Renault-Sidérurgie, même gâchis

A 22 ans de distance
Toudi mensuel n°3, mai 1997
A 22 ans de distance, 1975-1997, la similitude est frappante entre ce qui s'est passé dans la sidérurgie européenne et belge en particulier et ce qui se passe aujourd'hui dans l'industrie automobile européenne et belge en particulier.
1) Voilà deux secteurs très concurrentiels, chacun à leur époque. Des entreprises appartenant à des groupes différents investissent et sur-investissent non pas pour tenter de conserver leur part de marché mais pour continuer la croissance de leurs production.
2) D'un côté comme de l'autre, aucune entreprise ne se spécialise, au contraire, chacune étend sa gamme de produits ou de modèles pour couvrir tout l'éventail du marché.
3) Pourtant, dès la fin des années '60 pour la sidérurgie et depuis la fin des années '80 pour l'automobile, on voit se développer à toute vitesse de nouveaux concurrents; non seulement le Japon est présent depuis plus de quinze ans avant la crise en sidérurgie comme dans l'automobile, mais, dans un cas comme dans l'autre, de nouveaux pays, autrefois importateurs, deviennent eux-mêmes constructeurs, que ce soit des pays européens ou des pays d'Amérique latine ou d'Asie.
4) Tant dans la sidérurgie qu'aujourd'hui dans l'industrie automobile, la consommation stagne depuis plusieurs années avant le début de la crise: les marchés sont saturés, la demande n'est plus en expansion; tous les chiffres le montrent, les entreprises sont parfaitement informées mais elles refusent de voir la réalité; elles considèrent qu'il s'agit d'une crise passagère, conjoncturelle et qu'il suffit de quelques petits coups de pouce des pouvoirs publics pour relancer la consommation.
5) La réaction des entreprises à une situation d'excédents de capacité de production par leur faute évidente d'imprévoyance et par leur erreur grave de gestion est, dans le cas de la sidérurgie comme dans le cas de l'automobile, la fermeture sèche d'outils de production, sans aucune vision d'ensemble du secteur; les groupes industriels ne cherchent même pas à s'entendre dans des actions concertées.
6) Alors que, dans un cas comme dans l'autre, on a vu venir la crise depuis plusieurs années, aucune mesure de reconversion n'a été préparée, a fortiori mise en oeuvre.
7) Dans la sidérurgie comme dans l'industrie automobile, les entreprises belges étaient ou sont plus vulnérables. D'abord parce que c'est en Belgique que la surcapacité est la plus forte par rapport à la taille du pays. Parce qu'il y a eu des possibilités de profit importants dans la sidérurgie dans l'époque de reconstruction de l'après-guerre, les holdings y ont sur-investi, bien au-delà de ce qui était justifié, négligeant par le fait même des secteurs de valorisation de l'acier. Parce qu'il fallait industrialiser une Flandre en retard de développement dans les années '60, les mesures gouvernementales y ont favorisé l'implantation d'usines de montage d'automobiles, appartenant toutes à des groupes européens étrangers; le marché unique s'étant fait, ces usines ne peuvent plus faire l'objet d' avantages: elles sont évidemment les premières à être fermées. Ici aussi, le sur-investissement dans ce domaine a obnubilé l'intérêt de développer d'autres activités.
8) Dans la sidérurgie comme dans l'industrie automobile, non seulement les entreprises productrices sont concernées mais leur fermeture entraîne la disparition de nombreuses entreprises sous-traitantes de toutes sortes.
9) Les conséquences sont évidemment identiques dans un cas comme dans l'autre: pertes d'emplois et chômage sans espoir, disparition de PME, perte du tissu industriel, sous-régions sinistrées, la Wallonie atteinte par la crise sidérurgique, la Flandre aujourd'hui atteinte par la crise automobile.
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Le capitalisme, industriel ou non, se comporte toujours de la même manière. Il prend ses décisions à court terme, chaque entreprise investit selon sa propre logique et surtout réinvestit ses profits sans diversification. Sauf exception, il lui est impossible d'avoir une vision à moyen terme, a fortiori une vision à plus long terme.
Dans une croissance relativement forte, il est peu hasardeux de se tromper dans les investissements et d'ailleurs, il vaut mieux être en avance qu'en retard. Ce n'est plus du tout le cas lorsque la croissance se ralentit et lorsqu'elle est faible. La concurrence rend impossible le ralentissement des investissements ou la spécialisation, tout ce que l'un fait dans ce sens profite dans l'immédiat autant aux autres.
Seule une stratégie concertée avec les pouvoirs publics européens permettrait de telles évolutions qui réduiraient les chocs brutaux, car les pouvoirs publics nationaux ou européens sont les seuls à pouvoir être attentifs à une quantité d'autres facteurs de l'évolution économique. Mais comme l'Union européenne a été construite sur le principe sacré de la concurrence et du marché, les adaptations inévitables à l'évolution des besoins ne se font jamais que de manière douloureuse pour les travailleurs et les citoyens qui paient la note.
Yves de Wasseige