Des goûts et des couleurs...
Voilà une brochure républicaine. Voilà, s'amuseront à dire les mauvaises langues, que s'acharnent becs et ongles les militants d'une autre époque à rompre le charme qui enchante notre société belge. De Marianne ou de Mathilde, ne pensez-vous pas qu'il est futile et dérisoire de devoir trancher? N'en va-t-il pas de même et de la Monarchie et de la République quant à la personne qui la représente? Questions de goût, peut-être? Cela vaut-il seulement la peine de soulever un débat? Ne dit-on pas en ce sens, après Nietzsche, que les goûts et les couleurs ne se discutent pas mais que tout le monde en parle! Ainsi, par exemple, des palabres sur l'ethnie linguistique du supposé président belge...
Faut-il en conclure qu'il est sage de faire l'impasse sur ce débat?
Quelque part étranger à cette manière de poser les questions, ahuri de voir les problèmes politiques traités comme un problème de »goût», le sens à donner comme une affaire de pragmatisme, voire de rigueur dans la gestion, nous voulons réaffirmer que la politique n'est pas un lieu où l'on s'affaire à contenter toutes les tendances pour mieux les contrôler, mais un lieu de débat permanent où on discute à concurrence des arguments qui y sont développés. Ce n'est pas un espace de luttes à briser ou à mater, mais un espace de reconnaissance.
Dés lors, nous sommes également étrangers à ce tour particulier du langage qui tend à faire de la Monarchie le dernier bastion démocratique et de ses opposants les palefreniers des extrémismes en tout genre. Il nous semble utile d'ouvrir l'espace politique belge à une «nouvelle» opinion. Il ne s'agit pas d'affirmer seulement la République contre la Monarchie mais de nous demander quels liens nous unissent et comment nous nous les représentons. La démocratie se gagne au prix de ce travail incessant de recomposition du lien social. Aucune définition ne prime, aucun ordre n'est supérieur à ce qu'un groupe peut reconnaître comme juste, parce que ce juste n'est pas aliénable, parce qu'il est toujours la source d'un changement et d'une réévaluation.
Dés lors, pourquoi, dans nos sociétés où, bien que l'opinion publique soit devenue privée et le monde privé devenu public, devait-on pour autant répondre aux inquiétudes sociales et politiques des citoyens belges, après la Marche blanche et la crise de la dioxine, en inondant les médias d'un florilège de symboles désuets? Mais du symbole utilisé ou de l'ampleur de la médiatisation, c'est le second phénomène qui inquiète le plus. Avec la production d'icônes royaux (le sourire de Mathilde, la mèche de Philippe, la canne d'Albert, Paola qui fait bander Jacques Sojcher (Belgique toujours grande et belle, Complexe, BXL, 1998, p.54)), l'État belge qui avait vu sa légitimité s'effondrer, pense peut-être ressourcer moralement ses citoyens? On serait plutôt en droit de se demander si le monde politique belge, pragmatique et consensuel, géré par une Raison toute organisationnelle, ne vient pas, par l'absurde, de précipiter complètement l'effondrement de son cadre de légitimité.
On ne répond pas à la crise en accentuant les prémisses de la crise.
Paraphrasant Max Weber, le désenchantement du monde guette à nouveau notre société: si la pratique combinée du consensus mou et de la gestion technocratique des enjeux politiques s'est enfoncé peu à peu dans l'opacité du mystère, c'est que les différents mouvements sociaux qui l'ont éprouvée n'ont rencontré qu'une coque vide, non communicante, dans l'impossibilité de se problématiser politiquement: l'ordre tant loué du monde de la gestion et de la compétence technico-technocratique s'effondre à mesure que s'amenuise le fond de légitimité presque magique du positivisme rationaliste. Dans lequel on découvre, de plus en plus, non pas une méthode objective mais une profession de foi.
Notre vie politique ne repose pas sur la qualité de bons gestionnaires de nos hommes politiques et notre bonheur ne dépend pas de la vie privée de la famille royale. Ils peuvent surenchérir tant qu'ils veulent, nous resterons citoyens et démocrates!