Les articles de C. Kesteloot dans l'Encyclopédie du mouvement wallon

Toudi mensuel n°54-55, avril-mai 2003

Nous avons observé les récurrences sémantiques des articles rédigés par Chantal Kesteloot dans l'Encyclopédie du mouvement wallon. L'auteure se limite quasiment (en près de 40 articles ou notices !) à la description de l'échec de militants et à la mort d'organisations.

Le Congrès wallon de 1890 fait preuve de «paternalisme bourgeois » vis-à-vis des populations flamandes « auxquelles seule la langue française peut permettre de sortir de l'obscurantisme du Moyen-Âge » (p.351). Après qu'il ait été question des Congrès wallons de 1891, 1892 et 1893 (où la tendance est à la défense de la langue française, moins de la Wallonie), l'historienne conclut à «l'échec de ces congrès » (p.354).

Les Amitiés françaises en Flandre sont «condamnées à disparaître ». (p.45) L'association wallonne du personnel de l'État « n'est pas parvenue à rallier la masse des agents de l'État » (p.84). À propos d'Albert Wayens, il est question de «l'existence éphémère » du Front commun des Groupements wallons et francophones de Bruxelles (p.1671) et du fait que cette personne se replie à Hastière où elle n'exprime plus son amour de la Wallonie que par des notes d'histoire locale. Le Cercle des étudiants de l'ULB « connaît de 1950 à 1953 sa dernière période faste » (p.246). Le Cercle liégeois Wallonia de Bruxelles est un cercle « dont la présidente Marie Gérard ne peut que baisser le rideau . En octobre 1988. » (p.250). Le Cercle Verviétois de Bruxelles « cesse ses activités dans le courant des années 80 » (p.250). Du Cercle wallon d'Anderlecht on doit dire qu'il «disparaît à la veille de la Seconde guerre mondiale » (p.250). Pour le Cercle wallon de Laeken, nous apprenons qu'« Après la seconde guerre mondiale, [il] périclite..."(p.251). La Société de propagande wallonne ? « En 1900 [elle a] définitivement disparu ». À l'article Fédération des sociétés wallonnes de l'arrondissement de Bruxelles, le titre du dernier paragraphe est « La dissolution est le dernier avatar de la Fédération » (p. 613). Pour ce qui est des Galas du Folklore wallon est noté leur « irréversible déclin ». La notice sur la Garde wallonne de Bruxelles se termine par « Dès lors le groupement disparaît » (en 1939, mais l'auteure signale que ses membres vont s'engager dans la Résistance). La Jeune garde wallonne est un «éphémère groupement [...] un succédané » et qui a droit à la nécrologie habituelle : « il disparaît complètement ». La Ligue wallonne de Bruxelles-ouest « décline dès la seconde moitié des années trente » (p.1004). La Ligue wallonne de Forest, «vivote encore quelques années après la seconde guerre mondiale » (p. 1011). La Ligue wallonne de Saint-Gilles « ne joue qu'un rôle insignifiant ... [et] disparaît dans le courant des années 60 ». Quant à la Ligue wallonne de Schaerbeek sa disparition « révèle l'incapacité de développer dans une commune de l'importance de Schaaerbeek (...) une véritable ligue wallonne... » et on signale au passage l'attitude ambiguë d'un de ses dirigeants pendant la guerre (p.2004). La Ligue wallonne de Woluwe Saint-Lambert « se saborde au profit de la section locale du FDF ». La Ligue wallonne du Brabant «sombre dans l'anonymat le plus total (...) [et] ne paraît pas avoir eu une longue existence » etc.

Cependant il y a l'Association wallonne de la Woluwe mais c'est l'exception qui confirme la règle : « contrairement à la plupart des groupements de Bruxelles, l'Association wallonne de la Woluwe n'a pas disparu dans le courant des années 60. Elle demeure bien vivante... » (p.81). Notons aussi que JF Potelle qui ne partage pas nécessairement les vues pessimistes de C.Kesteloot souligne qu'en 1997, 15 associations sont encore regroupées au sein de l'Union Générale des Wallons de Bruxelles (p.1566).

Quant aux quelques militants wallons dont l'historienne trace le portrait, elle insiste chaque fois (Paul Brien, Albert Wayens, Henri Putanier... par exemple), sur le fait, soit qu'ils ne sont pas vraiment des militants wallons, soit que leur action se termine par un échec.

Cette petite quarantaine de textes, souvent brefs ne diffèrent pas du regard porté par l'historienne sur le mouvement wallon. Ils soulignent échecs et dissolutions : depuis les Congrès wallons plutôt francophones de la fin du 19e siècle jusqu'au Mouvement Populaire Wallon des années 60.. L'analyse des textes de cette spécialiste (de la Wallonie...), laisse transparaître l'espoir dont on finit par penser que se nourrit son activité : voir disparaître l'objet de ses recherches. À la manière de ces ligues, gardes, associations sociétés wallonnes à Bruxelles dont elle retrace la mort - qui n'est pourtant qu'une mutation logique - avec une complaisance que met en évidence le vocabulaire (« périclite », « déclin irréversible », « sonne le glas », « baisser de rideau » « échec », « insignifiance », « sombre » etc.). Voilà qui ruine la crédibilité d'un travail, bien plus finalement qu'un parti pris favorable. Car l'étude d'une question, d'un pays surtout, vous amène normalement à l'aimer, ce qui n'empêche pas l'esprit critique. Cet esprit critique suppose même une forme d'adhésion en raison de la nécessité pour un chercheur de porter de l'intérêt à l'objet qu'il étudie. L'intérêt existe ici mais en sens contraire : pour minimiser et nier.

On veut bien admettre que l'historiographie wallonne, dans l'enthousiasme de son commencement, disant, trouvant, illustrant des faits longtemps occultés et niés contre toute raison, se laisse parfois aller à une vision trop positive de la Wallonie. Mais l'agressivité critique dont fait preuve Chantal Kesteloot aurait bien d'autres champs d'action où elle serait nécessaire et où aucune voix critique ne se fait pourtant entendre.

Qui par exemple a lu le dernier Jean Stengers avec les critiques et la mise en évidence de véritables bourdes qu'il aurait fallu dénoncer ? Qui critique les sottises d'Astrid von Busekist (se réclamant d'un certain patronage de Claude Javeau) ? Qui incite à la recherche sur les liens entre les Congrès nationaux de 1945 et après et les événements de juillet 1950 ? Qui relit la prose historique nationale d'un œil critique, par exemple dans nos quotidiens ? Ainsi de M. Vandenwÿngaert, L. Beullens, D. Brants sur la monarchie comme l'a fait Daniel Olivier ? Si cela n'est pas fait, ces auteurs pourront continer à ronronner...

Qui tient vraiment compte des leçons de Pierre Lebrun sur notre histoire économique ? Où voit-on posé la question de la censure qui a souvent paralysé en Wallonie ? La censure directe comme celle subie par Élie Bausart ? La censure indirecte ou l'autocensure de tant de manuels (en français ou en histoire) défigurant la Wallonie ou l'ignorant ? Pourquoi l'histoire de la Résistance n'a-t-elle jamais fait l'objet d'une véritable synthèse ? Pourquoi ne répercute-t-on pas sassez dans le champ historiographique les analyses de Jean Puissant ou les hypothèses de Bernard Francq en ce qui concerne le mouvement ouvrier ? Pourquoi ce manque d'analyse des événements de juillet 50, surtout étudiés par des historiens flamands ? Comment se fait-il que l'étude des pratiques linguistiques effectives en Wallonie n'en est encore nulle part ? Et les champs d'investigation inexplorés quand commencera-t-on à les investir ? Le comportement des troupes durant la campagne des 18 jours ? Celui des prisonniers de guerre ? Et enfin, centralement, qui s'interroge globalement sur les deux Guerres et la Wallonie?

On est l'ennemi de la Wallonie si l'on manque d'esprit critique par amour.. Mais la menace d'aveuglement vient souvent (comme ici) de sentiments opposés: haine ou, plutôt, ressentiment.