Lettre de Flandre (sur un "Vive la République!" à Namur le 19/9/99)

Toudi mensuel n°24, janvier 2000

La question de la monarchie, c'est historiquement la rencontre deux bizarreries: d'abord, la sympathie des Flamands pour la monarchie durant l' «affaire royale» s'est fondée sur un formidable malentendu. Les Flamands catholiques et conservateurs, qui prédominaient, virent en Léopold III la figure de proue du catholicisme dans cette période d'après-guerre. Et ils virent en lui un monarque qui, du fait de sa propre expérience, était à même de faire preuve de plus de compréhension pour le type flamand de collaboration que ses adversaires wallons de gauche et laïques. En fait, ces Flamands étaient «pro-roi» sans être pour cela expressément monarchistes. Ils oubliaient par là que la Dynastie ne fut jamais dans le passé, pour rester modéré, un modèle d'ouverture d'esprit face à l'émancipation flamande.

En second lieu, les rôles semblent aujourd'hui inversés dans l'euphorie médiatique autour du mariage princier: les Wallons et les Francophones se révèlent d'ardents monarchistes, peut-être en partant du raisonnement selon lequel la monarchie, garante de l'unité fédérale, est à même de s'opposer à, ou de freiner l'indépendance économique et financière de la Flandre, indépendance qu'on redoute. Exactement comme les Flamands de 1950, les Wallons ne semblent pas voir que la monarchie ne défend pas la Wallonie, mais tout au plus l'establishment bruxellois et à vrai dire francophone, ce qui n'est pas du tout la même chose.

Il en résulte que le courant de pensée républicain en sort réellement handicapé dans les deux régions. Ni les grands partis wallons et francophones, ni les grands partis flamands ne s'expriment de manière claire sur la suppression de la monarchie et l'installation de la République. En Flandre, demeure seulement un fort courant républicain dans la (petite) Volksunie, mais il ne dicte apparemment pas la stratégie actuelle du Parti. En ce qui concerne le «républicanisme» du Vlaams Blok, soyons bref: ils luttent certainement pour un État flamand indépendant et républicain, mais en réalité un État ethno-nationaliste dans la pire tradition du nationalisme d'extrême-droite. Le choix entre leur «république» non-démocratique et une monarchie démocratique est donc vite fait.

Pourtant le problème se situe plus profond: une monarchie, par définition, ne peut être démocratique parce que de facto la Dynastie est plus qu'une institution purement représentative ou protocolaire. La Dynastie belge a dans le passé lointain et plus récemment démontré à plusieurs reprises qu'elle pouvait constituer un élément important dans le rapport des forces au coeur de la vie politique et s'en servir quand cela l'arrange (l'affaire Lumumba, la question de l'avortement, la politique en Afrique centrale etc).

Lorsque nous, comme Flamands de la tendance «met de Walen maar zonder België», nous aspirons à une réforme démocratique et réaliste de cet État, nous savons que nous ne pourrons y parvenir que par une confédération de deux Républiques autonomes, qui, sur un pied d'égalité et de manière partenariale, décident dans quelles matières elles doivent collaborer efficacement et démocratiquement, entre autre sur la question du statut de Bruxelles où dominent les Francophones. Elles collaboreront en défendant leurs intérêts à l'extérieur et à travers une réorganisation des finances et de la Sécurité sociale engagée de commun accord et sur la base d'une bonne foi réciproque. La Flandre n'a absolument aucun intérêt à une Wallonie affaiblie socialement et économiquement, au contraire. À terme, la Wallonie n'a, elle non plus, que peu d'intérêt à une Flandre démographiquement et économiquement plus forte, sans cesse de plus en plus exacerbée par le blocage fédéral de son développement. Et qui, à cause de ce blocage, prêtera plus facilement l'oreille au chant dangereux des sirènes séparatistes non-démocrates.

À une époque où l'on insiste tant, à juste titre, sur la diversité, le maintien d'une forme unitariste d'union ne pourra qu'aggraver les tensions, alors qu'il y a tant d'espace pour des formes authentiques de solidarité entre la Wallonie et la Flandre. La solidarité authentique est en effet toujours libre et réciproque, et non pas imposée et unilatérale: cela vaut évidemment pour les deux régions concernées. Avant la naissance de l'État belge unitaire, les régions wallonnes et néerlandophones avaient déjà efficacement coopéré sans vouloir se dominer l'une l'autre. Tout le mouvement flamand peut se ramener au développement d'un projet consciemment flamand de se construire et en même temps toujours de plus en plus adversaire de l'édifice belge imposé de 1830. Quand cet édifice sera déconstruit et que les deux communautés vivront dans la liberté et se rencontreront «les yeux dans les yeux», la monarchie, pierre d'angle et symbole de ce système unitaire, sera en vérité superflue et disparaîtra d'elle-même. Il est donc important de commencer le travail de déconstruction de l'édifice belge pour que Wallons et Flamands apprennent à être républicains. Que les deux communautés vivent donc à leur propre rythme et se développent de même, n'a rien que de normal. Qu'elles élaborent de concert les fondements de pareille perspective et qu'elles apprennent peut-être à s'estimer, c'est en tout cas, pour le groupe des flamingants de gauche et internationalistes, provisoirement minoritaires, au rang desquels je me compte, quelque chose qui va de soi.

Vivent les républicains!

Professeur de philosophie à l'Université d'Anvers, président du Masereelfonds, candidat Agalev au Parlement flamand.

(Évidemment, je n'écris ni au nom du Masereelfonds ni d'Agalev, mais comme citoyen flamand de gauche engagé)