Message des prêtres de Seraing du 24 décembre 1960
[Suite à la condamnation (radicale) de la grève générale, la veille, 23 décembre 1960, par le Cardinal Van Roey, le clergé de Seraing fit entendre une autre façon de voir les choses. Francine Kinet écrit La réponse la plus spectaculaire viendra de quelques membres du clergé : le soir du 24 décembre, les prêtres de Seraing adressent à leurs fidèles un message qui dit comprendre les motivations de la classe ouvrière qui a cessé le travail. Ce message constitue en quelque sorte une réponse au Cardinal Van Roey de quelques prêtres qui partagent le quotidien des banlieues industrielles comme il en existe beaucoup en Wallonie (pp. 221-222 voir Une thèse inédite sur 60-61 On peut se demander si ces prêtres étaient seulement des isolés. On sait que quelques années plus tard, avec l'appui des évêques de tout le pays, les aumôniers de l'Action catholique ouvrière publièrent un texte reprenant les grandes idées de la vision syndicales sur le déclin wallon dans la perspective du Concile Vatican II.]
En cette nuit de Noël, qui nous rappelle la naissance du Christ dans notre monde, nous voudrions vous dire combien cet amour de Dieu vous est nécessaire pour être les hommes de bonne volonté.
Pour être de bonne volonté aujourd'hui, nous devons porter la paix que nous recevons à Noël. Cette paix, c'est la devise du Pape Pie XII, nous ne l'aurons que si nous tendons tous à rechercher la justice.
Entraînée par ses militants bien sûr, mais soulevée par une vague de fond plus lointaine, la classe ouvrière a cessé le travail.
Tout ce qui touche à ses fils atteint l'Eglise. Elle ne se résigne pas à la condition prolétarienne, qu'elle tient pour la honte de ce siècle.
Que demande le monde du travail? Simplement sa juste place dans la nation. Il ne veut pas être traité en inférieur, il veut être considéré. Il désire qu'on tienne compte de son ascension progressive. Dans ce domaine, les responsabilités incombent pour une bonne part aux pouvoirs publics. Des efforts ont été faits, des résultats obtenus. Mais des réformes de base doivent être entreprises. Il ne faut pas craindre de les aborder hardiment. Ce qu'attend la classe ouvrière, ce n'est pas un ajustement partiel ; c'est une solution plus entière et durable. C'est un ordre humain.
Nous savons que ce programme rencontre des obstacles et que ce pays éprouve des difficultés économiques et financières. Il est naturel que tous les Belges s'imposent des sacrifices; il ne faut pas que ce soit avant tout les mêmes qui les supportent. On fait valoir les nécessités économiques. Nous savons de quel poids elles pèsent sur ceux qui ont la charge des entreprises du pays.
Mais en cette nuit de Noël où chacun se sent responsable de ses frères, nous posons loyalement une question : Est-on sûr d'avoir cherché? Est-on sûr d'avoir tout essayé?
Un tel programme fait sourire les sceptiques. Il ne découragera pas les hommes de bonne volonté. Ce programme est impossible si l'on ne voit dans l'homme qu'appétits et désirs de gain.
Ce n'est pas ainsi que doivent l'entendre les chrétiens.
Parce que nous avons la Foi, nous avons aussi l'Espérance.
Si nous ne croyons pas à l'âge d'or sur la terre, nous savons que le Christ nous demande de rendre la terre plus habitable et plus fraternelle (c'est déjà cela l'Espérance!).
Que cette fête de Noël nous rappelle qu'il n'est qu'un chemin pour l'humanité : celui de l'Amour et de la compréhension.
En cette nuit de Noël, qui nous rappelle la naissance du Christ dans notre monde, nous voudrions vous dire combien cet amour de Dieu vous est nécessaire pour être les hommes de bonne volonté.
(Publié dans La Wallonie du 25 décembre 1960)