Les Wallons n'aiment pas être antiflamands
L'opinion wallonne ne doit pas se laisser piéger par une agressivité excessive à l'égard de Bart De Wever et se laisser entraîner dans de faux débats sur cette personnalité de même que sur une mobilisation frontale contre les Flamands. D'autant plus que depuis que cette mobilisation a été lancée, elle se dynamise le plus souvent au détriment de la Wallonie au nom d'une Belgique francophone dont LE SOIR est devenu très clairement le Moniteur comme il est depuis longtemps le moniteur d'un nationalisme belgicain hystérique. Le journal belgo-francophone militant de Bruxelles (en perte de vitesse: 15% de lecteurs en moins en un an), obsédé par la personnalité de Bart De Wever, plus pour ses positions très confédéralistes qu'autre chose, vient encore de donner la parole le 30 septembre à un Olivier Gourmet qui en remet une couche, montrant dans son interview qu'il ne comprend pas la situation, ce qui doit ravir le journal vespéral: tant que trop Wallons entreront dans son jeu antiflamand qui est en réalité antiwallon, il n'y aura rien de bon à attendre pour la Wallonie. Ni pour Bruxelles d'ailleurs - et l'on sait que cette revue soutient avec conviction le régionalisme bruxellois. L'avenir de la Wallonie n'est pas dans cette hystérie. Ni non plus celui de Bruxelles. Il faut oser dire avec Jean-Jacques Viseur que si la Wallonie devient maîtresse de ses destinées comme elle ne l'a jamais été dans toute son histoire, c'est une chance et non un échec. Evidemment! A l'hystérie anti-flamande, LE SOIR ajoute aussi une hystérie antiwallonne. La RTBF n'en est malheureusement pas tellement loin non plus, trop souvent, notamment parce qu'elle a condamné le discours de Viseur le 22 septembre dernier par la voix de son éditorialiste Bertrand Henne reprenant la condamnation maladroite de Charles Picqué comme si elle était l'évangile.
Nous publions ici aussi une chronique de José Fontaine parue le 3 juillet de cette année dans VIGILE, le journal électronique de l'indépendantisme québécois et nous conseillons fortement à nos lecteurs de lire aussi - et peut-être surtout - la vraiment remarquable interview de Paul Delforge dans LA LIBRE BELGIQUE sur la controverse avec De Wever dont l'intérêt porte non seulement sur la question de la Résistance mais aussi (et surtout sans doute) sur la manière dont les médias actuels sont entrain de piéger l'opinion wallonne en la passant complètement sous silence, en censurant la Wallonie. Comme le lien mène directement au site de LA LIBRE BELGIQUE, il est intéressant aussi de voir, dans certaines réactions sur le site de LLB, à quel point certain groupuscules d'extrême-droite (sous le nom de "conservateur tournaisien"), tend dans la situation actuelle à accabler l'Institut Destrée. La lecture de ces interventions est édifiante et nous connaissons ce personnage qui n'est peut-être que la version extrémiste du belgicisme exacerbé du journal LE SOIR. L'opinion extrémiste de ces gens, même s'il n'est qu'une caricature de ce qu'écrit LE SOIR indique simplement que les Wallons doivent demeurer vigilants et se garder de croire que c'est en étant simplement antiflamand qu'on aide la Wallonie.
Loin, bien loin de là!
Les Wallons n'aiment pas d'être antiflamands
Philippe Destatte qui a réalisé un travail historique considérable avec son collègue flamand Marnix Beyen (Un autre Pays, Le Cri, Bruxelles, 2009), rappelle que, dans la question nationale belge, un événement demeure en grande partie oublié, la création très ancienne de communautés culturelles, l'une flamande et l'autre wallonne.
Une origine lointaine
En février 1938 furent créé deux conseils culturels, l'un d'expression française, l'autre d'expression néerlandaise. Ils étaient destinés à assurer en Wallonie et en Flandre l'épanouissement des langues, de la culture, du folklore, de l'éducation populaire. Ces conseils cessèrent de se réunir avec la guerre, reprirent en 1946, vivotèrent jusqu'en 1954 puis disparurent. Pourtant d'importants parlementaires, wallons ou flamands, déposèrent des projets de loi visant à leur donner une existence officielle, au moins à titre consultatif. En 1961, le nouveau gouvernement belge veut doter ces conseils de compétences réelles. En 1966, le législateur fixe quatre régions linguistiques (française, néerlandaise, bilingue et la plus petite région germanophone). Curieusement, les socialistes wallons poussèrent bien plus que les démocrates-chrétiens flamands à la création de conseils culturels correspondant à ces régions. Déjà en 1965, deux ministères de la culture avaient été créés, l'un de la culture française, l'autre de la culture néerlandaise. Cette dernière évolution correspond à un élargisement du concept de culture à l'éducation permanente, à la rénovation de l'enseigement, à la participation citoyenne, bref au Politique. Et, de fait, le premier pas de la Belgique vers le fédéralisme fut la création de deux conseils culturels (l'un français, l'autre néerlandais), indépendant du Parlement national quoique constitués des parlementaires wallons et francophones d'une part, flamands de l'autre.
Mécontentement syndical de la FGTB wallonne
Dans les milieux syndicaux wallons, cette initiative fut mal vue, notamment dans le Mouvement populaire wallon, car ce pas vers le fédéralisme était franchi non sur la base de la logique des trois Régions (Flandre, Bruxelles, Wallonie), mais sur la base de deux communautés (l'une française, l'autre néerlandaise). Restait à fixer le siège de ces deux nouveaux Conseils dotés encore de peu de pouvoirs, mais pouvant légiférer. Du côté wallon, on insistait pour que, dans la logique du fédéralisme et de la décentralisation, les Conseils soient fixés dans une ville de Wallonie. C'est à ce moment que deux grands journaux de l'époque le Pourquoi Pas ? (hebdomadaire aujourd'hui disparu) et La Libre Belgique (un des meilleurs journaux de qualité de Wallonie et Bruxelles qui, d'ailleurs, a fort évolué), lancèrent une campagne de presse en faveur de l'installation de ces deux Conseils non pas en Flandre et en Wallonie comme le voulait la logique mais... à Bruxelles ! On invoqua plusieurs arguments, dont celui de l'efficacité, le fait (argument un peu surprenant mais qui a pris à l'époque), que, doté de pouvoir législatif, le Conseil culturel français ne pouvait siéger qu'à Bruxelles. L'option pour un siège en Flandre ou en Wallonie était qualifiée de « sentimentale » par un député bruxellois. La Libre Belgique avait aussi caractérisé le projet d'autoroute de Wallonie de « sentimental » et aujourd'hui encore, dans des médias, il y a une tendance appuyée à considérer toujours comme « symbolique » ou « sentimental » un choix wallon quand il s'oppose à un choix centralisé. L'autoroute de Wallonie s'est faite, malgré tout, mais non sans peine, innombrables étant les gens qui estimaient que les villes wallonnes n'avaient pas à être reliées entre elles, mais à Bruxelles et à Anvers selon une logique belge Nord-Sud et non une logique wallonne Est-Ouest. Les Conseils culturels s'installèrent donc à Bruxelles. A la suite de manoeuvres des partis politiques pour contraindre l'assemblée à s'aligner sur les choix de leur présidentocratie.
La Belgique francophone et antiflamande contre la Wallonie
Pourtant dans ces Conseils où s'expriment aussi les ministres de la culture française, les voix régionalistes ne manquent pas et on voit aussi l'autonomie culturelle comme une des dimensions du combat wallon. Cependant, le Conseil culturel demeure à Bruxelles, notamment pour contrer les Flamands qui s'y sont également établis. Les choses vont s'envenimer pour les Wallons quand une grande partie de la droite wallonne pousse à l'idée de ne faire plus de Bruxelles et de la Wallonie qu'une seule Communauté dont la capitale serait Bruxelles ! Ces partisans de la localisation du siège de la Communauté à Bruxelles insisteront sur le fait que la Wallonie elle-même devrait avoir sa capitale à Bruxelles, alors qu'elle a un territoire qui n'inclut pas Bruxelles. En 1983, quelques personnalités du monde culturel lancent contre cette évolution un Manifeste pour la culture wallonne qui, notamment, saluait l'éclosion d'une culture se réclamant de Wallonie de fait ou implicitement. L'argument qu'on leur jette à la figure depuis lors, c'est qu'en ne mettant pas toutes les forces francophones à Bruxelles (ville pratiquement entièrement francisée cependant), ils « font le jeu des Flamands » ou bien « ils se replient (1) sur une Wallonie provinciale et sans envergure ». Ce débat n'est pas clos. Mais il démontre que les forces belges unitaristes et droitières auront même pu profiter du passage de l'unitarisme au fédéralisme et de la centralisation à la décentralisation pour renforcer encore... la centralisation belge au détriment de la Wallonie, y compris sur le plan culturel. Il y a des Bruxellois régionalistes qui épousent le même point de vue que les Wallons et qui pensent qu'il faut supprimer la Communauté française. Elle ne convient pas à la région bruxelloise, elle ne convient pas à la Wallonie. Elle ne nous défend pas « contre les Flamands ». C'est la Région wallonne qui paye ses dettes (200 millions d'€ fin 2009), alors qu'une grosse partie de l'éducation supérieure et universitaire et des institutions culturelles les plus prestigieuses (les rédactions des radios, des journaux, des télés, le théâtre, l'opéra), sont à Bruxelles où elles favorisent par leur présence, le développement économique local et le prestige de la Ville. Aucun Wallon n'aurait d'objections à faire contre cette situation si, constamment, certains, constatant le poids économique et symbolique de Bruxelles, ne demandaient aux Wallons, pour cette raison, de s'abandonner à plus de centralisation encore, de lier le nom de la Wallonie à Bruxelles. Deux attitudes qui auraient comme conséquence la mort économique et culturelle, non pas de la Belgique francophone, mais de la Wallonie.
Pour mettre en cause cette inquiétude wallonne, certains rétorquent que la chance de la langue française en Belgique, c'est Bruxelles. Mais les Wallons ne se battent pas seulement pour une langue, mais pour un pays et ses habitants. Il n'est pas étonnant que le principal syndicat wallon de travailleurs, la FGTB wallonne, milite en faveur de la régionalisation de la culture et de l'enseignement et la suppression d'une Communauté française qui entend garder la Wallonie dans une sorte de camisole de force belge résiduaire. Au demeurant, douter qu'une Wallonie forte et prospère soit aussi une chance pour la langue française c'est vraiment mépriser les Wallons. Hélas ! les premiers à le faire sont eux-mêmes souvent des Wallons...
José Fontaine
(1) Y a-t-il un seul mouvement autonomiste au monde qui, du moins en français, n'est pas accusé de « repli sur soi » ?