Une revue wallonne face aux fascismes

Toudi mensuel n°20, juin-juillet 1999

La Terre wallonne, février 1928

L'Entre-deux-Guerres, et plus spécialement les années 30, virent la démocratie et ses institutions bousculées, mises à mal voire mises en question. Ce n'est pas le lieu, ici, de retracer tous les heurs et malheurs du fonctionnement démocratique. Rappelons seulement quelques traits saillants de cette période. L'instabilité gouvernementale fut une des caractéristique de ces années-là. De plus, sur les 19 gouvernements de cette période, 10 furent des tripartites. Aux contraintes de négociations autour d'un programme «commun» s'ajoutent le dosage communautaire et celui des tendances internes aux partis, en particulier en ce qui concerne le parti catholique. A l'usure des partis «traditionnels», s'ajoute l'apparition de partis nationalistes et/ou autoritaires... sans compter les influences de facteurs extérieurs, tel le fascisme italien qui dans le monde catholique aura bien des sympathisants, sans parler du nazisme.

Par ailleurs, dans son ouvrage La démocratie enrayée, F.Perin consacre un chapitre aux Réformes et réformateurs en Belgique, chapitre qui montre assez combien la mise en cause des institutions fut une réalité et leur réforme envisagée pas toujours dans un sens démocratique. Loin s'en faut.

Comment Élie Baussart et La Terre Wallonne se situèrent-ils face à cette évolution instable à tout le moins, grosse de dangers en tout cas?

Les années 20

Au point de vue idéologique, l'Action française de Charles Maurras et le fascisme de Mussolini, se caractérisant tous deux par un anti-démocratisme certain, marquèrent de leur empreinte le monde catholique. Certains échappèrent pourtant à ces influences délétères grâce à une vigilance démocratique sans cesse en éveil. Tel fut le cas de l'équipe de La Terre Wallonne.

En juin 1925, la revue publie un long article du juriste catholique Fernand Passelecq, Pour ou contre le régime parlementaire? (selon A.Morelli, Passelecq lutta avec beaucoup d'énergie contre l'Action Française de Maurras et les idées nationalistes et il fut certainement le catholique belge qui épaula le mieux les antifascistes italiens). Sans nier les dérapages, le fonctionnement déficient du Parlement ou la nécessaire correction de certains éléments du système, tel le droit de suffrage (volet capacitaire), Passelecq n'en est que plus à l'aise pour stigmatiser «l'aventure anti-parlementaire» qui en séduit plus d'un: les sous-titres de ses paragraphes successifs sont éloquents [Le retour au principe d'autorité, L'évolution fatale de la dictature, Un type de réalisation encourageante (URSS, Mussolini, Primo de Rivera), Le fétichisme de l'ordre et ses suites, L'utopie du bon tyran]. Et la conclusion n'en est pas moins éloquente: «Conclusion doctrinale: c'est que l'institution parlementaire, avec ses défauts, ses tares et ses abus réels ou possibles, apparaît encore, à tout prendre et compte tenu des nécessités de gouvernement, comme le moindre mal politique. Conclusion d'ordre pratique : et c'est qu'il est d'une importance extrême pour tenir le régime parlementaire à la hauteur de sa mission ou pour l'y ramener, de travailler sans cesse à instruire, à réformer, à relever l'opinion publique, qui en est le principe originel et la source de renouvellement, constamment jaillissante.» (La Terre Wallonne, juin 1925).

Le piquant de l'histoire, c'est que ce plaidoyer pour la démocratie et son expression politique (le régime parlementaire) fut fait, à l'origine, en mars 1925, devant les délégués de la Fédération des Cercles et Associations catholiques, c'est-à-dire la tendance conservatrice du parti. Le Père jésuite Racot revient sur le sujet en insistant sur la prudence avec laquelle il faut proposer des réformes d'ordre politique parce que «le régime dans lequel nous vivons n'appelle pas, quoique l'on dise et pense parfois, de si grands correctifs», d'autant plus que certaines institutions, «encore très récentes» n'ont pas sorti tous leurs effets (tel le Suffrage Universel) (article d'août 1928).

Quant au maurrassisme et sa forte influence chez les catholiques belges, le même Père Racot s'y oppose, notamment à cause de «l'anti-démocratisme absolu et outrancier» du mouvement de Maurras. Cette position sans équivoque est publiée en 1925, soit avant la condamnation romaine du mouvement, dans une brochure reprenant l'avis d'une soixantaine de personnalités catholiques, dont E.Baussart. Cette brochure elle-même est une réaction à l'enquête menée parmi la jeunesse catholique belge, enquête qui révélait que Maurras était placé largement en tête des écrivains des 25 dernières années. Baussart, lui aussi, s'exprime à ce sujet et sur son attachement à la démocratie et surtout sur ce qui la fonde : «Nous sommes aussi loin du fascisme du Français Valois que du positivisme monarchiste de l'Action française» (article de février 1928). (Rappelons que pour Maurras, le régime républicain ne devait pas être amendé mais supprimé au profit d'une monarchie héréditaire, antiparlementaire et décentralisée : pour Maurras, la monarchie répond à tous les postulats du nationalisme et est conforme aux enseignements de la science).

A l'occasion de l'analyse qu'il fait d'un ouvrage intitulé Europe, ma patrie (avril 1929), Baussart estime que la conquête la plus précieuse de la civilisation de l'Europe c'est «le sentiment du caractère sacré de la personne humaine». Or,selon lui, cette conquête est la résultante de trois éléments: le christianisme dans l'ordre social, l'humanisme dans l'ordre intellectuel et la démocratie dans l'ordre politique. Après cet aperçu, quoique trop bref, comment s'étonner de voir apparaître dans La Terre Wallonne les signatures de L.Sturzo, fondateur en 1919 du Parti Populaire Italien, et de F.Ferrari, avocat à la Cour de Cassation italienne, membre de la direction du P.P.I., tous deux adversaires farouches du fascisme et en exil pour cette raison.

Les années 30

Est-il besoin de rappeler combien les dangers se sont faits plus menaçants au cours des années qui aboutiront à la guerre? Nous envisageons d'abord la période 1930-1935 en centrant spécialement notre approche sur la politique intérieure de la Belgique; ensuite, sans négliger cet angle d'approche, nous envisagerons les années 1936-1940 au cours desquelles des événements internationaux ne seront pas sans répercussions en Belgique.

a) années 1930-1935

Quelques rappels:

- au plan intérieur

La grave crise économique n'en finit pas de durer. En Flandre, en 1931, c'est la fondation du Verdinaso dont le but est de créer un Etat thiois (Flandre et Pays Bas et, trois ans plus tard, ce sera la reconstitution des 17 provinces en un Etat corporatif, à tendance nettement fasciste). En 1933 c'est la création du VNV qui outre l'adhésion au principe du Chef, était anti-belgiciste et revendiquait l'autonomie de la Flandre. En Wallonie, le mouvement rexiste s'organise dans ces années là. Au plan gouvernemental, le pays connaît quatre coalitions des catholiques et libéraux jusqu'en mars 1935 suivies d'une tripartite sous la houlette de Van Zeeland. C'est sous ces gouvernements catholiques-libéraux qu'il sera fait largement usage des pouvoirs spéciaux (le gouvernement se substitue au Parlement).

- au plan international

Le 30 janvier 1933, Hitler est nommé chancelier. Le 3 octobre 1935, Mussolini envahit l'Éthiopie.

Qu'en est-il d'E.Baussart et de ses collaborateurs du point de vue qui nous occupe au cours de ces 6 années? Tout d'abord, l'orientation sociale et internationale de la revue s'accentue sans pour autant délaisser la Wallonie : en juin 1930, Baussart note à l'adresse d'un correspondant: «force m'est de mener parallèllement la formation d'un triple état d'esprit : wallon, international, démocratique.» Par ailleurs, la signature de nouveaux collaborateurs apparaît. C'est le cas de D.Denuit, ancien jociste, bien au fait des réalités de Flandre: il y fut enseignant de 1926 à 1929; puis journaliste à La Métropole de 1930 à 1932.Cette année-là, il entre au journal Le Soir comme rédacteur parlementaire. Dans La Terre Wallonne, il tiendra des chroniques régulières jusqu'à la veille de la guerre. C'est le cas également (aux côtés de Sturzo et Ferrari), du comte Sforza, autre antifasciste italien, autre exilé et aussi des Allemands H.Platz, K.Turmer et du Père dominicain Stratmann, lesquels, chacun pour son pays, dénoncera le fascisme de Mussolini, la dictature hitlérienne... et la disparition de la démocratie dans leur pays respectif tout comme Baussart dénoncera le crime que l'impérialisme italien commet à l'égard de l'Éthiopie (cinq articles entre mars et décembre 1935).

La démocratie est en danger

La dictature c'est la fin de la démocratie parlementaire. Mais quand bien même il s'agisse d'un phénomène historique, la dictature n'est pas un phénomène fatal, écrit Baussart et il ajoute : «c'est à une politique qui [la] prévienne que nous essayons, par notre modeste effort de collaborer.» (article août 1932) Or, pour La Terre Wallonne et son directeur en particulier, la pratique des pouvoirs spéciaux fait le lit de la dictature (pouvoirs spéciaux demandés en décembre 1932 puis au printemps 1933). Baussart est sévère à l'égard des démocrates chrétiens qui les ont acceptés, mais aussi à l'égard des catholiques conservateurs, sans parler des libéraux. Écoutons-le: «À les entendre, nos difficultés financières n'avaient-elles pas leur source dans notre législation sociale? le Parlement n'avait-il pas prouvé surabondamment son impuissance et sa nuisance? n'était-il pas urgent de refaire par d'autres méthodes la santé et la prospérité du pays? Attaques combinées et contre le statut ouvrier et contre le régime - cela au moment où un vent de fascisme souffle sur l'Europe, quand l'Allemagne libérale est étranglée par Hitler. On voudrait préparer le lit du dictateur qu'on ne s'y prendrait pas autrement. [La loi] des pleins pouvoirs ne pouvait être votée par les représentants d'un parti qui se revendique de la démocratie ouvrière chrétienne. De savoir si une majorité parlementaire démocratique confierait un pouvoir législatif étendu, et temporairement sans contrôle, à un exécutif dans lequel l'élément conservateur domine et qui n'échappe pas aux influences financières. Par ce fait, et dans une ambiance qui sue l'appel au dictateur, de déconsidérer le Parlement - pas seulement les méthodes parlementaires, le système démocratique lui-même - frappé d'un verdict d'incapacité et d'impuissance.»(article juillet 1933).

La dictature c'est également la dissolution des partis politiques au profit d'un seul. Sous le pseudonyme du Provincial, Baussart écrit, en juillet 1933: «Après la Russie, après l'Italie, voici l'Allemagne qui fait sa révolution politique: un parti s'empare de l'Etat, absorbe l'Etat, devient l'Etat.» Aucune opposition n'est tolérée et tout contrôle sur le gouvernement a disparu, dénonçait-il deux mois plus tôt.

Cependant, outre la situation économique difficile, l'inflation du budget, l'accroissement du chômage, Baussart relève l'insuffisance des méthodes parlementaires, les compromissions de certains avec la finance: tout cela crée une atmosphère favorable à un changement de régime. Aussi s'agit-il de «déterminer exactement notre position», écrit-il en novembre 1933. «Si réforme il y a ça doit être une réforme démocratique, en ce sens qu'elle doit s'appuyer sur le consentement de la grosse majorité de la population et avoir à sa base une Assemblée qui exprime la volonté de cette majorité... Nous demeurons fidèles à la démocratie politique, parce que, dans notre pays, elle reste la condition de la démocratie sociale et de la démocratie économique - notre idéal.»

C'est à cette époque qu'É.Baussart fait partie du Conseil général de la Ligue pour la démocratie et la liberté, récemment lancée et dont P.Brachet est le secrétaire (P.Brachet, avocat sorti de l'ULB, partira comme journaliste dès le début de la guerre d'Espagne. Il s'engagea dans l'armée républicaine et tombera devant Madrid, le 11 novembre 1936. Il avait 25 ans).

Lors de la publication du Plan du Travail d'H. De Man, Baussart s'interroge sur la réponse qu'y donneront les démocrates chrétiens. Si leur réponse était positive, ce serait certes la rupture de l'Union catholique, mais «l'unité du front du travail» serait réalisée. «Quelle force au moment où des coalitions obscures s'élaborent qui menacent notre statut politique et nos conquêtes sociales! Qu'ils y viennent alors les bourgeois apeurés et les fanatiques de la force, partisans de quelque fascisme honteux ou avoué.» (article février 1934)

Les démocrates chrétiens rejetèrent le Plan De Man !

La parution de l'ouvrage de R.Poulet, La révolution est à droite, fut pour Baussart, l'occasion, une nouvelle fois, de préciser ses choix : «Je pense que si la démocratie est une institution, elle est avant tout et surtout un état d'esprit, une forme de culture. Sa grandeur, elle réside dans la possibilité qu'elle réserve à chacun d'être associé positivement à la chose publique, de s'en sentir comptable, d'être un élément actif de cette communauté sur laquelle repose l'État, de cette opinion qui est le sens commun de l'État. La démocratie, c'est aussi l'accès de la masse à la culture, [culture qui] s'exprime dans des formes, sociales autant qu'individuelles...Que la démocratie ainsi conçue ne puisse s'exprimer que dans le système parlementaire, je ne le pense pas. Mais qu'elle ne s'accommode pas du système autoritaire que vous décrivez, j'en suis sûr.» (article janvier 1935)

Faut-il s'étonner, dès lors, qu'en novembre 1935, on lise : «À La Terre Wallonne nous n'avons aucune confiance dans le mouvement rexiste», ce mouvement dirigé par celui que D.Denuit, rendant compte du «coup de Courtrai» (2 novembre), appelle «le petit Degrelle ?»

b) années 1936-1940

Les années précédant la guerre furent parmi les plus mouvementées, les plus angoissantes au plan international, mais aussi inquiétantes au plan intérieur.

L'équipe de La Terre Wallonne, malgré bien des embûches, poursuit son combat. De nouvelles signatures apparaissent, étoffant l'équipe. Tel est le cas du juriste catholique, l'Espagnol Mendizabal et celui du Basque catholique Semprun y Gurréa. Ils confortent la conviction de Baussart et de son équipe: la guerre déclenchée par Franco, en juillet 1936, n'est pas la croisade de restauration catholique contre le marxisme comme on voudrait le faire croire, en particulier dans les milieux catholiques.

Au plan intérieur belge, l'année 1936 est marquée par un large mouvement de grève (juin) qui aboutit à la satisfaction de certaines revendications ouvrières. Un mois plus tôt, le résultat des élections législatives fut un fameux coup de tonnerre sinon de bambou : 21 rexistes et 16 nationalistes flamands entrèrent à la Chambre.

Du point de vue qui nous occupe, que relever?

1) La Terre Wallonne et les institutions

Le premier gouvernement Van Zeeland mis en selle en mars 1936 était une tripartite. Jusqu'à la guerre il y en aura 4 autres (sauf 2 bipartites éphémères entre février et le 3 septembre 1939). Cette pratique fut considérée de façon fort critique par Baussart. La première équipe Van Zeeland de ce type est l'occasion pour lui de définir sa position : «ce "gouvernement national" est un dissolvant de la démocratie» (article mai 1936, avant les élections).

Deux ans plus tard, alors qu'une troisième tripartite est en place, Baussart affine sa critique. Ce type de gouvernement pouvait se justifier pour éviter la catastrophe, notamment en décidant la dévaluation. Mais «l'union nationale en se prolongeant au delà des besoins qui l'ont fait naître, devient un danger pour les institutions démocratiques. Que dire quand elle se décompose dans un gouvernement tripartite qui, subrepticement, se substitue à elle, ou, publiquement, la continue, ou en tient lieu? C'est le règne du "bon plaisir" du parlement, pratiquement incontrôlé, de la "république des camarades", par un échange de concessions et de services réciproques... Ce qui devrait la faire redouter des véritables démocrates, c'est qu'elle achemine à l'idée du parti unique,...une des assises des régimes totalitaires... En tout cas, la pratique abusive de l'union nationale supprime le contrôle du pouvoir par les Chambres et tend à faire considérer comme anormale l'alternance des partis au pouvoir, deux conditions essentielles du régime parlementaire.» (article janvier 1938).

2) La Terre Wallonne et les partis politiques.

- le rexisme

Avant le scrutin de mai 1936, La Terre Wallonne réaffirme qu'elle n'a aucune confiance en Rex. De plus, «il ne faut pas être sorcier pour prévoir que Rex n'aura pas de lendemain.» (article février 1936). En attendant, le parti de Degrelle obtient 21 sièges. Mais H.Bauchau estime que la jeunesse ouvrière est peu touchée par le rexisme contrairement à la jeunesse intellectuelle et bourgeoise (article juillet 1936). La classe ouvrière non plus n'est guère touchée, en raison de sa « défiance» et de son «irréductible hostilité» au fascisme, écrit Baussart (article novembre 1936). M.Jacoby, quant à lui, dénonce le caractère mensonger, voire mortel pour le pays de la campagne rexiste Rex ou Moscou (article octobre 1936)

Quant au duel Van Zeeland-Degrelle, en avril 1937 à Bruxelles, et surtout son résultat, cela ne peut que réjouir l'équipe de La Terre Wallonne. Pourtant un sentiment d'inquiétude persiste. Pour Baussart, «Rex, mouvement fasciste, est mort - sans gloire, comme il vécut sans honnêteté. M.Degrelle (qu'A.Soreil appelle "le démagogue gallophobe et hitlérophile") s'est chargé lui-même de le tuer: lui-même a choisi le jour et le mode de son exécution. La menace immédiate d'une dictature... ne pèse plus sur le pays et sur notre politique. La classe ouvrière... nous en a sauvés - elle seule.» Mais si le rexisme est mort, «la réaction de droite», elle, ne l'est pas. La tendance conservatrice du parti catholique est forte. Et si les rexistes la rejoignaient? Ce serait un véritable Cheval de Troie dans le Bloc catholique: la passion anti-démocratique se renforcerait (article janvier 1937).

- le Parti catholique et le Front populaire

Cette lutte contre le fascisme et pour la démocratie feront que l'équipe de La Terre Wallonne, Baussart en particulier, sera très critique à l'égard du Parti catholique (le n° spécial de juin-juillet 1936 en témoigne à suffisance). Baussart prône la disparition de ce parti et en appelle à la constitution d'une autre formation politique :

* constituée non seulement de catholiques, «mais de tous les hommes de bonne volonté» sur base de quelques idées de salut public;

* ce rassemblement se ferait sous le double signe des libertés civiques et de l'anticapitalisme; il grouperait ceux qui rejettent le libéralisme individualiste, condamnent le marxisme et rejettent l'aventure rexiste.

Cette proposition, Baussart l'assortit d'une profession de foi (la sienne sans aucun doute mais également celle de l'équipe La Terre Wallonne), profession de foi dans la démocratie et ses institutions : «Par tempérament, fidèles à une pensée..., instruits par les expériences des régimes totalitaires, nous demeurons attachés au régime démocratique, en tant que fondé sur la délégation des pouvoirs et permettant le contrôle par l'exercice de toutes nos libertés constitutionnelles.» (article juillet 1936).

Alors que le printemps 1936 avait vu deux Fronts populaires gagner les élections: en France et en Espagne (là avec les suites que l'on sait), que la campagne électorale rexiste s'était faite aussi sur la base d'un Front populaire (mais pas le même que dans les deux pays précités), qu'après les législatives de mai l'idée d'une Concentration catholique flamande (Front catholique) gagnait du terrain, Baussart reprend l'idée du rassemblement, évoqué ci-dessus, sous l'appellation de Front populaire également. Selon lui, les ouvriers ont spontanément réalisé ce Front, lors des grèves de juin qui prirent de court les organisations syndicales. Il ne faut donc pas qu'il se perde. Mais qu'en est-il de la position des partis à cet égard ? Selon Baussart, ils se montrent défiants, «craignant d'être manoeuvrés, grignotés par l'associé». Les démocrates chrétiens ne veulent rien entendre d'un accord associant les communistes; les socialistes qui, a priori, ne rejettent pas une collaboration avec ceux-ci, veulent cependant des gages de leur sincérité. Et pourtant, la réalisation de ce Front démocratique est urgente pour éviter que la bourgeoisie ne tente de reprendre ce qu'elle a dû concéder. Il revient donc aux organisations syndicales d'en préparer la réalisation et aux mouvements de jeunes ainsi qu'aux intellectuels d'en populariser l'idée (article août 1936).

Hélas, il n'y eut pas de suite... sauf la tentative U.D.B. à la Libération qui avorta elle aussi.

3) La Terre Wallonne et la Wallonie

Quel rôle Baussart attend-il que jouent les Wallons

Au Nord du pays, un bouillonnement d'idées, d'événements ne laissent pas d'inquiéter l'équipe de La Terre Wallonne. L'idée et la tentative d'une Concentration (catholique) flamande font leur chemin dans les mois qui suivent les élections. Elle serait fondée sur le fédéralisme et le corporatisme (elle n'aboutira finalement pas). Outre l'évolution inquiétante du Verdinaso, un rapprochement entre le VNV et le rexisme s'opère en été 36.

Cette situation incertaine, inquiétante est présentée, analysée par D.Denuit qui s'interroge: «La Flandre, nation autoritaire ou démocratique?» (article août 1936 et février 1937), tandis qu'E.Baussart tente de dégager des enseignements de ce nouveau flamingantisme et trace les axes d'action pour la Wallonie. L'évolution qui se dessine en Flandre est marquée d'un «racisme flamand d'esprit totalitaire». Si cette évolution se poursuit, après le redressement des griefs «au nom et par les voies de la démocratie», c'est l'État totalitaire qui est «proposé comme terme de l'effort et condition de salut de la communauté flamande». Avec quelles conséquences? D'une part, un péril certain pour «nos libertés»; d'autre part, une Wallonie «vouée à une subordination contre nature dans un Etat thiois». Dès lors, les Wallons seront peut-être amenés à réclamer le fédéralisme «pour échapper à l'étouffement dans un État unitaire où ils seraient juridiquement minorisés et économiquement desservis». En tout cas, si une telle dérive se précise, la voie pour les Wallons est toute tracée: «Défendre la démocratie, c'est défendre la Wallonie. Et inversement. Les deux causes... seraient confondues. Pas de doute que les Wallons, sur ces deux questions, seront intraitables...»

Néanmoins, malgré ses vives inquiétudes, la profonde conviction démocratique de Baussart reprend le dessus: la Wallonie ne serait pas seule dans ce double combat car il subsiste en pays flamand «d'immenses réserves démocratiques» dans lesquelles il inclut les «masses socialistes» (article février 1937).

A la veille, pour La Terre Wallonne, d'entrer dans sa 20e année, Baussart dresse le bilan de l'aventure entamée en octobre 1919. Mais pour le moment présent, une question domine toutes les autres: c'est «le salut de la démocratie. Car après le fascisme, après l'avènement du national-socialisme c'est à qui ne jurera plus que par le principe et les méthodes autoritaires».

Certes, la démocratie a ses faiblesses et ses défauts, mais elle est le dernier et l'unique rempart de la liberté; aussi «nous la supplions de se défendre. Et elle ne peut se sauver que par son propre principe, la liberté.» (article septembre 1938)

La Wallonie est inquiète. L'équipe de La Terre Wallonne ne l'est pas moins. Aussi dans les n° d'octobre et novembre 1938, Baussart fait paraître un long article (17 pages, dont une partie est publiée par W.Bal). Retenons-en seulement, ici, ce qui selon lui peut constituer la base, le mobile d'un «puissant rassemblement wallon» : la défense de la démocratie [ Cf W.Bal]

Et s'il était encore besoin de «démontrer» le combat de l'équipe de La Terre Wallonne pour la démocratie, il suffit de se reporter au projet de publication d'un n° spécial consacré précisément aux périls courus par la démocratie. Ce projet porte la date du 1er mai 1940. Les têtes de chapitres étaient les suivantes:

- Les infiltrations totalitaires dans notre vie publique (M.Laloire, abbé Delcorde) - Les ennemis intérieurs de la démocratie : rexisme, nationalisme flamand, Verdinaso, socialisme national (M.Vermeulen) - Les gouvernements tripartites ou la démocratie faussée (A.Colens) - Tares et faiblesses du régime parlementaire (D.Denuit) - De faux démocrates : le Parti communiste belge (A.Delperée) - Ce qu'il faut sauver: le maximum de libertés; le respect de la Constitution; le fonctionnement normal du régime (E.Baussart) - La tradition de la liberté en Belgique (L.E.Halkin) - Les principes de la démocratie : la représentation par l'électeur; le contrôle permanent du pouvoir par les corps élus; la responsabilité ministérielle devant les corps élus (non attribué).

Une réunion de préparation se tint au domicile d'E.Baussart, le 5 mai. Mais, interrogeait D.Denuit dans la réponse à Baussart, le 8 mai, «Hitler nous laissera-t-il le loisir de nous occuper du régime?»

Nous savons ce qu'il en fut deux jours plus tard!

Les collaborateurs de La Terre Wallonne brisèrent leur plume... et l'aventure de La Terre Wallonne se terminait. Mais plusieurs se retrouvèrent au lendemain de la Libération pour reprendre la tâche, notamment au sein du Congrès national wallon.