Pourquoi le réunionisme est-il devenu le courant majoritaire du mouvement wallon
Quelques mois après la création du RWF Rassemblement Wallonie-France), et de sa section bruxelloise RBF Rassemblement Bruxelles-France), il est temps de se demander pourquoi un parti wallon, nouvelle expression politique du mouvement wallon, a pu naître au milieu des lézardes - et bientôt des décombres - du fédéralisme belge. La réponse pourrait tenir en une phrase: parce que le régime belge est finissant, il y a quelque légitimité à préparer l'avenir. Il faut cependant examiner de manière plus approfondie les causes de l'échec du fédéralisme belge ou plutôt des réformes successives de l'État. Il ne s'agira ici que d'une première approche, car il faudra laisser aux futurs historiens le soin de montrer plus complètement comment une crise récurrente de nationalités que le dix-neuvième siècle avait accouplées inconsidérément aura finalement miné l'État le plus fragile du continent européen.
La solution positive que propose le RWF pour la Wallonie - la réunion à la France - n'est en rien une «dissolution» dans l'ensemble hexagonal mais au contraire une adhésion libre et volontaire à la République et son accession au rang et à la qualité de région française à part entière avec la préservation de son nom, de son territoire de son patrimoine culturel.
Le courant réunioniste a toujours été présent au sein du mouvement wallon. Plus ou moins visible selon les époques, il a cheminé de pair, historiquement, avec l'autre tendance majeure du mouvement wallon, le courant autonomiste. Depuis quelques années, celui-ci a abouti à une impasse.D'où l'émergence, avec une vigueur nouvelle du projet réunioniste, projet tout à la fois wallon et républicain.
I) L'échec du fédéralisme belge
Il aura fallu quarante années à la Belgique pour se doter d'un régime politique hybride. Certains constitutionnalistes hésitent à le qualifier de fédéral. Ainsi les greffons fédéralistes posés sur un tronc unitaire n'ont-ils pas empêché la Flandre de refuser l'instauration d'un Sénat paritaire ou d'exclure - depuis vingt-sept ans - la nomination d'un Wallon comme Premier ministre.
Aujourd'hui encore, la Belgique éprouve des difficultés quasi insurmontables à se réformer pour parvenir à une structure fédérale cohérente et achevée. Cette paralysie n'est pas le fruit d'une sombre fatalité: elle provient tout simplement d'une impuissance majeure et chronique. «Structurelle» en quelque sorte. La Belgique ne peut se réformer en profondeur parce qu'elle n'est pas une nation et n'a plus que l'apparence de la force étatique. Pour se réformer, il faudrait qu'elle ait confiance en soi et envie de survivre, ce qui n'est pas le cas. Elle ne parvient plus à justifier son existence et son utilité internationales comme c'était le cas au 19e siècle lorsqu'elle reposait sur le principe de neutralité. Quant à l'image d'une Belgique «modèle en, réduction de l'Europe», elle a fait long feu. Il en va déjà de même de la tentative grandiloquente de L. Michel de restaurer l'image de la Belgique dans le monde car on ne restaure pas ce qui n'existe pas ou n'existe plus.
La Belgique est également impuissante à se projeter dans l'avenir et c'est pourquoi ses porte-parole ne cessent de se défausser vers un «européisme mécanique et pavlovien», de jouer la carte du «tout-à-l'Europe», une Europe imaginaire dans laquelle la Belgique pourrait se dissoudre sans douleur.
Enfin - et cette impuissance-là n'est pas la moindre - la Belgique ne parvient plus à se penser comme une entité politique supérieure ou différente de ses «composantes» additionnées: flamande, wallonne, bruxelloise, francophone, germanophone... Les relations entre ces «composantes» sont marquées par un état de guérilla institutionnelle permanente. Il n'y a entre elles qu'une cohabitation dans la méfiance et le soupçon.
Comment les entités dites «fédérées» pourraient-elles concevoir un projet commun pour la Belgique dès lors que ces entités divergent à ce point? On le sait bien: à côté d'une authentique nation flamande convaincue de ses droits historiques et sûre d'elle-même, il y a une «population francophone» qui ne sait pas encore que sa véritable nationalité est française et qu'elle pourrait y accéder juridiquement demain. Cette dichotomie interdit à la Flandre et à la Wallonie d'avoir un projet commun pour la Belgique. En fait, Flandre et Wallonie se limitent à instrumentaliser, chacune à sa façon, ce qui reste de l'État belge.
La nation flamande se considère comme un État en devenir. Elle en la les moyens matériels et la base culturelle, mais aussi la volonté politique et l'ambition légitime. Il y a manifestement dans son chef une instrumentalisation de la Belgique. De la survie provisoire de celle-ci, la Flandre escompte un triple dividende:
- la disparition du franc belge et l'avènement de l'euro;
- la diminution du lourd héritage de la dette publique commune;
- la réussite de tout ou partie de son O.P.A. (offre publique d'achat) sur Bruxelles.
Pour la Flandre, le fédéralisme belge n'est donc qu'un régime de résignation transitoire préalable à une forme plus ou moins avancée d'indépendance.
Quant à la Wallonie, sa classe politique ne parvient pas à porter un projet de société mobilisateur à l'intérieur. Et, à l'extérieur, elle ne réussit pas à inventer une stratégie géopolitique valorisant ses atouts dans le cadre européen ou dans celui, essentiel, de notre relation privilégiée avec la France. La Wallonie officielle n'a pas non plus de vision d'avenir pour Bruxelles où résident pourtant 3 à 400.000 ressortissants wallons.
À son tour, la Wallonie instrumentalise la Belgique, mais avec une arrière-pensée radicalement différente de celle de la Flandre! Quand la Flandre recherche l'accélération de son émancipation, la Wallonie se sert de la Belgique pour repousser le plus loin possible dans l'avenir le moment de se choisir un destin. Ce choix lui paraît si «effrayant» qu'elle ne veut pas l'affronter aujourd'hui. Et sa classe politique craint avant tout de perdre privilèges et pouvoirs liés au statu quo.
N'ayant ni les moyens économiques ni le minimum de détermination politique nécessaire pour s'ériger en République indépendante, la Wallonie force à croire qu'une Belgique «éternelle dans son essence» sera son bouclier protecteur contre les ambitions ou les «excès» du nationalisme flamand. Or ce bouclier, on le sait, n'offre aucune garantie et de surcroît la Wallonie n'en contrôle même pas le maniement ... Posture dérisoire: comment s'abriter derrière un rempart en carton-pâte décoré en trompe-l'oeil?
Rompant avec un «front des francophones» qui n'a jamais existé autrement que sur le papier, les présidents É. Di Rupo et L.Michel ont montré un visage ouvertement néo-belgicain depuis le 13 juin 1999. De même qu'il ne fallait pas, autrefois, «désespérer Billancourt», il ne convient pas, aujourd'hui, d'inquiéter les chaumières wallonnes.
Nouveaux piliers de la belgitude et complices d'une monarchie-thaumaturge, ils se sont faits les thuriféraires qui de la Belgique du Sud, qui de la «nouvelle Belgique» ... Certes, nos deux compères ne vont pas jusqu'à proposer aux francophones des suicides collectifs à l'instar de certaines sectes religieuses contemporaines. Mais ils suggèrent la résignation collective - pour ne pas dire la prostitution - à un peuple minoritaire: demander secours à un État qui ne le respecte plus.
Deux incidents récents illustrent les graves dysfonctionnements du fédéralisme à la belge. Le 24 mars, M. Dewael (Ministre-Président du gouvernement flamand), poussé dans le dos par le patronat flamand, somme le Ministre des Affaires étrangères L.Michel de modifier sa politique autrichienne dans le sens qu'on devine. Dès le lendemain, toujours content de soi, L.Michel acquiesce. Pendant la même semaine, É. Di Rupo réclame des crédits fédéraux supplémentaires pour l'enseignement. C'est M. Dewael, encore lui, qui lui répond: «Il n'en est pas question sauf si j'obtiens au préalable l'autonomie fiscale pour la Flandre!...»
Il est fascinant d'observer que dans ces deux cas, c'est un ministre régional flamand qui donne la réplique et qui fait la leçon à un ministre fédéral francophone et à un Président de parti francophone qui s'était adressé à M.Verhofstadt. Pourquoi L.Michel et É. Di Rupo acceptent-ils cela? Tout simplement parce qu'il ne faut pas prendre le moindre risque de briser le vase belge déjà fêlé.
La Flandre et la Wallonie ressemblent à deux médecins qui se querelleraient gravement quant à la nature du traitement qu'il conviendrait d'appliquer au mal belge. La Flandre organise une euthanasie programmée de l'État fédéral, la Wallonie et Bruxelles pratiquent à son égard un acharnement thérapeutique inconditionnel. Ainsi s'explique l'incapacité congénitale de la Belgique à se réformer et à faire durer le fédéralisme. Elle le peut d'autant moins que la seule fonction majeure actuelle de l'État est d'assurer sa propre survie, au moins provisoirement, pour répondre aux «attentes» contradictoires de ses composantes. Dans sa marche prévisible vers l'échec, le fédéralisme belge évoque de plus en plus le dernier toit sous lequel se retrouvent, pour un temps, des conjoints qui vont divorcer.
II) Le pouvoir wallon a reproduit les vices du système belge
Si la tentative fédéraliste n'aura pas permis de préserver la Belgique, elle n'aura pas non plus contribué de manière significative au redressement politique, culturel économique de la Wallonie. La responsabilité en incombe, pour partie, aux Wallons eux-mêmes. À titre d'illustration, de cette affirmation, on notera que la Flandre a largement atteint l'un de ses objectifs majeurs, à savoir la création d'une nouvelle élite, à la fois intellectuelle, culturelle et économique, souvent moderne et performante, décomplexée, à l'aise sur la scène internationale. Il n'en a pas été de même en Wallonie. Et s'il y a éclosion, dans une moindre mesure, d'une nouvelle élite wallonne, celle-ci perçoit un décalage croissant par rapport à une classe politique dont les comportements et les réflexes appartiennent trop souvent au passé...
Sans doute les classes dirigeantes wallonnes ont-elles la convivialité et la bonhomie roublarde que l'on pouvait rencontrer en Moldavie à l'ère Brejnev, mais elles sont aussi peu ouvertes sur le monde, aussi cloisonnées, aussi arc-boutées sur leur modèle politico-culturel provincial.
L'autonomie n'a pas permis l'émergence d'une nouvelle représentation politique de la Wallonie. Elle a plutôt consolidé le pouvoir de l'ancienne classe dirigeante qui avait accédé aux responsabilités entre 1945 et 1975. À vrai dire, si la Flandre est dirigé par des Flamands, la Wallonie est conduite par des Belges. Je veux dire par là que les responsables wallons, avant tout, «pensent belge» avant de penser «wallon». Il suffit à cet égard de les observer quand ils sont en mission à l'étranger. Un ministre québécois en voyage se déclare fier d'être québécois un ministre wallon est parfois et souvent même «gêné» de se dire wallon. Voici une anecdote significative et authentique. Il y a quelques années, un ministre liégeois chargé des relations extérieures de la Communauté française a osé cette considération: «Dans un aéroport, je me signale comme Ministre belge, parce qu'ainsi on portera mes valises. Si je me déclare wallon, je devrai les porter moi-même.»
Plus profondément, les vingt années d'autonomie régionale qui viennent de s'écouler auront prouvé l'absence absolue de tradition étatique proprement wallonne et le refus viscéral des Wallons de se doter pour eux-mêmes et par eux-mêmes des signes extérieurs de la souveraineté régionale et donc d'un État.
À côté d'incontestables réussites ponctuelles dans la gestion de certains dossiers, la Wallonie n'a pas pu ou n'a pas voulu éradiquer les vices de fonctionnement de l'État central. Elle les a reproduits parfois amplifiés: partage des réseaux et des piliers, «proporz system» (lotissement partisan de la fonction publique à raison du rapport 2/1 dans les coalitions PS-PSC, et du rapport 2/2/1 dans l'actuelle tripartite PS-PRL-Écolo), clientélisme, saupoudrage intense des crédits et des subventions, suprématie des partis sur les gouvernements, confusion totale du parti et de l'administration communale dans des villes comme Charleroi, désintérêt voire dérision à l'égard de l'identité wallonne, de la politique culturelle ou de la politique extérieure...
Sans faire nôtre la comparaison de G.Deprez qui assimilait le gouvernement de É.Di Rupo à une équipe de pygmées, il est vrai que tout se passe comme si la région wallonne s'était centralisée, partagée entre petits vizirs. Le gouvernement wallon n'est-il pas devenu, au fil des ans, une super-députation permanente provinciale, et le Parlement wallon une sorte de «comité Théodule» où règnent l'ennui, l'absentéisme et le non-débat?
Si la régionalisation a constitué une étape nécessaire et a permis d'incontestables avancées, elle a aussi démontré la non-viabilité économique et financière d'une Wallonie indépendante, et la non-faisabilité politique d'une République wallonne.
Ce constat entraîne à son tour une autre conséquence: la montée en puissance du projet réunioniste. Dans une Belgique qui continuera de perdre ses attraits et son intérêt, et qui a de moins en moins d'avenir en tant qu'État, la Wallonie sera bientôt confrontée à l'alternative suivante: ou bien rester «belge» à tout prix et contre toute évidence, ou bien se préparer résolument et définitivement au «choix français» en vue d'une intégration rapide dans la République. Le RWF est persuadé que ce choix est désormais le seul et le véritable «contrat d'avenir» qu'il faut proposer aux Wallons. Et, s'ils le souhaitent, aux Bruxellois.
Le grand écrivain franco-wallon Charles Plisnier (prix Goncourt en 1937) l'avait annoncé avec une lucidité prémonitoire devant le Congrès national wallon de Liège, en 1945. À ceux qui s'étaient résignés à l'option fédéraliste, Plisnier avait lancé cet avertissement: «... Camarades wallons, nous aurons peut-être un jour besoin de la France, lorsque nous aurons fait cette expérience ultime qui nous est demandée, lorsque nous l'aurons faite dans un sacrifice à la raison et au sens des réalités politiques (...) Si, comme je le crains, cette expérience avorte, alors nous serions justifiés à nous tourner vers la France et aucun reproche ne pourrait nous être adressé, car cette expérience, nous la ferons en toute loyauté et sans arrière-pensée d'aucune sorte.»
Et le compte rendu officiel précise qu'à ce moment «l'assemblée se lève, acclame longuement l'orateur, puis chante la Marseillaise devant le bureau debout...»
La perspective évoquée naguère par Plisnier se précise de jour en jour. Elle pourrait devenir réalité plus tôt qu'on ne le pense.
III) Le courant réunionniste historiquement présent dans le mouvement wallon y est devenu majoritaire
Sans remonter à l'histoire du «parti français» dans les provinces wallonnes en 1830-1831, ni n aux événements de 1848, ni à la présence d'une immense foule populaire à Jemappes avant la guerre de 1914-1918, on retiendra, et pour être brefs, le positionnement de nombreux militants wallons en faveur de l'alliance française avant la deuxième guerre mondiale. Il y eut ensuite le positionnement pro-français d'un mouvement comme Wallonie Libre et d'une partie de la Résistance wallonne.
On connaît bien le débat fondamental qui anima le Congrès national wallon de Liège en 1945 (entre partisans de la réunion des la Wallonie à la France et les défenseurs de la thèse fédéraliste). Les lecteurs informés connaissent aussi les implications françaises, convenues avec les chefs wallons à la fin du mois de juillet 1950 peu avant le dénouement de l'affaire royale: des régiments français devaient franchir la frontière pour soutenir un gouvernement provisoire. La grande grève renardiste de 1960-1961 eut également une dimension française (recours fréquent des manifestants à la Marseillaise, financement partiel du mouvement de grève par certains fonds secrets français).
À coté du réunionisme, l'autre courant était bien entendu l'autonomisme, lequel recouvre aussi bien le simple régionalisme que le fédéralisme ou l'indépendantisme.
Dans son histoire, le mouvement wallon a donc été traversé par deux tendances principales - l'autonomisme et le réunionisme - présentes l'une à côté de l'autre, sans qu'il y ait nécessairement contradiction entre elles. Beaucoup de militants évoluèrent, au fil du temps, du régionalisme au fédéralisme, puis au réunionisme en passant le cas échéant par l'étape intermédiaire de l'autonomisme indépendantiste. D'autres furent d'emblée des réunionistes.
Ce qui est clair, c'est que lorsqu'il y eut évolution dans l'objectif poursuivi par les militants du mouvement wallon, le processus fut toujours à sens unique. Je veux signifier par là que le chemin accompli par beaucoup de Wallons en direction du réunionisme à partir d'une position autonomiste n'a jamais été parcouru en sens inverse, c'est-à-dire vers l'indépendantisme au départ du réunionisme.
Mon souvenir est très précis: beaucoup des militants et de parlementaires du rassemblement wallon (au moins 80% de ceux-ci) ne considéraient la régionalisation que comme l'étape nécessaire, avant d'autres de l'émancipation wallonne mais aussi d'une future adhésion de la Wallonie à la République française.
D'une certaine manière, il en avait été de même au Congrès national wallon de 1945: ceux qui s'étaient ralliés de bonne foi au compromis fédéraliste à l'occasion du «second vote» avaient tenté de faire cohabiter en eux-mêmes les deux courants et nombreux sans doute furent ceux qui réussirent la synthèse.
Il faudrait aussi rappeler que l'action politique wallonne s'est traditionnellement située sur deux terrains: à l'intérieur et à l'extérieur des partis politiques officiels. Depuis le début des années 1980, il est important de constater que l'expression politique du mouvement wallon a été - pour une large part - rabotée, récupérée puis étouffée par le Parti socialiste. La voix du courant autonomiste a finalement été étouffée, avec patience et habileté, par la direction du premier parti de Wallonie. Cette opération a duré une dizaine d'années, entre 1984 et le milieu des années 1990.
La captation de l'expression politique du mouvement wallon par le groupe «régionaliste» au sein du PS entre 1985 et le début des années 1990 a été un moment important sans doute. En contribuant au succès socialiste lors du scrutin de décembre 1987, il aura participé aux progrès accomplis vers un fédéralisme inachevé. Mais les échecs et les désillusions provoquées par ce fédéralisme inachevé auraient plus tard une conséquence inattendue: la quasi disparition ou, à tout le moins, l'étouffement du courant autonomiste au sein du PS, mais également au sein même du mouvement wallon. Le phénomène avait débuté sous G.Spitaels et Ph. Busquin, il connaîtra son couronnement final avec É. Di Rupo (éloignement de JM Dehousse, mise à l'ombre de J.Happart, tentative d'humiliation de R.Collignon). L'accession au pouvoir de É. Di Rupo représente une deuxième mort (politique, s'entend) d'A.Cools. la présidence d'É.Di Rupo assure en quelque sorte la résurrection d'E.Leburton qui, un jour, avait publiquement traité les fédéralistes de «fédérastes»... Avant d'être renversé par A.Cools.
La fin du courant autonomiste, ou en tout cas son amenuisement, n'a pas signifié pour autant que le mouvement wallon allait disparaître à son tour. Tout naturellement, elle a dégagé le terrain pour une montée en puissance du projet réunioniste. D'où la naissance à Charleroi le 27 novembre 1999, d'une nouvelle formation politique: le RWF-RBF.
La signification de cet événement, c'est qu'une partie de la Wallonie profonde refuse un fédéralisme de soumission et de récupération. À une semaine du mariage princier, rejetant l'infantilisation collective orchestrée par les médias, avec la complicité des partis officiels, près de 400 militants ont décidé de relever le défi de la dignité. Il fallait mettre enfin un coup d'arrêt à la résignation accablée qui ne cesse de peser sur les esprits en Wallonie comme à Bruxelles.
La surprise vint du constat que le mouvement wallon était toujours vivant. L'audace consista en la création d'un parti. Et la vision fut de considérer que la Belgique n'ayant plus d'avenir comme État, il fallait préparer un vrai projet politique de rechange. Un projet raisonnable et mobilisateur: l'union de la Wallonie et de Bruxelles avec la France (ou la réunion, peu importe le mot pourvu qu'on n'utilise pas le terme déplaisant de rattachement). On notera que ce qui subsiste des organisations non politiques du mouvement wallon s'est rallié pour sa plus grande part à cette thèse, ce qui ne veut pas dire au parti dans tous les cas. Des groupements ou revues tels que Wallonie Libre (MM. Dupont et Rogissart), Wallonie-France (M. Schreurs), Solidarité Wallonie-Bruxelles (M.Evrard), ont désormais le même objectif que le premier des mouvements réunio-nistes (Mouvement Wallon pour le Retour à la France) fondé par M.Lebeau et présidé actuellement par M.Swennen. Seules des nuances permettent aujourd'hui de distinguer ces divers mouvements.
L'unification et la clarification sont en cours puisque par ailleurs les résidus de l'ancienne ligne autonomiste tels que l'Alliance Démocratique Wallonne créée en 1985 par le soussigné ou le Rassemblement Wallon d'A.Libert ont rejoint le nouveau RWF et ont annoncé leur dissolution dans ce nouveau parti.
Manifestement la ligne réunioniste est désormais majoritaire dans un mouvement wallon revivifié.
Comment expliquer l'impasse du courant autonomiste actuel? En premier lieu, il n'a ni objectifs clairs ni doctrine. Ensuite, il rejette Bruxelles dans les ténèbres extérieures, ce que ne peuvent accepter beaucoup de Wallons, y compris parmi ceux qui veulent une affirmation poussée de l'identité wallonne. Ce courant n'a plus, enfin, d'expression politique ou intellectuelle significative. Il n' y a pratiquement plus personne de sérieux pour proposer aujourd'hui une République wallonne indépendante.
IV) Le mouvement wallon rejette l'hypothèse d'une Belgique francophone continuée
Quant à la petite Belgique continuée (ensemble Wallonie-Bruxelles, parfois appelée le «Wallo-Brux» ou la «Minibel»), elle a certainement des partisans dans une partie de la classe politique et des milieux monarchiques: on y voit le meilleur moyen de préserver le caractère exorbitant de leurs pouvoirs actuels. Un secteur de la bourgeoisie, anti-française par principe, y trouverait la possibilité de conserver son statut social. Cette hypothèse est évidemment contraire à toutes les aspirations historiques du mouvement wallon. Aux yeux de la population, elle n'aurait guère plus de crédibilité que l'indépendance de la seule Wallonie, car elle n'offrirait pas plus de sécurité politique, économique ou financière. Une petite Belgique sans la Flandre tenterait en vain de reproduire à perpétuité le «paradis belge perdu» et les vertus mythiques qui lui sont attribuées. Amputée de 60% de sa population, la «Belgique malgré tout» n'est que la formule impossible de ceux qui croient pouvoir revenir en 1840. Un État wallon ou une Belgique francophone hésiteraient entre une mauvaise imitation de la France et une principauté réactionnaire anti-française. Dans les deux cas, l'effet d'attraction de la France serait puissant... Et ni l'une ni l'autre de ces solutions ne saurait rivaliser avec la réunion, une réunion qui incontestablement serait rapidement acceptée par les Wallons en cas de disparition de la Belgique. Beaucoup de ceux qui, aujourd'hui, s'en méfient s'y rallieront in fine, soit par soulagement, soit comme la moins mauvaise des solutions. (En novembre 1989, beaucoup d'Allemands de l'Est ne voulaient pas entendre parler de la réunification. Moins d'un an après, les deux parties de Berlin fêtaient ensemble l'avènement de la nouvelle Allemagne).
Le manifeste du RWF-RBF propose aux Bruxellois, après référendum, d'accompagner la Wallonie dans sa démarche. C'est à notre avis la solution que les Bruxellois choisiront après avoir constaté les difficultés considérables à s'ériger en «ville libre». Cet éventuel mini-État serait encerclé par la Flandre et serait progressivement «résorbé» par elle comme Hong Kong par la Chine.... L'importante question du futur statut de Bruxelles sera abordée par un Congrès du RWF-RBF.
V) Un projet politique pour un changement de régime en Wallonie
La bataille est désormais engagée entre les partisans de la réunion à la France et les «Belges», fédéralistes ou non qui se font les artisans de la «Belgique malgré tout», même en réduction. Il faut un parti - le RWF - pour se placer sur le même terrain que les partis «belges» qui dirigent actuellement la Wallonie et Bruxelles.
Cependant le RWF ne veut pas l'alternance particratique, mais bien l'alternative radicale. Seul un parti au discours radical, au projet radical et au comportement rigoureux pourra casser le mur de silence que le régime a édifié autour du peuple.
Il y a d'autres justifications encore à la création d'une nouvelle formation politique.
- Les partis officiels - en ce compris Écolo - ne sont pas à la hauteur des implications historiques des événements que nous vivons et que nous allons vivre. Nous ne disons pas que ces partis sont inutiles ou méprisables, nous pensons seulement qu'obsédés par le compromis, ils ne peuvent apercevoir le dénouement qui s'annonce. À la fois produits et bénéficiaires du système politique belge, ils préféreront, le plus longtemps possible, une mauvaise solution à un risque historique.
- Les assurances privées données par des personnalités politiques traditionnelles en faveur de la thèse réunioniste ne suffisent plus. Elles ne font en rien avancer la cause. Elles ralentissent en fait la maturation politique des idées du mouvement wallon dans la grande opinion publique.
- Le mouvement wallon, confiné depuis près de vingt ans dans des cénacles confidentiels, doit se ressourcer au contact de la société. Et, par là, dire la vérité au peuple wallon. Aussi le RWF-RBF organise-t-il en moyenne trois réunions par semaine en Wallonie ou à Bruxelles, en vue de parler aux Wallons et aux Bruxellois et de les écouter.
Sur la nature plus précise des objectifs du nouveau parti, le cadre de cet article ne permet pas de longs développements. Le lecteur intéressé par les textes fondateurs (Manifeste etc.) peut s'adresser au RWF-RBF - BP 28 - 1050 Ixelles 1.
Rappelons seulement quelques caractéristiques du nouveau parti:
- C'est un pari wallon avec une section bruxelloise. Il est ouvert à tous les ressortissants étrangers qui désirent y militer.
- C'est la seule expression politique radicale du mouvement wallon et c'est le seul parti ouvertement républicain en Wallonie et à Bruxelles.
- C'est le seul parti qui évoque sans fard la nécessité d'un changement de régime, l'extrême-gauche elle-même s'étant rangée en faveur de l'unité belge.
Le RWF n'a jamais invoqué - comme l'affirment à tort certains polygraphes approximatifs - un précédent ou des «droits historiques» pour la réunion de la Wallonie à la France, ni a fortiori un déterminisme historique quelconque.
Notre projet ne se fonde pas sur Dieu sait quel ethno-culturalisme (voir à cet égard notre manifeste, mais aussi mes ouvrages Une certaine idée de la Wallonie et Splendeurs de la liberté (1999). Au contraire, notre démarche, c'est l'adhésion libre et volontaire (E.Renan) à la République, française en l'occurrence parce que l'on adhère ainsi, dans le même temps, à un régime différent et à une nationalité de rechange. Non, il n'est pas «cancérigène» pour les Wallons de choisir un État républicain, garant actif des libertés et organisateur des solidarités, notamment au travers de l'école et de la citoyenneté active.
Ainsi, pour le RWF, le volontarisme surpasse l'historicisme. Il ne s'agit pas de reconstituer une quelconque unité perdue de la «grande famille française»... Un pareil objectif serait d'ailleurs en contradiction avec la fonction de «creuset» intégrateur de la République française notamment à l'égard de l'immigration.
Sans doute, la langue et la culture auxquelles nous sommes si intensément et légitimement attachés sont-elles de très puissants vecteurs d'intégration, mais elles ne sont pas nécessairement le premier fondement de l'adhésion qui est et doit rester politique. Le précédent de l'Alsace en est peut-être la plus belle illustration.... Devenir français présuppose à nos yeux d'adhérer à la République française, d'en devenir citoyen. Le remarquable renouveau de la doctrine républicaine dans la pensée politique française récente nous a bien entendu inspirés.
Conséquence de ce qui précède, le RWF n'est pas «pluraliste» au sens belge du terme. Regroupant certes des citoyens qui sont de tendances différentes à l'origine (de la gauche à la droite démocratique), il transcende les fractures de la société en vue de les réduire. Le RWF ne nie pas le caractère conflictuel de toute société mais constate qu'il résulte davantage de l'état du monde et des rapports de force économiques que des idéologies. L'Europe néolibérale, par exemple, est aujourd'hui constituée de 13 gouvernements socialistes sociaux-démocrates (quelles différences?), sur 15.... Elle n'en est pas moins le fourrier de la mondialisation.
Le RWF se situe donc «ailleurs», ce qui n'est pas une fuite en avant. Notre ailleurs est, ici et maintenant, la conception républicaine de l'État, sa recherche de l'intérêt général, l'importance essentielle qu'elle attribue aux services publics. D'où notre opposition active aux privatisations de services publics (la poste et les chemins de fer notamment sont visés à terme), programmée par le Gouvernement Verhofstadt et encouragées par la Commission européenne.
Si nous sommes «ailleurs», c'est que nous avons constaté comme d'autres l'impasse des idéologies. Durant le siècle qui s'achève, elles ont débouché sur le tragique. Aujourd'hui elle sont le refuge de toutes les hypocrisies, masquant mal la ruée généralisée vers les centres mous et les degré «zéro» de la politique. Plutôt que de se faire plaisir en se cantonnant de façon incantatoire dans le domaine de l'idéologie, il vaut mieux choisir l'ambition du vouloir et de l'agir.
Ainsi, le RWF revendique-t-il la primauté et l'autonomie du politique sur les compartimentations traditionnelles. Il ne confond pas espoirs et réalités et dénie tout sens à l'histoire. En effet, il n'y a ni prédestination historique ni fatalité historique. Notre vision de l'histoire humaine étant «laïque», nous considérons qu'il y a seulement une supériorité et une nécessité, celles de la volonté politique des hommmes. Aussi la République à laquelle nous adhérons est-elle à la fois celle des libertés-droits et celle des pouvoirs des hommes. la vraie citoyenneté républicaine est celle qui donne aux humains les pouvoirs de contrôler la nature, de modifier les rapports sociaux et d'inverser le cours prétendument inéluctable de l'histoire. Ainsi, et par exemple, nous proclamons que, malgré les apparences, l'histoire de la Wallonie n'est pas finie.
Il convient enfin - au moins d'une manière rapide - de réfuter quelques appréciations complètement erronées à l'égard du RWF. Il ne faut pas avoir lu nos textes pour affirmer que le RWF serait la manifestation d'un irrédentisme français qui voudrait nier la Wallonie. Dans les ouvrages que j'ai publiés et déjà cités, il y a d'importants chapitres sur l'existence autonome de la Wallonie comme entité politique et comme réalité culturelle différents d'une culture francophone belge fabriquée de toutes pièces par la Communauté française. Cela dit, le RWF ne croit pas que la Wallonie ait pour autant vocation ou capacité de se muer en un État-Nation indépendant même si (et c'est naturellement son droit le plus strict), la livraison d'avril-mars de TOUDI en appelait, pour réussir cette indépendance, à l'aide de peuples tels que les Kosovars, les Corses ou les Irlandais
Dans notre projet, la Wallonie rejoint les régions françaises sans perdre son identité, sa personnalité et son territoire. Elle serait la 5e région en importance parmi les 23 régions métropolitaines. Seules des rectifications mineures pourraient être envisagées: par exemple, Mouscron et Comines avec le Nord, mais - en sens inverse - Givet avec le département qui succédera à la province de Namur, éventuellement Valenciennes avec Mons. Au sein même de la nouvelle région wallonne, un département nouveau pourrait utilement être créé autour de la Sambre avec Charleroi comme chef-lieu.
Il est donc absurde d'alléguer que le RWF voudrait livrer une Wallonie avec la corde au cou et la démanteler dans une France qui s'est largement régionalisée depuis les lois Deferre et qui ne ressemble plus au sombre tableau jacobin décrit autrefois par A.Peyrefitte. En Bretagne et en Provence, les noms des communes, sur les panneaux de circulation routière, sont annoncés en français et en langue régionale. Et il existe plus de trois cents lycées et collèges qui enseignent en langue régionale. Même M. Van Cauwenberghe - qui déclara un jour en français qu'il n'était pas de culture française - n'a jamais osé exiger la même chose en Wallonie, même lorsqu'il fut Ministre de la Communauté française.
Il se pourrait finalement que nos langues régionales soient beaucoup mieux traitées en France qu'elle ne l'ont jamais été par la Belgique ou par le pouvoir wallon. Pour le reste, il faudrait que les Wallons et les Bruxellois aient enfin conscience du privilège qui est le leur: participer au rayonnement de l'une des quatre ou cinq grandes langues de culture et de communication qui auront pignon sur rue sur la scène internationale pendant le prochain siècle!
En terminant ce chapitre qui n'a fait qu'aborder les grandes lignes de notre projet et de notre programme, qu'il me soit encore permis de réfuter deux argumentations - d'ailleurs contradictoires - souvent rencontrées chez nos adversaires.
- La première, qui est une illusion, consiste à croire en la résorption de la question belge par sa dissolution dans l'Europe. C'est là une des démissions classiques de l' «esprit belge». L'intégration historique vantée par les fonctionnalistes a en fait terminé son rôle historique. Ses derniers échecs le prouvent et aggravent les interrogations existentielles de l'Europe sur l'avenir. L'euro, limité à onze États, ne donnera pas naissance à un véritable engrenage fédératif. L'élargissement confirmera la dilution déjà entamée. Si nous rejetons l'européisme mécanique et maastrichtien des «élites belges», nous ne sommes pas pour autant anti-européens. Le RWF a une vision positive de l'Europe et prône une Europe «européenne», fondée sur le resserrement de l'alliance franco-allemande et le respect des nations, vecteurs de la démocratie et sources de la vraie résistance à l'américano-mondialisation. L'Europe actuelle va à la dérive pour diverses raisons mais notamment parce qu'elle abaisse les États-Nations sans les remplacer par autre chose qu'une bureaucratie irresponsable.
- À l'inverse, une autre thèse voudrait prétendre que l'Europe s'opposera à toute dissolution belge. C'est prêter un grand pouvoir et une grande volonté à une entité qui n'est ni une superpuissance (de toute façon abstraite), ni un pouvoir supérieur aux Gouvernements qui la constituent. La capacité d'action de l'Europe, en tout état de cause, est réduite à sa plus simple expression. Songeons qu'elle n'a même pas été capable de gérer la petite ville de Mostar en Bosnie...
À vrai dire, l'Europe n'est que l'assemblage des États (et surtout des grands États) qui la composent.
On ne peut donc pas dire, au risque d'une incohérence grave, d'une part que l'Europe sera le réceptacle de la dissolution belge et, d'autre part, que l'Europe n'acceptera pas la fin de la Belgique. Il est particulièrement stupéfiant d'entendre les mêmes personnes évoquer les deux propositions! Décidément, les partisans de la «Belgique malgré tout» invoquent l'Europe à tort et à travers.
Notre sentiment est celui-ci: la principale menace qui pourrait accompagner la fin de l'État ne serait pas un affrontement autour de Bruxelles mais bien plutôt une balkanisation de la Wallonie. Pour conjurer ce danger, il se pourrait que l'Europe accueille avec soulagement une union pacifique de la Wallonie et de Bruxelles avec la France comme elle s'était félicitée, il y a dix ans, de la réunification allemande. La multiplication infinie d'États-confettis en Europe ne serait pas profitable à la stabilité et à l'équilibre du continent. Par contre, elle serait tout bénéfice pour la superpuissance américaine et pour les grandes sociétés «mondialisées» avides d'une Europe dispersée en une multitude de mini-États et régions sensibles par définition aux chants de sirène de la mondialisation.
VI) Les tentatives de restauration sont le prélude à la fin du régime belge
Depuis le scrutin du 13 juin 1999, on assiste à une reprise en main belgicaine et accessoirement monarchiste, orchestrée par le PRL-FDF et le PS. Et avec l'aide empressée de la RTBF. Mais ce retour de l'imagerie d'Épinal belge est uniquement francophone. En cela, l'opinion publique wallonne et bruxelloise fait l'objet d'une immense duperie voulue et organisée par le «nouvel État PRL-FDF», accompagné par un PS soudain frappé par l'étrange virus du suivisme.
Pourtant, les gens informés constatent de plus en plus l'émergence de deux visions toujours plus unilatérales que développent d'elles-mêmes tant la Flandre que la Wallonie. De plus en plus, il s'agit de deux sociétés distinctes, aux imaginaires et aux représentations opposées... Il n'est que d'observer la schizophrénie qui s'empare des dirigeants flamands et wallons dans leur «croisade» contre l'extrême-droite, à Vienne ou à Anvers.
Une certaine presse, friande de «Belgique malgré tout», s'évertue à nous expliquer que le «prurit communautaire» est artificiellement suscité par une sphère politique que tout opposerait au «pays réel» (tiens, l'idéologie rexiste n'est pas tout à fait morte). Mais alors, comment justifier que sans aucune intervention «politicienne», des organismes, tels que l'Ordre des Avocats, ou des fédérations sportives de plus en plus nombreuses ne supportent plus la vie en commun et décident de se séparer? Tout cela, la population le sait ou le pressent plus ou moins confusément. Et la stratégie néo-belgicaine est aussi vaine que dérisoire.
En réalité, les responsables francophones, volontairement dupes de leurs propres espérances, craignent leur opinion publique et ses jugements sévères. Ils préfèrent en être le reflet plutôt que de la regarder droit dans les yeux. Ils ne veulent pas lui dire que la Belgique est incapable de guérir de ses maux car l'avouer reviendrait à avouer que «le roi est nu».
Depuis le «Beste vrienden» proféré par L.MIchel le soir du 13 juin 1999, nous sommes entrés dans la période de refoulement qui est le grand prélude à de profondes difficultés du régime belge. Elle se caractérise par un contrôle étroit de la pensée publique et une surveillance de l'orthodoxie de la parole politique. Elle invente une prétendue pacification communautaire, elle sacralise la «famille royale», elle nie la signification politique de certains événements, elle rabaisse les régions (Flandre, Wallonie, Bruxelles) à des entités géographiques (Nord du pays, Sud du pays, Centre du pays). Il s'agit d'une entreprise de dénégation classique aux périodes réactionnaires de restauration. On pense à la stratégie du SED (PC est-allemand) ou du PC tchécoslovaque en 1988: ils s'étaient livrés à des exercices de ce genre en menant des Congrès offensifs sur le thème d'un «nouveau socialisme» (!), allant jusqu'à interdire sur leurs territoires des publications soviétiques officielles de l'ère Gorbatchev accusées de «révisionnisme»... Chez nous également on assiste à un incroyable mélange d'autocensure d'une partie de la presse et de non-pensée dans le chef des partis de pouvoir.
Cette vaste opération d'endoctrinement et d'infantilisation de l'opinion publique ne pourra pas cacher plus longtemps que nous avons pénétré dans l'avant-dernière phase de la fin d'un régime et d'un État, sans que nous puissions préjuger de sa durée ni de sa vigueur.
Contrairement aux allégations matamoresques d'un D.Ducarme et des autres dirigeants du PRL-FDF, la Flandre n'a pas changé. Tous ses objectifs demeurent inscrits à l'agenda des deux ou trois prochaines années. Elle veut devenir un État («een Vlaamse staat in Europa»). Sa prospérité est sans équivalent dans toute son histoire. Elle s'affirmera, avec ou sans Bruxelles. Les faits appellent cette affirmation-émancipation. La Flandre va saisir sa chance historique. On a d'ailleurs vu certains États se constituer en Europe avec moins de moyens et moins d'ambitions.
En réalité, le régime belge actuel est un compromis transitoire ente une classe dirigeante flamande au faîte de sa puissance et un Establishment belge finissant qui a volontairement perdu le contrôle de son propre empire économique et financier. Ce compromis-transition n'aura bientôt plus d'utilité pour la Flandre. Elle voudra son État à soi et ses dernières conquêtes seront pour l'essentiel de l'ordre du symbolique dont on sait qu'il est souvent important en politique.
Pour les Wallons et les Bruxellois, il est temps de se débarrasser d'un vieux complexe de population coupable placée sous protectorat. Il est temps pour eux de songer à un avenir et de le préparer. Pour le bien-être des générations futures, cet avenir sera un destin commun avec la République française dont la puissance économique et la forte tradition sociale constituent les seules vraies garanties et les seules vraies promesses que nous puissions offrir à la jeunesse de Wallonie et de Bruxelles.