Elections canadiennes : ce qui change pour le Québec
La défaite des Libéraux canadiens fait suite à tous les scandales liés à l'affaire des commandites (des contrats assurant la publicité pour l'unité canadienne), elle-même liée à l'échec du référendum d'octobre 1995. On sait que ce jour-là, le OUI à l'indépendance échoua à quelques dixièmes de pour cent, soit 26.000 voix.
Dès 1993, le Gouvernement fédéral du Canada (Libéral) signa avec diverses agences de publicité des contrats fabuleux en vue de «promouvoir l'image du Canada». En février 2004, la Vérificatrice Générale du Canada (à la tête d'une sorte de Cour des Comptes), dénonçait le caractère irrégulier de ces marchés publics portant sur 120 millions de dollars canadiens (5 milliards d'anciens FB), dont la moitié au Québec, les officines arrosées étant liées au Parti Libéral du Canada au pouvoir depuis 19931.
Le contexte québécois
Il n'est pas inutile de rappeler le contexte québécois, la presse internationale ne s'intéressant en fait qu'aux résultats nationaux alors que ceux-ci, nous en parlerons après, sont tout à fait intéressants pour se faire une idée de l'avance ou du recul de l'idée de l'indépendance. Le Québec, depuis la première accession au pouvoir du Parti Québécois (PQ), le 15 novembre 1976, tente d'arracher son indépendance par référendum. Un premier référendum organisé le 20 mai 1980 donna 40% au OUI et, déjà alors, la quasi-majorité dans la population québécoise francophone. Les Québécois anglophones, bien que vivant dans un État fédéré dont la langue officielle est le français, disposent d'un enseignement complet (de la maternelle à l'université), ce qui leur permet de vivre au Québec dans une autre langue que le français. Or les Québécois anglophones votent à 95% NON aux référendums de souveraineté et en faveur du Parti Libéral du Québec, qui agit parfois en nationaliste québécois (le 30 octobre 2003, le Parlement du Québec - qui se nomme lui-même «Assemblée nationale»), mais reste partisan du maintien du Québec dans le Canada. Le 30 octobre 1995, un nouveau référendum organisé par le Gouvernement du PQ de Jacques Parizeau, donna le OUI à 49,64%, la majorité absolue étant ainsi manquée de 26.000 voix seulement.
La régularité de ce scrutin peut être mise en cause. Le Québec a voté des lois qui organisent les dépenses électorales et notamment une stricte égalité de celles-ci entre les camps (dits aussi «parapluies»), du OUI et du NON en cas de référendum. Mais l'État fédéral canadien n'est pas tenu de respecter les lois québécoises, chose étrange pour un système fédéral comme celui que nous connaissons en Belgique où c'est évidemment impossible.
Fort de cette prérogative, estimant l'unité du Canada en danger, le Gouvernement canadien, loua à haut prix, l'ensemble des panneaux électoraux québécois (ces panneaux servirent durant toute la campagne électorale à faire l'éloge des services des ministères fédéraux du Canada), et intervint lourdement dans la campagne électorale québécoise, doublant sinon triplant par son intervention les sommes dépensées en faveur du NON. Il organisa à très grands frais à Montréal, une vaste manifestation en faveur du NON à l'indépendance, la veille du scrutin. Il y a eu bien d'autres irrégularités: l'augmentation d'abord (87%) du nombre de naturalisations l'année du référendum de 1995 et allègement des épreuves pour l'obtenir en faveur de ces personnes relativement insécurisées (comme le sont les immigrants), ensuite averties le jour même, solennellement (l'épreuve est supervisée par des juges), du danger que le référendum du PQ faisait courir au pays dont elles venaient d'acquérir la citoyenneté. 30.000 nouveaux électeurs furent influencés de cette manière. À ces voix s'ajoutent 300.000 autres voix également suspectes : en abusant de dispositions légales, on permit à d'anciens habitants du Québec (souvent des anglophones), d'y revenir y voter quoique ne désirant plus y faire leur rentrée définitive. La Direction Générale des Élections de l'État québécois a examiné, après octobre 1995, les cas de ces électeurs et a conclu que 200.000 d'entre eux demeuraient «intraçables», comme les fameux « morts qui votent ». Le journal unitariste québécois La Presse2 estimait que les dépenses électorales indues de l'État canadien n'avaient pas joué un rôle déterminant, manière de reconnaître l'irrégularité.
La défaite du Parti Libéral
Le 28 juin 2004, le Parti Libéral Canadien avait cependant encore obtenu un certain succès après plus de 11 années passées au pouvoir. Mais contrairement aux élections de 1993, 1997, et 2000, le Parti Libéral qui avait la majorité absolue aux Communes (près de 41% des voix et 177 sièges sur 305 en 2000), n'obtint plus que 37 % des voix et 135 sièges en 2004. Le Canada on le sait, pratique les élections à la britannique, le scrutin uninominal à un tour, ce qui explique qu'une majorité parfois même très relative en voix donne lieu à une majorité en sièges, avec une possibilité de gouvernement minoritaire. Le 23 janvier 2006, le scandale des commandites a emporté le gouvernement minoritaire libéral et accentué son échec déjà sensible en 2004. Cette fois, il n'a plus la majorité relative ni en voix ni en sièges. C'est le Parti Conservateur qui obtient cette majorité relative en sièges (124), et en voix (36,3%) contre le Parti Libéral qui n'emporte plus que 103 sièges et 30,2% des voix. Le Parti Conservateur a des tendances néolibérales et sur le plan éthique (criminalité, mariage homosexuel), est... conservateur.
>Le recul du Bloc Québécois
Dans la «Province» (en fait État fédéré), du Québec, se présente, même aux élections fédérales, un Parti dont le programme comporte principalement - avec des positions plus à gauche - l'obtention de la souveraineté, le Bloc Québécois. Le Bloc Québécois avait frôlé la majorité absolue en mai 2004 (49% des voix), et avait raflé 54 des 75 députés que le Québec envoie à la Chambre des Communes, le Parlement fédéral canadien. Lors de la dernière élection générale du 23 janvier 2006, il perd 7% des voix et trois sièges mais avec 51 sièges québécois demeurent et de loin le premier parti (fédéral), de la Province de Québec. Ce recul s'explique sans doute par le fait que le Bloc Québécois a mené une campagne axée principalement sur son programme économique et éthique «général» sans mettre pleinement l'accent sur la souveraineté. De telle sorte que des électeurs à tendance conservatrice ont pu être tentés de le délaisser au bénéfice du Parti Conservateur et cela d'autant plus que en matière de répartition des ressources fiscales et en matière de représentation du Québec à l'étranger le Parti Conservateur (à l'image de son chef des années 80, Brian Mulroney), est plus souple que le Parti Libéral (dont le chef emblématique a été longtemps Pierre Trudeau).
>Le recul de l'idée de souveraineté
Alors que, durant toute l'année passée, les sondages sur les éventuels résultats d'un référendum sur la souveraineté mettaient pratiquement à chaque fois le OUI en tête (ce qui peut s'expliquer par le retentissement du scandale des commandites, où le Gouvernement fédéral canadien de 1995 apparaissait comme un tricheur), fin janvier, après l'élection fédérale canadienne, la souveraineté repassait au-dessous des 50%.
Paradoxalement aussi, bien que le Parti Libéral Canadien ait perdu en voix et en sièges au Québec (passant de 21 sièges québécois à 13), au bénéfice du Parti Conservateur Canadien (qui n'en avait pas et en gagne 10 dans des circonscriptions éloignées de Montréal dans le centre du Québec), le Premier Ministre provincial Jean Charest a vu remonter sa cote de popularité (de 25 à 35%).
L'espoir de Jacques Parizeau
Vu que, chez nous, l'évolution vers une quasi indépendance des États fédérés se fait par étapes, on a parfois le sentiment qu'il pourrait en être de même au Canada pour le Québec. Mais ce qui rend les choses très différentes c'est que, dans ce pays, malgré des velléités indépendantistes de certaines provinces, malgré le fait que les Gouvernements provinciaux défendent parfois jalousement leurs prérogatives, lors de réunions communes d'ailleurs, il n'y a pas de conflit possible comme chez nous entre (principalement), deux entités. Ces deux entités ont eu, ont ou auront intérêt à préserver et agrandir leur autonomie, face à un État fédéral qui, d'une certaine façon, ne peut pas se défendre comme au Canada si elles se mettent d'accord pour le réduire. En effet, à partir du moment où Wallons et Flamands, avec l'accord des Bruxellois, concluent un accord communautaire, les choses sont décidées. Alors que au Canada, les Québécois n'ont évidemment pas de partenaires avec qui défaire de commun accord l'État fédéral. C'est pourquoi l'ancien Premier Ministre Jacques Parizeau, très populaire dans les milieux souverainistes, dans une conférence donnée début février à l'université Laval (voir Le Devoir du 3 février), s'est carrément réjoui de la victoire des Conservateurs, estimant que les quelques concessions prévues au programme conservateur ne seront pas acceptées par le Canada anglais. Au début des années 90, les accords du lac Meech, un rien plus audacieux, bien que réunissant une large majorité canadienne anglaise, avaient été de toute façon rejetés par deux Provinces canadiennes, ce qui suffisait constitutionnellement à les enterrer. Alors que le Lac Meech reconnaissait le Québec comme société distincte, le chef des Conservateurs et Premier Ministre canadien n'est déterminé qu'à mieux répartir les ressources fiscales, à donner au Québec une représentation distincte à l'UNESCO et au Bureau International du Travail, représentation distincte qu'il possède déjà à la Francophonie.
Il est assez intéressant d'observer ces débats canadiens en rapport avec les nôtres ou ceux de l'Espagne des Communautés (voir la note sur la Catalogne). On le verra en lisant l'article du Philosophe Michel Seymour que nous reproduisons à la suite de celui-ci. Il est curieux d'observer que parmi les militants wallons les plus radicaux, le Québec est admiré, tant la volonté nationale d'émancipation y est forte, alors qu'elle semble à relativiser en Wallonie. Mais la force du courant souverainiste au Québec n'est-elle pas à relier à la situation périlleuse dans laquelle se trouve la langue française ? Et cela, à l'instar du péril dans lequel les Flamands estiment que leur langue est placée ? On nous rétorquera que la situation économique de la Wallonie est elle aussi préoccupante. Mais les performances économiques de la Wallonie - seule - peuvent être considérées comme se situant à 80% des performances économiques de la Flandre et quand on ajoute la Wallonie et Bruxelles, leur PIB/habitant est supérieur à celui de la Flandre. Il est vrai que le nombre de navetteurs flamands à Bruxelles est en ordre de grandeur le double des navetteurs wallons (125.000). mais au total la population active à Bruxelles est majoritairement francophone.
On pourrait se demander si les Québécois ne sont pas plus radicaux que nous parce que la situation leur impose de l'être alors que, la Wallonie, même étreinte d'angoisse face au chômage des jeunes, a, au total des positions plus assurées.
L'avis de Michel Seymour est assez opposé à celui de Jacques Parizeau. Michel Seymour est un souverainiste modéré dont on observera qu'il parle (non seulement ici mais chaque fois qu'il à s'exprimer sur ces questions), d'un fédéralisme «multinational» en Belgique. Ce n'est pas le moindre intérêt de cet article du philosophe québécois.