De l’Etat CVP à l’Etat NVA, un avenir radieux pour la Flandre ?

25 April, 2011

« (La Belgique) est un beau pays mais il est marqué par l’inertie. Je ne dirais pas qu’il va se produire quelque chose. » Thomas Pynchon : « Contre-jour », coll. Signatures Points, Editions du Seuil, 2009

[France Maurain qui, dès le printemps 2010 et avant le recul du CD&V aux élections de juin 2010 pariait sur l' effondrement du catholicisme politique flamand, pense maintenant, un peu comme Marnix Beyen, que la NVA est devenue représentative de la Flandre mais va plus loin et pense que ce parti serait capable aussi de remplacer le CD&V en Flandre. Les références à ces deux auteurs sont à la fin de cet article. TOUDI]

A l’issue d’une année d’agitation médiatique et d’immobilisme politique, paradoxe bien belge en effet, l’inertie belge donne l’impression d’être plus opiniâtre que jamais et ceux qui, tant en Flandre mais aussi en Wallonie, espéraient ou redoutaient que la victoire électorale de la NVA constituerait un tournant politique important dans l’histoire du Pays se retrouvèrent bien dépourvus… Profitant d’un éloignement géographique conséquent mais provisoire, quelques réflexions me sont venues à ce sujet et j’ai souhaité les partager avec les lecteurs de Toudi.

Le rôle historique de la démocratie-chrétienne est terminé

Dans un précédent article publié avant les dernières élections, j’avais envisagé la défaite massive du CD&V, l’héritier historique du CVP c’est-à-dire la pierre angulaire de l’Etat belge depuis au moins 1918. Cette faillite électorale semble bien définitive, l’électorat de droite du CD&V s’est déplacé vers la NVA et le CD&V ne survivra sans doute à l’avenir que grâce à son électorat de centre-gauche, pour simplifier le courant lié au mouvement ouvrier chrétien et plus particulièrement au syndicalisme chrétien (ACV), ce qui serait un joli paradoxe. Car la plupart des dirigeants actuels de ce parti sont clairement de sensibilité de droite (Peeters) ou de centre-droit (Leterme, Beke). Ce que j’avais oublié de préciser à l’époque c’est que la crise de la démocratie-chrétienne était européenne et pas seulement belgo-flamande. Même si je ne développerai pas cet aspect des choses dans le présent article, cette crise semble être parallèle à celle que subit toujours leur vieil adversaire social-démocrate depuis la chute de l’URSS. Le mouvement démocrate-chrétien qui joua, après la seconde guerre mondiale, un rôle moteur dans la construction européenne au sein des 6 Etats fondateurs de la CECA (BENELUX, France, Allemagne, Italie) connaît en effet une crise existentielle qui lui sera peut-être fatale. Si la bipolarisation générée par les institutions de la Ve République a réduit à un rôle marginal les centristes français, si le Berlusconisme a chaussé depuis 15 ans sans trop de difficultés les habits de la DC, j’y reviendrai plus loin, le Benelux et l’Allemagne semblaient, jusqu’à présent, résister. Cela ne fut pas assez souligné, mais lors des élections législatives de mai 2010, les démocrates-chrétiens néerlandais (CDA) ont dû abandonner la place de premier parti du pays aux Libéraux de droite (VVD), une grande partie de leur électorat ayant rejoint ces derniers, mais aussi la droite populiste et xénophobe de Geert Wilders (PVV). La CDU-CSU allemande connaît actuellement sa crise la plus grave depuis la mise en place des institutions de la République fédérale en 1949. Bien qu’étant demeuré le premier parti du pays à l’issue des élections fédérales de 2009, les 33,8% des suffrages obtenus représentaient l’un des plus mauvais résultats de son histoire. La victoire électorale de la chancelière Merkel reposait uniquement sur l’effondrement historique des sociaux-démocrates (SPD) avec seulement 23% des suffrages, et au bon résultat de l’allié libéral (FDP) et ses 15%. Depuis ces élections, la CDU-CSU connait lors des élections régionales revers électoral sur revers électoral, la question est même posée de la survie jusqu’à son terme prévu en 2013 de la coalition formée avec le FDP, ce dernier parti étant quant à lui systématiquement laminé. On pourrait étendre cette analyse à d’autres Etats de l’UE, ainsi les démocrates-chrétiens autrichiens (ÖVP) sont au niveau fédéral, de nouveau, systématiquement relégués en deuxième position derrière les socialistes (SPÖ). Bien que constituant toujours le premier groupe politique du parlement européen (PPE), la crise de la démocratie-chrétienne est bien généralisée à l’ensemble de l’Europe, reflet de la crise existentielle que connaît la construction européenne depuis la mise en place de l’euro, on peut même se poser la question de sa résistance face à une nouvelle expression de la droite politique que certains politologues ont qualifié de « berlusconisme ».

La NVA est-elle du berlusconisme à la sauce flamande ?

La question peut sembler incongrue mais elle doit être considérée sérieusement. D’abord ce qui est frappant dans le fonctionnement de la NVA, c’est le rôle central de Bart de Wever qui donne l’impression de ne laisser, justement, que l’espace politico-médiatique qu’il veut bien laisser aux autres dirigeants du parti. C’est ensuite une forme de médiatisation tous azimuts du leader, de Wever s’est notamment fait connaître par sa participation à un jeu télévisé de la VRT, une curieuse alliance s’est installée avec les médias, friands de ce bon client, ce qui ne l’empêche pas de crier périodiquement au complot médiatique de la part de méchants journalistes gauchistes (et/ou francophones). Le boycott par la NVA du correspondant à Bruxelles de Libération est sur ce point assez symptomatique de la propension victimaire d’un parti dont les infortunes sont toujours dues à un autre indéterminé et variable selon le contexte. Cela passe aussi par une trivialisation du personnage public, sentimentalisme (larmes abondantes versées lors de l’enterrement de Marie-Rose Morel), photos bien calibrées de son mariage avec la mère de ses 4 enfants, recours à des expressions grossières (ce qui est dans mon dos, c’est mon cul sur les antennes de la RTBF, déclarations à la presse allemande), bien qu’étant le porte-voix des dominants (le patronat flamand notamment), des comportements et des expressions verbales supposées être ceux du peuple donnent à la NVA et à son leader une apparence de représentant de la « Flandre d’en bas ». Mentionnons aussi une certaine forme d’arrogance vis-à-vis de certains dominés sur lesquels on peut s’échiner sans trop risquer de perdre son masque de respectabilité, au hasard et par exemple les demandeurs d’asile, les syndicalistes ou les fonctionnaires, de préférence wallons, bien sûr. C’est enfin le recours à des slogans et à des ultimatums comme forme systématique d’expression politique ainsi que le rejet de toute forme d’éthique reconstructive qualifiée péjorativement de repentance, pensons à la réaction de la NVA suite à la reconnaissance, au nom des autorités communales, par le Bourgmestre d’Anvers Patrick Janssens de la responsabilité de celles-ci dans la déportation des juifs en 1942 où les remarques de Bart De Wever sur la collaboration des francophones quand le passé de sa famille est évoqué. Toute critique politique du leader est automatiquement assimilée par ce dernier et ses partisans comme une attaque ad hominem, cette surprenante hyper sensibilité devant sans doute plaire à l’homme ou à la femme de la rue. Bien sûr, comme il s’agit de la Flandre, pas question de bagatelle et d’étalage outrageant de richesse, ce fameux coté parvenu bling-bling de Berlusconi et, pendant un moment, de Sarkozy, mais il y a là plus de ressemblance que de dissemblance entre la NVA et le berlusconisme. Il s’agit d’incarner une nouvelle forme de droite politique ayant pour objectifs principaux le démantèlement de ce qui subsiste d’Etat-providence notamment par un discours sur la fiscalité excessive pesant sur les particuliers et les entreprises, le coût de la sécurité sociale et l’inefficacité des services publics causés par un fantasmatique complot gauchiste. Il ne s’agit pas ici de diaboliser la NVA, il s’agit ici de dire clairement ce qu’elle représente; de la même manière que Berlusconi est devenu, au milieu des années 90, à la place de la DC, le meilleur rempart comme toute politique que je qualifierais, faute de mieux, de social-démocrate, la NVA occupe dorénavant cette place centrale dans une Flandre où la gauche représente, tout au plus, 25% de l’électorat. Et si l’on ajoute à cela que ce sont justement les politiques auxquelles la NVA s’oppose que l’électorat wallon souhaite majoritairement voire appliquées, il n’est pas très difficile de comprendre le blocage actuel au niveau fédéral.

Les contradictions de la NVA, force actuelle et faiblesse future ?

Venons-en maintenant à la contradiction majeure de la NVA, contradiction qu’elle partage d’ailleurs avec d’autres partis « autonomistes ». Il s’agit de l’illusion de croire que l’autonomie, pour ne pas utiliser le mot indépendance ou souveraineté, peut se conquérir exclusivement par la voie des urnes. Soyons clair, cela n’est jamais arrivé dans l’histoire contemporaine des pays occidentaux, même les victoires électorales du Sinn Fein en 1918 et 1920 ne peuvent pas être considérées comme un vote en faveur de l’indépendance d’une majorité d’ailleurs relative de l’électorat irlandais. Comme les Catalans de CiU, les Basques du PNV, les Ecossais du SNP, la réalisation de l’autonomie flamande proclamée par la NVA dépend de forces qu’elle ne contrôle pas, ce qui est une manière commode de s’excuser de l’échec programmé et prévisible de cette revendication. Expliquons-nous, CiU et le PNV n’ont pu obtenir un approfondissement partiel de l’autonomie basque et catalane que lorsque les socialistes (PSOE) ne disposaient pas d’une majorité absolue au parlement national. Le SNP dirige depuis 5 ans un gouvernement minoritaire en Ecosse, mais il n’a pu obtenir le moindre approfondissement de l’autonomie écossaise de la part du Parlement britannique, on verra le verdict de l’électorat écossais dans quelques jours mais l’appel populaire du SNP, à l’opposé de la NVA, tient aussi au fait qu’il est considéré comme le meilleur défenseur d’une politique social-démocrate que ne garantissait plus la coalition travaillistes-libéraux-démocrates en place depuis 1999. La NVA, si elle s’en tient à un pur respect des formes constitutionnelles belges, dépend entièrement des partis francophones, mais aussi des autres partis flamands pour obtenir cette fameuse autonomie flamande. L’indépendance ne se demande pas, elle se prend, c’est un fait historique incontournable, au fond les partis francophones peuvent encore refuser de céder pendant longtemps car, jusqu’ici rien ne prouve que Bart De Wever et son parti aient la volonté, le courage, bref l’envergure historique requise pour obtenir ce qui est censé être leur objectif suprême. En juin 1940, de Gaulle incarne la République en s’opposant au gouvernement légal et légitime de son pays, on peut dire que le gouvernement Pierlot en exil à Londres a finalement représenté la légalité constitutionnelle belge au prix d’une élimination provisoire (mais qui se révèlera définitive) du Roi grâce à une interprétation pour le moins imaginative de la Constitution. En 1989-1990, le Chancelier Kohl, soutenu par l’ex Chancelier Willy Brandt, mena à bien la réunification allemande et ce parfois au prix de certaines approximations juridiques y compris sur le plan international, je pourrais citer d’autres exemples historiques, ce que je veux signifier par là c’est que les occasions historiques se présentent rarement deux fois dans la vie d’un Peuple, d’une Nation, pensons à ce qu’il serait advenu de la Wallonie si elle avait pris son indépendance en 1950… La conclusion à tirer de la situation politique actuelle pourrait être celle-ci: la NVA sait qu’elle n’obtiendra jamais l’autonomie dans le cadre belge mais peut-être que cela suffira à satisfaire ses dirigeants de devenir de manière durable le nouveau CVP et de pouvoir exercer ainsi une sorte de monopole moral sur la vie politique flamande et, par ricochet sur ce qui subsistera de vie politique belge. Cette « ambition » bien médiocrement belge satisfera sans doute les carriéristes actifs au sein de ce parti mais elle devrait désespérer les nationalistes flamands… Tant que la société flamande, sans aucun doute possible sociologiquement de droite, continuera à partager cette contradiction essentielle de réclamer plus d’autonomie tout en surtout ne posant aucun acte concret en ce sens, la NVA est en effet bien placée pour demeurer le premier parti de Flandre.

Fin du CD&V et du catholicisme politique flamand

Critique : La Belgique va-t-elle disparaître? (M.Beyen et Ph. Destatte)