Le culte du héros guerrier

Toudi mensuel n°69, octobre-décembre 2005

Parce qu'intimement lié à la violence, le culte du guerrier et du héros est trop facilement et hypocritement opposé au discours pacificateur diffusé par les élites politiques et intellectuelles. Rares sont les efforts d'analyse lucide de ce phénomène profondément inscrit dans la conscience collective, d'autant plus dévastateur qu'il est réduit par la pensée unique et les orthodoxes du «politiquement correct » aux nostalgiques de la guerre, à la criminalité, à la délinquance et aux incivilités.

Il ne suffit pas en effet de dénoncer les manifestations de la violence, sélectionnées de préférence dans les couches sociales les plus stigmatisées, mais faut-il surtout en comprendre les raisons profondes et les mécanismes, en étendre l'approche à l'ensemble de la société et de ses activités.

Comment, par exemple, parler de la violence de l'Etat, en occultant les formes d'agressions physiques mais aussi psychologiques qui caractérisent le quotidien de l'Africain, bourreau et victime à la fois ? La responsabilité partagée en société, d'une manière ou d'une autre et à des degrés divers, dans le report ou le transfert d'une agression subie en une agression exercée sur autrui semble en effet difficilement contestable. Qui peut valablement nier cet état de fait enraciné dans une volonté de destruction et d'autodestruction inscrivant certains pays comme étant «à risques » (pas seulement bancaires et douaniers) ?

La fascination pour le militaire

Les mensonges et manipulations des histoires nationales paraissent avoir ôté, dans les pays qui ont résisté à la colonisation, toute possibilité d'élaboration de récits «vrais » de héros militaires «ordinaires » mais crédibles. Cette mystification / mythification a livré un panthéon d'officiers supérieurs et de chefs de guerre qui ressurgissent souvent, à la lumière d'études de plus en plus fiables et documentées, comme des figures intouchables et plus ou moins sombres de luttes de pouvoir sans merci, avant et après les indépendances.

L'incapacité à produire des récits convaincants - c'est-à-dire empreints de grandeur et de faiblesse humaine - de la vie de héros guerriers modernes a été l'une de raisons de la quasi - disparition des modèles de vertus, de morale et de code d'honneur, modèles qui semblent tant manquer notamment chez les puissants. Mais est-ce uniquement propre à l'Algérie et à d'autres pays arabes et africains ?

Perpétuant les images fascinantes et vidées de sens du chef militaire, de l'homme - providence, l'incarnation de l'esprit voulu avant tout national, la démagogie et le populisme, le patriotisme révolutionnaire et le culte de la personnalité, l'adoration de l'arme et de son pouvoir de donner la mort : tout ceci a fortement contribué à renforcer le prestige du militaire et à signer les allégeances des élites «civiles » à son égard. C'est ce prestige du pouvoir du militaire qui séduit tant les jeunes et permet le recrutement des enfants - soldats. Selon le rapport de l'UNICEF, publié en 2001,

« Des milliers d'enfants ont été utilisés par des milices populaires et des groupes paramilitaires au Liban, en Iran, en particulier pendant les guerres des années 80 (...) et de nos jours (...) les groupes d'opposition au Soudan, Algérie, Egypte, Iraq, Iran, Turquie, Yémen et Tchétchénie persistent à recruter des enfants à des fins militaires. »

A cela s'ajoute la similitude ou le brouillage entretenu, comme au Sierra - Leone et au Liberia, par exemple, entre processus de recrutement et rites traditionnels de passage à l'âge adulte.

Le désir et la fascination pour ce type de pouvoir par la violence sont-ils, là encore, uniquement limités à ces pays en souffrance, à l'Algérie - souvent décrit comme l'alter - ego maghrébin ou occidental de l'Irak - ou même, dans les Balkans, à la Serbie, pays souvent cités pour leur «culture virile », leurs cultes du guerrier et du «bandit d'honneur » ?

Les multiples formes de violence qui marquent la crise sociale et économique de ces régions, nourries d'un fort sentiment d'insécurité et de précarité face au futur, sont-elles vraiment réductibles, comme le souligne, parfois, nombre d'analystes, au caractère même de la «personnalité de base » de leurs populations, comme pour l'Algérien, volontiers dépeints comme orgueilleux et brutaux, à leur absence de culture ? N'est- il pas plutôt lié, en fait, à une histoire et une géographie particulièrement tourmentées et violentes, mais aussi, et peut-être plus profondément, à un malaise identitaire, lui-même alimenté par l'inexistence, partielle ou non sur la longue durée, d'un Etat - nation ?

N'y a-t-il pas là, dans cette question d'Etat - Nation, continuellement remise en jeu, comme il n'y a pas si longtemps en Sicile et dans le sud de l'Italie, l'une des possibles explications à cette non - médiation des conflits, à l'exacerbation des fonctionnements et intérêts régionaux et tribaux souvent contradictoires, à l'absence d'un équilibrage durable et équitable des forces et des projets par une instance supérieure fondée sur l'intérêt collectif ?

Ces situations nationales, dans le contexte des crises idéologique, politique, social et économique que nous connaissons, constituent-t-elles des cas exceptionnels ou font-elle plutôt partie de ces jeunes Etats - nations et, plus globalement, des pays du «Tiers - monde » ?

S'il est frappant de voir avec quelle constance la violence imprègne les comportements individuels et collectifs et piège les sociétés dans la boucle sans fin des victimes - bourreaux, ce culte pratiqué par les oppositions ainsi que par les pouvoirs en place s'enracine-t-il dans la culture historique des pays cités ? Comment peut-on par ailleurs interpréter comparativement ce phénomène dans le reste du monde arabe et au-delà ?

De l'Afrique équatoriale française (AEF) à l'Afrique du Nord en passant par l'Afrique de l'ouest française (AOF), Madagascar et la Somalie, pour la partie française décolonisée entre 1951 et 1962, à la Gambie, le Sierra Leone et au Ghana, avec le croissant allant du Sud- Ouest africain à l'Egypte et à la Somalie britannique, pour les colonies et possessions britanniques, décolonisées entre 1951 et après 1962, de la Guinée portugaise, du Cabinda, de l'Angola et du Mozambique, pour le Portugal, à la Libye, l'Erythrée, l'Ethiopie et l'autre partie de la Somalie, pour l'Italie, du Sahara occidental espagnol au Congo belge : les Etats issus de luttes de libération ont-ils manqué l'occasion de couronner leurs combats, armés ou non, par un autre, culturel celui-là et plus exigeant, dont le propre aurait été de réduire justement ce culte de la violence qui semble hypnotisé l'ancien Indigène, de le rapprocher de l'Autre - celui qui est différent de soi ; bref, d'apaiser les esprits et de faire «vivre ensemble » ?

L'Afrique, blanche et noire, terre de peuplement et de contact depuis plus de trois millions d'années, a été et reste toujours une terre d'épreuves terribles, faites de déportations en Amérique (au XVIème siècle) et de mise en esclavage de millions de personnes, puis de colonisation (aux XIXème et XXème siècles) européenne. Mais suffit-il d'expliquer des phénomènes de violence seulement par le « lourd héritage » qu'elle porte, doux euphémisme consacré dans les manuels français d'histoire ?

Guerre et civilisation, cultes de la mort, cultes de la vie :

De l'origine de la guerre, comme pratique institutionnelle, aux armées impériales puis aux guerriers à cheval, une longue évolution s'est faite, aboutissant au développement d'une codification morale combinée à un art efficace du combat. Le Moyen - Age a en effet réussi à pousser au plus loin l'esprit chevaleresque caractérisé par un ensemble de vertus physiques, mentales et morales. Cet idéal, transcrit dans un code d'honneur partagé par les chevaliers - modèles pour les autres guerriers -, de l'Empire du Soleil Levant aux rivages atlantiques, s'est doublé dans le même temps d'une férocité meurtrière difficilement imaginable de nos jours.

Loin des représentations romantiques, naïves et même érotico-esthétiques de cette période, le raffinement culturel et spirituel exprimé au cœur de tout code de chevalerie, contrepoids simultané de la violence guerrière, décliné notamment sous le thème de l'amour courtois, interroge la nature profonde et ambivalente de l'homme.

Au Japon, le Budo est un concept forgé pendant de longs siècles par la classe des guerriers. Ceux-ci restent dans l'âme nippone comme les incarnations de l'homme parfait, maîtrisant différents arts martiaux, instruits et fidèles aux clans auxquels ils appartenaient. Les traditions martiales et le culte du guerrier ont profondément marqué la conscience collective japonaise du fait d'une histoire continuelle de guerres, du 8ème au 16ème siècles.

Rappelons que le Bushi devait être réellement et quotidiennement préparé à mourir pour accomplir son devoir : la survie du fief, Han, et celle du Daimyo. Il devait se conformait, sans aucune transgression, passible de mort, au Budo, ou voie du guerrier, qui enseignait l'obéissance et l'acquisition des vertus en vigueur dans la classe des guerriers telles le courage, l'abnégation, la loyauté, etc.

Par son Bushido donc, code d'honneur et de vie des Bushi - communément appelés Samurai -, la société nippone médiévale a opéré l'une des sophistications les plus poussées de l'art du combat, mais aussi, nous l'oublions souvent, de l'art de vivre. Comment alors peut-on expliquer qu'avec un tel culte de la guerre et de celui qui la fait, cette société reste aujourd'hui parmi les moins meurtrières.

Dans le grand roman épique de Eiji Yoshikawa, La Pierre et le Sabre, Sekishusai, grand Samuraï, assurait souvent : « l'on a toujours vécu vieux dans la Maison Yagyu (...). Ceux qui sont morts entre 20 et 40 ans ont été tués au combat, tous les autres ont nettement dépassé la soixantaine. »

Approchant la cinquantaine, après les innombrables guerres auxquelles il avait pris part, « il avait décidé pour des raisons personnelles de renoncer à la guerre. » doté d'une force intérieure, il n'avait pourtant pas renoncé à l'art de la guerre lui-même :

« Je n'ai pas de méthode habile
Pour réussir dans la vie

Je ne m'appuie que

Sur l'art de la guerre.
Il est mon dernier refuge
. »

Devenu maître des arts martiaux, et en particulier du style d'escrime Shinkage, Sekishusai représente ainsi cette partie des véritables guerriers nippons dont l'effort intérieur a permis de se préserver dans la paix, après un long passage dans l'épreuve constante de la mort. Selon eux, l'art de la guerre était un moyen de gouverner, avec sagesse, mais aussi de se maîtriser soi-même. Cet effort profond trouve son origine dans l'un des évènements majeurs de sa vie : après avoir été vaincu à plusieurs reprises par le Seigneur Koizumi, Sekishusai renonça donc à l'approche égotiste de l'escrime.

« Qu'est-ce donc qu'un sabre qui combat sans sabre ? » : c'est à partir d'un Koan ou énigme zen proposé par de seigneur invincible que Sekishusai médita de longues années et donna naissance au redoutable style Yagyu. Cette énigme, dans la tradition zen particulièrement affectionnée par la classe des guerriers, renferme en effet l'essence même de la non - violence et du message de paix.

C'est ainsi que le grand maître de la maison Yagyu, se retira du Monde, au fin fond du domaine qu'il réussit à préserver des grands troubles de cette terrible période :

« Ô scribes, ne soupçonnez pas
Celui qui aime à clore son château.
Ici vous ne trouverez aucun homme d'épée,
Seulement, dans les champs, les jeunes rossignols
. »

Senseï Sekishusai refusant non seulement les défis et les concours qui lui venaient de tout le Japon, mais aussi ne s'impliquait plus dans la vie profane - et ses illusions -, préférant retourner à la nature.

C'est en ce sens qu'il illustre le célèbre phrase de Sun - Tzu : « Celui qui se connaît et connaît son ennemi l'emporte sans risque. Celui qui connaît le Ciel et la Terre l'emporte sur tout. »

On peut analyser La Pierre et le Sabre, du grand et prolifique auteur Yoshikawa comme l'une des versions les plus japonaises du mythe du Héros, tel que nous en parle Joseph Campbell. Les effets, le personnage central de son roman, héros légendaire de grande importance dans la conscience collective de ce pays, Miyamoto Musashi, traverse une longue et pénible série d'épreuves au travers de ses errements dans la quête de l'art parfait de la guerre et, finalement, de la connaissance de soi.

Pour exemple de ses étapes initiatiques essentielles, tant mentales que géographiques, l'une d'entre - elles lui a permis de transformer sa sauvage férocité en un courage dans faille, de l'apprivoiser en la rendant vertu humaine. Il s'agit de sa retraite forcée, trois années durant, dans l'une des tours du château du Daimyo Terusuma Ikeda, au cœur d'une bibliothèque d'ouvrages en japonais et en chinois. S'ensuivit alors une véritable renaissance de Takezo, rebaptisé Miyamoto Musashi, fort d'une résolution nouvelle et inébranlable : vouer son existence à la discipline et à l'entraînement aux arts martiaux.

Egalement oubliés par l'historien et ses programmes : les divertissements publics de l'une des deux références cardinales de l'Occident, Rome. En effet, l'empire romain, berceau civilisationnel de l'Antiquité occidentale, a exprimé cette ambivalence ultime du culte de la vie et de celui de la mort par les jeux meurtriers et gratuits qu'il offrait régulièrement à son peuple.

A ce titre, le Colisée de Rome servait d'arène géante, lieu quotidien de spectacles de combats à mort, d'abord d'animaux exotiques, puis d'êtres humains livrés aux lions, et enfin, d'humains entre eux. Les entractes consistaient en des exécutions et des tortures « de masse » de condamnés, au plus grand plaisir des spectateurs. Tout ceci préparait les quelques 50 000 personnes de l'assistance aux combats de gladiateurs, formés de prisonniers, condamnés ou de guerre, et aux esclaves. C'est ainsi qu'en l'an 107, l'empereur Trajan organisa un immense tournoi regroupant plus de 10 000 gladiateurs, dont la moitié périt sous les acclamations d'une foule excitée.

Excellemment dépeinte par le grand cinéaste Ridley Scott, dans « Gladiator », la civilisation romaine, considérée comme la plus brillante de son époque, révèle donc à nos yeux sa dimension de barbarie et de cruauté à l'égard de la vie et du plus faible, comme d'autres civilisations proches ou lointaines. Outre - atlantique en effet, les élus des Mayas, l'une des civilisations les plus raffinées d'Amérique, qui compte aujourd'hui près de six millions de descendants appartenant à l'un de ses 31 groupes ethniques, communiquaient directement avec le monde Céleste par le biais de sacrifices humains et animaux, mais également par celui de la mise en souffrance de victimes choisies et de l'automutilation. C'est dans la nécessité absolue de la survivance de l'humanité que ces obligations envers les Dieux donnait lieu à ces sacrifices périodiquement réglés selon le cycle sacré de 260 jours, Tzolkin, et l'année profane, Habb, qui en compte 365.

Hyper-technologie de la guerre, manipulations de l'image de la mort et de la souffrance :

Toute l'actualité internationale nous saisit à la gorge par ces questions de violence exercée sur l'autre. Qu'est-ce qu'en effet la guerre contre l'Irak, menée depuis 1991, si ce n'est la destruction de la vitalité et de l'identité même d'un peuple à la civilisation millénaire sous divers prétextes et manipulations industrialo - militaires et médiatiques des administrations U.S. successives ?

Comme au Rwanda ou en Afrique du Sud, pays à fort niveau de violence, les USA font preuve, à chaque moment de leur jeune histoire, d'une capacité à porter très haut le culte brutal du pouvoir de donner la mort, celui qui est donné par la détention de l'arme létale.

Le documentaire de Mickaël Moore, « Bowling for Columbine », est à ce titre très éclairant, même s'il reste isolé, comme le sont d'ailleurs les brillantes études critiques d'un Noam Chomsky, sur la politique étrangère des USA, justement, ou de feu Edward Saïd, à propos de l'impérialisme occidental, à la source de ce mouvement ambivalent de rapprochement, de connaissance et de domination de l'Orient : l'orientalisme.

M. Moore s'interroge en effet sur l'impact de la vente libre des armes, mais surtout sur le rôle des médias et des politiques dans le développement effrayant de la violence aux USA. A partir d'un fait divers qui a ébranlé le pays (2 écoliers abattent 12 de leurs camarades et un professeur, avant de se donner la mort), le cinéaste explique qu'en 2001, 11 127 morts par balle furent recensés, contre 255 en France... 250 millions d'armes à feu sont en circulation dans ce pays des libertés où le droit de posséder une arme est inscrit dans la Constitution.

Notons que son voisin du Nord, le Canada, dont les traditions rurales sont pourtant fortement ancrées dans la chasse et la pêche, reste l'un des pays les plus pacifiques qui soient. Le massacre à l'école Polytechnique de l'université de Montréal, au début des années 90, de plus d'une dizaine d'étudiantes (et étudiants) par un déséquilibré puissamment armé (et algéro - canadien du nom de Lépine ...), a provoqué un immense choc. Et l'on peut expliquer la passivité de la grande majorité des témoins directs par leur absence de confrontation à la pure violence et à l'arme. Rapport plus fort à la nature, respect et tolérance vis-à-vis d'autrui, système éducatif et social plus performant, communication sociale non uniquement centrée sur l'argent (même si celui-ci reste assez présent), un ensemble de faits explique la paix civile qui distingue le Canada des Etats-Unis, pourtant si proches et si influents.

Moore rappelle également, dans son documentaire, que les deux piliers de cette jeune nation construite sur le génocide des Indiens et la Chasse aux sorcières (c'est-à-dire aux citoyens américains communistes lors de la Guerre froide), sont la peur et la consommation - cette dernière servant de frein conjuratoire à la première. Préoccupés de réussite socio - professionnelle à tout prix, les citoyens US souffrent pour une bonne part, selon lui, d'une totale absence de sécurité sociale - au plein sens du mot -, absence qui pousse au crime et à la folie. Peur et consommation peuvent également faire comprendre les ressorts de la politique étrangère guerrière, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale en passant par Henry Kissinger jusqu'aux conseillers « faucons » de W. J. Bush.

Dans ce même documentaire, Bowling for Columbine, le chanteur Marilyn Manson nie avoir inspiré les jeunes auteurs du massacre de Littleton en affirmant :

« Si vous avez honte de vos enfants, souvenez-vous que c'est vous qui les avez créés : vous ne devez condamner personne sauf vous-mêmes ! »

Combinant intimement l'érotisme et la mort violente, comme double pilier de l'American way of life, Manson excelle dans la provocation ultime fondée sur les détails de sa vie sexuelle. Né en 1970, il s'appuie sur ses expériences d'enfant taraudé par des pulsions violentes, allant de la découverte des revues pornographiques de son grand-père, infirme, au cambriolage de sa maison familiale qui finit par une tentative de meurtre par étouffement de la part du cambrioleur, l'obligeant désormais à avoir la télévision constamment allumée.

C'est ainsi que toute sa carrière « Trashy » se bâtit, cherchant à « réveiller tous les cauchemars de l'Amérique profonde », par son apologie du sexe, des figures du Violeur et du Tueur, du blasphème et du sadomasochisme, notamment. Une des dernières touches enfonce le clou brûlant de ce cauchemar dans la conscience du peuple nord-américain : le récent « The golden Age of Grotesque » est directement inspiré des ambiances du Berlin décadent d'avant - guerre...

Malgré l'horreur du nazisme et de la Solution finale, élimination moderne, technologique et planifiée de millions de personnes, dont l'ultime résistance a été neutralisée par la mise en scène des camps d'extermination comme lieu de travail et d'hygiène, les nouveaux conflits (en Irak, en Afghanistan, dans les Balkans, etc.) ont été les derniers avatars hyper - technologiques et ô combien manipulés par l'image au service d'une « dé-réalisation » de la guerre et de la mort elles-mêmes. C'est ce que nous montré de manière magnifique Francis Ford Coppola avec l'un des plus grands films de guerre, à propos du Vietnam, ouvrant la voie à des approfondissements saisissants de vérité : « Full metal jacket », de Stanley Kubrick, et « The Red Line », de Terence Malick.

Cette dé-réalisation fait partie de la manipulation des opinions, domestique et internationale, en vue de leur acquiescement général à l'effort de guerre et à la question, cruciale, des pertes humaines. Elle apparaît de plus en plus importante dans les sociétés occidentales, globalement pacifiées et démocratiques, et c'est à ce titre que des cercles restreints de stratèges en communication opèrent pour le compte des Etats agresseurs, tels les USA et la Grande Bretagne pour ce très récent conflit qui perdure en Irak. Ces stratèges s'occupent en fait de représenter la guerre, la mort et la souffrance d'un grand nombre d'êtres humains, avant, pendant et après le conflit lui-même, selon de orientations non seulement politiques et idéologiques, mais aussi morales et éthiques.

Un tel système de représentations peut se voir, du fait de son approche, de sa finalité et des moyens utilisés, comme étant littéralement publicitaire, froide et cynique combinaison du marketing du crime de masse et de la communication de masse.

Les rapports du guerrier au Monde :

Le domaine du sacré, que l'art a pour mission de représenter, aux côtés de ses «concurrents » parallèles telle la religion, est en partie intimement lié au monde de la guerre.

Dans la civilisation celto - armoricaine par exemple, cette sphère du sacré englobait jusqu'aux pièces de monnaie. Emanation de son idéologie guerrière, celles-ci représentaient symboliquement les systèmes matériels et religieux de l'élite. Le réalisme de l'iconographie, à caractère politique dans l'espace grec, s'est entièrement transformé pour devenir une abstraction de l'esprit celte, une figuration changeante et complexe au sein de laquelle symbolisme et impressionnisme ont permis d'inventer des formes nouvelles pleines de sens.

Alors qu'à travers le monde, de nombreux arts ont donc été, bien avant l'Antiquité, les expressions de la spiritualité des élites guerrières valorisant leur puissance et leurs vertus, que pouvons-nous dire d'aujourd'hui ?

Les productions officielles liées à la représentation de la guerre et de la mort sont, le plus souvent, neutralisées dans un discours artistique plus ou moins abstrait, lui-même répondant à un «cahier des charges» politique particulièrement vidée de charge émotionnelle.

Par l'effet du tabou autour de la mort en Occident, de son éviction de l'espace public, la mort, la souffrance et la guerre ont disparu du registre thématique des arts (au moins urbains) et montrent un impensé, une sorte de blanc soigneusement entretenu par les impératifs civilisationnels de pacification, de sûreté et de démocratie.

Cette disparition est d'autant plus renforcée que l'un des principes de la supériorité militaire est de porter, puis de contenir la guerre chez l'ennemi de l'extérieur. « La paix chez nous », ou l'absence domestique de guerre et de mort, et leur « containment » chez les autres - pour reprendre un ancien concept des USA à l'égard des Etats jugés menaçants - tel est le souhait et le couple profonds et intégrés par les moyens de l'éducation et de la propagande nationales chez le citoyen.

Paradoxalement, à un moment où la violence et le comportement guerrier sont exacerbés dans les mondes des médias et des jeux (de la vidéo à ceux, télévisés, de survie), de l'entreprise et même de l'enseignement, le sens véritable du guerrier et de ses rapports au monde s'est perdu.

Malgré les leçons que nous pouvons tirer avec profit de l'histoire des traditions et des conflits militaires jusqu'au début du XXème siècle, période à laquelle survient cette première guerre mondiale qui marque l'avènement de la guerre industrielle, c'est-à-dire terriblement coûteuse en vies humaines -, plus grand chose ne semble encore nous parler des vertus chevaleresques et des histoires de bandits d'honneur.

Le culte du guerrier a été vidé de son sens, comme de nombreux rites et autres cultes, pour n'apparaître finalement, et de plus en plus, que comme une apologie de la violence du plus fort, gratuite ou non, et de la compétition pour le succès économique et social.

Non seulement il y a oubli des codes, traditions, vertus et morales guerrières, oubli des figures historiques ou même légendaires du guerrier, mais aussi oubli du guerrier intérieur, c'est-à-dire de la dimension inséparable et mystique (et/ou religieuse) du héros guerrier, minimalement figuré tout au long de l'histoire universelle par le moine - soldat.

Par la grande méfiance des pouvoirs de l'orthodoxie religieuse à l'égard du mysticisme et de sa combinaison - pour elle dangereuse - avec l'art de la guerre, par l'instrumentalisation de la violence, la manipulation des mémoires et l'abstraction délibérée de leurs expressions, el - Jihad n'est plus perçu (et vécu) comme avant tout l'effort supérieur de se vaincre soi-même, el Jihad el Akbar (littéralement, le grand Jihad), mais réduit à celui de tuer l'Autre pour se protéger soi-même, El Djihad el Assghar (litt., le petit Jihad).

De part et d'autre de la Méditerranée, sous les assauts de l'hypermodernité, de l'individualisme et du consumérisme, la dimension intérieure du guerrier, comme d'ailleurs celle du non - guerrier, semble s'évanouir progressivement et globalement, à mesure qu'éclatent paradoxalement les bombes humaines, énigmes meurtrières et orientales adressées tragiquement à l'Occident et à sa logique de vie à tout prix. Des vagues de kamikazé nippons se jetant sur les cuirassés U.S., lors de la guerre du Pacifique, aux attentats - suicides palestiniens, irakiens ou tchétchènes, ces actions restent en effet comme autant de démonstrations a priori incompréhensibles du désir de mort.

Désir de mort, désir de vie ici - bas :

Là où le protestantisme, religion des nouveaux maîtres de ce monde, enchâssé en dépit des apparences dans les cultures européennes à fond catholique, fait croire d'une certaine manière au paradis sur terre et au devoir du Protestant de le faire fructifier, d'autres religions orientales, telles l'Islam, parle plutôt, mais non exclusivement - c'est important de le souligner -, du caractère vain et futile de toute chose en ce monde, de l'extrême fragilité de la vie elle - même, compensée par un au-delà paradisiaque accessible «sous conditions ».

Bien sûr, ce ne sont là que deux des pôles contraires de ces religions, riches dans leurs ambivalences, qui partagent pourtant (est-ce vraiment surprenant ?) des aspects particuliers, tout en se trouvant aujourd'hui en concurrence.

L'utilisation de ces religions, opposées sur cette idée du paradis, proches sur d'autres, à des fins idéologiques et politiques, est au cœur de cette actualité de la terreur, avant même les tragiques évènements de septembre 2001. Cette actualité nous laisse voir en effet la réactivation de discours de type mystique et / ou messianique, depuis longtemps enfoui et réprimé par la nouvelle religion du matérialisme et de la modernité, autant chez Oussama Ben Laden que chez W. J. Bush, discours s'appuyant sur des cultes spécifiques du Héros Guerrier.

Toutefois, à aucun moment n'est perçu une volonté concomitante de victoire sur soi, comme dimension intérieure et complémentaire du guerrier, élément essentiel de toute véritable activité spirituelle. Et c'est bien là ce qui laisse présager la poursuite mortifère et durable de ce conflit à l'échelle mondiale.

Culte de la violence et du militaire enfermé dans celui de la paix de la «société civile » à n'importe quel prix - et au besoin au prix de la vie de l'Autre -, cultes de la guerre et du héros guerrier réprimé et mis en scène par le biais unique des images contrôlées de l'industrie cinématographique, vidéo / médiatique et du vrai champ de bataille - du reste étroitement liés -, élimination de la dimension intérieure du guerrier, nouvelle instrumentalisation et réduction des messianisme, mysticisme et religiosité à sa dimension superficielle et offensive pour la (re)conquête du pouvoir régional et mondial : Tout ceci indique une profonde schizophrénie de la société humaine en général. Celle-ci est aujourd'hui bâtie sur la répression et l'oubli constants des dimensions naturelles de la violence et de la guerre au lieu de leur étude comme telles, de leur canalisation et de leur dépassement.

Si, par exemple, les deux guerres mondiales sont assez largement représentées dans les programmes scolaires français, elles n'en sont pas pour autant liées à une analyse de leurs conséquences réelles pour l'humain en général, le civil et le soldat en particulier. Présentées de manière plate dans les livres d'histoire de la plupart des éditeurs, surtout parisiens, leurs images monstrueuses sont très parcimonieusement offertes au lecteur, neutralisées de tout commentaire éthique, philosophique ou moral qui remet la nature et la destinée individuelle de l'homme au centre du débat de l'histoire et de l'actualité. Ceci ne peut mener à la prise de conscience lucide, vivante et définitive de la logique (passée et actuelle) de guerre, dont la diffusion va du domaine public de la vie au purement militaire, de la destruction de la vie et de la souffrance des âmes et des corps.

Pourtant, à l'instar d'une histoire des religions prônée avec intelligence par Régis Debray et dont la nécessité commence à être dite, l'enseignement général, voire universitaire, gagnerait à aborder l'histoire et l'actualité du fait militaire ou guerrier. Etudié transversalement, en recoupant thématiquement plusieurs matières telles que l'Histoire et la géographie - à laquelle devrait s'adjoindre la géopolitique -, le Français, les sciences et même les activités sportives, ceci ferait revisiter non seulement les conflits eux-mêmes, tels que les couples «guerres de conquête / guerres de libération », et la douloureuse construction des Etats - nations, mais également les idéologies et les philosophies, les mythes et les cultes qui leur ont été intimement rattachés, en plus des techniques et moyens mis en oeuvre.

C'est à ce prix, par la prise de conscience aiguë de sa puissante influence, de sa mécanique infernale au service de la haine de l'autre et de soi, et de sa réactivation par les politiques de tout bord, que le potentiel négatif et latent de ces «systèmes » guerriers de pensée, de croyance et de pratique, plus ou moins passés sous silence par censure et autocensure - excepté bien sûr quand il s'agit de l'Ennemi déclaré -, peut être désamorcé.

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Yoshikawa, Eiji, La Pierre et le Sabre & La parfaite Lumière, trad. Française de Léo Dilé, éd. Balland, Paris, 1983 (paru sous le titre originel Musashi ), Tokyo, 1971 ;


Filmographie :

Boorman, John, Excalibur;

Coppola, Francis Ford, Apocalypse Now, scénario original de Coppola, Francis Ford, et Milius, John, production : Aubry, Kim, et Coppola, Francis Ford, sorti en 1979 ;

Kubrick, Stanley, Full metal jacket;

Malick, Terence, The Red Line;

Moore, Michaël, Bowling for Columbine, documentaire (2 heures), sorti en octobre 2002 ;

Ridley Scott, Gladiator;

Shinozaki, Pas oublié ;


Qui s'exprime en particulier par la violence routière. Frustration, agressivité et culte du héros guerrier peuvent être vus comme favorisant le comportement violent et irrespectueux du code de la route, à l'origine de près de 10 000 morts par an en France (quels sont les vrais chiffres en Afrique et dans le Monde arabe ?)... Les politiques de sécurité routière ne prennent toujours pas en compte, dans le volet de la prévention, les raisons de ce type de comportement, réponse souvent compensatoire aux violences des rapports sociaux et surtout professionnels.

UNICEF / Media Launch, Coalition pour arrêter le recours aux enfants - soldats, Rapport, juin 2001

Voir les travaux de Wafik Raouf, Directeur de la revue EurOrient, Paris.

Voir le film de John Boorman, Excalibur, qui a magnifiquement consacré le genre, dans les années 1980.

Qui trouve son écho dans toutes les civilisations conquérantes, telle l'arabo-musulmane avec sa figure mystique d'el Insan el - kamil.

39 morts par balle et par an, au Japon, reste l'un des taux les plus bas du monde. Un commentaire d'un anthropologue nord-américain spécialiste du Japon, résume, du reste, assez bien la différence culturelle entre le Japonais et l'Américain suicidaires : le premier tourne l'arme contre lui, alors que le second ouvre sa fenêtre et tue le plus possible de passants, avant de se donner éventuellement la mort...

Les victimes étaient choisies parmi les condamnés à la peine de mort, femmes et hommes, complétées, s'il le fallait, par d'autres aux peines inférieures.

Poursuivi pour crimes contre l'humanité.

Ave Twiggy Ramirez, Brian Warner fonde Marilyn Manson, star Rock qui fait télescoper les noms de Marilyn Monroe, égérie du cinéma, et Charles Manson, gourou de la tuerie qui coûta la vie à Sharon Tate, en 1969.

Sadri Bensmaïl

Première et dernière guerre d'intervention des USA qui a donné lieu, grâce au travail des journalistes et autres reporters photo, au basculement de l'opinion publique en faveur du retrait total des forces engagées.

Que l'on peut comprendre dans sa logique protestante, logique basée sur l'idée maîtresse du paradis terrestre à réaliser ici et maintenant.

Vœu souvent exprimé en période de fin d'année, et diffusé à l'écran.

Il suffit de lire ne serait-ce que l'actualité économique, remplie des exploits des «cost killers» et des « guerres commerciales ».

Et que seule, la destruction nucléaire de deux villes de l'Archipel et de leurs centaines de milliers d'habitants arrêta en août 1945.

La jeune Bédéiste iranienne Marjane a rappelé fort justement la symétrie de l'usage de ces conceptions dans la guerre, entre la remise de la photo de Khomeiny, guide spirituel, et de la clé (symbolique) du Paradis promis aux jeunes iraniens qui se lançaient en vélomoteur contre les chars T- 62 irakiens, lors du conflit financé et armé souvent par les mêmes pays occidentaux et arabes, et la Green Card promise aux enrôlés, notamment sud/centre-américains, dans l'armée U.S. depuis quelques années.

Lire l'article d'Ignacio Ramonet, « Mensonges d'Etat », Monde diplomatique, juillet 2003, sur les mensonges du Pentagone concernant la libération de Jessica Lynch, devenue héroïne (artificielle) de cette dernière guerre contre l'Irak, et les projets média (aux cachets faramineux) autour de ces mensonges.