Une thèse inédite sur 60-61
[ La thèse intitulée Mouvement ouvrier et question nationale. La grève générale de l'hiver 1960-1961 en Belgique (que nous abrégeons en MQN quand nous la citons), défendue par Francine Kinet à l'Université de Liège, en 1985-1986 en vue d'obtenir le grade docteur en sociologie contribue à un éclairage orignal de la Grande grève. Elle n'a jamais été publiée. Elle mérite une relecture, car elle replace la grève du siècle (peut-être aussi la plus grande grève générale depuis 1830 en Belgique), dans toute l'histoire de la formation sociale belge. Souvent, les interprétations se limitent à des cadres chronologiques plus étroits (comme l'après-guerre) 1, ou dans le cadre large du mouvement ouvrier, mais limité à un marxisme parfois strict 2, ou plus élargi mais par simple retour sur les thèses renardistes 3. Ici, on a autre chose, de véritablement inédit et dont beaucoup d'observations demeurent pertinentes malgré la relative ancienneté de la thèse. On sait toutes les difficultés rencontrées par tant de gens qui ont voulu donner un aperçu global de ce mouvement de grande ampleur. Surtout peut-être quand ils en acceptaient la dimension wallonne. C'est tout l'intérêt de la relecture de la thèse de F.Kinet proposée ici. Cette relecture sera suivie d'un EDITO de la revue dans quelques jours...]
Francine Kinet s'inspire d'auteurs comme D.Segrestin (Les communautés pertinentes de l'action collective. Canevas pour l'étude des fondements sociaux des conflits du travail en France, in Revue française de sociologie, 2/1980, pp. 171-203), et écrit qu'il existe des communautés à la base du déclenchement d'une grève générale, grève générale dont le sens n'est pas nécessairement déterminé par ses seuls enjeux directs, mais aussi du fait que « l'action ouvrière trouve ses supports dans des communautés d'action, préexistantes ou non, relativement indépendantes des enjeux de cette action... » (MQN p. 15). Ceci fait irrésistiblement penser à ce que l'auteure dit de la « localisation » de la grève , non pas dans les usines, mais dans les banlieues, villes, villages typiques du sillon industriel wallon de l'époque dont l'industrialisation précoce de la Wallonie a structuré « l'espace social caractérisé par le regroupement de l'habitat ouvrier en entités locales, elles-mêmes agglutinées autour des centres industriels » (MQN, p. 225). Ces communautés que l'on voit apparaître d'emblée dans le film de Thierry Michel Hiver 60 4. Elle évoque aussi l'idée formulée par S.Mallet que la globalisation des enjeux syndicaux est susceptible de briser « la traditionnelle subordination de l'action syndicale à l'action politique » (MQN, p. 17), fondement essentiel du renardisme 5 caractérisé par l'indépendance du syndicat par rapport aux partis politiques. Elle nuance l'importance de telles explications qui ont le mérite de dégager l'analyse d'une sociologie trop déterministe, en faisant valoir qu'il existe cependant aussi des événements qui provoquent les conflits. Remarque aussi que « peu d'approches ont pu se dégager de préoccupations politiques de condamnation ou de justification du conflit » (MQN, p. 22) 6. On trouve aussi dans ce manuscrit le compte rendu développé des analyses du CRISP (La décision politique en Belgique) , marxistes (Ernest Mandel) 7 , par la conscience de classe (M.Chaumont et Marcel Bolle de Bal) (MQN, pp. 19-30).
Deux grandes idées: une interprétation gramscienne, le non passage au fordisme
Francine Kinet développe alors deux grandes idées qu'elle résume comme ceci : 1) « Le tout social est l'unité de plusieurs structures mutuellement imbriquées, qu'on peut nommer l'économique, le politique et l'idéologique ou formes de conscience sociale » et 2) « Dans le procès de définition des classes correspondant à chaque mode de production, la lutte de ces classes est première par rapport à leur position dans des apports sociaux déterminés : leur "faire " précède leur "être". » (MQN, p. 35). Ce qui l'amène aussi à parler du concept d'hégémonie chez Gramsci : « Ce qui distingue essentiellement les institutions idéologiques, même publiques, de l'Etat, c'est le fait qu'elles fonctionnent principalement au consensus ou au consentement, et non par l'usage de la force et de la violence. » (MQN, p. 38).
L'auteure répudie la définition classique de la nation dans le marxisme-léninisme et affirme qu'il n'y a pas de définition générale de la nation, mais des procès particuliers de formation des nations, ce que les penseurs de ce phénomène peuvent oublier 8. Pour l'auteure, il n'y a pas de formation nationale sans un bloc historique, soit « l'alliance entre plusieurs classes ou catégories sociales (...) le "ciment" de l'alliance réside dans l'idéologie entendue comme système d'idées traduites en actes et en comportements et qui devient le facteur d'hégémonisation (...) les deux processus se déroulent au travers de la lutte des classes et impliquent donc partition et division de la formation sociale, de l'ensemble des rapports sociaux. » (MQN, p. 48). Et cette hégémonie 9 ne peut être que nationale : « souder un bloc historique revient à le doter d'une conscience nationale » (Ibidem). La grève de 60 correspond à une grave crise d'hégémonie, c'est-à-dire à, une rupture du consensus. Elle la replace dans une analyse gramscienne de l'histoire de Belgique (MQN, pp. 56-79), qui fut reprise en 1986 dans La Revue Nouvelle et résumée dans la revue TOUDI. 10 La Belgique n'a pas réussi encore en 1960, le passage au fordisme 11
Les partis en Belgique de 1944 à 1958
Un seul parti pouvait prendre la défense intégrale de Léopold III après 1944, le PSC. Ne pouvaient s'y opposer qu'une coalition de partis fort différents, allant du Parti libéral au Parti communiste en passant par le PSB unis par le lien d'une vague « défense de la démocratie ». La coalition des trois derniers partis avaient posé comme condition à un retour du roi le vote par les chambres réunies de la fin de l'impossibilité de régner : le PSC ne pouvait donc obtenir ce retour que par l'obtention de la majorité absolue, ce qui fut le cas aux élections de juin 1950.
Ce à quoi le PSC s'est efforcé selon F.Kinet, c'est de refaire l'ancien bloc historique belge de 1884 à 1914 : « C'est ici que gît le paradoxe : somme toute, le projet du PSC revenait finalement à nier la crise d'hégémonie qui avait affecté le bloc belge avant la guerre par suite de la montée d'une nation flamande en gestation. En d'autres temps, le projet eût été chimérique, il ne l'était plus dès l'instant où le conflit mondial avait eu pour résultat de 3nettoyer la scène politique des nationalistes flamands et des rexistes. Cela dit deux choses étaient à prévoir : d'une part, l'orientation "à droite" du PSC rendait malaisée la définition d'un programme socio-économique apte à satisfaire l'aile démocrate-chrétienne du PSC et du MOC et devait nécessairement engendrer problèmes et contradictions à un moment ou à un autre ; d'autre part, le succès du projet dépendait, en bonne partie, de la léthargie du mouvement flamand, qui était lui-même le produit d'une lame de fond en Flandre. Nous verrons précisément que c'est la conjonction et l'aggravation des clivages précédents qui engendrera une nouvelle crise d'hégémonie en 1960. » (MQN, p. 109). Pour l'auteure, toute l'affaire royale, les résultats de la Consultation populaire de mars 1950 permettent au peuple wallon de percevoir que « la Flandre majoritaire pouvait imposer sa volonté politique à la Wallonie » (MQN, p. 117). Elle ajoute, que « C'est le refus de cette situation qui a motivé le formidable sursaut wallon de 1950. Mais une fois la cause du sursaut disparue avec l'abdication du roi, la vague devait retomber inerte, aussi vite qu'elle avait grandi. Bien sûr, des strates restaient, dans la mémoire collective du peuple wallon et de la classe ouvrière, mais quelle différence avec la formation de la nation flamande ! » Pour elle, la conscience wallonne demeure alors faible et embryonnaire. Ce qui suit, c'est la guerre scolaire qui oppose à nouveau, un bloc laïque à un bloc clérical avec cette différence que les résultats du PSC en Flandre sont inférieurs en 1958 à ce qu'ils ont été en 1950 (en raison des progrès des listes nationalistes flamandes), alors que le PSC en Wallonie atteint aux élections de 1958 son maximum historique.
Les syndicats et le patronat de 1944 à 1958
Dès avant la Deuxième guerre, les syndicats belges se sont moulés dans la société belge clivée par le facteur religieux avec des syndicats chrétiens qui, au départ, ont comme fonction de lutter contre l'influence socialiste. La « Commission syndicale » du POB engendre la Confédération Générale du Travail de Belgique (CGTB) en 1937. La Confédération générale des syndicats chrétiens et libres de Belgique naît de la fusion des syndicats chrétiens wallons et flamands en 1912. Une Confédération Générale des Syndicats libéraux de Belgique (CGSLB), naît en 1930.
Une tentative pour former un seul syndicat après la guerre échoue. L'Eglise tient au maintien du pluralisme syndical. Le syndicalisme socialiste va regrouper dans la FGTB, la vieille CGTB, les militants communistes d'entreprises regroupés dans la Confédération Belge des Syndicats Uniques (CBSU), le Mouvement syndical unifié de Renard (MSU) et les syndicats des services publics (SGUSP). Les renardistes défendent l'indépendance syndicale et l'incompatibilité de la détention d'importants mandats politiques avec d'importants mandats syndicaux, question de l'indépendance syndicale qui va jouer un rôle important en 60-61. L'indépendance syndicale ne sera pas acquise dans les syndicats socialistes au plan national. Les renardistes peu nombreux possèdent de solides bases théoriques et sont les plus radicaux. Les syndicats sont associés à la gestion nationale de l'économie par la loi de 1948 portant organisation de l'économie belge.
La question royale divise chrétiens et socialistes. La CSC (syndicats chrétiens), lutte en vain contre la grève en Wallonie, ce qui renforce l'anticléricalisme des syndicats socialistes. En même temps même quelqu'un comme José Gotovitch estime dans La Wallonie le pays et les hommes (Tome II p. 316), que la grève de juillet 50 qu'il décrit comme une « explosion wallonne » est une sorte de volonté d'identification nationale. Robert Moreau dans Combat syndical et conscience wallonne assure (IJD, FAR, EVO, Charleroi, Liège, Bruxelles, 1984, p. 59), que Gailly avait déclaré que Léopold III ne serait plus jamais le roi des Wallons encore moins celui des travailleurs, slogan repris au Congrès national wallon extraordinaire de mars 1950 auquel Renard apporte le soutien de « l'armée du travail », soit celui de la FGTB liégeoise. Renard participa à la tentative du Gouvernement provisoire wallon de 1950. 12
En 1952 André Renard ne parvient pas à se faire élire Secrétaire général de la FGTB et c'est Louis Major qui est élu à a place, ce qui reflète aussi l'opposition entre syndicalisme d'action directe et d'inspiration réformiste radicale et syndicalisme d'accommodation. Il devient le Secrétaire général adjoint de la FGTB avec un accord qui porte sur une sorte de régionalisation de la FGTB, Renard étant responsable pour les régionales wallonnes et major pour les régionales flamandes. Renard ne s'oppose pas à l'accord sur la productivité proposé par le gouvernement homogène PSC de 1950 à 1954. En 1954 se réunit un congrès de la FGTB qui approuve un programme de réforme des structures : planification souple impliquant que les pouvoirs publics fixent des objectifs à l'économie nationale, nationalisation du secteur de l'énergie. Il s'agissait aussi, par son application, de détacher les syndicats chrétiens du PSC en vue d'une coalition « travailliste » (MQN p. 141, on le sait par R. De Schutter qui publia des informations intéressantes sur cette question dans Les Temps modernes, n° 294, février 1967). Or le PSB fait, au niveau politique le choix inverse et entend déborder le PSC (par l'extension de l'école laïque en Flandre), en s'alliant avec les libéraux dans la guerre scolaire (le gouvernement Van Acker de 1954 à 1958), où a CSC s'engage à fond avec le PSC.
Si les syndicats sont divisés, le patronat l'est aussi. La FIB (Fédération des industries belges qui deviendra la FEB aujourd'hui), regroupait, en 1959, 51 % des entreprises (les entreprises importantes, mais pas les plus petites), mais 95, 5% de l'emploi industriel. Le patronat flamand regroupé dans le Vlaams Economisch Verbond, n'aime pas la politique unitariste de la FIB, réclame une régionalisation de l'économie, mais choisit de faire valoir son poids dans l'ensemble du patronat belge plutôt que de l'affronter clairement comme avant la guerre. C'est le capital financier qui domine évidemment dans la FIB à cette époque.
Vers la Grande Grève
Francine Kinet commence par rappeler le non passage au fordisme qui, selon elle, se révèle à travers la faible croissance économique de la Belgique (que le PSC voulait faire monter à 3,4% en moyenne pour dix ans dans son programme électoral de 1958), et un chômage important pour l'époque (5% de la population active).
Le PSC obtient la majorité absolue des sièges au seul Sénat. Le PSB refuse de gouverner avec lui, de même que les libéraux. Selon F. Kinet, Eyskens souhaitait un accord avec le PSB, mais il ne put que former un gouvernement PSC homogène minoritaire sauvé à la Chambre par le vote en sa faveur de deux députés libéraux. Son programme : la relance économique, la réduction du déficit budgétaire, la création de conseils culturels dotés de pouvoirs réels et l'élimination des séquelles de l'épuration, la paix scolaire (qu'il obtint). Il obtint aussi l'élargissement de son gouvernement aux libéraux qui allait donner plus d'importance au rétablissement des finances publiques qu'à la relance. Le PSB se gauchit : le Congrès du PSB met en cause la stratégie d'alliance avec les libéraux.
Le gouvernement Eyskens tergiverse face aux revendications d'indépendance au Congo tragiquement illustrées par des troubles graves en janvier 1959 à Léopoldville qui font des dizaines de morts. Le ministre Gilson semble vouloir rétablir l'ordre colonial par la force, mais le PSB (et l'opinion belge aussi sans doute), s'oppose à une telle politique.
Une grande grève éclate au Borinage en février, s'étend à tous les charbonnages de Wallonie. Un accord intervient, mais la grève a pu réunir jusqu'à 100.000 travailleurs. Renard ne soutint pas ce mouvement. Sur le plan communautaire, le mouvement flamand mobilise, réunit une manifestation de dizaines de milliers de personnes à Anvers, obtient que les résultats du recensement de 1947 ne s'appliquent pas et que la frontière linguistique ne change plus (ce que la loi prévoyait). Le gouvernement Eyskens tente de surmonter les contradictions entre les libéraux (partisans d'assainissements financiers, de baisses d'impôts sur les plus-values, attachés à la Belgique unitaire), et les partisans PSC de la relance, de la défense des intérêts flamands. Cela met en cause le gouvernement Eyskens, d'autant plus que le PSC se divise entre une sorte de coalition de sa droite avec les libéraux et une aile démocrate-chrétienne plus à gauche, sans oublier les oppositions Flamands/Wallons (MQN, pp. 165-168).
Les socialistes se radicalisent. Les socialistes wallons réclament l'application des réformes de structures, le fédéralisme et prévoient la création d'un Comité d'action wallonne, notamment sous l'influence de Genot, bras droit d'André Renard et dirigeant du PSB et de la FGTB à Namur. Le Congrès du PSB national en septembre adopte les réformes de structures, comprenant également depuis les congrès FGTB de 1956 la mise sous statut public des holdings et un Service National de Santé. La droite du PSB est battue qui était « bien symbolisée » (MQN, p. 170 par Van Acker (le Premier ministre de la coalition socialistes-libéraux), Max Buset (président du PSB convaincu que l'extension de l'enseignement officiel en Flandre pourrait valoir une majorité absolue à terme aux socialistes dans tout le pays), Louis Major, l'adversaire de Renard au sein de la FGTB, à la fois syndicaliste et parlementaire. A gauche il y a La Gauche, hebdomadaire où travaillent certains trotskistes, fort liée au monde enseignant bruxellois notamment et les renardistes qui veulent user du fédéralisme pour imposer les réformes de structures en Wallonie déjà alors (soit fin 1959).
La crise d'hégémonie du Gouvernement national
En 1960, le gouvernement Eyskens se décrédiblise à cause des échecs qu'il rencontre dans la décolonisation du Congo, qui entre à partir de 1960 dans une période de troubles de plus en plus graves que la Belgique gère mal, notamment en s'ingérant dans les affaires d'un pays indépendant. Il doit faire face aussi à un réel mécontentement social. Satisfaction est donnée aux revendications flamandes sur le plan linguistique. La crise d'hégémonie s'aggrave quand, à Louvain, le président du PSC Théo Lefèvre propose un programme alternatif à celui du gouvernement, plus à gauche. On sait aussi (plus clairement que ne pouvait l'expliquer Francine Kinet en 1986), qu'une tentative royale a été faite pour démissionner le gouvernement Eyskens et le remplacer par un gouvernement de techniciens, face au grave échec de la politique belge au Congo. La tentative échoue, mais le gouvernement Eyskens tend à tirer parti des difficultés économiques (relatives), dues à la perte du Congo pour lancer la politique d'assainissement des finances publiques qui aboutira à la fameuse Loi unique dont l'annonce va déclencher la Grande grève. Non seulement cette Loi va de pair avec la satisfaction des exigences flamandes sur le recensement, mais, de plus, elle lie une stratégie de relance à l'assainissement des finances publiques sans bien définir finalement les modalités de cette relance ni son lien avec l'assainissement des finances « si ce n'est pas une généralité : la réforme budgétaire est "la condition essentielle à toute expansion saine" » (MQN, p. 180). La politique proposée, qui prévoit une réduction des dépenses de l'Etat, « aura nécessairement pour effet de diminuer la demande globale et donc le revenu national et l'emploi, ou en tout cas de freiner la croissance. Il s'agit donc d'une politique déflationniste qui n'est pas conciliable avec l'objectif affiché par le gouvernement d'accroître le taux d'augmentation du PNB à 4 % par en et de créer 20.000 emplois annuellement. » (MQN, p. 181). Ce programme est très "politicien". Il instaure le précompte pour donner des gages au MOC et à la CSC, fait valoir les événements du Congo pour justifier l'austérité ( la perte du Congo est loin d'avoir des effets exigeant une telle politique). Le patronat est satisfait par la volonté d'assainir les finances publiques, mais les milieux financiers (qui le dominent en fait), sont mécontents de l'impôt (le précompte), qui va être perçu sur les bénéfices de ceux qui investissent en bourse. Les classes moyennes sont mécontentes pour les mêmes raisons. La CSC s'oppose aux mesures de restriction en matière de chômage, de diminution des pensions des services publics et d'augmentation des impôts indirects. Dès le 9 novembre, la FGTB invite tous les travailleurs à s'opposer à la Loi unique. Les lois d'expansion de 59 sont des cadeaux faits aux entreprises sans qu'ils ne soient accompagnés d'une planification, 85% des nouvelles taxes sont des impôts indirects qui frappent les revenus les moins élevés. L'assainissement des finances communales menace les revenus des employés communaux. Il existe aussi des menaces sur le chômage et les pensions sans qu'on ne voie comment le gouvernement va stimuler la croissance de l'emploi.
Au Congrès national de l'Action commune de Liège, André Genot annonce (comme Léo Collard et d'autres), l'opposition socialiste au gouvernement, mais aussi l'arrivée d'un mouvement de mécontentement plus profond « qui portera les forces du travail au pouvoir ». Il pense aussi comme militant syndical et militant wallon qu'il faut « sauver la Wallonie ». L'aile wallonne de la FGTB s'est structurée face à une aile flamande. Notamment en ce qui concerne la formation et la propagande : la FGTB à cet égard s'est régionalisée puisque dès 1952, Renard a la responsabilité des régionales wallonnes et Major celle des régionales flamandes. Des réunions ont eu lieu par exemple le 2 novembre où on décide de régionaliser l'Action commune socialiste au niveau des régionales wallonnes de la FGTB, de promouvoir l'action wallonne à travers l'hebdomadaire Combat (à paraître en janvier), ceci face au déclin wallon et à la volonté d'installer une entreprise sidérurgique dans la région gantoise (SIDMAR) 13 . Une autre réunion a lieu également le 17 novembre avec les régionales wallonnes de la FGTB, en principe consacrée à la formation, mais qui change son ordre du jour et décide, entre autres, de créer un organisme de défense des intérêts wallons. F. Kinet pense qe « cette réunion manifeste qu'en novembre 1960, les stratégies internes des "cadres" de l'organisation syndicale socialiste relèvent d'une volonté de doter le mouvement ouvrier en Wallonie d'une dimension propre, à définir à travers les luttes en cours. » (MQN, p. 194). Seuls, écrit Francine Kinet, le gouvernement défend à fond son projet de loi qui divise ou révulse, peu ou prou, tous les partis politiques, les syndicats (les socialistes, partis et syndicats, au moins sur la manière de s'opposer à ce projet), le patronat, le monde financier etc.
Les premières actions, le démarrage de la Grande grève
La FGTB liégeoise organise une grève de deux heures contre la Loi unique le 21 novembre. Une campagne d'information baptisée « opération vérité » est organisée. On recense 70 rassemblements dont 58 dans la seule Wallonie (mais un seul à Charleroi, un seul dans le Centre). Une demi-journée de grève est organisée le 14 décembre sous la responsabilité du courant renardiste à l'intérieur de la FGTB. Il y a 138.000 grévistes dont 70.000 à Liège, 2.000 à Namur, 9.000 dans le Brabant et 45.000 dans le Hainaut. A Liège, Renard rassemble 50.000 ouvriers sur la Place Saint-Lambert, se montre sensible à l'appel à la grève générale qui monte de la foule. Pour Francine Kinet, il faut maintenant bien analyser comment le mouvement va se construire, l'expression « se construire » étant pour elle une « manière de désigner un processus, non une élaboration intentionnelle ». Elle insiste aussi sur le caractère d'emblée wallon de la mobilisation. Même si Renard maintient plusieurs fers au feu, notamment lorsqu'il écrit au président de la CSC A.Cool qu'il va assister dans toute la Wallonie (le 14), à un mouvement de rejet de la Loi unique.
Les communistes poussaient dès le 26 novembre à la grève générale au finish comme La Gauche. Le bureau exécutif national des secteurs communaux et provinciaux de la FGTB décide de proposer à son comité national une grève générale illimité à dater du jour où le parlement va débattre de la Loi unique. Cela se fait aussi à Gand, au Borinage et dans le Centre.
Un Comité national élargi de la FGTB se réunit le 16 décembre . Il va se trouver en face deux motions. Celle de Renard s'énonce comme suit :
« Le Comité national élargi de la FGTB réuni le 16 décembre décodée du principe d'une grève générale. Cette grève sera préparée par des arrêts de travail limités e déclenchés à la date arrêtée par un congrès extraordinaire de la FGTB convoqué à la suite d'un référendum national interprofessionnel. Le Comité national élargi décide que la première journée nationale de lutte de l'année sera marquée par une grève générale de 24 heures au ... » (en fait entre le 1er janvier et le 15 janvier 61).
La motion qui sera opposée à celle de Renard, celle de Dore Smets parle seulement d'une « journée nationale de lutte » (à laquelle les régionales sont libres de participer ou non), n'évoque pas la réunion d'un congrès de la FGTB ni la grève générale. Le 16, la motion de Renard est approuvée par toutes les régionales wallonne (sauf Tournai), rejetée par toutes les régionales flamandes (sauf Gand) et Bruxelles s'abstient parce que les délégués veulent une motion plus dure encore. Au niveau des centrales, les employés, le livre, les métallos, les mineurs la pierre, les services publics adoptent la motion de Renard, les autres centrales la rejettent. Il y a 498.000 voix pour la motion de Smets, 475.000 pour celle de Renard et 53.000 abstentions. Les projets d'action ouvrière directe contre la Loi unique sont déforcés par ce vote. Le même jour le PSC avait voté à l'unanimité pour le principe de la Loi unique, les démocrates chrétiens s'y ralliant. Une grève se préparait « sans que personne ne le sache » (MQN, p. 211). Le 19 décembre, comme prévu, les employés communaux et provinciaux entament la grève générale décidée par leurs instances. Les enseignants de la CGSP annonçaient quant à eux une grève générale pour le 21 décembre . Le 20 le mouvement des communaux et provinciaux est largement suivi en Wallonie, soutenu par les autorités communales. Les ACEC de Charleroi sont en grève générale illimitée le 20 de même que le port d'Anvers. A Charleroi les ouvriers (tant CSC que FGTB), des ACEC étendent la grève aux cheminots et aux métallurgistes le 20, jour où, malgré Renard, les métallurgistes liégeois se croisent les bras. Le 21, les enseignants sont en grève quasi dans toute la Wallonie, à Gand, Anvers et en Flandre occidentale, les cheminots également presque partout en Wallonie de même que le secteur gaz et électricité de Gand et les ports d'Anvers, Bruxelles et Gand.
L'extension de la grève, son caractère wallon
Le 22 décembre le bureau national de la FGTB charge ses régionales et centrales d'étendre le mouvement, mais ne donne pas d'autre mot d'ordre. Le nombre de grévistes passe de 54.000 à 153.000 le 22 décembre, à 187.000 le 23 décembre, à 217.000 le 24 décembre. F.Kinet résume que le 22 décembre, « la grève est générale en Wallonie. A Bruxelles les secteurs en grève le sont en vertu des seuls mots d'ordre nationaux. En Flandre, ceux-ci sont peu suivis sauf à Anvers, à Gand et, dans une moindre mesure, en Flandre occidentale »(MQN, p. 215). La grève n'a pas de direction. La CSC considère que ces mouvements sont inutiles et prématurés. Le gouvernement constate le 21 que ces grèves se déroulent en contradiction des mots d'ordre syndicaux. Le 22, le PSC les considère comme insurrectionnelles. » Le PSB réclame la démission du gouvernement et considère que la participation des syndiqués chrétiens aux grèves démontrent que celles-ci ne mettent pas en cause la démocratie. Pour Francine Kinet, l'extension rapide de la grève, sa généralisation en Wallonie et cela à peu près contre tous les appareils existants tant politiques que syndicaux (sauf quelques centrales FGTB et le Parti communiste), démontrent que l'on est en face d'une crise globale et d'une grève qui n'a plus rien de classique.
Le gouvernement n'est même plus soutenu par la bourgeoisie comme on l'a vu. C'est l'attitude de la CSC qui va être déterminante selon F.Kinet. En recoupant plusieurs sources elle établit de cette façon la chronologie du 23 décembre. A 9 h., le président de la CSC A.Cool est reçu par le Premier ministre, il indiquerait qu'il n'a plus ses troupes en main et demandent des concessions notamment en matière de législation sur le chômage et de pensions pour les services publics. A 13 h. le Cardinal condamne la grève. A 15 h. le Premier ministre reçoit à nouveau les délégués de la CSC. Le bruit court que le président de la CSC aurait démissionné. La CSC publie un communiqué où elle explique qu'elle débattra des résultats obtenus dans ses discussions avec le gouvernement le 28 décembre. Le Parlement est mis en vacances le 23 jusqu'au 3 janvier 1961. La question de l'engagement de la CSC est posée dans la mesure où ce syndicat et La Cité (quotidien proche de la CSC), adoptent une attitude plus prudente que lors de la condamnation des grèves le 19. Les prêtres de Seraing, répondant au Cardinal, approuvent la grève. Ils participent de ces communautés ouvrières wallonnes évoquées par F. Kinet au début de sa thèse.
En Wallonie, dès le 23 décembre, la grève sera dirigée par les régionales FGTB et les membres wallons du secrétariat national de la FGTB. Ces responsables se divisent ce jour-là sur l'opportunité d'engager le mouvement en faveur du fédéralisme : certains (de Charleroi, de Verviers), s'y opposent pour ne pas diviser travailleurs flamands et wallons : « Il apparaît donc que si une unanimité avait pu être dégagée au sein de ces représentants régionaux wallons du mouvement syndical, les revendications de fédéralisme et de réformes de structures auraient pu devenir les objectifs de cette grève, en Wallonie. » (MQN, p. 222). Néanmoins, la grève prend une coloration wallonne de fait, en raison de ceux qui la dirigent et qui sont tous de Wallonie. Indépendamment de F. Kinet, on sait maintenant que le gouvernement Eyskens réuni le 24 décembre de 10 à 13 heures, est conscient du caractère insurrectionnel des grèves. Le procès verbal de cette réunion comporte ces deux phrases à la p. 7 : « Il est clair que cette grève présente de plus en plus un caractère révolutionnaire, voire insurrectionnel, qui pourrait compromettre le régime et l'unité pays. Dès lors le gouvernement est unanimement d'avis qu'il faut se montrer très ferme et prendre toutes les mesures que commande la situation. » Auparavant il constate aussi que « l'activité économique est paralysée dans une grande partie de la Wallonie », il décide de mobiliser la gendarmerie de réserve et de faire intervenir l'armée pour la protection des « lignes axiales de chemins de fer » (p. 6) 14 Le gouvernement décide aussi de réprimer brutalement les grévistes des services publics 15. L'appel à la fraternisation de l'armée lancé par La Wallonie et d'autres journaux socialistes a comme conséque,ce qu'ils sont saisis par l'autorité publique 16 Des perquisitions sont menées chez les dirigeants syndicaux y compris chez André Renard que le gouvernement songea même à arrêter. Le lendemain le 25 décembre au soir, les bourgmestres du Borinage et de l'arrondissement de Huy-Waremme, rejoints par d'autres les jours suivants, déclarent qu'ils refusent d'obéir aux ordres du gouvernement en ce qui concerne la signalisation des grévistes dans les communes. Selon Francine Kinet, cette déclaration des bourgmestres est ponctuée par l'apparition du drapeau wallon au fronton des maisons communales (MQN, p. 225). Elle écrit aussi : « Les faits que nous venons d'évoquer sont très importants. Outre leur caractère spectaculaire, ils illustrent à quel point une grève générale au sein de milieux sociaux intégrés comme celui des communes socialistes des banlieues industrielles wallonnes (mais aussi de Gand et Anvers), peut revêtir le caractère de lutte totale. En effet la grève touche même le relais étatique que sont les autorités communales et le relais ecclésiastique dans la personne des prêtres de quartier. » (MQN, p. 225) A l'apparition des drapeaux wallons au fronton des maisons communales, il faut ajouter « l'association des dirigeants syndicaux socialistes de Wallonie dans un comité de coordination s'auto-instituant responsables de cette grève sur un territoire délimité par la frontière linguistique [qui] fournit un élément supplémentaire de distinction vis à vis de ce qui est extérieur à la réunion des travailleurs en lutte de Wallonie, l'extérieur désignant jusqu'à présent aussi bien les travailleurs de Flandre, dont on se dit "solidaire" (par-delà cette frontière), que les dirigeants syndicaux nationaux. « (MQN, p. 226). Le 27 décembre la CSC communique qu'elle ne participera pas à la grève. Le 28 décembre, le Comité de coordination des régionales wallonnes (CCRW), décide de faire du 3 janvier une « journée de deuil pour la Wallonie », cela sur la proposition de Davister (Charleroi) pourtant réticent le 23 à donner une coloration wallonne à la grève. Le 29 décembre le roi (qui s'est marié le 15), interrompt son voyage de noces en Espagne et revient au pays. Ce retour coïncide avec un premier sommet du nombre des grévistes qui sont maintenant au nombre de 320.000 et au caractère affirmé du « caractère wallon de la grève générale » (MQN, p. 230). Le 29 décembre André renard brandit pour la première fois la menace de l'abandon de l'outil (déclaration à l'AFP), et déclare au Pourquoi pas ? qu'il s'agit de fixer un nouveau point d'équilibre entre le capital et le travail et d'obtenir des modifications fondamentales des institutions politiques en même temps que des réformes de structures économiques. Le journal de Renard, La Wallonie, lance l'idée d'un référendum sur l'autonomie de la Wallonie.
On lira cet extrait du compte rendu par TOUDI d'un livre récemment paru.
« Pour l'hebdomadaire Pan, « André Renard sait que le Palais est tellement inquiet des tendances fédéralistes, que le Roi en est à craindre une victoire des modérés qui serait celle de la Flandre sur la Wallonie (...) Pour réussir, il lui fallait le chaos. Il l'a. » (Pan du 4/1/1961). De fait, à plusieurs reprises, Vincent Delcorps signale que, depuis cette grève, Baudouin considère que « Gouverner sans les socialistes devient un pari risqué » (p. 165). Une Wallonie rouge et puissante est apparue et elle fait peur. Cette thèse réapparaît à d'autres endroits dans le livre de Delcorps. L'auteur a interrogé Ernest Glinne à ce propos qui lui a déclaré à propos des socialistes: « La réalité c'est que tant qu'ils étaient au pouvoir, ils étaient moins contrariants (...) S'ils ne sont pas au gouvernement, les socialistes wallons risquaient d'être repris en main par le radicalisme de grosses franges de leurs syndicats (...) Donc, il vaut mieux les avoir au pouvoir parce que leur présence atténue les exubérances (...) Je suis certain que ceux qui favorisaient le maintien des socialistes au gouvernement, à Bruxelles, se disaient : s'ils n'y sont pas, leur aile wallonne est imprévisible. » (pp. 236-237). Cela n'empêche pas le roi, toujours selon Glinne de redouter « la mise en place d'institutions exclusivement wallonnes » et de craindre « l'implosion de l'édifice "Belgique".» Baudouin « serait (...) réfractaire à toute autre forme d'autonomie » que l'autonomie culturelle voulue par les Flamands (p. 242). » 17
La grève générale se dépasse elle-même
Depuis septembre 1960, les socialistes wallons disposent d'un organe permanent le « Comité d'action wallonne ». Le 2 janvier, il convoque à Namur les fédérations wallonnes du PSB. A l'issue de la réunion, ils attribuent la généralisation de la grève en Wallonie à la détérioration de l'économie régionale, due selon eux à « la carence d'un pouvoir centralisateur agissant dans le cadre d'une Belgique unitaire » (MQN, p. 237). Ils mettent en cause les structures du pays sans proposer des réformes précises. Le communiqué intègre positions plus radicales et plus modérées, voire réservées. Mais il permet aux dirigeants syndicaux wallons d'espérer que la classe ouvrière wallonne disposera d'un relais politique en la personne des parlementaires socialistes.
C'est d'ailleurs cette semaine que la grève va atteindre son sommet avec 340.000 grévistes le 5 janvier. Le 3 janvier à Yvoz-Ramet, Renard déclare que si le fédéralisme était instauré, en Wallonie « nous pourrions avoir un gouvernement du peuple et pour le peuple... » C'est un souhait, pas une revendication. Le 3 janvier toujours, mais au Parlement cette fois, JJ Merlot déclarent que s'articulent grève contre la loi unique, constat de la détérioration du tissu économique wallon et déstructuration de l'Etat unitaire. Les députés socialistes wallons se réunissent en marge de cette session du parlement pour déclarer qu'ils sont les représentants légitimes du peuple wallon et que si la politique actuelle est poursuivie, ce peuple devrait « choisir les voies de son expansion économique et sociale » après avoir révisé les institutions du pays. Les bourgmestres de la région liégeoise expliquent aussi les raisons du remplacement des couleurs belges par les couleurs wallonnes par le fait qu'ils sentent que ces jours sont deux de la « dernière espérance wallonne » (MQN, p. 241). A l'initiative de la CSC les bureaux du PS B et de la FGTB auraient été invités à conclure un accord avec la CSC sur les réformes de structure en échange du désaveu officiel des violences commises pendant la grève. Le 6 janvier, lors de la journée la plus violente de la grève, Renard ordonne la grève jusqu'au bout, fait acclamer l'idée de l'abandon de l'outil, mais admet que « le fédéralisme n'est pas à l'ordre du jour » en ajoutant cependant que « nous ne voulons pas subir plus longtemps le joug de la Flandre cléricale ». La tentative d'apaisement a vécu après de telles déclarations. Le gouvernement va alors accentuer la répression, arrêter par centaines les militants des piquets de grève par exemple. 3000 soldats sont encore ramenés d'Allemagne. Le 9 janvier le PSB condamne les actes de violence. Le 10 janvier, le comité des coordination des régionales wallonnes de la FGTB (CCRW), abordent la question du second front avec les délégués des socialistes wallons. Il est vrai que Renard, notamment parce que la CSC le demandait a rencontré, par l'intermédiaire de Léo Collard, le président de la CSC Auguste Cool les 27 et 28 décembre. 18 Mais cette entrevue n'a donné aucun résultat.
On peut dire que, devant ces déclarations autonomistes wallonnes, l'embarras est immense dans les rangs socialistes flamands. Francine Kinet estime que les divisions au sein de la FGTB trouvent leurs prolongations logiques au sein du PSB. Elles suscitent aussi l'hostilité de La Gauche qui espère regrouper encore grévistes wallons et flamands dans une marche sur Bruxelles. Le PCB est contre le mot d'ordre du fédéralisme qui peut diviser Wallons et Flamands. La question du second front demande à être expliquée. Il faut savoir ce que sont ses limites et ce qu'est son objectif. Et il importe aussi de dire que Renard le propose ds le 28 décembre. Francine Kinet commence par montrer qu'elle ne tombe pas du ciel (on se souvient que, bien avant le déclenchement de la grève, des initiatives wallonnes très nombreuses ont été prises par la FGTB et les socialistes wallons). Francine Kinet écrit :
« La demande d'ouverture du "second front" et la démission des parlementaires socialistes wallons concrétiserait de façon symbolique, par le choc politique qu'elle produirait, le rassemblement de la classe ouvrière wallonne en lutte et de ses représentants socialistes contre la politique préconisée par le gouvernement et contre la structure unitaire de l'Etat belge. Mais cette réforme de l'Etat ne constitue pas un objectif à court terme. Elle suppose une révision de la Constitution. Pour une telle révision, il faut que les Chambres actuelles se prononcent sur une déclaration de révision de la Constitution, qu'elles soient ensuite dissoutes et que de nouvelles élections soient organisées pour désigner des Chambres constituantes. Pour obtenir la révision des articles de la Constitution, il faut une majorité de deux tiers. En clair, cela signifie que parlementaires et partis wallons et flamands doivent se mettre d'accord. Obtenir une réforme de l'Etat telle que le fédéralisme, par la voie légale, exige donc une stratégie d'alliances qui sort du cadre de la grève en tant que telle. Mais une dissolution des Chambres, du fait de la démission des parlementaires socialistes wallons [éventualité qui n'est pas assurée comme le remarque F.Kinet en note de bas de page] serait surtout une façon de terminer la grève à "chaud" tout en empêchant le vote de la loi unique. » (MQN, pp. 251-252)
Mais les Flamands du mouvement socialiste ne voulant pas de ce fédéralisme, cela exige que les socialistes wallons se détachent du PSB et les syndicalistes wallons de la FGTB ce qu'ils ont déjà fait du fait de l'existence même d'une communauté de grévistes détachée de la direction nationale et dirigée par eux. Le 10 janvier, il y a encore 316.000 grévistes, soit autant que le 28 décembre et à peine moins que le lors du sommet du 5 janvier (338.000). Puis la grève fond jusqu'à 200.000 avant de remonter à 302.000 le 13. Ensuite, le nombre des grévistes diminuera graduellement jusqu'au 18 pour finir par s'épuiser. Les élus socialistes wallons se réunissent à Saint-Servais votent des motions fédéralistes très fortes, mais ne vont pas jusqu'à démissionner, même s'ils réclament le « droit pour la Wallonie de disposer d'elle-même ». Le 14, les délégués wallons de la FGTB et prononcent pour la régionalisation de la FGTB.
Conclusions
Les conclusions de la thèse sont que les intellectuels organiques du renardisme, en raison des carences du pouvoir central belge et de l'absence de volonté de lutte des dirigeants nationaux tant syndicaux que politiques, ont profité d'une crise d'hégémonie dégénérant en crise globale pour faire progresser leurs objectifs : une autre politique économique dans des structures étatiques rénovées où le mouvement socialiste wallon bénéficierait du poids politique correspondant à sa force électorale. Ce projet s'oppose à une refonte hégémonique nationale belge imaginée par le PSB (espérant par exemple conquérir une majorité nationale belge grâce à l'extension de l'enseignement laïc). Les renardistes ont relié une classe ouvrière wallonne en lutte à leurs objectifs fondamentaux : les réformes de structure tant politiques qu'économiques. Mais la constitution d'un bloc wallon autour de la classe ouvrière wallonne a échoué. Le MPW va continuer à ébranler les structures unitaires que la crise de Louvain, en divisant le pilier social-chrétien va achever de mettre à mal.
Voir aussi l'article de F.Bismans publié en 1990 (TOUDI annuel n° 4) : La voie au socialisme
- 1. Victoire de 1950 et défaite de 1960-61 : la matrice d'un régionalisme wallon centripète ?
- 2. EDITO : Nombreuses, vivantes commémorations d'Hiver 60
- 3. Socialisme belge puis wallon: dérive ou continuité?
- 4. Hiver’60, regard critique sur un film jalon de notre histoire
- 5. Renardism
- 6. Il en va encore de même aujourd'hui. Le responsable de l'émission « Face à l'Info » à la RTBF-radio a cru même bon de convoquer le 14 décembre pour une telle condamnation, un historien ultra-léopoldiste (Vincent Dujardin) et le fils du chef du gouvernement contre lequel la grève était menée, Mark Eyskens. La condamnation ici visait le fait que la grève mettait en danger l'unité du pays.
- 7. Auxquelles la LCR demeure fidèle : voir Les Trotskistes de la LCR et la question nationale
- 8. Voir Victoire de 1950 et défaite de 1960-61 : la matrice d'un régionalisme wallon centripète ?
- 9. Épicycle de la pensée marxiste qui pallie l'absence de la révolution prévue par Marx et le renforcement des institutions capitalistes : la bourgeoisie domine par la force mais aussi par le consentement, notamment par son hégémonie culturelle qui fait que le prolétariat adopte les intérêts de la bourgeoisie. L'Église catholique illustre par exemple cette hégémonie. D'après Wikipédia à l'article Gramsci : Antonio Gramsci
- 10. 60-61 et grille gramscienne de l'histoire de Belgique
- 11. Fordism is also a term used in Western Marxism thought for a "regime of accumulation" or macroeconomic pattern of growth developed in the US and diffused in various forms to Western Europe after 1945. It consisted of domestic mass production with a range of institutions and policies supporting mass consumption, including stabilizing economic policies and Keynesian demand management that generated national demand and social stability; it also included a class compromise or social contract entailing family-supporting wages, job stability and internal labor markets leading broadly shared prosperity-rising incomes were linked to national productivity from the late 1940s to the early 1970s. At the level of the labor process Fordism is Taylorist and as a national mode of regulation Fordism is Keynesianism.
- 12. Le gouvernement provisoire wallon de 1950
- 13. Voir Critique : Flandre-Wallonie. Quelle solidarité ? Michel Quévit (Couleurs livres)
- 14. Procès-Verbal de la réunion du Gouvernement Eyskens IV du 24 décembre 1960
- 15. Grève de 60-61 et violences gouvernementales
- 16. L'appel aux soldats de LA WALLONIE du 24 décembre 1960
- 17. Critique: ''La Couronne et la Rose, Baudouin et le monde socialiste 1950-1974'' (Vincent Delcorps). Editions Le Cri
- 18. Pierre Tilly, André Renard, Le Cri et Far, Bruxelles, Liège, 2005, pp. 631-632.