Le sondage de "L'Avenir" et l'affaire Marie-Rose Morel
Ce lundi 14 février, le journal namurois L'Avenir publiait un sondage sur l'opinion des Wallons à l'égard des régionalisations dont on débat depuis le 13 juin. Les dirigeants wallons et francophones et d'ailleurs tous les médias présentent les choses comme si, en bloc, Wallons et Bruxellois les refusaient. Ceci en fonction d'une attitude qui serait constante chez eux. On peut montrer qu'il n'en est rien. Parce que ce sondage de L'Avenir confirme des grandes tendances souvent observées dans l'opinion wallonne et en certaines périodes de l'histoire de la Wallonie. Nous les citerons. Examinons donc certains résultats:
Quelques chiffres importants du sondage de L'Avenir
[Nous soulignerons dans ces chiffres les seuls où il existe une opposition majoritaire absolue - donc claire - à une régionalisation en Wallonie]
I. En faveur de la gestion régionalisée de l'emploi
53% de Flamands, 35% de Bruxellois et 36% de Wallons
(20% de Wallons ne sont ni pour ni contre, 8% n'ont pas d'avis, et 36 % sont contre)
II. En faveur de la gestion régionalisaée de la politique familiale:'
52% de Flamands, 32% de Bruxellois, 35 % de Wallons
(17% de Wallons ne sont ni pour ni contre, 7 sont sans avis et 41 sont contre)
III. En faveur de la gestion régionalisée de la politique de la santé
49% de Flamands sont pour, 27% de Bruxellois, 30 % de Wallons
(15% de Wallons ne sont ni pour ni contre, 6% sont sans avis, 49% sont contre)
IV En faveur de la gestion régionalisée des allocations familiales
49% des Flamands sont pour, 31% de Bruxellois et 30% de Wallons
(15% de Wallons ne sont ni pour ni contre, 48% de Wallons sont contre et 7 sans avis)
V. En faveur de la gestion régionalisée des allocations de chômage
51 % des Flamands sont pour, 34 % de Bruxellois, 33 % de Wallons
(17% de Wallons ne sont ni pour ni contre, 43% sont contre, 7 sans avis)
VI.En faveur d'une gestion régionalisée de la consommation
48% de Flamands sont pour, 45 % de Bruxellois et 46 % de Wallons
(17 % de Wallons ne sont ni pour ni contre, 31 % de Wallons sont contre et 6 sans avis)
VII. En faveur de la gestion régionalisée des pensions
38 % de Flamands sont pour, 26% de Bruxellois, 28% de Wallons
(14% de Wallons ne sont ni pour ni contre, 52 % de Wallons sont contre [seule majorité absolue contre ces 8 régionalisations envisagées], 7 sans avis)
VIII. En faveur de la régionalisation de la Justice
40 % de Flamands sont pour, 32 % de Bruxellois, 30 % de Wallons
(17% de wallons ne sont ni pour ni contre, 45% de wallons sont contre, 8 % sans avis)
Réflexions
Nous avons laissé tomber ici la question de la régionalisation de l'immigration, de la mobilité , de la dette publique, des affaires étrangères. Il en est moins question dans les débats actuels. Mais disons qu'il existe une majorité absolue de wallons contre la régionalisation de la politique de l'immigration (52%), non pas contre la régionalisation de la mobilité, également une majorité absolue de Wallons contre la régionalisation de la gestion de la dette publique (cette question n'est pas en débat) , et 50% de Wallons s'opposent à la régionalisation des affaires étrangères. Les « Contre » s'opposent à une variété d'opinions : ni pour ni contre, indécis, pour (ce dernier résultat - « pour » - est le résultat chaque fois le plus important en pourcentage). On peut remarquer que les affaires étrangères sont en un certain sens déjà régionalisées du moins pour toutes les compétences exercées exclusivement par les entités fédérées. Nous avons aussi laissé tomber les avis sur l'armée quoique dans ce domaine 22% de Flamands et Wallons sont favorables, 23% de Bruxellois. Il existe aussi dans les trois Régions une majorité absolue contre cette régionalisation (qui n'est pas mise en débat pour le moment et que BDW a lui-même écartée des régionalisations possibles).
Il faudrait aussi parler des oppositions aux régionalisations en Flandre et à Bruxelles. Nous avons surtout rendu compte des oppositions en Wallonie. Dans les VIII items retenus, seule la régionalisation de la gestion des pensions est rejetée par une majorité absolue de Wallons. Dans tous les autres cas, (7 sur 8), il n'y a pas de majorité claire ou absolue contre la régionalisation des compétences.
Il faut insister clairement sur le fait que ces régionalisations n'affectent en rien la manière dont la Sécurité sociale serait financée, le système actuel demeurant en place (financement national ou, si l'on veut, par les trois Régions).
Or, c'est pourtant bien de cette façon que l'on présente dans les médias et la particratie - deux univers étroitement connectés - , la position wallonne en l'expliquant par la peur, l'attachement à la Belgique, au roi etc. Evidemment, qu'il n'y ait jamais une majorité claire de Wallons contre les 8 régionalisations que nous avons retenues, ne signifie pas non plus qu'il y aurait une majorité claire en faveur de la régionalisation. Il n'y a de majorité ni pour ni contre.
Rien qu'un sondage?
Un sondage n'est qu'un sondage. Sans doute, mais celui-ci confirme que très régulièrement les Wallons ont répondu de la même manière depuis une vingtaine d'années à ces questions et notamment en 1989, 1990 et 1991 lors des enquêtes du CLEO (le centre liégeois d'études de l'opinion). 1 Il existe toujours un bon tiers de Wallons favorables à l'autonomie de la Wallonie qui ne font pas nécessairement face à une majorité claire d'opposants. Le fait que, de sondage en sondage, cette opinion se confirme est très significatif. Depuis l'accession d'Elio Di Rupo à la présidence du PS, dans les médias et la particratie connectée à ces médias, la chasse au régionalisme et aux régionalistes bat son plein. Des émissions de la RTBF ouvertes à ces problématiques (Arguments), ont été supprimées, les régionalistes au sein du PS font l'objet d'une politique de « containment ». Les médias soutiennent clairement et ouvertement, sans même songer à cacher leur évidente partialité, toutes les initiatives opposées aux régionalisations, voire favorables au retour à une Belgique unitaire. Des « citoyens » favorables à la Belgique ont été invités aux débats politiques. Il est fréquent que toute manifestation (culturelle, sportive ou associative), où se retrouvent Flamands et Wallons soient, de manière insistante, montées en épingle, avec une intention qu'on devine aisément: ces manifestations contrediraient voire même nieraient l'existence d'une minorité wallonne très importante qui se prononce, elle, en faveur de l'autonomie de la Wallonie et de l'élargissement de celle-ci. Le mot « wallon » est de plus en plus banni des antennes et de certains médias. Lorsque Bruxelles est mal située dans une carte de Belgique, on assiste à une levée de boucliers, mais les initiatives très modérées, très prudentes, nullement identitaires au mauvais sens du mot, prises par Rudy Demotte en faveur de la mention claire de « la Wallonie »- quand il s'agit de l'institution qu'il dirige! - ont fait l'objet de rejets publics dans les médias et de sabotages à l'intérieur des partis. On est même allé jusqu'à rapprocher cette initiative simplement clarifiante du débat pourri sur l'identité française visant à récupérer par la droite les succès du FN en France.
La place qui est accordée aux personnes qui argumentent en faveur de l'élargissement de la Wallonie est chichement mesurée. On entend bien, de temps à autre, à la radio des gens comme Philippe Destatte, Robert Collignon, il y a des comptes rendus de réunions comme celle du MMW. Un écho a été donné aux interventions des bourgmestres de Charleroi et Namur durant les fêtes de la Wallonie en 2010, mais on ne peut pas dire que de vrais débats soient organisés et que, d'une manière générale, une réflexion soit organisée à ce sujet. Sauf La Libre Belgique et la RTBF (mais avec le couac de Face à l'Info qui a préféré enterrer ce souvenir en le salissant avec le fils des dirigeants de la répression de la grève), la presse est restée assez silencieuse sur le cinquantième anniversaire de la grève de 1960-1961, contrairement au monde universitaire et syndical. Il est vrai que la politique de répression des autonomistes wallons dans les années 60 (jusqu'au grave échec électoral socialiste de 1965), se poursuit activement aujourd'hui. Quant au Soir, on sait comment il a vu l'histoire du XXe siècle en Wallonie: il a préféré ne pas l'y voir ou n'y voir que la « Division » SS de Degrelle, qui s'appelait Division "Wallonie" (là, pas d'erreurs sur l'histoire, mais ce fut une drôle de Division avec au maximum de son effectif 2000 hommes alors qu'une division belge comptait à l'époque 17.000 hommes). 2
L'affaire Marie-Rose Morel
Marie-Rose Morel est cette jeune femme atteinte d'un cancer, ancienne élue du Vlaams Belang, demeurée cependant l'amie de Bart De Wever et dont le message final aura été de conseiller aux Flamands de se tourner vers un parti démocratique comme la NVA plutôt que vers le parti d'extrême droite. L'enterrement de cette personne a fait l'objet d'un commentaire très critique à la RTBF qui mettait en cause les idées exprimées très longtemps par cette personne dans le sens du racisme et de la xénophobie. Mais il est vrai que son dernier geste rompait avec cette politique puisqu'elle a même interdit aux dirigeants du parti fascisant d'assister à ses funérailles. J. Montay s'est fendue à ce sujet d'un article sur le site de la RTBF où elle estimait que les médias de part et d'autre de la frontière linguistique devaient être capables de continuer à être critiques à l'égard des politiques menées dans leur propre communauté. Mais elle s'est contentée de donner comme exemple de cette capacité autocritique le fait de mettre en cause, par exemple, l'intention de certains francophones de demander l'élargissement de Bruxelles. Comme d'autres revue, La Revue Nouvelle par exemple, tout en tenant certes compte des droits des francophones de la périphérie, notre revue a toujours exprimé la plus vive méfiance à l'égard de ce projet qui impliquerait selon certains, comme Pierre-Yves Monette récemment, un élargissement de Bruxelles parfois considérable au Brabant wallon, ainsi que dans d'autres communes de Wallonie. C'est donc un peu étonnant de lire sous la plume de Johanne Montay ce seul exemple qui possible d'esprit autocritique à l'égard de sa propre communauté. 3 En effet, on peut estimer que de nombreux Wallons ne penseraient pas que des mises en cause de l'idée du FDF d'élargir Bruxelles mettraient gravement en cause la communauté à laquelle ils appartiennent puisque ce serait seulement défendre, ce qui semble tout de même légitime, le territoire wallon tel qu'il est fixé depuis presque cent ans.Guido Fonteyn (nous y reviendrons), a opposé dans le journal De Standaard du 15 février l'opinion wallonne fustigée par Het Laaste Nieuws de cette façon-là, sur cette question de Marie-Rose Morel (De Walen), la veille, en rappelant qu'il existait, à côté de la Francophonie une Wallonie qui ne coïncide pas avec cette première et, en tout particulier, les médias qui s'en considèrent assez présomptueusement comme les représentants, en particulier Le Soir et la RTBF, dont nous ne cessons de montrer ici même à quel point ils ignorent la Wallonie ou se conduisent à son égard de manière aussi peu respectueuse qu'à l'égard de la Flandre. 4 On ne peut évidemment nier le fait qu'il existe à la RTBF et au Soir quelques journalistes qui continuent à être sensibles à l'opinion wallonne dont L'Avenir de ce lundi 14 février a montré l'ampleur. Mais il faut dire qu'on les entend bien peu, qu'on les lit aussi peu et que d'une manière générale la grande connexion ou coalition à laquelle la Wallonie doit faire face est une coalition des micros, des stylos et des présidents de partis qui se considèrent comme détenteurs de la synthèse à faire entre toutes les positions francophones. Or, on peut voir aussi, dans le sondage de L'Avenir, que le régionalisme bruxellois est, lui aussi, mieux soutenu qu'on ne le pense par une importante opinion, pas toujours si minoritaire que cela dans la capitale. Simplement peut-être un peu plus comprise par certaines élites universitaires et médiatiques ou politiques que la même opinion en Wallonie. On regrettera d'ailleurs que quelqu'un comme Jean Quatremer ait cru devoir surenchérir par rapport aux observations les plus haineuses et venimeuses de certains médias belges francophones dans son blog où il propose une analyse de la situation belge qui, pour les Flamands et pour n'importe quel homme de coeur, est inacceptable sur le plan moral, politique et sur le plan des faits. 5
Voir aussi sur cette affaire la belle analyse de Michel Henrion