Serge Poliart, entre l'haine et trouille

Toudi mensuel n°58, juillet 2003

Le Musée des Beaux-Arts de Mons est en effervescence. Du 28 juin au 14 septembre, il accueille une exposition rétrospective de l’oeuvre de Serge Poliart. 151 oeuvres exactement, huiles, dessins, gravures, aquarelles, installations, d’un artiste singulier, élève du surréaliste Armand Simon, qui anime depuis belle lurette la vie de la cité du Doudou avec son mensuel anar el batia moûrt soû, journal jovial, crédule, saugrenu mais outrecuidant. Le titre est tiré d’une traduction du Bateau ivre de Rimbaud par E. Haucotte.

Le moins qu’on puisse écrire est que cette exposition décoiffe! Au milieu des verres de bière artisanale du vernissage, j’ai entendu un brave monsieur, se scandaliser: il est vrai que Poliart met les Gilles (de Binche, de Manage et d’ailleurs) , à toutes les sauces, que le sexe et la scatologie s’exposent tout nus, dans la lignée de Rabelais, apôtre naguère du torchecul; que l’anticléricalisme, et l’antipolitique s’exposent les fesses à l’air, et que, comme l’écrit Christine Béchet dans le livre consacré à Serge Poliart, l’univers de Poliart se résume dans une peinture simple de la vie vue dans ses gestes quotidiens généralement tus et toutefois bien universels!

Aussi, au-delà du réel provincialisme des sujets de Gilles, les oeuvres de l’artiste cru parlent à quiconque. Certes l’on pourra critiquer, déceler dans cette dérision systématique du Gille, plus qu’une moquerie du folklore, une moquerie du peuple à l’envers, et dans la dérision anarchiste et tous azimuts, une sorte de démagogie irresponsable.

Peut-être...à quoi je répondrais que l’on ne satirise que ce que l’on aime. Ces Gilles-là sont la poésie ras-de-terre, prosaïque, d’un monde de turpitudes que Poliart n’a de cesse de vilipender. Et ces gens très particuliers qu’il croque, ce sont les gens de partout, nous autres comme vous autres et comme eux! Ce qu’il dénonce surtout c’est l’entre-haine-et-trouille! Il est vrai qu’il habite à Ville-sur-Haine! Cette mesquinerie, méchanceté, ragoteuse, quotidienne, nourrie d’envie, et de peurs, qui empoisse les relations humaines dans beaucoup de quartiers et de villages, et ce qu’il chante c’est l’amitié, la nouba, la danse, la fête, de tous ces gens délabrés, délaissés qui n’ont que «ça» pour survivre, un peu d’ivresse, un peu de rêve pour survivre au milieu des corps découpés, des viols, des concussions.Univers très dur...

Poliart s’inscrit évidemment dans une tradition, mi-expressionniste, mi-surréaliste, qui surgit dans ces fameuses années 70, comme tant d’autres expressions dans tous les arts en Wallonie (souvenons-nous, de Maka à Beaucarne, du Manifeste pour la Culture wallonne aux chanteurs, aux dessinateurs, aux écrivains et poètes, décennie bouillonnante s’il en fut!). Du surréalisme hainuyer,l’esprit de dérision à tout-va; de l’expressionnisme une crudité dans le dessin et les couleurs. Tellement crue que l’humour et la poésie sont proches, non un humour frelaté, ni une poésie joliette, un humour bandant et une poésie roborative!

Une monographie dirigée par Christine Béchet et à laquelle collaborent plusieurs auteurs, est éditée à l’occasion de l’exposition, 36 Euros l’exemplaire mais il est possible de se procurer des éditions numérotées enrichies de gravures originales de l’artiste.Bref, une expo à ne pas manquer, et un petit voyage à se payer vers le Musée des Beaux-Arts de Mons !