Le poète hongrois Miklos Radnoti
Vient-on au monde prédestiné à la poésie ? Un destin tragique et " extra-ordinaire " fait-il de vous un poète en puissance ? Même s'il faut répondre par la négative à ces questions, la courte vie du poète hongrois Miklos Radnoti semble y apporter un démenti.
Quelques heures après sa naissance en 1909, son frère jumeau et sa mère décèdent, son père disparaît alors qu'il n'a que 11 ans. Il se voit alors confié à son oncle paternel découvrant par la même que celle qu'il pensait être sa mère n'était en fait que la dernière compagne de son défunt père, son tuteur lui apprenant peu après la terrible histoire de sa naissance. La culpabilité du survivant, voire tout simplement le fait d'être vivant, reviendra de manière lancinante dans les poèmes de Radnoti. Ce sentiment de culpabilité s'étendant à ses frères de poésie, pour qui les années 30 furent si terrifiantes, au fil des pages, Radnoti salue Federico Garcia Lorca massacré par des phalangistes en 19361, son compatriote Attila Jozef qui en 1937 se jeta sous les roues d'un train , l'ancien général de la République des Conseils en Bavière Ernst Töller2.
On pourrait ajouter Vladimir Maïakovski dont le suicide en 1929 signale la fin de l'ère révolutionnaire et l'entrée de l'URSS dans le totalitarisme stalinien, ou le suicide au gaz en 1935 de " l'archange à la figure de boxeur " des surréalistes parisiens, René Crevel. Radnoti a l'impression d'être confronté à un monde où " le feu fait rage... ", où la poésie ne représente qu'une frêle et dérisoire embarcation ballottée par un océan mauvais, pourtant elle constitua pour lui sa résistance à la folie du temps par l'évocation de la beauté de la vie et de l'amour.
En janvier 1944, la régime de l'Amiral Horthy, bien qu'allié de l'Allemagne nazie, est renversé par les Croix-Fléchées parti nazifiant national, l'armée allemande entre sur le territoire magyar et y impose le STO. Après quelques mois de clandestinité, Radnoti est arrêté. Commence pour lui une longue " marche forcée " qui le conduira en Bulgarie, en Yougoslavie, puis de retour en Hongrie en raison de l'avancée des troupes soviétiques, presque jusqu'à la conclusion de cette marche, il continuera à écrire.
Ce n'est que fin 1945 que ces amis découvrirent l'issue de celle-ci, épuisé par plusieurs semaines de marche, l'absence de nourriture et les mauvais traitements, Radnoti fut exécuté en novembre 1944 , avec quelques compagnons d'infortune, d'une balle dans la nuque par quelques soldats hongrois et S.S. autrichiens, son corps retrouvé dans une fosse commune sera identifié grâce au carnet présent dans la poche de son manteau, le dernier poème y date du 31 octobre 1944 et se concluait par ces lignes :
" Je suis tombé près de lui. Comme une corde qui saute,
son corps, roide, s'est retourné.
La nuque, à bout portant... et toi comme les autres,
pensais-je, il te suffit d'attendre sans bouger.
La mort, de notre attente, est la rose vermeille.
Der spring noch auf, aboyait-on là-haut.
De la boue et du sang séchaient sur mon oreille "
Miklos Radnoti, Marche forcée, oeuvres 1930-1944 , Editions Phébus, Paris 2000.
- 1. " Parce que l'Espagne t'aimait,
que les amants disaient tes vers,
ils sont venus, ils t'ont tué;
d'un poète que peut-on faire ?
Sans toi, maintenant le peuple combat.
Ohé, Federico Garcia ! "
- 2. " A New York, T... dans un garni
vient d'être retrouvé pendu :
exil, errance à l'infini -
qui donc aurait tenu ? (...) "