Volu djåzer walon è l’ an 2000. Mins pocwè ?
Par contre, si vous dites : “ Dji dvize li walon ”, certains se demanderont “ Mais pourquoi ? ”
C’est le sort des langues minorisées : elles sont frappées de suspicion. Suspicion d’inanité, de repli sur soi, de passéisme. Ou encore de danger, dans ces contrées étranges où l’on croit encore – contre toute évidence – à l’équation “ une nation = un État = une langue ”, où l’on considère que parler une langue autre que la langue de l’État revient à être contre l’État.
Viscéralement, je voudrais pouvoir répondre à cette question : “ Je n’ai pas à me justifier. Je suis libre de parler ce que je veux, de même que vous n’avez pas à vous justifier de vos préférences linguistiques, sexuelles, religieuses, culinaires ou autres ”.
Plus rationnellement, je sais que si je veux que parler wallon (ou toute autre langue minorisée) redevienne enfin anodin, il va d’abord falloir argumenter.
Est-ce bien raisonnable ?
Tordons d’abord le coup à la croyance pseudoscientifique confuse selon laquelle le wallon, n’étant “ pas une langue ”, n’aurait en quelque sorte plus droit de cité au 21e s. Il y a là plusieurs problèmes mélangés. Celui du statut linguistique et sociologique du wallon (langue, dialecte, patois…) ; celui du droit à l’existence des idiomes qui, à mon sens, est indépendant de leur statut sociolinguistique ; puis encore la croyance selon laquelle l’uniformisation est nécessaire ou, au moins, inévitable.
Quant à la première croyance, elle reflète une idéologie ancienne fondée sur le rejet dans l’enfer des “ dialectes ” ou des “ patois ” de tout ce qui n’était pas la “ langue nationale ” : différentes branches de la linguistique (dialectologie, études structurales, sociolinguistique…) ont démontré les unes après les autres qu’il existe bien une entité linguistique (une langue) que ses locuteurs appellent “ wallon ” et dont le statut et les dénominations sont accidentels. Parallèlement, c’est devenu un lieu commun de remarquer qu’une langue n’est pas officielle ou nationale par essence mais par le jeu des pouvoirs politiques ou des forces sociales en action.
La deuxième croyance, celle selon laquelle les langues non nationales ou officielles n’auraient pas droit au privilège d’exister, peut s’expliquer par l’équation dogmatique posée plus haut entre État unique et langue unique. Elle peut aussi reposer sur la croyance selon laquelle plusieurs langues de statuts différents ne pourraient cohabiter dans une même communauté (je ne parle pas des juxtapositions d’unilinguismes à la belge). Ceci est démenti par l’observation de la situation linguistique du monde entier : le plurilinguisme est l’état normal de l’humanité, et non une exception exotique. Même les plus minuscules nations européennes sont plurilingues : le grand-duché de Luxembourg où cohabitent le luxembourgeois (“ langue nationale ”), le français (“ langue officielle ”) et l’allemand. Les États-Unis, souvent fantasmés comme unilingues, sont profondément plurilingues. L’Allemagne a ses langues régionales (danois, frison, bas-saxon, sorabe, et j’en passe). Que ce plurilinguisme soit souvent plus ou moins conflictuel ne plaide pas nécessairement en faveur de l’éradication de toutes les langues sauf une, mais plutôt en faveur de la gestion responsable du paysage linguistique d’une nation. Faute de quoi frustrations, complexes et honte s’installent chez les locuteurs faisant ou – contraints de faire – le sacrifice d’une partie de leurs aptitudes linguistiques donc d’une partie de leur culture. La sociolinguistique wallonne a démontré à maintes reprises que notre pays, justement, souffre sévèrement de cette maladie, appelée “ insécurité linguistique ” dans les travaux spécialisés.1
Quant à la troisième croyance, elle relève peut-être plutôt de la peur de la diversité que de l’amour de l’uniformité. Nous vivons pourtant une époque de remise en valeur générale de la diversité, celle des espèces de fruits (la disparition d’une espèce de poirier est une catastrophe irrémédiable), celle des espèces animales (même commentaire)… et celle des espèces de langages (même commentaire). La diversité, la variation sont pratiquement synonymes de “ vie ”, peut-être même une condition de vie. Pour revenir à la linguistique, on sait que chaque langue est une façon de saisir le monde, d’établir des rapports entre les phénomènes, de leur assigner une importance relative, de décrire l’homme. Chaque langue est, par elle-même, une connaissance englobante du monde et de l’être humain. Perdre une langue, c’est perdre à la fois un trésor de connaissances acquises et un outil d’approfondissement de ce savoir. Le wallon ne fait pas exception.
Que représente le wallon aujourd’hui ?
Si notre communauté wallonne veut pouvoir se prononcer en connaissance de cause sur la question de savoir si, oui ou non, il vaut la peine d’avoir un projet d’avenir pour la langue wallonne, c’est-à-dire un projet de gestion harmonieuse de toutes les langues en présence en Wallonie (y compris, soit dit en passant et à mon avis, les langues des communautés immigrées), nous devons disposer d’une description objective de sa situation dans la société d’aujourd’hui. Malheureusement, une telle description objective fait cruellement défaut : souvent, préjugés des uns et revendications ou élans sentimentaux des autres tiennent lieu de données, ce qui est évidemment plus simple pour les deux camps. Il est pourtant possible de glaner quelques renseignements quantitatifs et qualitatifs trop souvent ignorés. À titre d’exemple, voici quelques données quantitatives intéressantes.2
Au 19e s., la majorité de la population ne se servait pas du français au quotidien, comme le montrent des indices indirects. Par exemple, le programme des cours demandait, dans le namurois, d’enseigner quelques dizaines de mots français aux nouveaux élèves ; les émigrés wallons au Wisconsin ne parlent que le wallon et l’anglais, ce qui montre que leurs ancêtres partis vers le milieu du siècle n’utilisaient pas normalement le français.
En 1920, une enquête menée par J.-M. Remouchamp auprès des 1444 administrations communales de Wallonie indique que de 77 à 88 % des gens “ se servent de préférence du wallon ”.
En 1999, il ressort de différentes estimations globales et enquêtes menées surtout dans des villages et chez les jeunes que la proportion de personnes affirmant avoir une connaissance active d’une langue régionale de Wallonie tournerait autour des 30 à 40 % ; cette population se répartirait de manière proportionnelle à l’âge, avec un pic de 70 à 80 % chez les plus de 60 ans et un creux d’environ 10 % chez les jeunes de 20 à 30 ans. La situation n’est pas la même dans les milieux ruraux et urbains ; il existe aussi une différence entre hommes et femmes, ces dernières affirmant moins souvent parler bien ou très bien le wallon. Dans le groupe d'âge ou la connaissance active est la plus faible, c.-à-d. chez les plus jeunes, la proportion des personnes ayant une connaissance passive va de 36 à 58%, selon les enquêtes. Ces chiffres se retrouvent assez régulièrement d’une recherche à l’autre. Ils renseignent sur la connaissance du wallon mais non sur la pratique réelle.
Évidemment, ces données ponctuelles ne suffisent pas pour se faire une idée du dynamisme d’une langue. De nombreux autres signes de vitalité ou de morbidité sont à prendre en compte. Certains sont encourageants (vie associative, littérature, présence dans les médias contemporains tels qu’Internet), certains sont mitigés (médias publics, où la portion déjà congrue du wallon est de plus en plus grignotée) et d’autres franchement sombres, comme le soutien institutionnel, notamment dans le système scolaire.
La conclusion à tirer de tout ceci est que le tableau n’est ni noir (“ le wallon est mort, arrêtez de nous embêter avec vos vieilleries ”) ni blanc (“ ça fait 150 ans qu’on dit que le wallon est mort, mais il est encore en pleine santé, d’ailleurs je suis allé au théâtre samedi… ”) mais très gris. Le wallon est maintenant une langue minoritaire dans le pays qui porte son nom (n’en déplaise à certains de ses défenseurs), mais vivante (n’en déplaise à ses détracteurs). Une langue menacée – qui a donc besoin d’aide dans la mesure où on lui reconnaitrait un rôle dans la vie wallonne (de même que le français est aidé). Une langue qui a, intrinsèquement, comme toute autre langue, le droit de vivre, quelque chose à apporter à la connaissance du monde et de l’homme, des qualités esthétiques et une charge émotionnelle pour ses locuteurs.
Ceux et celles qui souhaitent “ faire quelque chose ” sont donc confrontés à un gros problème : faire quoi ? Et comment ?
Que voulons-nous ?
Le petit monde des wallonophones est souvent perçu, de l’extérieur, comme uni. Et pourtant, ce microcosme est agité de nombreuses tendances parfois contradictoires reflétant assez bien les bigarrures du mouvement wallon en général : autonomistes wallons, belgicains opposés au mouvement flamand, fransquillons anti-belges et anti-Flamands par principe, régionalistes, provincialistes, nationalistes qui n’osent pas le dire, rêveurs, pragmatiques, progressistes, conservateurs, résignés, anarchistes, œcuméniques, inclassables… Dans le mouvement wallon en général, il est arrivé que ces différentes tendances se retrouvent unies sur des objectifs ponctuels négatifs (contre ceci ou cela), en s’accordant grâce à des qui pro quo ou des non-dits – ceci dit sans vouloir nier l’existence d’initiatives individuelles et de projets collectifs positifs, réellement destinés à placer la Wallonie au carrefour du particulier et de l’universel et non à la noyer niée dans la Belgique ou la France. Jacques Werner3 a bien montré que le même problème existe dans le mouvement wallonophone. En effet, le groupe des personnes considérées globalement comme “ défendant le wallon ” est agité de divers courants parfois opposés : le projet d’institutions philologiques comme la Société de Langue et de Littérature wallonne (en gros : illustrer le wallon par la littérature de qualité et en étudier les aspects dialectologiques et étymologiques) n’est pas celui de l’Union culturelle wallonne (en gros : stimuler la vie culturelle wallonne par les très nombreuses associations locales – plus de 250 – qui “ font du wallon ”) et celui-ci diffère encore du projet d’une association comme Li Ranteule (en gros : promouvoir l’usage du wallon comme langue vivante d’aujourd’hui).
Certains de ces projets sont absolument inoffensifs et ne suscitent plus aucune opposition sérieuse : qui s’inquiéterait de ce qu’un philologue passe son dimanche à écrire des vers en wallon et sa semaine à reporter des isoglosses sur des cartes, puis publie le tout dans des collections confidentielles ? Par contre, des activités comme celles de l’UCW ou de Li Ranteule peuvent apparaitre comme, disons, plus déstabilisantes, puisqu’elles impliquent une certaine remise en cause de la facette sociolinguistique de l’ordre établi. Jusqu’où pourrait aller cette remise en cause ?
Le wallon jusqu’où?
Ceux qui cherchent encore à combattre activement les langues régionales de la Wallonie sont en définitive une minorité. Bien plus fréquentes sont la résignation et la passivité, voire la complaisance : ne pas contester l’état actuel des choses revient à laisser évoluer la situation comme elle l’a fait au cours de ce siècle. C’est une manière polie de jeter les dernières pelletées de terre sur la fosse de notre langue propre – on peut être sûr que les chants des pleureuses seront philologiquement irréprochables, lestés de rimes riches et enrobés dans le sucre de quelques discours de circonstance.
Ailleurs, on entend des revendications volontaristes plus ou moins poussées : c’est le Projet culturel global de l’Union culturelle wallonne ; c’est le débat électoral organisé par l’association Li Ranteule avant les dernières élections de juin, où l’on a pu entendre Louis Michel (PRL), Maurice Bayenet (PS), Jean-Claude Nihoul (PSC) et Michel Somville (Écolo) débattre en wallon de l’avenir de cette langue.
Mais jusqu’où iraient ces discours volontaristes de l’UCW, de Li Ranteule et d’autres associations ou personnalités ? Je ne pense pas trahir l’opinion des uns et des autres en disant que le but de ces mouvements, ou de la majorité d’entre eux, n’est pas de placer le wallon à une place première ou centrale qu’il n’a jamais occupée. Ce serait plutôt de rétablir une diglossie vivante. “ Diglossie ” est un terme linguistique dénotant une situation où cohabitent plusieurs langues de statuts différents. Dans notre cas, le français a et aurait un statut clairement différent de celui des langues endogènes de la Wallonie (wallon, picard, gaumais, luxembourgeois). Le mouvement wallonophone, contrairement par exemple au mouvement catalan, ne revendique pas la première place pour la langue régionale ; il assume le fait que celle-ci doit vivre à côté d’une grande langue de diffusion internationale qui nous appartient également, mais aussi à côté d’autres langues régionales. Est-ce que ceci revient à dire qu’il faut se résigner à la situation actuelle, qui est déjà celle d’une diglossie ? Que non ! Dans la dynamique actuelle, nous allons vers une Wallonie où le wallon n’aura plus aucun statut ; il sera une langue morte laissant un vague souvenir patrimonial chez les anciens et les linguistes. Au point où nous en sommes, rétablir une diglossie relativement stable en Wallonie est une tâche gigantesque. Il faudra pour cela inscrire wallon a sa vraie place dans la culture wallonne ; il faudra un gros effort promotionnel avec un soutien institutionnel ; il faudra faire preuve d’imagination au niveau légal : les statuts réservés au romanche en Suisse jusqu’il y a deux ans, au luxembourgeois au grand-duché ou au gaélique en Irlande pourraient constituer d’intéressantes pistes de réflexion, moyennant adaptation, bien entendu, compte tenu des réalités légales et sociolinguistiques différentes . Enfin, au-delà de l’amour viscéral qui lie inévitablement tout locuteur à la langue qu’il considère comme la plus proche de ses viscères, il faudra aussi des politiques inventives et séduisantes mettant en valeur l’intérêt d’une langue régionale. Au niveau individuel, elle permet de préparer l’enfant à l’apprentissage d’autres langues. Au niveau de la communauté, il existe clairement un lien entre une culture bien assumée, c.-à-d. dans notre cas une culture qui intégrerait la langue wallonne, et vitalité sociale et économique. Au niveau international, chaque langue est un trésor dont la communauté des locuteurs est dépositaire et qu’elle a le devoir d’entretenir comme ressource pour l’humanité. Pour les relations avec l’extérieur, assumer complètement notre culture – donc aussi dans ses dimensions linguistiques – contribuera à donner une image autre de la Wallonie que celle d’une sorte d’appendice plus vraiment belge et pas encore tout à fait français. Le wallon et les langues régionales de Wallonie, à côté du français, figurent parmi les éléments qui donnent une définition positive de la Wallonie.
Li walon d’ å dzeu ou d’ å dzo ?
Les moyéns a eployî duvrint toûrner, dj’ a les pinses, åtoû di ciste ideye : ni nén foirci les lingaedjes réjionås “ pa pa dzeu ” (ca bén ki, djusk’ a ådjoûrdu, s’ apinse bråmint des disfindeus do walon, c’ est bén d’ å dzeu k’ on-z a sayî di råyî les raecenes do walon), mins les maxhî a on prodjet culturel walon ki sereut ahåyant, toûrné après l’ avni, novea. Èn on mot : vicant. Po ça, dins l’ fond, i gn a waire dandjî di liards mins pår d’ on candjmint del manire k’ on rwaite li walon. Ci n’ est nén seulmint les cis eyèt les cenes ki sont “ foû ” do movmint waloneu ki dvèt candjî d’ ideye po-z admete li walon al plaece ki lî rvént : å cour del culteure walone. Neni : c’ e-st ossu bråmint des waloneus ki duvront aprinde a loukî nosse lingaedje avou des noveas ouys. Li walon a candjî èt candjrè co po s’ ployî ås disvelopmints do monde d’ oûy. Li walon ni doet pus esse riwaitî – si nos è volans fé on vicant lingaedje po dmwin – come on vî monumint k’ on voet voltî mins k’ on vôreut bén edjaler so plaece, por lu n’ pus måy candjî, por lu dmorer rén ki da nos-ôtes : c’ e-st ene ritchesse del Walon’reye tote etire, a pårtadjî, a manaedjî a môde di djin, a stamper sins balziner ås cwate brès do pårticulier eyèt di l’ universel.
- 1. Voir notamment FRANCARD Michel avec la collaboration de LAMBERT Joëlle et MASUY Françoise : L’insécurité linguistique en Communauté française de Belgique. Coll. “ Français et Société ”, n° 6. Service de la Langue française. Bruxelles. 1993.
- 2. Voir HENDSCHEL Laurent : “ Quelques indices pour se faire une idée de la vitalité du wallon ”, dans Qué walon po dmwin. Éradication et renaissance de la langue wallonne. Quorum. 1999.
- 3. Voir son article dans Qué walon po dmwin. Éradication et renaissance de la langue wallonne. Quorum. 1999.