La Belgique a (déjà) disparu

République n°1, avril 1992

Affiche électorale socialiste en mars 1950 lors de la consultation sur le retour du roi Léopold III (AMSAB)

La fin se met à vivre
On perçoit son souffle
dans le silence desoiseaux
On se donne à la fougue
naissante de la ruine

François Jacqmin, L'Automne

La Belgique comme Etat unitaire, monarchique, à peine parlementaire durant le premier siècle de son existence (avec cependant plus de contenu démocratique que beaucoup d'autres pays), est morte le 26 janvier 1950.A cette date,Jean Rey,ministre du gouvernement PSC-Libéral de G.Eyskens, qui organisera la Consultation Populaire de mars 50, s'oppose à P-H Spaak à la Chambre belge .Voici ce dialogue où Jean Rey plaide en faveur du dépouillement de la Consultation Populaire par régions :

M.REY - (...) J'ai eu l'occasion de m'entretenir de ce problème avec une personnalité éminente du parti social-chrétien,qui m'a dit: je vous comprends parfaitement.Si la situation était inverse,si c'était en Wallonie que le Roi était populaire et si c'était en Flandre qu'il ne l'était pas,nous n'accepterions pas que la Wallonie nous impose sa volonté. Et je suis convaincu que jamais un socialiste wallon pas plus qu'un libéral wallon...
M.SPAAK - Je suis un socialiste belge.
M.REY - ... et peut-être pas plus qu'un catholique flamand n'aurait accepté qu'une consultation se fasse autrement qu'en permettant à nos concitoyens d'exprimer librement leur avis et qu'on sache ce qu'on pense dans les différentes régions du pays.
M.SPAAK - C'est de la folie. 1
Un confédéralisme lié à la sociologie belge

Le gouvernement Eyskens d émissionnera après la Consultation populaire de 50 - positive pour le roi en Flandre,négative en Wallonie -,provoquant les élections de juin 50, le PSC conquiert la majorité absolue,majorité jamais plus obtenue depuis les élections de 1912, majoritéqui lui permit de croire qu'il pouvait faire revenir Léopold III. En ce 26j anvier 1950 où Rey harangue les députés, la Belgique s'est défaite. On a admis le principe d'un "droit de veto" de la Wallonie - donc d'une composante de l'Etat belge. En effet, les libéraux, comme les socialistes, étaient convaincus ,non sans raison, que la Consultation Populaire donnerait unn résultat négatif pour Léopold III en Wallonie. Or l'idée que ce non serait suffisant pour empêcher Léopold III de régner à nouveau, c'est cela le confédéralisme. Dans les Etats fédéraux, il n'est pas question d'un droit de veto d'un Etat fédéré: en Suisse par exemple, il existe seulement la possibilité que, une majoritéde cantons disant non, alors qu'une majorité de citoyens suisses disent oui, une loi ou une décision soient rejetées.Ce jour-là,l a Belgique s'est défaite car Jean Rey n'exprimait pas seulement une conviction de la classe politique. Le 11 mars,la Wallonie dit bien "non" et la Flandre "oui" à Léopold III. Mais celui-ci,ne tenant pas compte de ce qu'il appelait "la minorité", revint au pays le 22 juillet 1950. Aussitôt, la Wallonie, n'écoutant que sa conviction d'avoir dit "non", se dressa en une formidable insurrection,sans aucun véritable mot d'ordre de quiconque, syndicat ou parti politique, mais par l'effet de l'instinct qu'un peuple ne peut s'en laisser imposer par un autre,instinct de cette "lutte à bmort" qui annonce le droit 2.
La résurgence du schéma de 1950 en septembre 91

Les analystes à courte vue ont cru voir, dans la crise de septembre 1991, une simple opportunité saisie par le PS pour faire un tabac électoral. Il eût cependant été difficile à un parti comme le PS de ne pas montrer les dents alors que des milliers d'emplois étaient en jeu. Certes,par le passé (et notamment en septembre 81 pour la sidérurugie comme en 1977 lorsque Tindemans vira les ministres RW), la Wallonie s'était trouvée devant des situations de ce genre. Mais, compte non tenu, par méthode, de l'enjeu spécifique et très particulier des débats - le commerce des armes -, et quel que soit le bien-fondé du refus des pacifistes du SP et de la VU , se reproduisit, en septembre 91, le même schéma conflictuel qu'en 1950 : la Flandre voulait imposer une solution à la Wallonie que celle-ci refusait, refus wallon qui ne portait pas vraiment atteinte aux intérêts objectifs de la Flandre, mais qui défiait, c'est vrai, sa volonté, en l'occurence plus fondée moralement qu'en 50 (en ce qui regarde l'enjeu). On prévoyait de réunir le Parlement wallon le 1er octobre 1991. Avec la menace clairement suggérée que cette réunion allait faire advenir une nouvelle légitimité - anticonstitutionelle -, la légitimité wallonne démocratique. Les Flamands cédèrent avant. Plus vite et plus politiquement que Léopold III (cela n'était pas difficile!). La crise de septembre a révélé que la structure confédérale - structure de facto, socio-politique, implicite... -, évoquée par Jean Rey dès 1950 ou Elie baussart en 1929 s'inscrit dans la longue durée. A la vérité, les Wallons et les Flamands - comme Rey le disait très bien - ont toujours pensé, selon le mot d'Elie Baussart, que la Belgique est faite pour la Flandre et la Wallonie et non l'inverse. Phrase anodine, modérée, mais qui est,elle aussi, confédérale.
Roi et peuple mis en abîme : l'opacité belge

La "mise en abîme" consiste à faire voir dans le miroir, grâce à un autre miroir, le processus lui-même par lequel le miroir refléte les choses (ou la caméra,le pinceau du peinte, le crayon du dessinateur). Comme dans la couverture de La Belgique malgré tout, représentant le capitaine Haddock s'exclamant "Quoi!", et regardant la couverture du livre où il s'exclame "Quoi!" et ainsi de suite...
On sait que, constitutionnellement, les entretiens avec le roi sont couverts par le secret. Le peuple doit donc tout ignorer de ce que pense le roi qui doit rester "irresponsable" (et pouvoir ainsi exercer son pouvoir d'influence tout à loisir). On ne dira pas ici que le référendum est nécessairement le meilleur instrument de la démocratie. Mais il n'est pas évident qu'il se dégrade toujours en plébiscite et on admet maintenant que sur des sujets essentiels où, vraiment, une certaine logique binaire est acceptable, le référendum se justifie. On peut donc estimer que le référendum, dans certains cas précis, est la meilleure manière de s'exprimer du peuple souverain. Mais, en raison de l'expérience de 1950, où cette expression solennelle du peuple souverain a mené à un déchirement - comme nous l'avons expliqué pour commencer -,Hugues Dumont a écrit, non sans pertincence que "la Belgique ne pourrait survivre s'il était permis de connaître sans contestation possible la teneur de son opinion publique sur des questions sensibles " 3. Hugues Dumont poursuit: "quand un Etat qui se veut démocratique en arrive à déduire de ses principes constitutionnels que l'ignorance délibérée de l'opinion de ses citoyens est une condition de sa propre survie ,il doit avoir le courage de se décider soit à changer ses structures,soit à disparaître." 4 La belle preuve que le rejet du référendum est liée au problème communautaire, c'est le fait qu'un juriste comme Franklin Dehousse l'envisage avec faveur dans les entités fédérées de l'actuelle Belgique. Nous vivons donc dans un Etat démocratique dont il n'est permis de connaître ni l'opinion du Chef (de l'Etat) ni l'opinion de sa propre opinion publique. Les deux impossibilités sont comme mises en abîme. La dissimulation de l'une renvoie à la dissimulation de l'autre. Il y a quelque chose de vertigineux dans ce saut continuel du non-dit au non-dit, de la non-opinion à la non-opinion : c'est cela la Belgique. La Belgique doit-elle disparaître? Mais non! Elle a déjà disparu...
Plus de bourgeoisie francophone

Tournons-nous maintenant vers ce que Marx appelle l'infrastructure. Il n'y a pas d'Etat moderne sans bourgeoisie. Or la bourgoisie francophone belge n'existe plus. Cette bourgeoisie a été l'une des premières au monde à devenir une bourgeoisie financière, se structurant autour de trois éléments, le palais, l'administration supérieure et le gouvernement, la haute finance, reposant, au départ,sur la propriété fonciçère et la haute banque 5. Son "actionnaire de référence" a été la "Société Générale". C'est cette bourgeoisie qui a géré la prospérité wallonne, prospérité qui a assuré son expansion. Aux premiers signes du déclin industriel, la bourgeoisie francophone belge s'est retirée de Wallonie sans se soucier de quelque reconversion que ce soit, les analyses de Michel Quévit sont classiques sur ce point 6. Fossoyeuse de l'industrie wallonne, la Société Générale a finalement été rachetée par le groupe français Suez.La Société Générale qui n'avait strictement rien de wallon, n'est même plus belge et Suez la pousse à ne plus conserver en Belgique que l'électricité (où elle détient un quasi monopole ce qui est un comble pour des gens se disant partisans de la libre entreprise), les assurances,la Générale de Banque et le ciment 7. Il n'y a plus de bourgeoisie belge francophone. Cette classe est en tout cas en voie de disparition. Albert Frère et Etiennne Davignon, entre quelques autres, conseillent encore au gouvernement formé par Dehaene de soigner l'image de la Belgique et de se poser en défenseurs de l'intérêt national. Ils ne peuvent plus rien contre une evolution politique que leurs prédécesseurs ont condamné aussi vainement que le roi. Simplement parce que ces hommes n'ont guère de leçons à donner et qu'ils ne peuvent plus grand-chose. Il n'y aura pas vraiment de bourgeoisie industrielle wallonne estime quelqu'un comme Michel Quévit 8. Aux holdings déserteurs ont succédé les pouvoirs publics wallons qui jouent le jeu d'une importante société à portefeuille, d'ores et dééjà la troisième du pays 9. Lorsque les institutions publiques de crédit seront régionalisées, l'ancienne infrastructure économique de la Belgique aura pratiquement disparu. Son sort est celui de sa superstructure...
La force des entités fédérées

Pendant ce que l'on pourrait parler "la période d'incubation" du fédéralisme, de 1950 à 1970, les propositions fédéralistes ont été assimilées au séparatisme. Les adversaires du fédéralisme n'avaient pas entièrement tort. Là aussi, la crise de septembre 91 est instructive. Tant qu'un peuple n'est pas réuni dans les formes habituelles de la démocratie parlementaire - un gouvernement face à un parlement - il est difficile de se réclamer légitimement de lui. Les Congrès wallons de 1945 à1950, les réunions séparées des mandataires wallons socialistes (comme celle de janvier 1961) n'ont pas eu la représentativité de la réunion du parlement wallon du 1er octobre 1991.
Déjà en 1965 l'ouvrage La Décision politique en Belgique mettait en avant cette légitimité :"les milieux capitalistes et, en général, la bourgeoisie belge freinent donc, comme ils le peuvent, les forces centrifuges qui sont essentiellement populaires et sur lesquelles ils ont peu de prise (...) il est presque impossible de créer un vaste regroupement populaire en faveur de l'unité belge" 10. La seule tentative d'organiser ce soutien populaire date du 31 mars 1963 à Bruxelles: ce jour-là défilèrent une bonne dizaine de milliers de personnes en faveur de l'unité de la Belgique. Le cortège était composé esentiellement de Flamands francophones et de Bruxellois, les Wallons constituant le sixième de la manifestation. Le contexte lui était favorable, la mise en cause de la Belgique battant alors son plein (grève de 60, affaire des Fourons, tensions sur les communes francophones de la périphérie de Bruxelles, marches flamandes sur Bruxelles etc.). Depuis lors, il n'y eut plus de rassemblement qu'implicite et apolitique en faveur de l'unité belge (dont la signification est sujette à caution : l'accueil de l'équipe belge sur la Grand-Place de Bruxelles en 1986 par exemple).
L'actuelle préoccupation des partis politiques de participer à tous les niveaux du pouvoir en Belgique ne traduit peut-être pas qu'une tactique politicienne, mais le sentiment que les choses se passent de plus en plus au niveau régional. La "montée" de Guy Spitaels à la tête du gouvernement wallon en janvier 1992 est la consécration de la tendance à accorder de plus en plus de poids aux institutions des entités fédérées. Lorsque des élections auront lieu en Flandre et en Wallonie, les opinions publiques des deux nations vivront, quelques semaines, des débats portant sur l'avenir de la Flandre et l'avenir de la Wallonie.Là aussi, la consécration démocratique formelle du débat à l'intérieur de la Wallonie (ou de la Flandre) aura des effets profonds. Et principalement celui de hisser peu à peu la légitimité démocratique, wallonne ou flamande, à un degré supérieur à celui de la légitimité démocratique belge. Déjà, en 1965, La décision politique en Belgique estimait que cette légitimité entraînait les militants wallons et flamands à souhaiter que la Wallonie et la Flandre entrent comme telles dans une éventuelle confédération européenne.Dans Knack 11 , Marc Eyskens a raison de dire que la perspective de l'Europe des Régions est hypothétique, les Etats ou les Nations conservant leur souveraineté, même limitée.Mais, en 1984, Tollet, Quévit et Deschamps ont déjà esquissé le projet d'une confédération belge en rappelant cette donnée de droit que le système confédéral institue une constitution confédérale qui appartient au droit international et qui lie des entités devenues à part entière sujets du droit international. La raison d'Etat qui consiste dans les raisons qu'a chaque Etat de désirer la survie de ses semblables,la mort de l'un d'entre eux pouvant être trop contagieuse en raison du traumatisme que constitue cette disparition sur les repreésentations du monde vu le caractère "inscrit" d'un Etat avec sa couleur et ses frontières sur la carte, ne peut être opposee à l'idée d'une souveraineté de la Wallonie. On pourra toujours s'arranger entre Flamands et Wallons pour maintenir une Belgique fictive, dont les derniers et dérisoires symboles entretiendraient d'autant moins la nostalgie que la forme monarchique de cet Etat en sera effacée. C'est dans cette seule perspective que Marc Eyskens peut dire que "La Belgique ne disparaîtra jamais".Encore que, même dans cette optique, il est trop optimiste : si Flamands et Wallons sont assez habiles à vider l'Etat belge de toute substance tout en semblant rencontrer les raisons d'autres Etats, il se passsera un jour ou l'autre, comme toujours dans le cas du maintien d'une entité téhorique que celle-ci finisse par mourir sans bruit, comme la feuille se détache de l'arbre à la fin de l'automne. L'automne est proche.
Les mutations de l'Europe

La force des situations politiques acquises c'est de se faire passer comme immuables, comme inscrites dans la nature des choses. D'où cette "raison d'Etat" invoquée il y a quelques lignes pour rappeler la répugnance des Etats - quels que soient les conflits qui les opposent -, à voir disparaître un autre Etat. Quelle que soit l'hostilité des nations entre elles, l'existence même d'une nation et l'attachement à cette nation vont de pair avec le sentiment d'une pluralité de nations qui nous entourent et qui finissent par nous justifier nous-mêmes. C'est là la limite - bienvenue - de tout nationalisme 12.Mais c'est là aussi la raison même de l'hostilité des nations ou des Etats à la disparition d'autrui. Jusqu'à la chute du mur en novembre 1989, l'Europe pouvait apparaître comme immuablement fixée dans ses frontières et la possibilité de la création d'autres et nouveaux Etats comme fantasmagorique. Certes - et l'on voit bien là la force de l'idéologie légitimante -, même en Europe occidentale, ce coin du monde aux frontières les plus anciennes 13, le dernier siècle a été fertile en bouleversements : le Luxembourg, la Norvège, l'Islande, l'Autriche contemporaine, l'Irlande, Malte, Chypre, la République Fédérale Allemande (de 1949 à 1989) puis l'Allemagne réunifiée sont des créations qui n'ont pas (ou qui n'eurent pas) cent ans. En janvier 1992, la BBC annonçait qu'un sondage donnait plus de 50 % d'Ecossais en faveur de l'indépendance. Nous ne ferons qu'évoquer ici ce qui, à la marge de l'Europe occidentale, bouleverse la Yougloslavie, cette mort-née au regard d'une histoire de longue durée, ou la réapparition puis la mort et la résurgence des trois Etats baltes. Rien que dans l'espace ainsi circonscrit on a vu donc apparître une quinzaines de nouvelles nations, de nouveaux Etats. A l'Est et dans l'ex-Urss, c'est de pullulement qu'il s'agit, une première fois avant (Roumanie, Bulgarie, Monténégro, Serbie) puis ensuite après 1914-1918 (Yougoslavie, Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie, Lettonie, Lituanie, Estonie et,on l'oublie souvent, Albanie et Finlande ), enfin, après l'éclatement soviétique, les républiques socialistes soviétiques d'Europe: Russie, Géorgie, Biélorussie, Arménie, Ukraine, Moldavie. A cela, ajoutons la création des républiques yougloslaves : Slovénie, Croatie, Bosnie et peut-être demain Macédoine, Voïvodine les bouleversements aux frontières de la France et de l'Allemagne (Alsace-Loraine), de l'Allemagne et de la Belgique, de l'Allemagne et de la Pologne, de l'ex-URSS et de la Roumanie, entre la Hongrie et la Tchécoslovaquie,l es volontés les plus sûres d'autonomies : Catalogne, Pays Basque, Ecosse, Slovaquie, Corse, Flandre et Wallonie. Depuis une centaine d'années, trente à quarante entités politiques sont apparues ont disparu, ont réapparu. L'Europe est plus instable que l'Amérique latine ,l'Amérique du nord voire même, depuis la décolonisation (et encore beaucoup des Etats nouveaux préexistaient clairement comme le Maroc,la Tunisie, l'Inde, l'Egypte,l e Zaïre, le Rwanda, le Kenya etc.) que l'Asie et l'Afrique. L'apparition d'entités autonomes comme la Flandre et la Wallonie n'aurait rien d'absolument bouleversant. Même si c'est ainsi qu'apparaissaient les choses dans la longue période l'après-guerre (1945-1989) et encore aujourd'hui. Rien n'est plus fort que le confort de notre imaginaire, le confort de notre faculté à discerner le possible et l'impossible. Ce qui a été tenu longtemps pour impossible - la disparition de la Belgique - est déjà en train de se réaliser.
La Belgique va mourir

La Belgique va mourir. Elle est déjà morte comme François Perin le disait en 1980. A l'époque, la confiance des Wallons en eux-mêmes n'allait pas très loin. On s'est abondamment servi durant les cinq années qui suivirent de l'image utilisée par le même François Perin d'une Flandre lâchant la Wallonie comme le voyageur en ballon lâche du lest lorsqu'il se rapproche du sol (la caricature a été utilisée dans De Standaart). Mais la crise de septembre a démontré cela aussi : les Wallons n'ont plus peur de l'autonomie et n'ont même plus peur de la sécession. Les déclarations des hommes politiques d'alors, et, principalement, MM Spitaels et Deprez, n'ont laissé aucun doute à ce sujet. On sentait bien en 1970, lors de la première révision constitutionnelle ou encore, de 1977 à 1978, que le consensus entre forces politiques et sociales belges allaient au-delà des tendances centrifuges. Durant les premiers mois de 1979, ce sentiment a vacillé alors que certains parlaient d'une prise d'autonomie de fait de la Wallonie. Mais cela se heurtait encore alors à la peur des Wallons. A partir de cette date, Wilfried Martens, premier ministre presque sans interruption jusqu'en 1991 apparut comme l'image de ce consensus. La Belgique fut gouvernée à droite de 1981 à 1987 - c'est consubstantiel à l'Etat belge -, le processus s'interrompant à cause de l'affaire Happart,un Happart qui défiait l'Etat belge d'exister jusqu'au bout et jusqu'à sa révocation pure et simple 14 qui ne se produisit vraiment jamais. Martens n'at-il pas été la dernière image d'un consensus belge? En tout cas, cette image s'est brisée sur une candidature maladroite à Bruxelles, liée aux intérêts de la COB et soutenue par le roi, appelant à la rescousse de la Belgique - vieille méthode -, l'idée européenne incarnée à Bruxelles. L'Etat belge ne peut même plus compter, en ce qui concerne la Wallonie, sur la totale ignorance (en partie volontaire) de la France et des sympathies que les Wallons y trouveront normalement. Après les hommes d'affaires, les intellectuels et les politiques français se rendent compte de l'existence d'un foyer de vie culturelle française à 200 kilomètres de Paris comme la Wallonie. Celui-ci n'est pas séparable de Bruxelles et il n'est pas non plus séparable de l'intérêt politique français dans une Europe où l'Allemagne risque d'être hégémonique.Des contacts étroits entre la Wallonie, Bruxelles et la France, ce n'est pas seulement notre intérêt et celui de la France, c'est sans doute l'intérêt de l'Europe. L'apport de la Wallonie à la francophonie européenne ne doit pas se mesurer seulement de manière arithmétique (déjà, à ce point de vue, les choses ne sont pas négligeables).Cet apport doit se mesurer aussi en termes politiques et on voit bien là la force que représenteraient des entités politiques souveraines comme la Wallonie et Bruxelles dans le jeu qui n'a pas cessé de l'équilibre européen.
C'est une donnée de plus qui explique la banqueroute belge. En réalité, la Belgique ne repose plus que sur la force politique que constitue le Palais dans notre vie politique. Il le faut bien. Le roi est la seule instance symbolique à pouvoir servir de substitut à l'absence d'infrastructure humaine et politique (la légitimation populaire) et à l'abence d'infrastructure « économique (la bourgeoisie belge francophone). Certes, il reste la sécurité sociale, bien comun des travailleurs au nord comme au sud de la frontière linguistique. Mais ce bien commun n'est que celui des travailleurs. Il n'est pas celui d'un Etat conçu au départ pour les exploiter. Déjà, comme le disait Arrango, lorsqu'infrastructure et superstructure belges étaient florissantes, il fallait le roi pour assurer la "maintenance" (en anglais dans le texte) de la "national unity" 15. Aujourd'hui où plus rien de cela ne subsistent, le roi est peut-être la dernière chose qui tienne encore la Belgique. Durant l'été 1940, François Bovesse, dans l'extrême amertume de la victoire de la barbarie, fit l'hypothèse que la Belgique ne renaîtrait jamais. Il importe de refaire cette hypothèse avec plus d'allant et de confiance aujourd'hui. Car la disparition de la Belgique entraîne la déchéance de la dynastie des Cobourg, la montée de deux peuples méprisés tour à tour et un progrès formidable pour la démocratie.
José Fontaine
  1. 1. Cité par Jacques Van offelen, Les libéraux contre Léopold III, Duculot, Gemblux, 1988.
  2. 2. VoirJ-MFerry, Les ûissances de l'expérience, Tome I, Cerf, aris, 1991, pages 70 et suivantes.
  3. 3. Hugues Dumont, Etat, Nation et Constitution, in Belgitude et crise de l'Etat belge, Facultés St Louis, Bruxelles, 1989,p. 107.
  4. 4. Ibidem.
  5. 5. P. Lebrun et aliii, Essai sur la révolution indiiustreille en Belgique,1979, p. 105.
  6. 6. Michel Quévit, Les causes du déclin wallon, EVO, Bruxelles, 1978.
  7. 7. M.Capron, La Revue Nouvelle, 9/91, p. 25.
  8. 8. Interview dans 4Millions4, avril 1978.
  9. 9. Supplément économique du journal Le Soir, du 23/9/91.
  10. 10. Ladrière, Meynaud, Perin, La décision politique en Belgique, CRISP, Bruxelles, p. 145.
  11. 11. Son numéro du 26/2/92.
  12. 12. Hannah Arendt, Le système totalitaire, LaBibliothèque du XXe siècle, réédition du Seuil, Paris, 1972 en 1989; p. 166.
  13. 13. M.Foucher, Fronts et frontières, Fayard, Paris, 1988.
  14. 14. Voir C.Bricman, Y a-t-il un Etat belge? in Belgitude et crise de l'Etat belge, op cit, pp 71-72.
  15. 15. R.Arango, Leopold III and the Belgian Royal Question, The John Hopkins Press,Baltimore, 1961, p. 9.