L'iode et le nucléaire
[La réflexion que nous fait parvenir Lise Thiry est une allusion à campagne de distribution de doses d'iode pour les populations proches du site de Tihange, campagne d'ailleurs sans réel rapport de cause à effet avec les accidents survenus au Japon (voyez la note en bas de page).]
Après la catastrophe de Tchernobyl, une cellule de crise fut créée en Belgique, en vue d'imaginer différents scénarios pour diminuer ou prévenir les risques d'un balayage de notre atmosphère par des éléments radioactifs.
Je me trouvais alors conseillère chez le ministre de la santé, Roger Delizée. L'une de nos tâches fut d'essayer d'organiser la prévention des effets cancérigènes de l'iode radioactif sur la thyroïde. Cette glande doit être nourrie d'iode pour bien fonctionner, et les doses nécessaires sont surtout apportées par l'air marin. Dans des pays éloignés de la mer, la déficience aboutissait à un mauvais fonctionnement de la thyroïde qui, alors, s'enflait et provoquait un goitre. Cette espèce d'étouffement conduisait, dans les cas extrêmes, vers le «crétinisme». (Un occasion de constater que nos neurones, eux aussi, bénéficient d'une promenade sur la plage. ) Faut-il le dire , les Suisses s'organisèrent pour fournir,dans l'eau potable, l'iode nécessaire.
On l'aura compris maintenant : lorsque de l'iode radioactif vole au dessus de nos têtes après le dysfonctionnement d'une centrale, notre thyroïde ne fait pas la différence et se nourrit aussi d'iode radioactif. Cette radioactivité, nichée là à long terme, va provoquer un cancer de la thyroïde.
Il s'agissait donc de prévoir au mieux un dispositif pour que l'iode radioactif trouve, lorsqu'il serait respiré puis véhiculé vers la thyroïde, une glande véritablement saturée de «bon iode» que les personnes exposées auraient avalé en hâte, sur annonce de danger. Mais il fallait avaler cette dose au plus vite, pour devancer la molécule radioactive. Aussi, nous proposâmes d'équiper chaque ménage de petits sachets contenant de l'iodure de potassium, avec autant de doses que de personnes dans la maisonnée. Cet équipement préalable était nécessaire, car pour une catastrophe assez proche, la consigne venue de la cellule de crise donnerait consigne de circuler le moins possible à l'air libre. Aussi avions nous prévu des sachets d'iodure supplémentaires pour les stocker dans les écoles. Notre atout, pour cette distribution préventive, c'était que l'iodure de potassium est stable à température ordinaire et qu'une seule overdose ne serait pas nocive. Après des tractations avec les services des eaux, ceux-ci acceptèrent d'accrocher aux compteurs les petits sachets d'iode.
Les choses se compliquèrent lorsqu'il s'agit de déterminer à quel rayon, autour de chaque centrale, le dispositif devait être mis en place. On devine que les responsables des centrales ressentirent vivement cette façon de suggérer qu'ils représentaient un risque. Alors, un géographe démontra que si l'on dessinait, dans notre petit pays, des halos autour de chaque centrale, les cercles se touchaient presque ... ce qui conduisit à la sage mesure d'intéresser tout le pays à cette mesure de prévention - qui, évidemment, ne combat que l'un des risques majeurs.
L'après Tchernobyl, vu de Cuba
Peu après la catastrophe ukrainienne, j'avais fait partie du petit groupe qui, autour d'Anne-Marie Lizin, effectua de courtes incursions autour de la centrale elle-même - où quelques vieilles personnes persistaient à vivre. Des avis accrochés à des arbres dénudés, recommandaient d'éviter avant tout de consommer ces appétissants champignons des bois qui tapissaient le sol...mais qui buvaient goulument l'humidité radioactive. Ensuite, . nous avions visité divers hôpitaux, mais comment, à si court terme, dépister des conséquences de l'irradiation ? Sauf des brûlures atroces qui refusaient de cicatriser.
Plus tard, et paradoxalement, ce fut à Cuba, en 1990, que je fus mise en relation avec certains Ukrainiens qui avaient vécu autour de Tchernobyl au moment du drame. Par quelle bizarrerie étaient-ils parvenus là ?
A Cuba, sur une côte enchanteresse, on avait récupéré d'élégantes résidences, que des anticastrices avaient abandonnées pour s'exiler. Alors, ces villas dans des parcs devinrent un site de vacances pour les jeunes pionniers les plus méritants. Pour tester encore davantage leurs «qualités communistes », on les invita à écrire à Fidel Castro une belle lettre dans laquelle ils renonçaient à ces séjours pour en faire profiter des frères et sœurs soviétiques en mauvaise santé. Des médecins cubains se rendirent alors en Ukraine pour y repérer des enfants malingres, anémiques, et ceux dont les dents pourrissaient par manque d'iode. Mais aussi des cas de psoriasis, de «calvitie précoce» et autres symptômes qui pouvaient résulter du stress lié à la catastrophe. Et aussi certaines leucémies particulières qui pouvaient être une conséquence de l'irradiation. Mais il n'était pas nécessaire que le lien soit évident : l'important , c'était que l'on croyait pouvoir faire quelque chose pour eux. Les plus jeunes étaient invités avec un parent.
Les voici donc à Cuba : l'enseignement du russe y était favorisé de sorte que l'on trouva le personnel adéquat pour l'accompagnement. Aux Ukrainiens de faire le pas vers le russe. J'ai gardé un souvenir très ému de ces visites répétées, où l'on m'offrait du thé versé à partir d'un imposant samovar - qui avait fait le voyage. La chambre était tapissée d'icônes mais par les fenêtres on voyait les orangers en fleurs. Le russe que j'avais appris lors de mes séjours en URSS me remontait aux lèvres.
Et le pittoresque ne s'arrêtait pas là. Je rencontrai aussi de nouveaux hébergés venus du Brésil 1 . Là bas, on les appelait les enfants radioactifs. Pauvres et affamés, ils allaient dévorer des restes de repas, déchargés par un grand hôpital ... Mais ces déchets étaient malencontreusement mélangés à des molécules radioactives, évacuées depuis le service de radiologie.
Voir Nouvelle campagne de distribution de pilules d'iode à Huy