enfin si, si on veut, mais uniquement à Bruxelles dont tous les élus sont des députés francophones. Il n'en va pas de même au Sénat (où les Bruxellois peuvent voter pour des candidats flamands, mais c'est une proportion infime de Bruxellois qui le font, les Bruxellois de langue néerlandaise qui sont très peu nombreux, autour de 10% de la population de Bruxelles, soit moins de 100.000 habitants sur 1 million) mais c'est une assemblée dont on projette la suppression depuis longtemps.

Les bureaux de vote ferment à 10h00 et les premiers résultats sont attendus vers 12h30.

A 13h. Et les premiers résultats arrivent vers 16h ou 17h, un peu plus tard pour les grandes agglomérations. Jusque dans les détails tout ce qui est dit ici est vraiment inexact.

Conclusion

Les Français sont incapables de comprendre ce qui se passe. Les journalistes de la radio française en place à Bruxelles dédramatiseraient beaucoup de ces propos parce que si ce qui se passe chez nous se passait en France, cela serait le bordel. Mais les Français vivent dans l'Etat unitaire le plus centralisé au monde vu son étendue et l'importance de sa population. Ils ne comprennent le fédéralisme que lorsque cela leur sert et par exemple quand le président français est venu au Québec en 1967. A fortiori, sont-ils incapables de comprendre un fédéralisme dont les entités fédérées peuvent signer des traités. Quand on a signé le traité sur la Meuse, ils ont exigé que l'Etat belge fédéral le signe alors qu'il n'a aucune compétence dans ce domaine, mais voilà cela les rassure.

Ceci dit, on n'est pas antifrançais, on reste des Francophiles inconditionnels mais les Français ne veulent pas comprendre la Belgique... Et ne nous aident vraiment pas, nous les Wallons, à nous affirmer. Il suffit de lire l'article Wallonie dans la Wikipédia francophone et et de le comparer à Wallonia la Wikipédia anglophone.