Chiffres récents sur l'émancipation médiatique de la Wallonie
Selon la dernière étude du CIM, c'est le journal Métro qui a le plus grand nombre de lecteurs en Wallonie et à Bruxelles : 624.800 en progression de 14% par rapport à 2008-2009. Le tableau général de la presse écrite est le suivant 1
1) Métro : 624.800 (+14%)
2) Sud-Presse : 590.200
3) Le Soir : 484.100 (-15%)
4) L'Avenir : 460.000 (+25%)
5) Dernière Heure : 427.100
6) La Libre : 177.900
7) L'Echo : 67.200
Enseignements
Certaines progressions (ou régressions) ne sont pas indiquées dans la source citée. Ce qui frappe par rapport aux résultats anciens ou par rapport à l'image que l'on se fait (ou faisait) de la presse écrite, c'est que Le Soir ne semble donc pas (ou plus) avoir la primauté (en qualité et en quantité), qu'on lui accordait.
Il est précédé (ou talonné) par une presse tout de même fortement wallonne : Métro peut être considéré comme en faisant partie et bien entendu Sud-Presse (comme son nom l'indique), évidemment comme L'Avenir (qui peut aussi se revendiquer d'une certaine vraie qualité).
Mettant à part L'Echo qui doit être traité de manière différente, on s'aperçoit que la grande majorité des lecteurs en Wallonie et à Bruxelles sont en fait attachés à des journaux wallons (Métro, Sud-Presse, L'Avenir : soit 1.674.000 lecteurs), moins à des journaux bruxellois (Le Soir (qui a longtemps été le journal le plus lu), La Libre Belgique, La Dernière Heure (qui a parfois été classé lui aussi en tête des journaux francophones): 1.089.100 lecteurs). Le titre de journal de qualité ne peut être refusé à « La Libre » (surtout) et au « Soir » (soyons de bons comptes encore que...), mais pourrait être revendiqué certainement par L'Avenir, voire un peu par Sud-Presse. Ce qui fait au total des médias moins bruxello-centrés qu'on en a parfois le sentiment et cela d'autant plus que La Libre Belgique est déjà bien moins bruxello-centrée que Le Soir.
Quand on sait que RTL est une télévision souvent plus regardée que la RTBF, on peut penser que le tandem Le Soir-RTBF (si c'en est un), s'est considérablement affaibli. Jean-Maurice Dehousse affirmait le 17 septembre à la RTBF qu'il n'y avait pas de presse wallonne. C'est (ou c'était) peut-être vrai au sens des journaux de qualité ou des journaux de référence. Mais on a le sentiment que les choses ont fortement évolué depuis quelques années. Il s'agit là évidemment d'une diminution de la marginalité wallonne dont les médias dominants feraient bien de prendre conscience : les humoristes de la RTBF en particulier se rendent-ils vraiment compte du rôle qu'ils jouent au service de l'idéologie belgicaine dominante ?
Et du fait que, dotés de peu de talent, ils ont finalement peu d'auditeurs que, malheureusement, ils ne font même pas rire ?
Des constats un peu infernaux...
Surtout pour les gens comme trop de ces humoristes qui confondent humour et conformisme.
La Wallonie se libère du poids des médias belges et bruxellois dominants
Mais la conclusion que l'on pourrait tirer aussi (prudemment), de ces chiffres, c'est que, pour la première fois dans son histoire, la Wallonie apparaît réellement comme en mesure de se donner une presse et des médias qui se définissent par rapport à elle-même. Ce qui veut dire que le pays wallon de simple objet digne de l'intérêt d'autrui, même bienveillant (et on sait que l'intérêt de certains médias pour la Wallonie ne l'est pas toujours, voire même ne l'est presque jamais et en tout cas ne pourra jamais être qu'un intérêt subordonné ou secondaire), devient sujet fondateur de sa vision sur le les choses, les événements et les êtres. Bref, la Wallonie au lieu de se laisser seulement (et passivement), définir en France, à Bruxelles, en Flandre ou ailleurs va pouvoir médiatiquement se définir elle-même, à partir d'elle-même. Cette naissante autonomie médiatique de la Wallonie est aussi importante que son autonomie politique et économique. Elle a été rendue possible par les deux autres, mais les deux autres ne peuvent rien sans elle.
On peut faire tous les reproches que l'on voudra aux médias bruxellois, ils demeureront de toute façon inopérants, car un journal, une radio, une télévision et même un site internet construisent fatalement et légitimement leur vision du monde à partir du pays où il se considèrent comme implantés et où ils sont de fait enracinés. Les chiffres que nous avons cités plus haut démontrent que le fait de structure du lourd appareil des médias francophones belges centrés non sur la Wallonie, mais sur la Belgique francophone, fait de structure qui pouvait sembler immuable ou inexpugnable voici peu de temps encore, soulignant par là la faiblesse de la Wallonie, subit l'érosion progressive d'une Wallonie dont on ose maintenant dire qu'elle a besoin d'un nationalisme rationnel. Seuls s'en offusqueront ceux qui ne comprennent pas que c'est le nationalisme belge qui enlevait à la Wallonie la possibilité d'avoir ses propres médias. Il était inconcevable qu'une information ne se définisse pas d'abord à Bruxelles, de Bruxelles et pour Bruxelles. Et un grand nombre de journalistes croient toujours qu'il est impossible qu'il en aille autrement, même s'ils sont des Wallons convaincus.
Ils se trompent gravement.
Le Manifeste pour la culture wallonne de 1983 et plusieurs de ses signataires comme de ses adhérents (notamment Jean Guy, rendons-lui ici, en passant, cet hommage), avaient vu cela d'emblée.
D'ailleurs le mouvement wallon a voulu dès 1924 (des militants wallons se demandaient avec irritation ce que la Belgique non-wallonne ferait du nouveau jouet qu'elle avait découvert, à savoir la radio), une presse wallonne, une radio wallonne (grande revendication des années qui ont suivi le Congrès national wallon de 1945). Ces voeux fervents ont été toujours exprimés stérilement. Il fallait sans doute que la Wallonie devienne autonome politiquement pour que lentement ces voeux commencent à être réellement exaucés.
Le lent passage au second plan de certains médias bruxellois telle que nous le lisons dans les chiffres du CIM annonce une autonomie de la Wallonie qui se fait en quelque sorte spontanément sous la pression d'un mouvement lent mais profond et dont on ne voit sans doute pas encore tout ce qu'il va créer, le renversement complet des perspectives qu'il va opérer dans bien d'autres domaines que les médias.