Lettre de Flandre (les partis flamands en 1998)

Toudi mensuel n°10, mars 1998

Mark Twain s'étonnait toujours de ce que «chacun se plaint du temps sans que personne ne fasse quelque chose contre». On ne peut en dire de même des dernières semaines au point de vue politique. Certes, on se plaint toujours (à raison) et on tempête à propos de la politique, mais il y aussi tant de gens qui font des projets avec dynamisme, «pour tenter quelque chose», que l'on ne sait plus ce qu'il faut d'abord envisager.

À la VOLKSUNIE, on s'échine à savoir ce que peut bien fabriquer le président mis en congé Bert Anciaux et surtout à deviner ce qu'il a vraisemblablement comme intention avec son ID21 qu'il appelle, en toute connaissance de cause, un mouvement et non un parti polittique. Habituellement, les mouvements précèdent les partis politiques, comme ce fut le cas avec le mouvement écologiste «Anders gaan leven» du Père Versteylen, qui ne se convertit en AGALEV que sous la pression de la réalité et devint ainsi le point de départ d'un parti classique, ce qui fut fait d'une façon telle qu'il est difficile mentalement de l'oublier.

D'ailleurs, la VOLKSUNIE elle-même est le résultat logique et prévisible d'un Mouvement Flamand qui, après 1945, faillit succomber aux graves travers de la Deuxième Guerre Mondiale et de la collaboration et qui dut se resserrer à nouveau autour de son courant démocratique marginalisé.

Anciaux semble fasciné par la multiplicité des initiatives alternatives, il y en a au moins une douzaine, qui se proposent de substituer à la vieille culture politique particratique un nouveau contrat entre le citoyen et l'autorité politique. Ce qui rassemble de grandes et petites organisations, c'est la conviction que cela ne peut plus continuer comme cela, mais leur accord se limite à cela pour le moment. C'est d'ailleurs une question légitime de savoir si l'on peut renouveler fondamentalement un parti politique traditionnel sans le supprimer.

Pour ce qui concerne la VOLKSUNIE cela signifierait qu'un noyau de nationalistes flamands qui se sont élevés par principe contre le racisme et l'exclusivisme du VLAAMS BLOK, quitterait finalement le parti, tandis qu'il ne va pas de soi que le reste se sente chez soi dans la nouvelle formation à l'idéologie élargie.

A l'intérieur du VLD et du SP il y a de nouveau des gens comme Mark Verwilghen et Norbert de Batselier qui se sentent très concernés par les analyses du « thintank » radical-démocrate de Maurice Coppieters, mais comprennent qu'il est pratiquement impossible de concrétiser ces idées renouvelées dans le programme d'un parti politique avant les élections de l'an prochain.

Pour le moment, il semble que Jean-Luc Dehaene et Louis Tobbak peuvent dormir sur leurs deux oreilles et que, certainement en Flandre, la coalition rouge-romaine tiendra encore pendant une législature. Et en ce qui concerne la Wallonie et la Communauté française, il est n'est d'ailleurs pas évident que le PS échouera à maintenir ses positions avec comme résultat un affaiblissement de l'actuelle formule de coalition gouvernementale qui restera cependant fonctionnelle.

Les rénovateurs en Flandre comptent qu'ils pourraient attirer un ensemble d'électeurs du BLOK, mais il est possible aussi qu'ils aillent chercher leurs voix plutôt chez AGALEV et, partiellement, chez les grands partis. Si, effectivement, ce scénario est plausible, alors le paysage politique en Flandre après juin 1999 en sera modifié, avec, d'une part, une réelle affaiblissement de la «vieille» politique et, d'autre part, une fragmentation de l'opposition avec comme résultat une plus grande instabilité de l'ensemble.

Il est heureux que l'activité politique, quelque importante et lucrative (pour certains) qu'elle soit est seulement un épiphénomène de ce qu'on appelle de plus en plus souvent la «société civile». Alors, la confusion d'aujourd'hui pourrait à terme constituer l'étape préparatoire et salutaire d'un renouvellement effectif de la vie publique, dans laquelle les citoyens exigent de leurs dirigeants qu'ils s'occupent des vrais problèmes de la décennie qui vient dans une Europe sociale et, surtout, qu'ils oeuvrent à une solution créative pour un chômage au taux moralement inacceptable et à l'exclusion. Dans cette optique, la colère froide et qui va s'intensifiant du secteur appelé à tort «soft» est peut-être encore plus importante que les «mouvements blancs» qui s'occupent encore trop des symptômes du malaise au lieu de s'attaquer à ses causes profondes.

Car si la fédéralisation progressive qui n'est rien d'autre, en fait, que le devenir adulte et autonome de la Flandre et de la Wallonie, s'avère incapable d'améliorer la qualité de vie du citoyen moyen, elle a raté son but. Et c'est aujourd'hui le problème: la plupart des Flamands sont convaincus de que l'autonomie va s'intensifier, mais ils redoutent la caricature que constituerait la formation de deux (ou trois?) «petites Belgiques».

Sur la la forme finale de la réforme de l'Etat nous finirons bien par tomber d'accord à travers des concessions réciproques, mélange de chantage et de bonne volonté. Ce qui m'intéresse, c'est la plus-value culturelle, sociale et humaine qui pourrait en être le contenu. A la discussion de tout cela, en tout cas en Flandre, nous nous sommes à peine attelés.