Lettre de Flandre (sur des "Jardins de Wallonie")
Quand le 7 septembre dernier, j'ai quitté l'abbaye de Floreffe pour regagner Anvers, le soleil brillait. Le colloque Les Jardins de Wallonie venait de se terminer et j'avais une forte impression de « déjà-vu »: au début des années 60, je fis partie de la rédaction du journal de gauche et « Vlaamsgezind » Het Pennoen, journal républicain et fédéraliste qui organisa régulièrement des journées de rencontre avec des Wallons idéologiquement proches comme Jacques Yerna. Au cours de ces discussions, il apparut que nous disions à peu près la même chose dans les deux langues. Nous faisions le lien entre la nécessité de réformes de structures culturelles et politiques et la nécessité de réformes de structures dans le sens socialiste ou en tout cas anticapitalistes. En 1963, ces contacts aboutirent à la grande manifestation « Voor Structuurhervormingen » à Anvers, manifestation à laquelle prirent part tant des Wallons que des Flamands fédéralistes et des militants syndicaux. L'atmosphère n'était plus celle de l'affrontement qui avait encore marqué les « Marches sur Bruxelles », mais participait du sentiment croissant que, d'abord, nous ne pourrions, paradoxalement, parvenir à notre autonomie réciproque sans être solidaire, et, en second lieu, que la lutte pour l'indépendance nationale devait se faire aux couleurs de la gauche pour ne pas sombrer dans un nationalisme exclusif.
Ces réformes culturelles et politiques sont en grande partie réalisées et, en ce sens, on peut parler de succès, même s'il reste encore tout ce qu'il y a à négocier. Mais n'en va-t-il pas autrement pour ce qui concerne notre programme commun, les réformes fondamentales de structures dans les domaines économiques et sociaux? Il semble bien que, là, nous sommes plus loin du compte qu'il y a 35 ans. Est-ce que le danger n'est pas réel que les forces économiques et financières qui dominent en Belgique et en Europe soient, au besoin, toutes prêtes à accorder une autonomie partielle afin de se débarrasser d'une série de tâches pénibles, tout en conservant solidement et en toute tranquillité la réalité du pouvoir?
Vu sous cet angle, il y a donc peu de choses qui se soient modifiées depuis nos colloques Wallo-flamands dans des endroits aussi inattendus que Dixmude, littéralement à l'ombre de la fameuse Tour, avec pour nos amis Wallons libres-penseurs le double message: au pied de la Tour, en quatre langues, parmi lesquelles le français, le slogan « Jamais plus la guerre » (et personne n'a rien à redire à cela), mais avec le haut, en fait en forme de croix, et le slogan célèbre TOUT POUR LA FLANDRE ET LA FLANDRE POUR LE CHRIST inscrit dessus. Si José Fontaine me le permet, j'ai l'intention, comme non-croyant et internationaliste, de tenter de replacer cette phrase dans son contexte historique et, par là, de la désamorcer quelque peu.
Mais bon: il y a 35 ans nous sentions que, du fait de notre engagement, nous aurions pu siéger de l'autre côté de la table si par exemple nous étions nés à Namur ou si, comme Brecht le dit si bien, nous avions été portés à Liège dans le ventre de notre mère, ou l'inverse. Et ce sentiment, je l'ai eu de nouveau à Floreffe: je me suis imaginé qu'un de nos amis wallons participe, en solitaire, à des « Jardins de Flandre », par exemple à l'abbaye d'Averbode, en comprenant parfaitement qu'il écarquillerait les yeux à l'une ou l'autre remarque acerbe vis-à-vis des Wallons. De tels « Jardins de Wallonie ou de Flandre », et c'est tant mieux, ne pourraient être des « jardins d'Eden » à la mode Disney: il est donc normal que nous en viendrions à parler de ces problèmes sur lesquels nous différons d'opinion. Nous devrons donc en traiter dans les années qui viennent loyalement et dans un esprit d'ouverture.
Et peut-être que cette Lettre de Flandre qui sera régulièrement envoyée signifiera, notamment, une occasion de voir certaines choses sous un angle différent. Sans diplomatie ni fausse sentimentalité, dans le plein respect de l'autre et de nous-mêmes, avec l'intention expresse d'éliminer les malentendus, et là où il n'y a pas de malentendus, mais des points délicats, de ne pas les éviter.
Ludo Abicht, Anvers.
Nous n'avons pas eu le temps qu'il fallait pour terminer la lecture du livre de Johan Anthierens De Ijzertoren, onze trots en onze schande, courageuse discussion critique de Flamands sur l'un de leurs symboles nationaux les plus sensibles, non pas seulement par la rhétorique nationaliste qu'il engendre, mais aussi par le souvenir pénible de soldats morts pour une patrie ingrate, méprisant leur langue. Ce rapport avec la Flandre est capital pour nous-mêmes et nous l'entretenons sans complaisances.