Le modèle social en question *

Toudi mensuel n°71, mai-juillet 2006

Le modèle social européen

A la fin de la Deuxième guerre mondiale, les démocraties européennes victorieuses avec l'aide des Etats Unis d'Amérique et de l'Union soviétique ont préparé l'avenir à partir de deux réalités qu'elles avaient douloureusement vécues :

2) le nazisme qui avait pu s'installer comme régime dictatorial et raciste précisément en raison de la grande crise grâce à la collusion du capitalisme allemand et du national-socialisme de Hitler dans la production d'armements et la relance de l'économie et avec m'adhésion du peuple allemand non seulement flatté dans son nationalisme mais aussi sorti de la misère par une politique de travaux publics importants, notamment et déjà des autoroutes mais aussi des activités industrielles.

Si les démocraties voulaient survivre et se développer il fallait réaliser le plein emploi. L'analyse de l'économiste anglais Keynes avait montré en 1936 que le plein emploi n'allait pas de soi contrairement à ce qu'affirmait les théoriciens classiques mais que l'Etat devait intervenir pour soutenir la demande, l'investissement et la consommation et les relancer si nécessaire.

Le plein emploi ne suffisait pas. Il fallait, aussi, assurer des revenus aux travailleurs dans tous les cas de non emploi : chômage, notamment entre deux emplois successifs, maladie, accident de travail, maladies professionnelles, pension, mais aussi compléter les revenus dans le cas de charges supplémentaires : soins de santé, allocations familiales, allocations de handicapés. Dans la plupart des pays, on n'était pas nulle part dans ce domaine. Des éléments épars avaient été créés sous la pression des organisations de travailleurs pour faire face à des besoins sociaux criants. Ils ont été rassemblés, complétés et coordonnés dans un système complet de Sécurité sociale.

Enfin, les travailleurs qui avaient fourni les plus gros efforts dans la guerre, soit comme militaires, soit comme résistants exigeaient d'avoir leur part dans les décisions qui les concernaient. Ici aussi, on n'était pas nulle part, des commissions paritaires existaient et les syndicats étaient reconnus. Des organes de concertation ont été créés : Conseils d'entreprise, Conseil central de l'économie, Conseil national du travail. Les trois parties Etat, organisations patronales et syndicats entraient dans un régime de concertation et de consensus.

Tout cet ensemble caractérise le pacte social qu'on appelle aujourd'hui le modèle social européen. Il a été appliqué dans toutes les démocraties européennes occidentales avec des variantes selon les pays, certains allant jusqu'à la nationalisation des soins de santé ou des formes de cogestion dans les entreprises. Le principe de concertation s'est naturellement étendu à d'autres domaines que les questions sociales, l'Etat se concertant avec des organisations représentatives de certains intérêts citoyens, les anciens combattants et leurs ayant droits, les réseaux d'enseignement, les maisons de repos, les organisations sportives ou culturelles, etc.

En Belgique, il a été complété par un accord sur le partage des gains de productivité dans les entreprises. Dans les circonstances de l'après-guerre, cette organisation d'ensemble a donné des résultats étonnants : une croissance et un développement économiques importants et surtout une augmentation considérable du bien-être et du niveau de vie.

Le basculement

L'année 1975 marque le basculement des dispositions du pacte social. Le basculement s'est amorcé entre 1971 et 1975 par plusieurs facteurs :

1) suppression de la convertibilité du dollar en 1971 et finalement flottement du dollar en 1973 : la stabilité des monnaies organisée par les accords de Bretton Woods en 1944 faisait place à l'incertitude permanente ;

2) emballement de la conjoncture économique en 1973 entraînant des hausses considérables des prix des matières premières et notamment du pétrole (on a seulement retenu la "crise pétrolière" et l'attitude de l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) face à la hausse généralisée des prix ;

3) vague d'inflation généralisée ;

4) ralentissement brutal de la conjoncture économique à partir de 1975 et apparition d'un chômage significatif en même temps qu'apparaissent des fermetures d'entreprises et des crises profondes dans plusieurs secteurs industriels : charbon, acier, textile, confection, chantiers navals, verrerie principalement ;

5) apparition de déficits budgétaires importants pour faire face au chômage et à la crise.

Deux phénomènes importants accompagnent cette crise qui s'avérera être une mutation profonde - mais on ne s'en apercevra que plus tard - d'une part, ayant profité de 30 années de prospérité de puissantes sociétés multinationales se sont constituées et tendent à se libérer de ce qu'elles considèrent comme des contraintes de la part des Etats, d'autre part, parti de l'Ecole de Chicago, relayé par nombre d'Universités et par d'importantes fondations comme la Fondation Rockefeller, un puissant mouvement de pensée économique néolibéral envahit le monde social et politique.

Cette conjonction dans une situation de crise profonde bouleverse les conditions du pacte social. Ce courant néolibéral attribue la crise à l'existence de ce qu'il appelle "l'Etat-Providence", en fait les systèmes de sécurité sociale et de concertation. Les politiques économiques et sociales vont basculer.

Reagan aux Etats Unis d'Amérique (1981-1989) et Thatcher au Royaume-Uni (1979-1990) ont mis en pratique ces orientations néolibérales ainsi que, dans une moindre mesure, les Gouvernements Martens-Gol (1982-1987). On se souvient du blocage des salaires lors de la dévaluation de février 1982 et les sauts d'index qui ont suivi. On se souviendra, aussi, des pouvoirs spéciaux qui ont été utilisés, entre autres, pour réduire les dépenses de la Sécurité sociale.

La force des organisations syndicales chez nous et le retour au pouvoir des partis socialistes depuis 1987 ont permis de sauvegarder jusqu'ici l'essentiel de la Sécurité sociale et du droit du travail, même s'il faut reconnaître que la concertation et le consensus entre l'Etat et les organisations sociales ne sont plus guère pratiqués.

La compétitivité

On peut considérer que la "crise" au sens économique de ce mot est terminée. Au capitalisme industriel et dit "civilisé des années 1945 à 1975 a succédé un capitalisme financier et mondialisé, dominant l'information (journaux, livres, télévisions,...) et les communications (internet, GSM, ...), par ailleurs c'est un "capitalisme débridé" : il refuse l'encadrement par l'autorité publique.

La compétitivité est devenue le seul objectif de nos sociétés : loi sur la compétitivité, négociations sur la modération salariale pour sauvegarder la compétitivité, plan "Marshall" wallon pour positionner la Wallonie dans la compétition globale.

Mais qu'est-ce que la compétitivité, ce mot qu'on ne trouve dans aucun manuel d'économie mais dont tout le monde parle et au nom duquel les revendications patronales s'affirment dures ?

Remarquons, d'abord, qu'on parle de la compétitivité d'un secteur économique, d'un pays ou d'une région mais qu'on parle peu, sinon jamais, de la compétitivité de telle entreprise. Qu'un patron se plaigne du manque de compétitivité de SON entreprise apparaît comme un aveu de mauvaise gestion. Si les entreprises se plaignent d'un manque de compétitivité, elles en imputent la faute ailleurs mais pas chez elles.

Le capitalisme globalisé et financier n'a qu'un objectif : assurer la rentabilité à court terme des capitaux investis. Aujourd'hui, les actionnaires sont devenus des fonds de pensions privés, des compagnies d'assurances, des banques gérant des organismes de placement en valeurs mobilières comme des SICAV (société d'investissement à capital variable). Ces actionnaires financiers exigent une rentabilité minimum de 15 % des fonds propres, chiffre considérable au regard des taux d'intérêt comme on peut s'en rendre compte facilement.

Les administrateurs comme les directions générales des sociétés sont jugés sur ces résultats; ils ont d'ailleurs un intérêt personnel puisqu'une grande partie de leurs rémunérations est constituée par une part des profits ou par des "stock-options" (options sur telle quantité d'actions de la société à tel prix fixé). Profits élevés sont synonymes de cours de bourse en hausse.

L'objectif des grandes entreprises n'est plus la croissance ou la satisfaction des consommateurs, c'est le profit immédiat.

La compétitivité a deux composantes : la compétitivité par les prix et la compétitivité par les produits. Ces deux composantes ne s'excluent pas nécessairement l'une l'autre, cependant les politiques économiques peuvent privilégier soit l'une soit l'autre.

La compétitivité par les prix c'est la politique néolibérale du tout au marché. Elle consiste à réduire les coûts partout où c'est possible. En fait, le seul coût compressible est le travail, soit par la pression sur les salaires, sur la fiscalité des entreprises et sur les cotisations patronales de sécurité sociale, soit par la compression de l'emploi, les mesures de flexibilité, le recours aux intérimaires et aux divers contrats de travail subsidiés.

Cette politique gouverne l'Union européenne et le Gouvernement fédéral belge l'applique depuis plusieurs années. On en connaît les résultats : croissance économique faible, chômage permanent et important, inégalités sociales grandissantes, équilibre financier difficile des dispositifs de sécurité sociale accompagné de restrictions des prestations, affaiblissement de la cohésion sociale et règne de l'individualisme.

L'Union européenne applique une politique néolibérale outrancière : rigueur monétaire comme seul objectif d'une Banque centrale européenne indépendante du pouvoir politique, rigueur budgétaire en raison du pacte de stabilité et de croissance imposant un déficit public inférieur à 3 % du PIB et politique de concurrence interdisant toute aide publique aux entreprises.

Dans ce cadre, les Etats se font la concurrence à coups de réductions fiscales et de réductions de cotisations sociales pour garder ou faire venir les entreprises chez eux.

Pour la Belgique, sous couvert d'un objectif d'emploi, les abattements de cotisations patronales de sécurité sociale dépassent 4 milliards d'euros par an et l'impôt des sociétés a été réduit. Pour autant, l'emploi n'a pas progressé dans les secteurs principalement concernés; au contraire, il n'a cessé de se réduire dans les secteurs industriels et dans celui des banques.

Cependant, en raison de la nécessité de Gouvernements de coalition, les dispositifs de la Sécurité sociale et ceux de l'assistance sociale (revenu d'intégration sociale) ont été très largement préservés, le partenaire de gauche faisant, de ce point de vue, équilibre au partenaire de droite.

Les réductions de coûts permettent d'augmenter les profits mais, sur l'ensemble d'une économie, elles aboutissent à des diminutions de revenus, donc des diminutions de la consommation, donc une demande amoindrie pour les entreprises et finalement une faible croissance, voire des fermetures d'entreprises. Il en est de même des réductions de cotisations sociales : les prestations sont resserrées et des réductions de la fiscalité des entreprises: les dépenses de l'Etat sont moins importantes.

Les impôts et les cotisations de sécurité sociale ne sont pas, ou pas seulement, des charges ils procurent aussi des services et des produits concourent au bien-être des citoyens et au développement économique général.

La compétitivité par les produits porte sur la différenciation d'un même produit selon les marques, par exemple les différentes marques d'automobiles ayant les mêmes caractéristiques techniques ou les marques de poudres à lessiver, etc. Toutes les entreprises d'une certaine taille cherchent à différencier leur produit de ceux de la concurrence et de les promouvoir à coups de publicité car cela leur permet de meilleurs prix en raison de l'attachement d'une clientèle.

La compétitivité par les produits est basée sur la recherche et l'innovation de nouveaux produits, parfois, de nouveaux procédés de fabrication ou encore de nouvelles présentations d'un produit ancien. L'exemple le plus connu est celui de l'industrie pharmaceutique.

La compétitivité par les produits prend nécessairement en compte les besoins réels d'une population et s'inscrit dans la protection de l'environnement et dans le développement durable, même si, ici aussi, les entreprises tentent de reporter une partie des coûts de la recherche et des mises au point des produits sur les Pouvoirs publics par des subsides directs et indirects ou sur les consommateurs notamment par les brevets qui retardent toute concurrence sur leurs prix de vente.

Une politique de compétitivité par les produits s'inscrit davantage dans la croissance et nécessite une cohésion sociale et un niveau d'éducation élevé pour tous. Elle est, donc, aussi plus sociale et plus égalitaire.

Deux conceptions de la société et donc de la Sécurité sociale

Le modèle anglo-saxon (Etats Unis d'Amérique, Royaume Uni, Australie, etc.) ne couvre qu'un minimum par un système collectif de sécurité sociale, chacun assurant sa propre sécurité par recours au marché : assurances privées pour la maladie ou les pertes de revenus, fonds de pension privés, système scolaire et universitaire largement privé et, donc, payant, etc. Il est essentiellement individualiste.

Le modèle scandinave (Norvège, Suède, Danemark, Finlande), par contre, développe de très nombreux services organisés et financés par les pouvoirs publics. Il est basé sur une forte solidarité et suppose une forte cohésion sociale, renforcée d'ailleurs par la solidarité.

Les différences entre les deux modèles se marquent non seulement dans les services collectifs publics mais aussi dans l'emploi

Le tableau 1 donne la comparaison entre le Royaume Uni (modèle anglo-saxon) et la Suède (modèle scandinave) parce qu'ils sont, tous les deux membres de l'Union européenne et, donc, dans un même cadre économique.

Entre ces deux modèles, on remarquera l'importance des services sociaux en Suède et celui des services personnels commerciaux au Royaume Uni, les écarts entre les pourcentages d'emplois publics et les écarts entre ce qu'on appelle le" non-marchand" et le "marchand", plus exactement entre les secteurs n'ayant pas un objectif de profit et ceux qui ont un objectif de profit.

La solidarité est plus forte en Suède qu'au Royaume Uni puisque les ressources publiques y représentent 57 % du PIB contre 39 %. Par contre, les inégalités sont nettement plus creusées au Royaume Uni qu'en Suède et l'écart entre les taux d'activité des femmes y est aussi plus important.

Les chiffres ne donnent que l'aspect quantitatif mais il faut savoir que dans les pays scandinaves les niveaux de qualification et de professionnalisation sont nettement plus élevés.

Tableau 1

Comparaison des modèles scandinaves et anglo-saxon (1997-1998 ou 2000)

Belgique

Suède

Royaume-Uni

% de l'emploi dans services personnels et commerciaux

20,9

18,1

24,7

% de l'emploi dans services sociaux

30,7

34,0

25,4

% de l'emploi public

-

37,9

18,9

ressources publiques en % du PIB

46,9

57,0

39,0

dépenses publiques santé et éducation en % PIB

9,4

14,9

11,1

inégalité des revenus : rapport interdécile*

7,3

5,4

12,3

proportion des pauvres**

8,2

6,6

13,4

dépenses de protection sociale en % du PIB

15,7

18,9

13,5

aides publiques au développement en % du PIB

0,36

0,80

0,32

émissions de CO2 en tonnes par habitant

10,0

5,5

9,2

taux d'activité des femmes

39,7

62,5

52,8

taux d'activité des mères d'enfants de moins de 10 ans

69,5

78,0

56,0

garde d'enfants de 0 à 3 ans en %

30,0

33,0

2,0

écart des taux d'activité des hommes et des femmes

20,1

5,0

15,0

part de femmes parlementaires en %

43,0

17,0

taux de syndicalisation ***

55,6

81,1

31,2

Ces différences au plan social ne signifient pas une moindre performance des pays scandinaves au plan économique comme le montre le Tableau 2.

Les performances économiques de la Suède comme celles des pays scandinaves sont au moins équivalentes à celles du Royaume Uni et sont souvent meilleures. Le modèle de protection sociale scandinave ne se réalise pas au détriment des performances économiques bien au contraire semble-t-il.

La position de la Belgique

La position de la Belgique se situe de manière générale entre la Suède et le Royaume uni. La faible proportion de dépenses publiques dans l'éducation et la santé s'explique, peut-être, par l'importance du réseau dit "libre" dans ces deux secteurs, même si les financements sont essentiellement publics. Si on pousse la comparaison plus loin, on constate que dans l'ordre de classement la Belgique vient peu après les pays scandinaves mais avant d'autres pays européens continentaux qui possèdent tous un système de sécurité sociale et ne sont pas à ranger dans le modèle anglo-saxon.

On ne peut pas descendre à un niveau régional puisque l'ensemble des dispositifs de sécurité sociale et d'assistance sociale sont de la compétence fédérale.

Pour tenir compte d'aspects autres que purement économiques, le Programme des Nations Unies pour le Développement a mis au point un indicateur qui outre le PIB par habitant tient compte de l'espérance de vie, de l'alphabétisation et de la scolarisation. On voit que la Suède précède le Royaume Uni, malgré un PIB par habitant plus faible.

Tableau 2

Indicateurs économiques et techniques (2000)

Belgique

Suède

Royaume Uni

part du tertiaire*

73,1

73,8

73,4

PIB par habitant en milliers de dollars PPA**

27,2

24,3

23,5

croissance annuelle du PIB en % 1990-2000

1,8

1,6

2,2

indicateur du développement humain (IDH) 2003 ***

0,945

0,949

0,939

rang occupé dans l'indicateur de développement humain***

9

6

15

taux de chômage en %

7,0

4,7

5,5

taux d'emploi des 15-64 ans en % (en 2005) ****

61,0

72,6

71,5

taux d'inflation annuel en %

1,8

1,6

2,2

effectifs dans R&D par 1000 habitants

2,3

4,5

2,9

nombre d'ordinateurs connectés à Internet par 1000 hab.

344

507

338

Sources : OCDE (1ère ligne) PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) (pour le reste

citées dans Economie politique, n° 19, juillet-septembre 2003.

* 1999 pour le Belgique

** PPA = parité de pouvoir d'achat

*** Indicateur du développement humain (PNUD) en 2003,

**** Eurostat Le Monde, 21 mars 2006

Compétitivité et protection sociale ne sont pas antagonistes

Parce que les citoyens se sont donnés des normes et règles par conventions tacites ou explicites (une constitution, des lois, des institutions, etc.), une économie de marché peut exister dans des pays disposant de systèmes différents de sécurité sociale tout en ayant les mêmes performances économiques. On le constate par la comparaison des modèles anglo-saxons et scandinaves.

Ces normes et règles évoluent avec les priorités que se donnent les citoyens. Une société peut, donc, maintenir son système et son régime social ou le faire évoluer en fonction des besoins, notamment ceux des personnes plus démunies, tout en restant dans le cadre d'une économie de marché. Encore faut-il que les pouvoirs politiques, européens, nationaux et régionaux y donnent une suite économique, soit par des mesures législatives ou réglementaires qui aillent dans le sens souhaité, soit en créant des institutions adaptées ou en modifiant des institutions existantes.

Parce qu'on se situe dans le domaine politique, toute la question revient à un rapport de forces, tant à l'intérieur des partis politiques qu'entre partis politiques. Le rapport de force n'est pas seulement le résultats d'élections comme on le pense assez souvent mais il peut résulter de l'action directe des citoyens, des mouvements associatifs et des courants d'idées, notamment dans les universités et les centres de recherches ou résultant des citoyens eux-mêmes comme les Forums sociaux ou les mouvements altermondialistes.

Il reste que le financement de la Sécurité sociale est devenu un problème, même si, aujourd'hui, la sécurité sociale belge est en équilibre financier et ne traîne pas de dette. Initialement dans la période de plein emploi, le financement de la sécurité sociale reposait sur une triple solidarité : cotisations des travailleurs, cotisations des employeurs et intervention de l'Etat, en quelque sorte des cotisations des citoyens.

Mais les contributions de l'Etat au financement ont été réduites sous la nécessité de réduire la dette publique et d'équilibrer les budgets. Les cotisations des employeurs ont fait l'objet d'exonérations importantes accordées par les pouvoirs publics sous prétexte du développement ou de la protection de l'emploi, dans le but de maintenir les entreprises, voire de les attirer en offrant des conditions plus avantageuses que celles pratiquées dans d'autres pays. C'est la "concurrence fiscale" entre pays.

Seuls les revenus du travail participent au financement. Mis à part les cotisations patronales, les revenus du capital et les profits des entreprises n'y participent pas. Certains pays comme la France ont instauré une cotisation sociale généralisée qui touche tous les revenus, ceux de la propriété comme ceux du travail, et s'ajoute aux cotisations traditionnelles. Bien au contraire, les revenus du capital comme la taxation du patrimoine mobilier comme immobilier reste faible en Belgique, considéré à certains égards comme un paradis fiscal pour les grosses fortunes.

En conclusion

Grâce à une bonne cohésion sociale, à un taux de syndicalisation élevé, à une tradition de concertation bien ancrée, le système de sécurité sociale belge est un des plus larges et des plus performants en Europe occidentale, juste derrière les pays scandinaves. Il importe de le conserver et il est possible de le conserver y compris dans une économie de marché concurrentielle. Il peut être le noyau autour duquel s'organisent les initiatives des associations d'entraide.

Des prélèvements fiscaux ou sociaux importants sont acceptables et acceptés dans la mesure où les services qu'ils permettent d'organiser sont à la fois accessibles à tous et de bonne qualité. Personne aujourd'hui ne conteste notre système de soins de santé.

Les abattements de cotisation sociale patronale sont inutiles d'un point de vue de l'emploi, on le constate depuis qu'ils ont été instaurés. Ils sont même nuisibles à l'activité économique et finalement à l'emploi car ils empêchent de relever des minima sociaux actuellement trop bas. Si on avait les moyens de le faire, la consommation s'en trouverait stimulée et donc l'activité économique et l'emploi.

Le discours selon lequel il faut "réformer la sécurité sociale parce qu'elle coûte trop cher", "combattre les acquis sociaux parce qu'ils constituent des rigidités dans le marché du travail" ou encore "réduire les cotisations patronales de sécurité sociale sous prétexte de maintenir ou développer l'emploi" est trompeur et ne correspond pas à la réalité. Il faut s'y opposer par tous les moyens. La preuve d'une bonne sécurité sociale dans une économie de marché est donnée par les pays scandinaves.

Il faut, aussi, récuser le discours qui considère les cotisations sociales comme des charges pour les entreprises. Ces cotisations sont immédiatement redistribuées à la population est entretiennent la consommation, donc l'activité des entreprises. et par là les investissements.

Il faut réclamer la suppression des 5 milliards d'euros par ans des cotisations patronales et leur retour à la Sécurité sociale pour, enfin, permettre le réajustement des minima sociaux : revenu d'intégration (anciennement minimex), indemnités de chômage, revenu minimum pour les personnes âgées, faibles pensions.

Diminuer les impôts ou les cotisations sociales sur les revenus du travail les plus faibles sous prétexte d'un écart insuffisant entre les revenus réels du travail et les indemnités de chômage est un non-sens économique. Cela abouti seulement à freiner l'évolution de tous les salaires et de toutes les indemnités sociales, le plus souvent alignés sur le salaire minimum interprofessionnel. Cela ne crée aucun emploi et ne stimule pas la consommation de l'ensemble des travailleurs et aboutit à une stagnation économique engendrant les chômage et les pertes d'emploi.

An contraire, le salaire minimum interprofessionnel doit être progressivement augmenté. La compétitivité n'en souffrira pas puisque le taux de croissance de l'économie sera meilleur.

Ce n'est certainement pas en détricotant le modèle social actuel qu'on stimulera le dynamisme de la population, l'innovation, la formation, la croissance économique et donc l'emploi. Bien au contraire.

L'essentiel de ce texte a fait l'objet d'une publication dans la revue TOUDI, n° 71, avril-mai-juin 2006.