Différence entre société et culture

23 March, 2011

La symbolique et le sacré

La symbolique et le sacré

Camille Tarot est l'auteur d'un livre capital et volumineux intitulé Le symbolique et le sacré (La Découverte Paris, 2008) où il revisite tous les penseurs français de la religion au XXe siècle de Durkheim à René Girard, les deux auteurs dont il retient la leçon pour définir la religion comme le rapport à un sacré qui ne renvoie pas nécessairement à des entités métaphysiques ni à des Eglises (pour lui, le tort de beaucoup de définitions du religieux est de viser en réalité une forme religieuse particulière qui est le catholicisme). Il passe aussi par Mauss, Eliade, Lévi-Strauss, Dumézil, Bourdieu, Gauchet, Debray, mais se rallie après de longues analyses minutieuses aux conceptions proches de Durkheim et Girard. Il répond à un critique québécois, Francis Gauthier dans Quelques remarques sur les critiques de François Gauthier sur le Symbolique et le Sacré in Revue du MAUSS permanente, 7 novembre 2008 [en ligne].

Voici ce qu'il écrit:

Les sociétés ne peuvent pas s’exporter sans conflits lourds, les cultures si. Si vous voulez une comparaison en effet frappante, c’est la différence qu’il y a entre exporter la culture américaine par le Net qui est un succès mondial et exporter la démocratie en Irak, dont tout le monde attend encore les résultats après combien de morts ? Vous n’avez pas vu que pour moi, la différence entre société et culture est des plus fondamentales, par quoi je conteste radicalement la réduction structuraliste du social au culturel. Soit dit en passant, dans un sens exactement inverse, c’est l’absence de cette distinction qui obère tant la thèse de Huntington sur le choc des civilisations, puisqu’il traite les cultures comme si elles étaient des sociétés, aussi défensives qu’elles ! Il faut, au contraire de ces deux impasses inverses et symétriques, penser la contradiction qu’il y a entre culture et société et que l’on peut résumer ainsi dans une première approximation : une société est par nature centripète, même ou surtout quand elle s’étend, une culture est par nature centrifuge et d’autant plus qu’elle se détache de sa société d’origine. Dans la religion, le sacré, bien qu’extensif à cause des énergies qu’il contient est centripète, le rite assure ce retour au central. Le symbolique est bien plus centrifuge par la dynamique même du sens, voyez le signifiant flottant de Lévi-Strauss ou le fait que la terre des mythes est ronde et n’a pas de centre. Dans combien de religion Dieu est vide ou une place absente sans que les représentations s’effondrent. C’est parce qu’elle est centrée qu’aucune société n’est et ne peut être universelle, même ou surtout pas un empire mondial. Et malgré leur ethnocentrisme qui est l’effet entre autre de leur inscription sociale, il y a de l’universel dans toutes les cultures, même dans celle de la plus oubliée des petites tribus. En tout cas, le contact des sociétés et des cultures dans des systèmes impériaux romains ou anglais ou dans la mondialisation actuelle aboutit nécessairement à un certain choc des sociétés en même temps qu’il crée un immense appel d’air pour des fusions et des délocalisations culturelles, bien plus rapides et plus intenses que celles de nos industries dont la base sociale est plus lourde. La "spiritualité", au sens contemporain très spécifique de ce mot doit beaucoup à ce détachement des cultures de leurs sociétés d’origine, souvent détruites ou bouleversées par la colonisation, puis l’industrialisation, etc., ce qui leur permet de devenirmobiles mais flottantes presque au sens du signifiant flottant de Lévi-Strauss, d’où des recompositions de sens inattendues pour des provignages non moins inattendus (Le symbolique et le sacré, La Découverte, Paris, 2008, pp.191-192).

Camille Tarot voir Paragraphe 11 Sur le Don et le Symbolique