Témoignages du Lieutenant Delplanque

Toudi mensuel n°70, janvier-février-mars 2006

Notre ami Claude Delplanque nous a fait parvenir quelques lignes rédigées par son père, notamment en juin 1940, aux côtés d'autres officiers belges. Né en 1906 et instituteur, le Lieutenant André Delplanque fut rappelé sous les drapeaux en octobre 1939 et participa, comme officier à la campagne des 18 jours, notamment aux combats de la Lys, avec la 15e DI dans la 8e Compagnie du 43e de Ligne. Le Lieutenant Général Baron Hainin de Boussu-Walcourt, aide de camp du roi, commandant de la 15e Division le cita à l'ordre du jour de cette Division selon les termes suivants : « Officier très méritant, qui s'est particulièrement distingué le 27 mai 1940 à Passchendaele [ancienne orthographe], où, malgré des pertes sévères, il résiste héroïquement. » Son récit, sans coïncider de manière absolue avec d'autres sources, les confirme largement.

Ces témoignages très précieux, de témoins oculaires souvent, consignés par écrit, très près peu de temps après les faits et avec la signature de collègues officiers d'A.Delplanque, sont en tout cas à verser au dossier que nous tentons d'ouvrir. Il semble bien que ces notes ont été rédigées dans les premiers mois de la captivité, même si la mention du Général décédé dont le témoignage est cité pour la capitulation de Gand, pose un problème.

Ces témoignages apportent des précisions sur le comportement du 16e de Ligne, régiment dont la conduite a été peu analysée et sur la 9e DI en général. Certains éléments de ces archives nous demeurent en partie incompréhensibles. Comme certains passages sur la reddition de Gand. Le texte établi ci-dessous, transcrit fidèlement les notes du Lieutenant Delplanque. Nous avions été tentés de les regrouper par thèmes, mais, finalement, nous avons suivi l'ordre adopté par l'auteur qui consigna ces notes avec une très grande rigueur en captivité, certes avec des erreurs, mais dans des conditions difficiles. L'écriture est parfaitement lisible (à quelques exceptions près) et dépourvue de fautes de grammaire ou d'orthographe.

Nous avons simplement intercalé des titres selon les thèmes abordés par ces notes écrites sur du papier pelure et que cet officier garda cachées sur lui durant toute la captivité.

Ce texte assez bref finalement confirme la plupart des redditions de régiments flamands et l'état d'esprit des soldats flamands en mai et juin 1940 de même que celui de la population gantoise.

Les titres et textes entre crochets sont des explications ou des abréviations éclaircies par nos soins.

[Fraternisations en France ou après le 28 mai 1940] [1]

[Prénom illisible] Brins, of.[ficier] de réserve du 8e de Ligne professeur au collège des jésuites à Gand.

Le 22 juin à 11h à Missiac (près de la Loire), lors de la capitulation [sic] française s'est présenté immédiatement à un colonel allemand en disant « Brijs flämisch offizier » et est parti en compagnie d'officiers allemands boire au succès allemand. Les autres officiers belges présents ne l'ont plus revu.

Témoins : des centaines d'officiers français et 12 officiers belges.

Le com[mandan]t Lemercinier, les s/[sous]lieut[enan]ts G[illisible] et Lambert (chas[seurs]ardennais).

Le Major De Vleeschauwer (D.V.) des chasseurs à pied

[Reddition de Gand] [1]

Je tiens personnellement du G. h [ ?] (mon grand-oncle décédé) qu'il avait dû agir à Gand avec la dernière énergie contre la police et les autorités de cette ville qui voulaient rendre la ville aux All.[emands] et qui avaient déjà réussi à débaucher un B[ataill]on complet (oublié de quel régiment). Le chef de ce B[ataill]on s'apercevant trop tard de ce désastre avait sauvé l'honneur en abattant à coups de revolver deux policiers gantois et l'officier allemand qui avait négocié la reddition sans qualité de parlementaire. Le G[énér]al m'a affirmé que c'était par représailles contre Gand qu'il avait donné ordre de faire sauter de nombreux ponts dont l'importance stratégique était devenue nulle par su[ite] des événements. Ces confidences datent du 1er juin 1940 (18 DI. 33. 35.36.) [ ?] [*] (S) Garnier.

[Peter Taghon conteste le fait que les autorités communales gantoises désiraient livrer la ville aux Allemands. Cependant des contacts ont été établis. La version que donne Peter Taghon de ces incidents a paru dans Jours de guerre. Nous ne savons pas qui est ce général. Ce sont ses confidences qui ont été faites à cette date du 1er juin 1940.]

A Gand, dès la capitulation, des flamands bottes et uniformes noirs assuraient la police de liaison avec les All.[emands]. Et les traductions.

[*] [Si ces chiffres réfèrent à la 18e DI et aux régiments qui en auraient fait partie, ils ne sont pas exacts. Si la 18e DI était bien présente à Gand lors de sa reddition, le 33e Régiment de Ligne est un régiment de la 13e Division, le 35e et le 36e de la 14e Division, et ils n'étaient pas à Gand lors des événements ici relatés.]

[Défections d'éléments du 16e de Ligne (9e DI)]

Dans la nuit du 24 au 25 mai, dans le secteur d'Oyghem où je commandais un groupe de liaison tactique en bordure de la Lys (13e de Ligne, IIIe B[ataill]on), renforcé d'éléments du IIe), des troupes du 16e de Ligne avaient été envoyées pour tenir la rive N[ord] du Canal de la Dérivation (*) et ainsi protéger le flanc du 13e de Ligne. Elles devaient appuyer la gauche de la grand-route qui longe la Lys à cet endroit.

Or, le lendemain 25 mai, au cours d'une contre-attaque nécessitée par l'infiltration de l'ennemi pendant la nuit et après avoir repris pied sur les berges du Canal, j'ai constaté que le terrain était piqueté d'une grande quantité de baguettes portant à leur sommet un mouchoir blanc. De nombreuses pièces d'équipement furent retrouvées aux emplacements occupés par le 16e de Ligne. Le fait même que l'infiltration ennemie s'était produite à cet endroit prouve que les troupes de défense s'étaient rendues. M[ais]aucun coup de feu n'avait été tiré par la gauche d'un B[ataill]on du 16e - Commandant Major Brichard.

Témoins L[ieutenan]t Garnier, S[ous-]L[ieutenant] Collet Albert de la 7e [Compagnie] du 13[e de Ligne] et militaires subalternes du IIe [Bataillon] du 13[e de Ligne]

[(*) en fait le Canal de Roulers à la Lys]

[Défections d'éléments du 8e de Ligne (9e DI)]

Dans la nuit du 25 au 26 mai, 1 Cie du 8e de Ligne à laquelle appartenait le Sous]/L[ieutenan]t d'active Colin, 83e promotion envoyée relever en 1ère ligne un groupement qui passait en position de soutien, s'est complètement débandée au cours de la nuit de l'aveu même du lieutenant Collin qui ne connaissait qu'une partie de son peloton. Or aucune attaque n'eut lieu cette nuit-là. Nous fûmes seulement soumis à un tir de préparation d'artillerie entre 4 et 9h du matin.

Témoins : m[êmes] que ci-dessus.

[Fraternisations en France et après le 28 mai ] [2]

Le 30 mai dans la soirée, le s[ous]/l[ieutenan]t Boisard de ma C[ompagn] ie (7/13) et moi-même, nous promenant aux abords du cantonnement de Drie Koningen (Thourout) assigné au 13e de Ligne, avons constaté qu'aucun drapeau blanc ne flottait sur les immeubles occupés par les troupes de notre régiment, le 16e de l [igne], voisin, en avait arboré jusqu'à 2 et 3 de grandes dimensions, à chacune des maisons qu'il occupait, de telle sorte que, manifestement cet emblème cessait d'être un simple signe de reconnaissance pour l'ennemi pour devenir une véritable manifestation de joie.

Nous sommes passés à côté d'un groupe nombreux de soldats des 16e de l[igne], précédés par 2 de leurs officiers (lieut[enan]ts), qui s'entretenaient joyeusement et cordialement avec des gradés et soldats allemands d'un parc auto.

Je suis intervenu personnellement auprès des officiers flamands pour qu'ils fassent cesser cette compromission. Mais ils m'ont répondu qu'ils ne comprenaient pas mon intervention, étant donné que la guerre était finie et ont fait part de ma démarche en riant aux Allemands présents. (s) Garnier

Le 29 mai 1949, des habitants flamands de Drie Koningen (Thourout) ont refusé de nous héberger, le L[ieutenan [t] Boisard et moi-même, sous prétexte qu'ils pourraient avoir à loger des officiers allemands. (s) G[arnier]

[Reddition de Gand] [2]

A Gand le drapeau à croix gammée flottait sur l'hôtel de ville, alors que la QG d'un C.A. se trouvait encore installé rue des barquettes.

Un tir d'artillerie a dû être effectué sur le Parc Léopold à Gand où des B[ataill]ons d'Infanterie flamande chargés de l'organisation d'une position défensive, se laissaient envahir et désarmer par la population civile.

L'adjoint du C [ommandan]t Génie/CA a dû faire sauter des ponts, revolver au poing, à Gand. La population s'amassait sur ces ouvrages pour en empêcher le sautage. A Gand, le chef du 4e B[ataill]on d'un CA a dû intervenir avec la troupe pour empêcher la population de piller les trains militaires de ravitaillement (gare de Dampoort). Des officiers d'un QG/CA en marche vers l'Allemagne, le 30 mai, ont été insultés par le patron du café « By de Leuvenaar » à Aerschot, parce qu'ils réclamaient contrôle prix forcé des consommations (Insulte prononcée en français : fainéant).

A Soest, le 11/7/40, avec bière et cigares all[emand]s une « bier abend » fut organisée par of[ficier] PG à l'occasion de la B[atail]le des Ep.[erons] d'or.

[Fraternisations en France et après le 28 mai ] [3]

Près de Poelkapelle le 28 mai dans la matinée, la voiture d'un officier de l'E[tat].M[ajor] chargé d'une dernière mission fut arrêtée par des soldats fl[amand[s] aux cris de « Elle est finie votre guerre » (en français et en f[laman]d).

Pendant la guerre 14-18, les ateliers du ch.[emin] de fer belge installés à ?/ ? recrutait [sic] des agents temporaires parmi les jeunes gens réfugiés. A la tête de ce recrutement se trouvait l'ingénieur Van ?, un Malinois. Les Wallons étaient systématiquement écartés.

Dernières promotions de l'E.[cole] M.[ilitaire], propagande des flamingants pour engager des élèves de la s[ectio]n française à ,changer de régime, idem au moment de la prestation de serment, d'où dernière session, grâce au régime favorable et à ces concessions 23 changent de régime au moment de la prestation de serment, les 6 premiers prêtèrent serment en flamand

[Au verso de ce papier pelure mais lisibles par tansparence, le lieutenant Delplanque note, sans doute après la captivité :]

Papiers à conserver

[Une défection] Le III d' Ostende [ ?] Willebroek connus [ ?] : 1 B[ataill]on, major en tête abandonne le pont qu'il était chargé de défendre. [Nous ne savons pas quelle est cette unité que le manuscrit d'André Delplanque vise ici.]

[Défection de la 4e DI] Wevelghem ++++ 4 DI 7-15-11 Canal de la dérivation de la Lys depuis Nevele... Deynze. Dans l'ordre 7-5-11.

Nuit du 24 - éléments du 15 passent le canal et vont fraterniser . Le 25 au matin, repassent en c[ompagni]e des Al[lemands] et en un rien de temps le 15 collabore sans autre résistance qu'une rafale de F.M. tirée par un of[ficier] w[allon] qui fut im[médiatemen]t abattu. Un C[ommandan]t de C[ompagni]e tire sur ses hommes qui se rendent, il est abattu par eux. Le mouvement s'étend de flanc et à revers vers le 7[e Régiment de Ligne) et le 11[e Régiment de Ligne]. Les Allemands font marcher les hommes du 15e en rang sous drapeau blanc, of[ficiers] en tête, un of[ficier]fl.[amand] indique les P.C. Les soldats du 7 (11 ?) refusent de tirer et les deux B[ataill]ons de 1ère ligne sont rapidement prisonniers, au 11 1 B(ataill]on idem.

Les jeunes off.[iciers] wallons égarés dans ces rég[imen]ts étaient désespérés.

Au cours d'une contre-attaque du 1er chasseur le lieutenant [ ?] Anssiaux [ ?] retrouva un drapeau blanc sous le 47 [canon antichars] chargé de défendre le pont.

[Peter Taghon parle un peu autrement de la mort de ces deux officiers dans Mai 40, La campagne des dix-huit jours (Duculot, Paris et Louvain-la-neuve, 1989, pp.177-178) : « Le 15e de Ligne n'existe pratiquement plus. Le Cap-Cdt Locks veut encore déclencher une contre-attaque, avec sa 7e Cie, mais il est abattu ainsi que le lieutenant Mutsaert, dans des circonstances particulièrement suspectes. » Il nous semble bien que les circonstances « suspectes » dont fait état Peter Taghon pourraient être - et même sont plus que probablement - celles décrites dans ce document.]

Voir aussi La Belgique se déchire à la bataille de la Lys (23/5/40-28/5/40)