À la recherche de l’identité wallonne...

Toudi mensuel n°63-64, mai-juin 2004
2 January, 2009

...dans un fatras de dénominations tel que : « Communauté française », « Sud du pays », « Région wallonne », « Francophonie », « Wallonie-Bruxelles », « Espace francophone »…

Si l’on considère que l’identité belge agonise et que la langue belge est morte avant d’avoir vécu, Flandre et Wallonie sont au pied du mur de leur identification.
La Flandre s’est construit une identité linguistique à marche forcée depuis plus d’un siècle. Ces derniers temps, elle délaisse de plus en plus le terme de « Flamand » pour celui de « Néerlandophone », dès lors que les différents parlers flamands se sont unifiés pour se rapprocher du Néerlandais, tout en gardant une distance vis-à-vis de l’État Hollandais, comme le Wallon vis-à-vis de la République française.
Le pendant de cette identité néerlandophone devrait être francophone. Il faut constater que cette identité francophone n’existe pas et n’est pas prête de naître parce que la Wallonie, tout en étant francophone, s’identifie principalement à sa Région plutôt qu’à sa langue française compte tenu de plus que, à sa périphérie, les Germanophones ont préféré s’identifier à la langue allemande.
La Région wallonne qui comprend donc la Région de langue française et la Région de langue allemande est bilingue comme Bruxelles. Ce bilinguisme n’est jamais souligné parce que, dans la même Région, ces deux langues sont linguistiquement étrangères l’une à l’autre.
Là où ça se corse, c’est lorsque ces régions linguistiquement aussi différentes peuvent apparaître comme faisant partie, à l’instar de Bruxelles Capitale bilingue, de la Communauté française1. L’imbroglio linguistique est total. Par cette composition contre nature avec ces trois langues ; français, néerlandais, allemand, il ne peut y avoir de Communauté et encore moins « française ». Ce n’est pas la quadrature mais la « trilature » du cercle !
En ce qui concerne l’appellation « Communauté Wallonie-Bruxelles », celle-ci a pris le pas sur «Communauté française de Belgique ». Ce changement s’est opéré suite à la surprise à l’étranger et surtout en France de cette appellation. Les têtes pensantes de la sémantique bruxelloise ne s’étaient pas rendu compte que l’expression « française de Belgique » faisait penser aux Français en Belgique.
La confusion était exemplaire.
Mais « Wallonie-Bruxelles » provoque une nouvelle confusion. En effet Bruxelles accolée à la Wallonie n’est plus présentée en tant que capitale de la Belgique. Pour des non-connaisseurs des subtilités belges, cela donne à penser que Bruxelles est devenue la capitale de la Wallonie et ce au détriment de sa capitale : Namur.
La nouvelle dénomination aurait dû s’intituler : « Communauté belge des Francophones de Wallonie et de Bruxelles ».
Si la Belgique de papa est morte, avant de mourir, elle a donné naissance à un fédéralisme composé de fausses jumelles qui ne sont d’ailleurs pas nées le même jour, loin s’en faut. En effet, l’une, la Communauté flamande parlait haut et fort depuis un siècle, l’autre, la Communauté française entonnait un duo vocal qui, dès sa naissance était un couac magistral : Wallonie-Bruxelles.

Pour les commanditaires de la Communauté française, la Wallonie, à elle seule, n’est pas concevable, elle doit être englobée dans une entité qui la rend plus belge que Wallonne pour sauver une Belgique qui se réduirait à un espace Bruxelles/Région wallonne. L’identité « Communauté française » est donc, de par l’existence de la Région wallonne, de la Communauté germanophone et de Bruxelles-Capitale, une mystification. Ces trois entités ont une histoire, une économie et des rapports sociaux totalement différents les uns des autres. Dans ce contexte, la langue française n’a pas la force de fusion nécessaire pour créer une communauté réelle.
On ne réunit pas dans un même attelage des voyageurs de l’Impériale - les Bruxellois -, des cascadeurs tous-terrains - les Wallons -, et des récupérés périphériques, les Germanophones. Instituer une Communauté française avec une panoplie de conseils, assemblées, collèges, commissions, c’est provoquer une…cocophonie (!) à cloche-pied, antithèse d’une communauté véritable (même si à proprement parler la Communauté germanophone ne fait pas partie de la Communauté française, elle est régulièrement associée à celle-ci, à Bruxelles et à la Wallonie voir note (1)).
L’étalage d’appellations…incontrôlées, « Wallonie-Bruxelles », « Sud du pays », « Région wallonne », « Bruxelles Capitale », « région germanophone » distrait de l’acquisition d’une identité propre.
Le Soir et La Libre Belgique défendent cette notion de Communauté française avec quelques différences.

Le Soir réserve dans son deuxième cahier une page « Wallonie », régulièrement amputée d’une demi-page de publicité, puis une ou deux pages provinciales dont le traitement ne concurrence en rien la presse régionale comme il le souhaiterait.
La Libre Belgique n’a pas de pages régionales. Elle s’en tient à une information belgicaine et son « invincible unité » !
Malgré cette différence, ces deux journaux se rejoignent dans leur façon d’informer sur la Wallonie.

Dans Le Soir du 02/03/04, Guy Duplat écrit au sujet de la saison 2004-2005 du Palais des Beaux-Arts : « On prévoit une importante exposition des œuvres des musées de Flandre…il fera ensuite de même avec les musées belges francophones. »
Relevons que les musées de Flandre ne sont pas belges, alors que les francophones le sont. Pourquoi des « musées belges francophones » qui n’existent pas ? En effet, dans le guide IPPA des musées, aucun n’est intitulé musée « belge francophone » alors qu’on y trouve à plusieurs reprises, « musée de Flandre » et « musée wallon ».
De plus, en quantité, la Wallonie vient largement en tête avec plus de cinquante musées alors que les musées à Bruxelles sont au nombre d’une dizaine. Au pendant des musées de Flandre, Guy Duplat aurait dû écrire : « musées de Wallonie et de Bruxelles ».
Musées de Flandre fait directement penser à la peinture flamande tandis que musées belges francophones débouchent sur…un flou artistique (!).
Delvaux, Magritte, Bury, Mambour, Rops, Paulus, Rassenfosse, Ubac, Simon, Howet, etc. perdent de cette façon leur identité wallonne au profit, s’il en est, d’un acte institutionnel de présence en tant que belge francophone.
Comme abus de langage et perte d’identité, on ne fait pas mieux.
Dans La Libre du 08/03/04, Thierry Michel est présenté en tant que : « Président du bureau de liaison du cinéma de l’espace francophone afin de fédérer les festivals qui, comme celui de Namur, font la part belle aux cinématographies du Sud. »
Ici la Communauté française s’estompe et nous nous trouvons face à un espace francophone dont Namur fait partie avec un festival qui a lieu dans un espace francophone mais pas dans la capitale de la Wallonie.
À quand le même type d’information pour Europalia, le concours Reine Elisabeth (etc.), qui sont annoncés à profusion à Bruxelles capitale de l’Europe et non dans un « espace francophone »!

Le Soir du 23/03/04, au sujet des bimensuels de télévision, titre : « Les francophones attendent. » Dans le corps de l’article, les francophones disparaissent et « le côté hybride des magazines en Wallonie fait qu’il est plus difficile d’imposer un produit nouveau ».
Les magazines diffusés en Wallonie sont les mêmes que partout ailleurs, mais il se trouve qu’en Wallonie il existe un « côté hybride », c’est-à-dire « qui provient du croisement de variétés ou d’espèces différentes » (Le Robert).
C’est vrai que la Wallonie est variée et contient des espèces différentes (sic), mais d’abord ce n’est pas spécifique à la Wallonie et ensuite cela devrait la rendre d’autant plus attrayante pour des magazines…de variétés.
Le Soir du 13 et 14/03/04 annonce d’emblée que le projet de sport de glisse à Péronne-lez-Antoing est « hors norme à l’échelle wallonne ».
Peut-on demander au « Soir » quelle est la norme admise à l’échelle de la Wallonie pour un projet d’envergure ?
Le Six Flags Belgium n’est-il pas hors norme alors que La Libre annonce le 03/04/04 qu’il est rentable.

Redu, Village du Livre, 250 000 visiteurs par an n’est-il pas hors norme ? Depuis sa naissance, il y a vingt ans, il a provoqué plus de cent nouveaux commerces…hors norme !
Le Soir du 09/03/04 titre : « De Vits accuse l’archaïsme du syndicat wallon. » Les structures syndicales ne diffèrent pas d’une région à l’autre, si elles sont archaïques, elles le sont partout.

La Libre Belgique a d’ailleurs bien commencé l’année en ouvrant ses colonnes à un « expert » qui a intelligemment déclaré : « L’esprit d’entreprise serait déficient chez les Wallons. » (L.L.B. 08/01/04).

Ces exemples montrent que la Wallonie n’est pas choyée par la presse écrite.

La radio et la télévision quant à elles se spécialisent dans l’appellation : « Sud du pays », expression qui fait directement penser à une contrée lointaine, alors que la Wallonie commence à un jet de pierre de Bruxelles d’où est émise cette information pour le moins incongrue.

En conclusion, face à cette désinformation continuelle, il s’agit pour la Wallonie d’établir son identité envers et contre les tentatives de l’englober dans une entité factice.

L’entretien de l’identité belge francophone reviendrait pour elle à l’engager dans un marché de dupes dont Bruxelles tire les ficelles. La culture de la Communauté française signifie pour les Wallons déserter leur culture pour « monter à Bruxelles » comme les culturels francophones rêvent de « monter à Paris » !

Le corps constitué (!) de la Culture wallonne possède sa propre personnalité, forgé avec les pieds dans le terroir, le buste dans l’histoire, les bras dans les laminoirs, les yeux des gueules noires, les mains sur l’écritoire et la tête dans l’espoir sans perte de mémoire.

  1. 1. Nous savons bien que ce n’est pas juridiquement exact, mais ce l’est « pragmatiquement ». Il suffit de se reporter à ce que dit Jean-Claude Van Cauwenberghe en ce qui concerne l’ensemble Région bruxelloise/Région Wallonne/Communauté française/Communauté française, dans le domaine des relations internationales, où ces entités sont associées. Jean-Maurice Dehousse souligne de même le fait que la Wallonie et la Communauté germanophone établissent souverainement leurs rapports.