Le Québec au niveau international
Lors du Sommet des Amériques, en avril dernier à Québec, le gouvernement du Québec a réclamé de participer aux négociations qui avaient lieu dans sa propre capitale ou, du moins, de rencontrer un certain nombre de chefs d'Etat et de gouvernement afin de leur exposer directement, sans personne interposée, la position du Québec sur les différents sujets discutés au cours de ce sommet. Ces deux réclamations furent rejetées par le gouvernement Chrétien sous prétexte que seuls les Etats constitués étaient représentés à ce sommet et non pas les entités fédérées, comme les provinces canadiennes et les Etats américains.
La «doctrine Gérin-Lajoie»
Depuis maintenant 40 ans, à peu près tous les gouvernements qui se sont succédé au Québec, qu'ils aient été d'allégeance unioniste, libérale ou péquiste, ont tenté de mettre en oeuvre ce que l'on a appelé la «doctrine Gérin-Lajoie», du nom de son auteur, en réclamant le prolongement externe de leurs compétences internes. Si les provinces sont chargées de rnettre en oeuvre les traités ou les ententes conclus par le fédéral qui touchent aux compétences provinciales, en vertu d'une décision rendue par le Comité judiciaire du Conseil privé en 1937, il apparaît tout à fait logique que les provinces, dans leurs champs de compétence, puissent soit conclure directement ces ententes, soit participer pleinement aux négociations entourant ces accords.
En vertu de la ligne dure qui prévaut actuellement à Ottawa, le gouvernement Chrétien a refusé et refuse encore de satisfaire à ces revendications sous prétexte de l'unité des relations extérieures, qui doivent être assurées, de ce fait, par le gouvernement central seul et non par les provinces. Et pourtant, le Québec, en compagnie d'autres provinces canadiennes, avait participé aux négociations entourant l'Accord de libre-échange avec les Etats-Unis sans mettre en péril ni l'unité canadienne ni la capacité d'Ottawa de parler d'une seule voix sur le plan international. Il faut dire que c'était à une autre époque, sous le gouvernement Mulroney, plus soucieux de la reconnaissance des provinces que d'agir comme si elles n'existaient pas.
Une telle attitude de conciliation avec les provinces, et avec le Québec en particulier, avait d'ailleurs valu aux dirigeants conservateurs, en d'autres circonstances, le titre peu enviable de «pleutres» de la part d'un certain premier ministre à la retraite, libéral, il va sans dire.
Et pourtant, la participation des entités fédérées aux négociations conduisant à des ententes internationales ou même la conclusion d'accords internationaux par ces entités ne sont pas aussi exceptionnelles qu'on pourrait le penser dans des fédérations européennes comparables à la nôtre.
Que l'on songe à la Belgique, où la Constitution fédérale reconnaît que «les gouvernements des communautés et des régions, chacun pour ce qui le concerne, concluent les traités portant sur les matières qui relèvent de la compétence de leur conseil». Ce qui a conduit ces gouvernements à signer des accords avec des entités qui ne sont pas des États souverains, comme le Québec, mais aussi avec des Etats étrangers souverains, sans compter les nombreuses antennes établies en pays étrangers et les diverses formules de représentation de ces communautés et régions dans l'Union européenne.
Je doute fort que le gouvernement fédéral actuel ait la volonté et le courage de suivre l'exemple belge en ce qui a trait aux relations internationales des provinces. Peut-être pourrait-il s'inspirer, dans un premier temps, d'une autre fédération, la Suisse, qui vient d'adopter une loi sur la participation des cantons à la politique extérieure de la Confédération, loi entrée en vigueur le 1er juillet 2000? Cette loi, simple et courte (elle ne fait que huit articles), dégage quelques grands principes, fixe les principaux buts, établit la nécessité de consulter les cantons «lors de la préparation de décisions de politique extérieure qui affectent leurs compétences ou leurs intéréts essentiels» et reconnaît la participation des cantons à la préparation des mandats de négociation et aux négociations elles-mêmes lorsque les compétences des cantons sont affectées, tout en garantissant la confidentialité des renseignements.
Certes, telle qu'elle est formulée, cette loi ne pourrait satisfaire pleinement les revendications du Québec. C'est une loi qui table avant tout sur la consultation et la participation des cantons, alors que la position ultime du Québec, dans la foulée de la doctrine Gérin-Lajoie, répond davantage au principe d'autonomie selon lequel le Québec peut participer directement aux négociations lorsque ses compétences sont affectées et conclure lui-même des accords dans ses champs de compétence. Mais elle constituerait une avancée par rapport à la situation actuelle, ce qui serait certainement un atout pour le Québec.
La nouvelle Constitution suisse, adoptée par référendum populaire en avril 1999, va plus loin que la loi de juillet 2000. Elle prévoit, dans une section traitant des relations avec l'étranger, la participation des cantons aux décisions de politique extérieure (article 55) ainsi que la possibilité pour les cantons dans certaines limites, de conclure des traités avec l'étranger dans les domaines relevant de leur compétence (article 56). La loi suisse évoquée précédemment vise surtout à expliciter et à baliser l'article 55 de la Constitution.
Je sais fort bien qu'à Ottawa, à l'heure actuelle, la voie constitutionnelle est complètement bloquée. La politique officielle consiste en effet à ne pas toucher à la Constitution canadienne à la fois parce qu'on craint un échec qui pourrait aider la cause du Parti québécois et parce qu'on se satisfait pleinement du statu quo constitutionnel actuel.
<En revanche, l'adoption d'une loi fédérale qui reprendrait les éléments essentiels de la loi et de la Constitution suisses est tout à fait concevable. Pour ce faire, il faut du courage et une volonté politique qui font encore défaut dans la capitale outaouaise.
Le blocage du fédéral
Je ne me fais donc pas d'illusions sur la possibilité d'une ouverture du gouvernement fédéral quant à la participation des provinces à la politique extérieure canadienne. On y préfère nettement le blocage à l'ouverture.
Le premier ministre Chrétien aime mieux jouer au préfet de discipline et user de son arbitraire pour permettre ou, le plus souvent, interdire au Québec d'assumer un rôle sur le plan international.
Habituellement, lorsque cette permission est accordée, ou bien elle est soigneusement encadrée (par exemple, par un ambassadeur canadien), ou bien elle est habilement noyée dans une représentation plus vaste (comme au sein de la Francophonie). Surtout, une telle attitude permet au prince d'utiliser son pouvoir arbitraire, comme chez les préfets de discipline d'antan, pour récompenser les bons élèves et punir les méchants (de surcroît, lorsqu'ils sont séparatistes!).
Depuis 1993, le gouvernement Chrétien ne veut pas bouger, aussi bien sur le dossier de la réforme institutionnelle, (le Sénat et le processus électoral en auraient bien besoin, sans oublier le fonctionnement de la Chambre des communes) que sur celui de la réforme constitutionnelle. La nouvelle devise à laquelle on s'accroche peut se résumer à la formule suivante: avancer dans le statu quo.
Réjean Pelletier Professeur de science politique Université Laval dans Le Devoir du 6.7.01