La longue durée du Congrès wallon de 1945

Le Congrès wallon des 20 et 21 octobre 1945 à Liège
Toudi mensuel n°18-19, mai 1999

A l'heure où s'ouvrait à Liège le Congrès d'octibre 45, les militants wallons venus de toute la Wallonie avaient la ferme intention de porter un coup décisif à la Belgique. Ils étaient déterminés lors de ces journées à délivrer la Wallonie du carcan unitariste et à lui ouvrir la voie d'une affirmation politique. Certains parlèrent des « Etats généraux de la Wallonie, allusion évidente aux Révolutions française et liégeoise qui, dans dans l'imagerie politique belge, suffisaient à réanimer la peur des révolution sociales 1

Mais, bien qu'il ait eu la volonté de ressaisir toutes les composantes du mouvement wallon et y parvenant, qu'il ait eu la volonté de l'organiser dans l'espoir de mener une démarche politique concrète et qu'il ait pu, tant bien que mal, rassembler l'ensemble des congressistes autour de cet objectif, le Congrès est demeuré un épisode relativement oublié de l'histoire, symptôme éminemment grave du problème belge. Le sort réservé à cet événement dans le souvenir nous rappelle combien la Belgique est privée d'épaisseur historique, annihilée, dissoute par la puissance anhistorique de son «pragmatisme».

LES ROUAGES DU PARADOXE

Le Congrès voulait être représentatif des intérêts wallons et voulait acquérir une légitimité politique dans le cadre belge 2. Or, selon la constitution, le Congrès n'avait pas de personnalité juridique. Les décisions du Congrès étaient donc nulles politiquement. De plus, le Congrès encourait aussi le risque d'être anticonstitutionnel. Or, les militants wallons cherchaient à s'inscrire dans le paysage politique belge et ne voulaient absolument pas paraître anticonstitutionnels. Il fallait donc éviter au Congrès une issue trop radicale qui, d'après les organisateurs, empêcherait le mouvement wallon de jouer aucun rôle. Au risque, semble-t-il, de gommer une partie de l'aspect décisionnel du Congrès, les organisateurs cherchèrent donc une solution intermédiaire qui, selon eux, ne fermerait pas toutes les possibilités de négociation.

Mais, lorsque l'on parle d'un Congrès, on pense précisément à «une réunion de personnes qui traitent d'intérêts politiques» 3 et, à plus forte raison, prête-t-on ce caractère politique aux assemblées qui se veulent constituantes. Aussi, la tâche des organisateurs fut un véritable casse-tête: préserver l'aspect volontairement politique des débats, prendre également des décisions politiques et symboliques déterminantes et permettre à celles-ci de s'articuler, néanmoins, légalement, dans le cadre belge.

Voilà un dilemme embarrassant. Si le Congrès privilégie une affirmation forte de la Wallonie et prend en ce sens des décisions fortes mais à caractère sécessionniste, il apparaîtra illégal. Par contre, s'il relègue au second plan son rôle représentatif de la Wallonie et qu'il s'insère dans les rouages constitutionnels, il perdra sa force politique et ne pourra pas se faire entendre au parlement national.

Les organisateurs ne cesseront de réaffirmer tout au long du Congrès leur loyauté constitutionnelle, au détriment, dès lors, des enjeux pour lesquels les congressistes s'étaient réunis: la volonté de porter un coup fatal à la Belgique et d'organiser un mouvement wallon lié, enfin, à son opinion publique .

Opinion publique et Congrès

Car si l'opinion publique reste toujours difficile à situer, souvent introuvable et changeante, en 1945, elle occupait bel et bien le devant de la scène. Harassée par les difficultés, criant son exaspération, elle tournait vers le monde politique, une attention rare dans laquelle se lisait la détermination et la volonté de sanctionner sans appel les responsables politiques s'ils ne parvenaient pas à répondre immédiatement aux nombreuses difficultés du pays. L'exaspération du peuple après-guerre était, en effet, évidente et la violence patente. La Résistance, qui n'avait que partiellement déposé les armes, faisait peser la menace d'une insurrection populaire, prête à se déclencher, si la démocratie ne devait pas triompher dans le pays libéré 4

La menace resta latente jusqu'en 1950. La question royale, qui envenimait le pays depuis la libération, éclata alors dans les rues des grandes villes wallonnes. Les grèves se sont déclarées spontanément dans la sidérurgie et, de plus en plus déterminées, elles prirent une tournure radicale, proche en cela d'un soulèvement national contre le retour en Belgique de Léopold III. Si ces forces populaires se sont liguées, c'est parce qu'elles associaient le monarque au retour de l'occupant allemand 5 La population désignait dans la personne du roi, la figure de l'anti-démocrate. L'image de celui-ci depuis la reddition en 1940 était, en effet, définitivement scellée au souvenir de l'abandon de la lutte, à la capitulation impardonnable devant un ennemi ignoble et fasciste.

Léopold III est la figure vacillante de la royauté. Il fut pour nombre de belges, à l'origine de la décadence de la Belgique alors qu'on espérait qu'il en soit le garant symbolique et politique, et que l'image de l'unité incarnée en sa personne, au même titre que la constitution, ne meure pas ainsi dans la honte.

Pourtant, la question royale n'a pas fait l'objet de débats proprement dits, lors des journées d'octobre. Certains, néanmoins, ont souligné une unanimité de fait sur cette question. Toutefois, on préférait ne pas aborder la question de front, par crainte d'attirer les critiques de ses détracteurs éventuels et de ruiner de la sorte tous les efforts entrepris.

Ces éléments confirme la stratégie politique des organisateurs du Congrès: «Dans ce petit pays, la figure royale et la Loi fondamentale ont été les points de repère et de référence à tous les processus politiques engagés dans l'ordre des mutations historiques comtemporaines6

Les débats

Les organisateurs étaient persuadés qu'il fallait absolument trouver une issue aux débats qui éviterait une rupture complète avec la Belgique. Ils veillèrent, en ce sens, à ce qu'en aucune manière les discussions, où s'affirmait l'idée de Wallonie, n'amènent les congressistes vers une solution qui consommerait un divorce irréversible. Cette possibilité les hantait parce qu'elle ruinait leur projet politique de réforme et leur insertion dans le monde politique. Ce projet ne pouvait pas intégrer une affirmation aussi tranchée sur le sort de la Belgique, alors, précisément, qu'il proposait une solution de déblocage plus souple. La voie réformiste étant, selon eux, la seule issue possible sur le plan politique, tant du point de vue de la situation intérieure du pays que du point de vue international. Ainsi le rattachement à la France aurait été «certainement» très mal accueilli dans la recomposition fort délicate de l'espace européen d'après-guerre. 7. Il fallait tendre, selon eux, une dernière fois la main à la Belgique.

On a donc assisté au Congrès à une véritable représentation théâtrale dans laquelle on donna un rôle important à la tragédie. En effet, les interventions qui se succédèrent à la tribune commencèrent par le récit de plus en plus fort de l'idée wallonne qui monta jusqu'à ce qu'elle soit au sommet de son affirmation pour, ensuite, se retourner sur elle-même et pousser les congressistes vers une réflexion critique. Celle-ci devait légitimer la défense de la Wallonie mais les pousser à opter pour une solution de «raison». Il fallait pouvoir réaliser en une seule fois l'affirmation de la Wallonie et le rejet de l'affirmation. Ce fut une mise en scène étonnante, capable à la fois de gérer l'enthousiasme lyrique des congressistes mais, surtout, capable de leur faire adopter, au final, une résolution qui manquait assurément de clarté et qui ne pouvait que les décevoir.

Les difficultés du mouvement wallon

Le Congrès s'est engouffré dans une aventure aux multiples impasses, qui découvrit peu à peu, comme une rétroaction, l'arrière-plan du mouvement wallon. Depuis longtemps, il se débattait avec ses propres hésitations et se refusait toujours à s'affirmer tout à fait wallon. Il faut dire qu'il s'était illustré, durant l'entre-deux guerres, contre l'affirmation «nationaliste» lorsqu'une partie du mouvement flamand s'était radicalisée dans le VNV. Il dénonçait dans cette tendance les dérives de l'affirmation nationaliste et pointait le danger de l'exaltation identitaire. Il est donc resté, après-guerre, timoré et perplexe à franchir lui-même le pas de l'affirmation identitaire, redoutant les critiques qui feraient immanquablement le rapport, certes démesuré mais percutant, avec le national-socialisme. Le mouvement craignait en s'affirmant «trop» wallon que ces critiques trouvent à s'exprimer et viennent discréditer tout à fait leur projet politique de réforme.

Le résultat: échec ou non?

C'est pourquoi le résultat politique du Congrès a cet aspect hybride, mêlant affirmation et rejet de l'affirmation. Au faîte du paradoxe, il y a évidemment le caractère technique et instrumental du choix fédéraliste qui, s'il reprenait les prétentions réformistes du Congrès, les soustrayait néanmoins au contrôle des congressistes.

Le premier vote «sentimental» devait permettre au congressistes d'affirmer leur préférence «affective» sur les quatre thèses: unitariste, fédéraliste, rattachiste et indépendantiste.

Le rattachisme recueillit 46% des voix, l'indépendantisme 15%, une majorité de rupture avec la Belgique.

Ce premier vote devait être suivi d'un second, dit de «raison» parce que les organisateurs craignaient le résultat du premier et parce qu'il fallait réunir les plus de congressistes possibles sur une motion commune. Ce second vote ramenait, en fait, dans le giron des experts politiques et techniques, le contrôle des événements. En effet, il fut voté une motion qui désignait une commission d'experts pour réfléchir sur la question du fédéralisme.

On peut en ce sens, légitimement, s'interroger, à l'aune de ce que fut la pression populaire de l'époque et des demandes essentielles de reconnaissance qu'elle formulait, si l'issue du Congrès ne ressemble pas plus à un attachement sentimental à la Belgique qu'à une véritable décision de «raison». Ce giron d'experts politico-technicistes préférant rester dans le cadre belge alors qu'ils savaient toutes les réticences, presque insurmontables à l'époque, que leur opposerait le cadre politique belge, tant flamand que francophone.

Mais, pour beaucoup de spécialistes et d'historiens, la force du Congrès, le caractère fondamental de son apport, c'est l'avancée qu'il permit sur le plan de la réflexion institutionnelle. Toutefois, si le projet de fédéralisme proposé par F. Dehousse et G. Truffaut est effectivement considéré pour sa contribution essentielle à l'élaboration d'un nouveau modèle politique, il n'est pas, à proprement parler, l'émanation du Congrès. Ce projet date de 1938. Et si, toutefois encore, l'évolution institutionnelle belge mais aussi européenne viendront confirmer toute l'importance de cette réflexion s'avérant visionnaire, la marque du Congrès n'est pas là.

Le discrédit

La volonté des organisateurs de ne pas sortir du cadre belge a ouvert la voie du discrédit dont il fut l'objet. En voulant mener une action de réforme là, dans le cadre politique, où on ne lui reconnaissait aucune légitimité et aucune représentativité, il s'est coupé, en pensant y parvenir, du soutien de l'opinion wallonne et transforma le vote des congressistes en instrument politicien au lieu d'affirmer clairement l'existence de la Wallonie.

Les organisateurs n'ont certainement pas perdu de vue que l'affirmation symbolique de la Wallonie devait venir prendre une place importante, même tout à fait essentielle dans le Congrès. Mais la Belgique, que certains voyaient déjà morte en 1945, pouvait encore compter sur un espace francophone belge qui - un peu à l'image de l'Angleterre détrônée de sa première place mondiale mais certaine de ne pas l'être -, jouerait son rôle unitariste de détracteur sans concéder la moindre ouverture. C'est par rapport à cet espace francophone que les organisateurs, toujours sous son emprise, prirent le plus de précautions. Dès lors, à l'instar de ce qu'était déjà avant-guerre le mouvement wallon, la stratégie des organisateurs est apparue, dans l'échec apparent à concilier l'affirmation claire de la Wallonie et l'espoir de jouer un rôle politique, comme le reflet d'un mouvement wallon intellectuel sans relais politique et sans relais populaire.

L'importance du Congrès

Il peut apparaître surprenant que soient définis, dans les développements ci-dessus, les tenants et les aboutissants du Congrès; on sait l'équilibrage entre sa force et sa faiblesse, on connaît les termini a quo - la réforme de l'état - et ad quem - la voie fédéraliste - de ces prétentions politiques. Ces réflexions critiques pourraient laisser entendre que le Congrès n'aurait plus rien à nous dire. Nous voulons, au contraire, interroger le Congrès d'une autre manière, en nous détachant de sa spécificité comme événement, pour lui rendre une dimension plus globale, plus généralisante. C'est le texte de Jean Louvet qui nous a incité à pousser dans cette direction.

L'importance du Congrès s'est révélée dans les débats qui s'y sont déroulés. Il y fut mené une réflexion cruciale sur les différentes ressources morales de notre identité politique. Les congressistes ont tenté de répondre à la crise belge, ils ont voulu reformuler l'expression de la société dans laquelle ils vivaient. C'est ce besoin d'une image réfléchie de la société dans laquelle vivent les individus qui est au centre de notre préoccupation.

Peu importe que cette image soit paradoxale, l'essentiel pour une société c'est sa capacité à se raconter. C'est le sens à donner à la vie en communauté qui justifie ce va-et-vient constant entre société et ressources morales. L'identité se réfléchit dans ces ressources, se construit dans la discussion permanente de celles-ci.

C'est d'ailleurs sur ce refus, là, quelque part où la nation belge ne veut pas se réfléchir entièrement et voir ce qu'elle est exactement, que cette même société belge peine à sortir des paradoxes qui la minent et dont les tentatives de désamorçage par la voie consensuelle ne font plus que rire ou pleurer.

Le Congrès fut une tentative de réponse à cette demande citoyenne. C'est sous cet angle qu'il nous intéresse parce qu'il révèle les impasses du blocage belge non seulement dans son contexte historique mais aussi, faut-il le souligner, dans le contexte actuel où ces impasses semblent maintenues par notre «front-uni-des-francophones» qui refuse toujours quelque discussion que ce soit sur l'évolution historique de la Belgique. Qu'est-ce alors que la nation belge? Que faut-il comprendre dans ce refus du changement, quelle faute la volonté de changement constitue-t-elle?

LA NATION

L'idée de nation ne va pas de soi, et les multiples définitions que l'on en donne sont souvent insuffisantes. R. Devleeshouwer, dans une interview accordée à la revue Critique politique (8 donne une définition de la nation sur laquelle nous allons insister:

« On y distingue deux éléments essentiels. D'abord, un cadre politique commun qui impose des comporte­ments identiques aux hommes qui relèvent d'un même pouvoir. Ensuite, des comportements qui échappent à ce moule normatif unique, présentant des traits identiques tirés de situations plus anciennes, et parfois même très an­ciennes, et qui présentent un fond commun de compor­tement. Parfois des traits de comportements divergents, mais en voie de s'unifier parce qu'ils s'expriment dans un cadre politique unique. Parfois, lorsque les diver­gences sont ressenties comme essentielles, elles détermi­nent des comportements centrifuges par rapport à l'en­tité politique existante, soit pour se joindre à une autre entité ressentie comme plus adéquate, soit pour vivre de manière autonome».

Cette définition est cruciale parce qu'elle permet d'échapper à la tradition philosophique chrétienne de la mono-référence. Le substantialisme, la quête de l'être ont donné une image figée de l'identité. Par là, on peut exister coupé du monde, dans un univers objectif - comprenons: d'objets morts-nés -, auto-révélateur, solipsiste. Or l'idée de nation chez Devleeshouwer porte sur un mouvement dialectique de l'identité. On décrispe la compréhension de la nation qui n'est plus seulement une et indivisible, mais multiple, partagée, changeante. La nation est un champ où s'expriment des comportements différents. Ceux-ci énoncent en permanence, par l'échange et la discussion dont ils sont l'objet, une idée renouvelée de la vie en communauté.

Nous prenons volontairement le contre-pied de l'idée d'une quelconque hypostase, d'une quelconque essentialisation de la Nation Belge, défendue avec ardeur par certains qui ne veulent absolument pas reconnaître la possibilité de la divergence. Ce refus conduit au blocage de la société.

On peut oser une petite comparaison entre l'hypostase de la nation belge et la rigidité de certaines relations fondées sur la complémentarité, c'est-à-dire sur la différence. Lorsque, dans un couple, ces différences ne sont pas reconnues entre les partenaires, lorsqu'il n'est pas tenu compte de la place que chacun occupe dans la relation, celle-ci risque de se figer autour d'un rapport où l'unité du couple, affirmée envers et contre tout, peut devenir pathologique. La relation peut conduire à des situations de plus en plus difficiles à gérer pour les partenaires, à mesure, d'ailleurs, qu'une différence de plus en plus ressentie ne peut pas s'exprimer entre eux. Celui qui se sent mal dans la relation, se sent aussi le coupable parce qu'il pense être à l'origine du problème qui mine la relation 9

Aussi, ce qu'il faut encore souligner dans cette définition, c'est la réintroduction de l'histoire. Cette notion qui a fait défaut en Belgique, empêche d'approcher la genèse des problèmes que le pays a connus. Le cours historique d'un État n'est pas linéaire, il est fait de nouvelles conjonctures, de péripéties politiques, de changements qui modifient l'information, le contexte, l'esprit dans lequel peut être perçue la nation. L'Etat doit y faire face, trouver des remédiations, fournir les réponses nécessaires s'il veut que son pouvoir puisse encore se maintenir et s'exercer dans un cadre politique qui légitime son action. Et si c'est la nation qui est remise en cause, ces péripéties devenant des crises politiques, l'Etat mobilisera alors les différentes ressources morales de l'identité nationale afin que le sens de son action politique soit à nouveau compréhensible, mais surtout qu'il soit à nouveau plébiscité par les individus devant lesquels il assume une responsabilité. Il s'agit bien de légitimer une société dont la vie en commun pour les individus ne va pas de soi.

Or en 1945, la phase que traverse la Belgique est particulièrement importante sur le plan symbolique. Aux prises avec les événements qui ont bouleversé la société, le sens de la nation est devenu une priorité pour les responsables politiques. Il est essentiel que la Belgique se justifie à nouveau, qu'elle rende confiance à ses citoyens et qu'elle réaffirme le bien-fondé de son action politique. Une action qui, durant la guerre, s'est révélée être particulièrement confuse, voir grossièrement contradictoire (les décisions du gouvernement en exil et celles du roi se contredisaient radicalement 10.

L'empirisme d'un Spaak, en plein désarroi lorsqu'il doit adopter une stratégie politique et fonder ses alliances, déterminer l'engagement de la Belgique dans la guerre; l'attitude plus que controversée du roi; la difficulté d'admettre que Wallons et Flamands doivent être traités sur pied d'égalité, toutes ces questions viennent remettre en cause ce que nous appelons l'hypostase belge. Cette immuabilité de l'identité politique, bien arrimée à l'imperturbable symbolique religieuse de la permanence, ne tient plus la route. Les grands axes de la politique belge -constitutionnalisme, monarchisme, parlementarisme et citoyenneté - se désarticulent et resurgit de ces principes en crise, l'imagerie révolutionnaire française qui est à leur fondement, mais que la Belgique avait occultée.

L'IMAGINAIRE POLITIQUE

Ainsi, la robustesse de ces principes, qui semblaient traverser l'Histoire et pouvoir la transcender, retourne à la vie séculière qui est faite de doute et d'espérance mais certainement plus d'absolu. La Belgique fut l'objet de grandes discussions et de luttes que nous avons pourtant oubliées tant il est vrai que le résultat final de ces débats semblait entériner une fois pour toutes le devenir de la Belgique.

L'héritage français

Ces orientations décisives de la Belgique remontent, pour la plupart, aux discussions du Congrès constituant de 1830-31 11. A l'époque, les constituants se sont inspirés largement de l'imagerie politique révolutionnaire française. D'ailleurs, ce qu'on appelle l'identité politique moderne se construit et s'instruit, pour la majorité des nations européennes, au contact des sources morales de la Révolution française qui ont fondé les grands principes de la modernité politique. Ainsi par exemple de la séparation de l'Église et de l'État. Mais l'expression révolutionnaire fut ressentie, dans l'Europe encore largement d'ancien régime, comme un bouleversement d'une violence inouïe.

Volonté d'indépendance belge: rejet du souvenir

Aussi, si la Révolution française fait partie intégrante de notre imaginaire politique, en Belgique, ce souvenir fait l'objet d'un rejet, d'une dénégation particulièrement appuyée dans les discours de l'époque. La Révolution française sert de point de départ où se révèle une nation mais un point de départ vis-à-vis duquel cette nation ne cessera de prendre de la distance. Les constituants de la future nation belge cherchaient à gagner une indépendance politique vis-à-vis de la France, mais également des autres nations. D'autant que les références trop explicitement françaises auraient été mal accueillies par les grandes puissances européennes, fort attentives à l'évolution de la Belgique dont ils pensaient avoir scellé définitivement le sort en 1815 par le traité de Vienne. Celui-ci retirait à la France métropolitaine le seul territoire qu'elle avait annexé dès les premières campagnes révolutionnaires (1795).

Mais, en 1830, la Belgique est révolutionnaire, presque malgré elle dirions-nous 12 Cette situation a posé d'énormes difficultés aux constituants. Les forces catholiques et libérales chargées de la tâche d'édifier une nation ne sont pas prêtes à assumer une révolution dont l'exemple français proclamait trop haut, trop fort pour tout individu ces grandes valeurs inapplicables: Liberté, Égalité, Fraternité. Celles-ci trouvaient, en effet, difficilement à s'exprimer dans une société fort inégalitaire. Et on préféra réanimer les vieux privilèges locaux et féodaux où l'on espérait déceler les idées de liberté et de progrès qui n'auraient plus à se réfléchir dans un souvenir révolutionnaire gênant: la liberté n'étant plus associée à la révolte contre le pouvoir et le progrès n'étant plus associé nécessairement à l'égalité entre les hommes. Cette démarche de retour vers le passé permettait, par la même occasion, de justifier l'existence d'une Belgique ancestrale qui ne devait plus rien à ses voisins étrangers auxquels on reprochait les occupations successives.

La construction de ce contrepoids symbolique au souvenir révolutionnaire répond donc au besoin de la Belgique d'effacer une filiation française, idéologique et structurelle par trop apparente: l'aspect séculier du pouvoir, la centralisation administrative, le territoire national, le constitutionnalisme, l'idée du pouvoir et de son exercice et certainement aussi l'adoption de la langue française comme langue nationale. Toutes ces notions sont en droite ligne le fait de l'influence française.

La peur sociale

L'autre aspect des réticences des constituants à l'égard du souvenir révolutionnaire est surtout fondé sur la peur des révolutions sociales qui renversent l'ordre établi. Les constituants mettent en évidence la violence de ces révoltes pour souligner plus distinctement encore la vélocité incontrôlée du changement révolutionnaire, ce qui va à l'encontre de la stabilité recherchée par les responsables politiques. La révolution de 1793, le spectre de Robespierre et des Jacobins, le renversement de la monarchie de droit divin, tous ces éléments ont conduit les constituants à repenser le pouvoir de manière plus souple afin que ne se répètent pas ces événements dans une société qui, à bien des égards, était elle-même relativement bloquée socialement: «L'imagerie révolutionnaire au Congrès révèle déjà les caractères qui seront dominants dans les discours historiographiques belge, comme la crainte de l'intervention étrangère, fut-elle libératrice; la peur de la Terreur qui découlerait de l'organisation autonome des forces populaires; le rejet d'une monarchie de droit divin; la comparaison sans cesse répétée entre 1789 et 1793, pan sublime et pan obscur de l'histoire; et la difficulté d'intégrer les notions de liberté et d'égalité dans une société politique qui demeure très hiérarchisée et inégalitaire dans sa gestion et ses ambitions économiques. » 13

Les valeurs de l'État belge

Ces caractères dominants de l'historiographie belge auront une importance cruciale pour la construction du modèle symbolique belge. L'Etat, qui fait de la laïcité, du centralisme et de l'industrialisation les grands repères de son action politique, conduira pendant un siècle une lutte contre le souvenir révolutionnaire. L'unité symbolique de la Belgique devait être un contre-modèle au message révolutionnaire dont on craignait qu'il réanime les troubles sociaux et politiques tant redoutés.

Cependant, les ambiguïtés et les contradictions de l'identité belge seront bientôt rattrapées par les critiques de plus en plus difficiles à contenir de la société civile. Car, si cette hargne à rejeter du discours belgicain toutes références françaises et même révolutionnaires, a pu stabiliser un cadre politique commun, progressivement, les mouvements flamands et wallons viendront perturber l'équilibrage des différentes valeurs de la nation: le centralisme, la laïcité et l'industrialisation, pour qui le pouvoir politique s'était renforcé dans une structure très hiérarchisée, seront donc peu à peu détrônées, malgré les tentatives d'assouplissement, par le principe révolutionnaire et constitutionnel du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, par l'idée de citoyenneté et d'égalité à laquelle la Belgique peine à donner un sens.

LES MOUVEMENTS WALLON ET FLAMAND

Mais le grand vecteur de l'unité nationale devait être la suprématie du français. Celui-ci restera longtemps l'outil de convergence le plus puissant et, peut-être, le seul capable d'empêcher l'expression de divergences. Rappelons-nous la première articulation du concept de nation défini par de R. Devleeshouwer: «un cadre politique commun qui impose des comporte­ments identiques aux hommes qui relèvent d'un même pouvoir». A quelle autre impulsion plus centralisante que la langue peut-on en appeler pour remplir ce rôle? À aucune!

Dés lors, le premier qui est parvenu à s'extirper de ce moule unitariste, c'est le mouvement flamand. Il émerge dans un contexte relativement favorable à l'affirmation des nations et des peuples. Le 19° siècle européen, en effet, est traversé par la vague romantique où le ferment national trouve auprès des écrivains un relais splendide, plein de candeur et d'espérance. Le romantisme allemand des débuts du 19° siècle, la philosophie historiciste de Herder, la réintroduction de la nature et du sensible par des auteurs tels que Schelling et Novalis apporteront un nouvel élan dans la réflexion, porteur de nouvelles significations qui seront une alternative à la vision du monde trop rationaliste des Lumières. Cette sensibilité inspirera sans doute par la suite un Henri Conscience qui revendiquera la reconnaissance de la Flandre dans un esprit où cette affirmation se colorait d'abord d'une idée culturelle, ensuite d'une volonté progressiste de reconnaître un peuple (l'idée de Volksgeist) au travers de sa langue. Mais il gardait toutefois l'espoir et la certitude que cela ne contrevenait pas au modèle belge, facilité en cela, pensons-nous, par la vocation même de la Belgique, fort peu préoccupée, comme nous l'avons vu, de l'historicité mais où le tropisme industriel et la réussite capitaliste dominaient.

Par contre, le mouvement wallon apparaît plus tardivement et sous les traits d'une réaction au mouvement flamand. Du moins, lorsqu'on se braque assez vite sur l'idée d'un conflit communautaire entre Wallons et Flamands, est-on conduit à conclure de la sorte. Car, si les premiers faits saillants du mouvement wallon, sont effectivement une défense acharnée de la langue française, il ne faut pas perdre de vue que les militants wallons restaient en cela fort proches de l'esprit de la constitution de 1831 à laquelle ils avaient attaché leur sort de Belges.

Le français jouait un rôle centralisateur mais, ne l'oublions pas, jouait aussi un rôle émancipateur par rapport à la domination néerlandaise. La montée du mouvement flamand et la revendication d'un bilinguisme unilatéral sur le territoire belge (à noter qu'il n'existait pas avant 1932 de frontière linguistique), semblaient donc constituer une menace pour des francophones aux yeux desquels ce bilinguisme était impensable et constituait même une menace discriminatoire dans des régions où l'implantation du français n'était elle-même pas totalement réalisée.

Pourtant, on continue d'associer non seulement la genèse mais aussi, et c'est plus important, la raison d'être du mouvement wallon à une réaction au mouvement flamand. D'ailleurs, on reproche aux Wallons de chercher à préserver leur intérêts avant tout (voir «Le manifeste francophonee»). Or, ces militants wallons ne faisaient que défendre l'idée d'une Belgique francophone.

La conclusion que l'on en tire montre un mouvement wallon qui s'est très mal accommodé des revendications flamandes. Cette affirmation est d'autant plus soulignée que les critiques formulées à l'encontre de la Flandre étaient particulièrement stigmatisantes et insultantes dans le chef du mouvement wallon. Certains intellectuels wallons parlaient, en effet, du flamand comme d'une langue de cul terreux. 14

Mais serions-nous plus circonspects si, à la même époque, ces mêmes militants wallons avaient parlé en ces termes des patois wallons? L'accession du flamand au statut de langue était, à leurs yeux, aussi saugrenue que pour les dialectes wallons. Le français, ne l'oublions pas, fut bel et bien imposé aux populations wallonnes. Et l'image d'universalité prêtée au français a contribué au renforcement des pressions à l'unité belge et au rejet de tout ce qui, à l'aune de cette universalité française, constituait une régression culturelle, en ce compris, surtout, la défense d'une culture flamande et par après, avec plus de force encore, lorsqu'une idée culturelle de la Wallonie fut développée.

Y A-T-IL UN CLIVAGE COMMUNAUTAIRE?

Dès lors on peut se demander si ces premiers militants wallons ne sont pas semblables au «front francophone» et au combat que ce «front» mena durant la crise des années soixante où la séparation de l'université de Louvain fut considérée par ce «front» 15 comme une atteinte à l'intégrité d'une institution qui, catholique et francophone, était l'expression de l'universel?

On peut se demander, en effet, si la thèse classique du clivage communautaire a encore une signification. Il est en fait très peu de situations où un clivage apparaît entre Wallons et Flamands. Par rapport aux autres clivages traditionnels (le clivage social entre dominants et dominés et celui de la sécularisation de l'État opposant catholiques et laÏques), dont la lecture se fait verticalement sur un même espace, l'hypothétique clivage «affectif» 16 entre Wallons et Flamands n'a, lui, aucun espace de confrontation. Si l'on veut, du fait que les territoires flamand et wallon sont mieux définis, on retrouve très peu de situations où la confrontation puisse avoir lieu. Le seul lieu d'ailleurs, c'est l'État belge. C'est pourquoi, le mouvement wallon dénoncera en 1945 une société politique qui, ne voulant pas reconnaître une différence de fait, a entraîné un déséquilibre politique en faveur de la Flandre. Ainsi, dans le rapport de Schreurs au Congrès, s'il est fait état de griefs directs à l'encontre des Flamands, on ne perd pas de vue que ceux-ci se révèlent essentiellement dans le cadre politique belge et que l'aveuglement de celui-ci à reconnaître une différence entre les deux communautés conduit à attiser un rejet de l'autre: les Flamands lorsqu'ils parlent de «Walen (buiten)» à Louvain, les Wallons de «Flamands (collabos)» au Congrès. Mais ce qu'ils désignent tous les deux, ce n'est pas une rancoeur entre communautés, mais une structure politique belge incapable d'intégrer une demande de reconnaissance des deux peuples.

LE PEUPLE INTROUVABLE

Dans les statistiques en sciences sociales, lorsqu'un nuage de points ne permet pas de tirer des observations claires, on utilise une opération logarithmique qui généralement apporte de nombreux éclaircissements. En grossissant mille fois les observations, il se dégage peu à peu du nuage des renseignements qu'on n'apercevait pas auparavant et qui se révèlent importants parce qu'ils permettent une interprétation.

Dans le cours de l'histoire, ces modifications «scientifiques» ne se commandent pas. Les sociétés civiles ne parlent que très peu, ce qui amène un auteur comme Rosanvallon à titrer son dernier livre en une formule fort signifiante et fort provocante, «le peuple introuvable» 17. Mais si le peuple est introuvable, comme le laisse entendre Rosanvallon, cela devrait nous conduire, dans nos sociétés de l'information, à nous interroger sur les différentes manières d'approcher les notions de représentativité et de légitimité. Nos responsables politiques, à qui ces notions sont chères, sont, d'ailleurs, continuellement occupés et, de plus en plus aveuglément, par les sondages notamment, à s'assurer de ce que pense l'opinion publique.

Nous pensons qu'il serait plus pertinent de s'interroger sur les situations où la société se révèle à elle-même, où elle parle. Pour la Belgique, outre la marche blanche qui reste le fait marquant de ces dernières années, la Question royale, la grève générale de 1960, la crise de Louvain et bien entendu la seconde guerre mondiale, ces grandes dates montrent toutes ce qu'est la société belge et les problèmes qu'elle doit résoudre impérativement.

Ainsi, le sens de la nation, de la citoyenneté, le sens d'une constitution qui paraît immuable, le catéchisme clérical de la durée, la figure royale paternelle et conciliante, le parlementarisme belge divisé par la lecture communautaire, toutes ces notions dont nous avons vu qu'elles sont au principe de l'existence de la Belgique, subissent à partir de cette période d'après-guerre les critiques répétées des militants wallons délivrés progressivement de cette pression à l'unité qui portait toute la société wallonne vers le dénigrement de soi. Si la Belgique a résisté dans les différentes péripéties politiques qui l'ont malmenée, les divergences ont pris me semble-t-il un tournant décisif, irrévocable après la Seconde Guerre mondiale. C'est en cela que le Congrès a une importance, parce qu'il trace autour des valeurs qu'il reconstruit le chemin de la démocratie.

LA PIÈCE

Au cours de nos réflexions, les mots ont cheminé sur l'histoire du pays wallon, sur les strates successives du souvenir qui l'habitent, sur les traces éparpillées de la mémoire et du symbole. Nous voulions construire peu à peu un regard historiographique sur le Congrès. C'est un chemin vers la généralisation qui tente d'expliciter la possibilité historique offerte au Congrès d'affirmer la Wallonie. Ce travail de reconstruction historique nous l'avons entrepris au risque, peut-être, de donner une interprétation osée, ne fut-ce que par trop interprétative ou trop généralisante. Mais ce point de vue était apparu fondamental à développer.

En 1995, j'ai assisté à la première au Théâtre de la Place à Liège. Je fus fort impressionné par la pièce. Jean Louvet me dit qu'il était heureux que des jeunes assistent à la représentation. Il était important de perpétuer la mémoire, de l'instruire à travers le souvenir, au contact d'un monde dont le vécu pouvait à nouveau s'exprimer, se dire, se raconter.

La pièce n'est pas commémorative, elle a une destinée, les gens qui y parlent ne veulent absolument pas mourir dans les dates. Les scènes se succèdent, les gens parlent, les messages d'un peuple se révèlent et, toute la pièce semble dire: ne laissez pas ces mots se retourner contre nous, ce message est espoir et volonté de changement, d'ouverture et de reconstruction. Il faut lire attentivement la pièce.

D'aucuns disaient, pourtant, à l'époque, que la pièce donnait une image nationaliste et apologétique du Congrès. Elle est au contraire une sanction, une critique et une mise en garde pour le mouvement wallon. C'est une leçon à tirer. Le Congrès s'évanouit bien souvent dans la pièce. Ce sont les remarques glissées ici ou là, les réactions aux débats, les tableaux historiques qui donnent les clés de lecture.

La pièce a son actualité. Elle est actualité. Elle raconte un monde vécu et à venir, en cela, la pièce est métacommunicative. Autour du Congrès, elle construit des ponts qui font le lien entre l'histoire du passé et l'histoire à venir. Elle fait vivre un monde dans lequel le Congrès n'est qu'une date, une étape à franchir. Mais une étape à réfléchir aussi, un moment à comprendre, à intégrer et sur lequel il ne faut pas se figer.

L'effondrement d'un monde

Le Congrès est une tentative de synthèse. Il argumente, il donne des raisons, il s'évertue à construire une expression wallonne et tente de l'articuler dans un projet politique. Mais il ne peut le faire ainsi, in abstracto. Si le Congrès prend la «liberté» de donner une expression politique à la Wallonie, c'est parce qu'il y a une société derrière qui lui parle. Le Congrès lui est redevable.

En 1945, la société belge est bloquée. La relation de vie commune meurt et la Belgique n'est plus ce qu'elle dit être. Le roi, symbole du pouvoir et de l'unité est en plein discrédit, l'économie wallonne est en déclin 18 et le territoire est détruit par la guerre. Tout un modèle symbolique s'effondre. L'unité s'efface, et la crise identitaire prend place. Les figures de l'identité belge (la constitution, le Roi), les trois piliers (centralisation, laïcité, industrialisation) de la Belgique sont en désuétude et sur le point de mourir. Ce climat de crise génère une situation anomique.

La honte

La première figure vacillante de ce monde , c'est le Père. Honteux, l'honneur perdu, l'autorité délaissée, l'impossibilité sous la Belgique de se dire autrement que dans la défaite et la reddition, tout cela le père le lit dans les yeux de son enfant ( voir scène 7). Cette guerre abandonnée, la reddition de Léopold, l'exode, les camps de prisonniers wallons, le retour chez eux des soldats flamands, la neutralité, la collaboration, ces éléments ont miné l'identité. L'autorité paternelle vacille avec la faillite de la Belgique. Il y a une partie de l'identité belge qu'on n'arrive pas à assumer parce qu'une fracture s'est imposée. Les événements se lisent différemment.

Le roi

De Gaulle vient prendre la place de Léopold. Le premier s'est mis au service de la patrie, de la nation. Il n'abandonne pas la lutte. Il est signe d'espoir et non de défaite. Léopold qui devait être le défenseur de l'unité belge, s'est illustré comme chef de l'Etat par une politique ambiguë qui est apparue plus lâche que courageuse. L'Etat vacille.

L'économie

Le déclin de la Wallonie est de plus en plus évident. Même si l'activité industrielle reste le fleuron de la Wallonie, sa fierté, dans le discours F. Schreurs, il y a l'inquiétude que l'économie wallonne soit abandonnée par la Belgique. Les Flamands se sont déjà organisés économiquement par le VEV (patronat flamand). Les investissements tardent à venir en Wallonie. Le travail va peu à peu se dégrader, les emplois se réduire. Le monde du travail auquel l'homme se rattache pour la construction de son identité s'effrite à partir de la second moitié de ce siècle.

C'est bien un monde de symboles qui s'effondre après la seconde guerre mondiale. L'unité symbolique de ces figures se détériore et le modèle culturel se décompose: le père et son autorité, la monarchie qui est allée contre la démocratie, l'économie wallonne étouffée par la Belgique.

L'espace/ le temps

La Wallonie est meurtrie par la guerre. Les fermes, les champs, les industries, tout témoigne que la région est délaissée à l'intérieur du pays. Ce sentiment traverse les esprits. Autrefois le poumon de la Belgique, la Wallonie est, aujourd'hui, abandonnée, laissée à sa mort. Dans les différentes cicatrices du paysages, une terre se désigne, un peuple se reconnaît, un projet veut voir le jour. Dans le pays en ruine, subsiste l'espérance qu'une ère nouvelle s'annonce pour la région. Comme le dit Dehousse, que le pays de Liège et de la Wallonie renouent avec les traditions d'une Terre de Liberté 19. ­­

La pièce ne justifie pas le Congrès. Elle pourrait apporter une légitimation populaire, mais elle ne le fait pas. La pièce exhorte, au contraire, le Congrès à prendre des décisions et lui rappelle que c'est le peuple l'artisan de la démocratie, le peuple qui mène la lutte pour la démocratie. 1886, 1950, 1960 ce sont les dates où le peuple se soulève, où il prend en main ce projet démocratique.

Il y a l'espérance, dans le mouvement populaire, de reconstruire une démocratie où l'individu existe en tant que citoyen, où l'identité trouve à s'articuler dans un projet sociétal qui rétablira la dignité des hommes, dans la relation au travail, dans la relation au pouvoir, dans la relation aux autres, du cercle familial à la communauté nationale, dans toutes les interrelations qui peuvent unir les personnes entre elles, gagner la fierté sur la honte, la solidarité sur la suspicion, l'entraide sur l'intérêt personnel: gagner la souveraineté.

Suite de la pièce : Le Coup de semonce

  1. 1. Ph. Raxhon, La mémoire de la Révolution française , entre Liège et Wallonie, Editions Labor, Bruxelles, 1996.
  2. 2. Voir Philippe Raxhon, Histoire du Congrès wallon. Un avenir politique pour la Wallonie ? Ed. Institut Jules Destrée, Charleroi, 1995. La faiblesse du Congrès tient à la question irrésolue de sa représentativité et de sa légitimité
  3. 3. Op. cit., p.11.
  4. 4. Velaers et Van Goethem, Leopold III. De Koning. Het Land. De Oorlog, Lanoo Tielt, 1994, font voir de mai à juillet 1445, les hommes politiques venant avettir le toi de cette insurrection inévtable qui aura lieu cinq ans plus tard.
  5. 5. On retrouve des pratiques de la Résistance en 1950, comme les sabotages à l'explosif.
  6. 6. Ph Raxhon, Histoire du Congrès wallon, op. cit., p. 11.
  7. 7. Fernand Dehousse rappelle cette pression internationale au Congrès. il exhorte les congressistes à ne pas prendre une position lourde de conséquences
  8. 8. Entretien avec l'historien R.Devleeshouwer, Quelques questions sur l'histoire de Belgique, in Critique politique, n° 2, 1979.
  9. 9. Voir sur les situations paradoxales, La logique de la Communication de P. Watzlawick.
  10. 10. Voir également à ce sujet Velaers et Van Goethem, moins soucoeux de rendre conciliables point de vue royal et gouvernemental à l'instar de Jean Stengers
  11. 11. Ph. Raxhon, La mémoire de la Révolution française, op. cit. Il part précisément de ces discussions pour mener sa recherche
  12. 12. M.Bologne dans L'insurrection prolétrienne de 1830 en Belgique, in Critique politique, n° 9, 1981, a montré que la bourgeoisie qui sortira victorieuse de ces événement a longuement hésité à prendre le parti de la révolution.
  13. 13. Ph. Rxhon, La mémoire de la Révolution française, op. cit., p. 18.
  14. 14. Raxhon, Le Congrès ntaional wallon, op. cit.,p. 15.
  15. 15. Il ne s'agit pas d'un front en tant que tel. Mais l'esprit francophone était bien présent, notamment dans La Libre Belgique de ces années-là.
  16. 16. Ce terme d' « affectif » est celui utilisé par les auteurs de La décision politique en Belgique, Crisp, Bruxelles, 1965.
  17. 17. P.Rosanvallon, Le peuple introuvable, Ed. Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, Paris, 1998.
  18. 18. Marc Delforge, A la recherche de l'opinion wallonne in La Revue nouvelle, novembre 1945, se fait l'écho des inquiétudes wallonnes sur ce point comme au Congrès lui-même le rapport de F.Schreurs.
  19. 19. Voir le discours de Fernand Dehousse, scène 21.