Espace wallon espace européen

Toudi mensuel n°4-5, juin-juillet 1997
29 December, 2008

(In TOUDI annuel 1992, revu pour TOUDI mensuel, juin 1997)

Parce qu'il devient à la mode, le mot espace1 est utilisé par plusieurs disciplines, l'économie, la politique, la sociologie, la psychologie, la géographie, l'histoire, etc. dans des sens différents mais qui se recoupent ou se chevauchent. C'est l'intérêt de cette approche parce qu'elle devient pluridisciplinaire. Fini de croire aux théories économiques qui ne connaîtraient qu'une juxtaposition "d'homo economicus" uniformes et sans comportements collectifs. Fini aussi d'une idéalisation des pouvoirs de l'Etat comme s'ils n'étaient pas soumis aux pressions des grands intérêts économiques et financiers. Fini d'une sociologie qui ne tiendrait pas compte des influences des institutions sur les comportements. En termes économiques, l'espace-localisation se ramène au coût de transport, en termes sociaux au temps et au coût des déplacements (navettes par exemple) et en termes politiques, à une situation par rapport aux voisins: une Wallonie, supposée identique, ne se trouverait pas dans les mêmes conditions si elle se trouvait "localisée" entre l'Espagne et l'Italie plutôt qu'entre la France et l'Allemagne.

L'espace-territoire, c'est l'occupation d'une surface. Occupation par un ensemble d'activités économiques industrielles, agricoles ou de services. Occupation par une (ou plusieurs) population. Occupation par un système politique organisé. Surface couverte par une identité sociale et culturelle. L'espace-territoire peut être une ville, une région, à la limite un Etat.

L'espace-système suppose un ensemble inscrit dans l'histoire et dans la durée. La notion d'espace-système implique à la fois un ensemble de relations économiques, ou politiques, ou sociales ou culturelles ordonnées, organisées. Parce qu'il y a organisation et implantation, non seulement dans des institutions, mais aussi dans des équipements, des machines, des bâtiments, des infrastructures de communication, etc, les changements sont lents et coûteux. Dès lors, ils ne s'opèrent que sous la nécessité soit à l'issue de conflits, soit par coopération face à une menace ou une pression extérieure. Lorsque le conflit a été destructeur - une guerre, une grève dure, une crise économique profonde, par exemple - les changements économiques, sociaux, politiques ou même culturels se font plus rapidement, plus profondément aussi. Cependant, cette approche reste assez mono-disciplinaire, en ce sens ue chaque disipline n'envisage que peu les interactions entre l'économique, le politique, le social et le culturel.

L'espace-dimension spatiale de la société totale, c'est le fait que les groupes humains s'organisent en entreprises, en Etats, en villes, en régions suivant leurs intérêts, sans doute, mais cela est une vue trop optimiste car les intérêts des groupes sociaux sont divers, différents et même divergents ou contradictoires. Ces organisations sont plutôt le résultat de conflits, de rapports de force mais aussi de contraintes économiques, institutionnelles, sociales, culturelles ou religieuses. Il s'agit donc d'organisations complexes, en perpétuelle transformation et mouvance. Parce que l'espace ainsi défini est une portion d'une société globale plus large, il englobe aussi les tendances, évolutions et contraintes de la société totale sur la portion spatialement définie qui est étudiée.

Ces quatre notions ne sont pas exclusives l'une de l'autre: elles embrassent des niveaux de plus en plus larges ou complexes d'une même réalité. L'espace-localisation par sa simplicité peut assez facilement être exploité tant comme théorie explicative que comme élément d'action. Mais les théories seront simplistes parce que la notion d'espace a elle-même été conçue comme une position, une localisation. Les politiques auront aussi très rapidement des limites, voire même des effets non-attendus parce que les autres aspects n'auront pas été pris en compte. L'espace-dimension spatiale de la société totale est intellectuellement séduisant, mais souvent peu opérationnel tant l'écheveau des relations et interrelations est multiple, complexe et interconnecté.

L'Etat-nation

L'Etat-nation a l'ambition et le projet d'être un espace unique: il fond en lui les quatre notions: localisation, territoire, système et société totale. Il se conçoit comme un tout fermé sur lui-même, le monde est une juxtaposition d'Etats-nations et les rapports sont nécessairement de type concurrentiel ou conflictuel. Même les alliances sont faites en réponse à des menaces ou à d'autres alliances. Les barrières entre Etats-nations sont à la fois politiques, économiques, sociales et culturelles. L'enseignement de l'histoire est égocentrique, la formation culturelle est égocentrique, les rapports sociaux ramènent au centre, le pouvoir politique est centralisé. Les "espaces" régionaux ou locaux, s'ils existent, ne sont conçus que comme relais du seul espace national.

Les Etats-nations sont une construction du 18e siècle trouvant sa concrétisation au 19è siècle et son apogée au début du 20e siècle. Dans la période jusqu'en 1945, la France, l'Allemagne, la Belgique en sont des exemples proches et affirmés. L'Allemagne hitlérienne a poussé le nationalisme jusqu'au racisme. Les pays anglo-saxons ont moins affirmé cette structure, par contre elle est manifeste au Japon. Les Etats-nations sont aujourd'hui, surtout en Europe, pris dans une double évolution: destructuration et recomposition. Les Etats-Nations, sans doute parce qu'ils sont totalisateurs des pouvoirs et de la société, sans doute parce qu'ils sont nécessairement concurrents entre eux, deviennent expansionnistes: l'histoire le montre. Cet expansionnisme prend différentes formes selon l'époque: comptoirs commerciaux, colonies, gendarme du monde. Les Etats-Nations sont aujourd'hui, surtout en Europe, pris dans une double évolution: déstructuration et recomposition

Déstructuration

L'internationalisation des marchés et des firmes, la création du Marché commun, l'interdépendance croissante des économies ont fait éclater la quasi autarcie des Etats-nations. L'affirmation des identités régionales, même si elles participent à une même culture, la complexité d'une gestion politique centralisée dans une société où les classes et les intérêts sociaux se diversifient, l'influence du dynamisme de modèles politiques non centralisés (la Suisse, les USA) font éclater l'espace-territoire national en espaces-territoires régionaux et tend à donner plus d'autonomie aux espaces-territoires locaux.

Le développement du tourisme, les échanges scientifiques et culturels, la marchandisation de la culture par la radio, la télévision, le disque ou la cassette a fait prendre conscience d'autres cultures. Parallèlement, dans beaucoup de pays, ici en particulier, l'affaiblissement du sentiment religieux et la présence d'étrangers porteurs d'autres cultures ont contribué à dénier à l'Etat-nation le rôle de porteur ou de représentant d'une culture: même si elle reste homogène, son garant et son protecteur n'est plus l'Etat, ce sont les citoyens eux-mêmes et les initiatives qu'ils impulsent.

C'est au plan social que les cohésions restent les plus fortes. Les organisations professionnelles, syndicales, agricoles, de classes moyennes, de professions libérales sont toujours de caractère national, même dans les pays à structure fédérale. Le plus souvent aussi les partis politiques conservent une structure nationale.

Recomposition

Si l'Etat-nation se déstructure, l'Etat se recompose aussi car la société "a horreur du vide". Chaque étape de déstructuration s'accompagne d'une recomposition. Si des pouvoirs ou des institutions sont attribués à un espace-régional, l'espace-Etat s'enrichit de nouvelles fonctions: coordination, contrôle ou concertation des régions. Si des compétences passent à un niveau supra-national, les Etats prennent le rôle de gestionnaires suprêmes de ces compétences (l'OTAN, la Communauté européenne, l'UEO, les organisations dépendant des Nations-Unies, par exemple).

A partir du moment où la guerre est bannie ou si, d'une certaine manière, toute occupation armée d'un autre territoire national est contrecarrée par une opération, même à caractère militaire, par les autres Etats agissant de concert ou sous le couvert des Nations-Unies, les frontières deviennent immuables et l'Etat se perpétue comme institution. Ce n'est plus qu'exceptionnellement ou par une passivité des autres Etats qu'un Etat pourrait se voir amputer d'une partie notable de son territoire par un autre Etat. Même au sein de l'ancienne URSS, les limites des Républiques et des territoires autonomes deviennent des frontières intangibles.

Les frontières des anciennes colonies, tracées sans tenir compte des réalités sociales, culturelles, ethniques et même géographiques deviennent, elles aussi, intangibles. On est entré dans une phase de stabilité institutionnelle des Etats, car tout changement pourrait entraîner un écroulement du système entier, c'est ce que redoute chaque Etat et ce que craignent les autorités internationales. Rien n'interdit de penser qu'à l'avenir des recompositions d'Etats puissent se faire par adhésion de deux ou plusieurs Etats.

L'économie-monde

L'économie-monde capitaliste - ou économie de marché - constitue, en elle-même, un système. Elle se caractérise principalement par l'accumulation du capital et son pouvoir et par la polarisation des classes sociales dont la dualisation de la société est un aspect. Au cours des dernières décennies, le pouvoir financier domine; l'exploitation du travail, ici ou dans les pays du Tiers-monde, ne se fait plus par les capitalistes propriétaires et initiateurs d'entreprises industrielles, mais par les groupes financiers et bancaires au travers des prêts qu'ils accordent et de l'endettement qui s'ensuit.

Les Etats sont un des rouages de cette économie-monde. Ils jouent un rôle important dans le maintien de l'ordre social, mais surtout de l'ordre juridique. Le système d'économie de marché suppose, en effet, que deux pièces essentielles soient légitimées et garanties par les institutions publiques (la Constitution, les lois, le Parlement, le Gouvernement, la justice): la propriété d'une part, le contrat d'autre part. La propriété privée des personnes ou des sociétés commerciales est le droit "d'user et d'abuser" des choses qui peuvent être aussi diverses que des biens personnels, des équipements, des terres, des brevets, des produits, des marques.Le contrat est, en effet, l'acte essentiel qui permet au système de fonctionner: contrat de travail, contrat de vente, contrat d'achat, contrat de loyer, contrat de prêt, convention collective, etc.

Au-delà du maintien de l'ordre légal, juridique et social, le système économique attend aussi des Etats qu'ils jouent un rôle régulateur dans l'économie, qu'ils prennent en charge les dégâts sociaux (chômage, maladie professionnelle), les dégâts à l'environnement et un certain nombre de "services", principalement dans le domaine de la formation des infrastructures et des communications. En contre partie et selon son degré de civisme, le système capitaliste accepte de payer des impôts et des cotisations (jusqu'à un certain seuil) ; il accepte aussi un certain nombre de contrôles ou de règles économiques ayant comme finalité d'éviter des concurrences déloyales ou des comportements financiers ou bancaires qui risquent de compromettre la stabilité du système lui-même.

Il n'y a pas d'économie-monde sans un Etat dominant. Depuis la formation de cette économie-monde, on a vu Venise, l'Espagne, la Grande-Bretagne et enfin les Etats-Unis jouer ce rôle dominant. L'Etat dominant assure trois fonctions majeures: Monnaie, Militaire, Modèle (modèles du développement capitaliste). L'Etat dominant peut lui-même être contesté par l'affirmation d'une autre puissance. Ce fut le cas de la période 1900-1945 où l'Empire britannique a été évincé par les Etats-Unis d'Amérique. Tout en s'y affrontant dans certains aspects mineurs, la Communauté européenne joue un rôle relais - voire un rôle satellite - des Etats-Unis. Elle reprend aux Etats leurs fonctions dans une économie de marché tout en les unifiant.

Résumé

- la notion d'espace dégage quatre formes: espace-localisation, espace-territoire, espace-système et espace-dimension de la société totale ;

- les Etats-nations ont concentré ces quatre aspects en une entité unique, mais ils sont en décompositioin-restructuration ;

- l'économie-monde capitaliste devient planétaire, elle implique l'existence d'Etats qui légitimisent et garantissent la propriété et les contrats;

- une économie-monde implique l'existence d'un Etat dominant s'appuyant éventuellement sur des satellites, il s'impose aux autres Etats au plan de la monnaie, au plan militaire et comme modèle d'organisation de l'économie (les trois M), actuellement il s'agit des Etats-Unis d'Amérique ;

- la Communauté européenne tient un rôle relais ou un rôle satellite de celui des Etats-Unis et reprend en les réunifiant les fonctions nécessaires à l'existence d'une économie-monde capitaliste et exercées jusqu'ici par les Etats.

L'espace wallon

L'espace localisation (ou espace-distance)

De tout temps, le monde politique a une conscience très aiguë de sa localisation par rapport aux voisins et des avantages ou inconvénients des dispositions géographiques naturelles: ports, voies d'eau, montagnes, principalement.

C'est une constante de la politique de l'Etat belge, quelle que soit la composition gouvernementale, d'avoir eu le souci de développer le port d'Anvers et même la mégalomanie portuaire d'Anvers, Zeebruges et Gand depuis 1970. C'est aussi une constante de la politique de l'Etat belge de favoriser le commerce extérieur et pour cela être capable d'exporter: d'où faible coût de l'énergie, salaires comparables ou inférieurs à ceux des pays concurrents et franc fort.

Depuis 1830, c'est une doctrine immuable. Ces dernières décades encore, elle a trouvé des applications concrètes au travers de la politique nucléaire (4 milliards de francs - francs de 1986 - au budget des Affaires économiques depuis 1951), de la loi sur la compétitivité de l'économie et de l'accrochage du franc au DM allemand.

Dans cette double perspective, la Wallonie est à la fois bien située au coeur de l'Europe, mais ne possède d'ouverture vers la mer que par Anvers, Gand ou éventuellement Rotterdam. Les liaisons avec Dunkerque ou d'autres ports français ne sont pas suffisamment performantes, même avec l'ascenseur de Strépy-Thieu pour la voie fluviale Le réseau autoroutier offre de bonnes liaisons Est-Ouest ou vers le Sud-Est. Mais il manque une chaîne Sud de Charleroi vers Charleville et Reims, qui formerait alors une liaison entre les zones en croissance du Nord (Rotterdam-Ruhr) et du sud (Lyon-Grenoble).

Les décisions et les programmes de TGV, mais surtout la modernisation du réseau SNCB, terriblement amputé en Wallonie dans les vingt dernières années, auront une incidence importante sur le développement économique car on est arrivé à une quasi-saturation des transports routiers. Les télécommunications sont toujours sous tutelle de l'Etat fédéral. Il faudra trouver des formules de cogestion ou même d'intervention. La venue d'Euro-news ne s'est pas faite à Charleroi, faute de tarifs suffisamment favorables de la part de Belgacom (ex RTT).

Espace-territoire

Toute société a besoin d'un territoire, certes pour s'affirmer, mais plus fondamentalement pour survivre et se développer. L'identité, c'est-à-dire sa propre définition comme appartenant à telle collectivité ou société, est la base de l'appropriation territoriale. L'identité est le résultat d'un ensemble de facteurs historiques, culturels, linguistiques, affectifs, relationnels et d'habitudes de vie.

Pourtant, si importante que soit la notion d'identité, elle ne suffit pas, à elle seule, ni à résoudre les conflits d'intérêts, ni à définir un pouvoir politique. Il faut une adhésion profonde aux valeurs de la démocratie: droits de l'homme, justice, solidarité. La Révolution française avait exprimé ces valeurs dans l'expression "Liberté, Egalité, Fraternité".

En Wallonie, l'identité a pris un aspect particulier, celui d'un sauvetage économique face à un Etat belge dominé par le poids flamand et injuste dans la répartition de ses politiques. L'espace-territoire wallon se veut donc d'abord espace de développement. C'est dans cette perspective majeure que se situent les relations du pouvoir wallon avec les espaces-territoires englobant: l'Etat fédéral, l'Union européenne, voire même les organismes internationaux comme l'OMC ou le FMI.

Vis-à-vis de l'Etat fédéral, l'attitude wallonne ne peut être qu'une position conflictuelle par nature: ou bien les compétences ont été attribuées à la Wallonie et il n'y a en principe plus de relations, ou bien elles restent totalement ou partiellement dominées par des compétences restées au niveau du pouvoir fédéral et c'est nécessairement une situation de nature conflictuelle dans laquelle la Wallonie dépense des énergies qui pourraient être mieux utilisées autrement. C'est pourquoi la revendication d'un fédéralisme plus poussé ou encore d'un confédéralisme reste justifiée.

Vis-à-vis de l'Union européenne, la position wallonne nécessite un contact direct sans passer par une représentation fédérale (nationale) pour toutes les matières dans lesquelles la Wallonie est compétente.

L'économie-monde capitaliste impose son pouvoir, ici comme ailleurs; le pouvoir politique n'est pas en mesure d'imposer des règles aux multinationales. On assiste au contraire à une espèce de "concurrence inversée". Ce sont les Etats fédéraux, les Etats fédérés ou les Régions qui se font une concurrence vis-à-vis du pouvoir économique; à qui donnera les meilleurs subsides, offrira le moindre poids fiscal, proposera les meilleures infrastructures, proposera la main d'oeuvre la plus qualifiée, etc.

Dans cette bataille, que tente d'apaiser la Commission européenne, la Wallonie n'a pas la maîtrise de tous les éléments. D'une part, nombre de domaines restent encore de la compétence nationale, on l'a vu. D'autre part, nombre d'autres domaines dépendent de la Communauté française. Comment mener une politique de l'emploi et donc une politique de développement sans maîtriser l'éducation? Comment associer et stimuler les initiatives des villes et communes lorsqu'elles sont tenues par deux tutelles différentes ? Comment favoriser une mentalité et une volonté commune lorsqu'on n'a pas de pouvoir en matière sociale ni en matière culturelle ?

Espace-système

Trois aspects paraissent importants: - le poids institutionnel, - les organisations et relations sociales, - l'appartenance culturelle.

L'espace-système belge reste encore prépondérant, surtout en Wallonie. C'est le poids institutionnel qui pèse sur les comportements des citoyens et des organisations. On craint le changement sauf l'Europe qui apparaît souvent mais à tort, comme la réponse à quantité de problèmes. On ne voit pas la portée des nouvelles institutions et on craint des répercussions néfastes ou des changements des rapports de force.

Si les partis politiques ont tous adopté une dimension régionale, il n'en est pas de même des organismes tels que les mutuelles, les centrales syndicales, sauf certaines comme la Centrale nationale des Employés (CSC), les organisations professionnelles patronales, sauf Fabrimétal qui vient de s'organiser en deux directions régionales, beaucoup d'organisations sportives, etc. Certes, les organisations interprofessionnelles, syndicales et patronales ont adopté une forme plus ou moins régionale, mais les décisions principales pour le développement se prennent au niveau des organismes professionnels.

L'appartenance culturelle dépasse très largement un espace-territoire. La culture française, ce n'est pas seulement la France, c'est toute la francophonie. La Wallonie est un morceau de cet espace-système plus large que les Etats, à fortiori que les Régions. Il faut donc participer à l'élaboration des liens entre ces pays ou régions qui reconnaissent appartenir à la culture française. Mais la culture participe aussi au développement économique. La Wallonie ne peut pas se trouver privée de moyens d'action en matière culturelle mais elle doit les exercer avec Bruxelles et avec la France.

En conclusion

L'Etat-nation nous a fait vivre dans un espace unique, rassemblant tous les aspects sous un seul pouvoir et entraînant des situations conflictuelles avec les autres Etats-nations. Aujourd'hui, on assiste à une sorte de superposition des espaces.

L'économie-monde ne connaît aucune frontière. Pour s'y adapter les Etats se sont constitués ou se constituent en grands ensembles sans frontières économiques. La Communauté européenne en est un exemple, mais elle n'est pas la seule dans le monde. A des niveaux semblables et pas nécessairement en cohérence avec l'économie-monde s'affirment des espaces à caractère culturel -la francophonie, la zone anglo-saxonne par exemple - ou à caractère religieux - les pays chrétiens, l'islam par exemple.

L'espace-système reste encore largement confiné dans les limites des Etats mais tend à les dépasser et à s'organiser en unités culturelles. C'est en tout cas le sens que semble prendre la francophonie. L'appartenance religieuse ou à un certain nombre de valeurs qui ont été véhiculées par la ou les religions est un second espace-système: on parlera des pays catholiques, des pays de religion chrétienne, des pays islamistes, des pays bouddhistes, etc.

L'espace-territoire est le plus immédiat, c'est le lien de vie des gens. Partout en Europe, il revient au pouvoir de ce qu'ici on appelle la Région mais qui, dans les pays fédéraux, s'appelle l'Etat.

On assiste ainsi à une double évolution simultanée et complémentaire: le pouvoir des Etats-nations passe, d'une part, à des entités supranationales essentiellement dans le domaine économique et, d'autre part, à des entités régionales dans les domaines politiques, sociaux, d'aménagement du territoire et de certains aspects culturels. Dans certains Etats-nations, cette évolution est faite sans pour autant être terminée: l'Allemagne fédérale par exemple.

L'espace-localisation concerne essentiellement les communications et devrait dépendre de l'espace-territoire, de l'association des Régions (Etats) voisines ou d'accords internationaux à conclure entre les Régions (Etats).

Les Wallonnes et les Wallons, comme le pouvoir wallon, doivent ainsi se situer et agir simultanément dans des espaces différents parce qu'ils participent à ces espaces. Ils ont à poursuivre l'organisation et l'affirmation de leur propre espace-territoire. L'avenir de la Wallonie dépendra de notre capacité à prendre notre place simultanément dans ces espaces différents.

C'est une manière d'être et d'agir à laquelle nous avons été peu habitués jusqu'ici. Il ne suffit pas, en effet, de reproduire à l'échelon régional le modèle de l'Etat-nation. Cela ne se fait pas sans difficultés: il faut inventer.

  1. 1. (1) Voir l'excellent ouvrage de Nicolas Bardos-Féltoronyi, Géoéconomie, Etat, espace, capital, De Boeck-Université, BXL, 1991.