Le néolibéralisme et la guerre

Toudi mensuel n°58, juillet 2003

Comme on le signale dans la dernière livraison d’Hérodote (n° 108, intitulé Géopolitique de la mondialisation, 1er trimestre 2003), dont ces lignes sont en grande partie inspirées, il n’est pas simple de comprendre ce qui s’est passé depuis une décennie et la chute du communisme. Mais de plus en plus de commentateurs recourent à la catégorie d’Empire au point qu’un journal anglais s’était amusé à comparer l’expédition américaine en Irak à telle expédition militaire romaine contre les Calédoniens au premier siècle de notre ère.

Jusqu’à présent, on a le plus souvent parlé du néolibéralisme comme d’un système qui ravage la Planète. Mais sans tenir compte assez, me semble-t-il, que le néolibéralisme est lié à l’hégémonie américaine. Peut-être même cela apparaissait-il comme quelque chose de secondaire. Car la tentation est grande de donner la prépondérance à l’économique sur le politique, donc au système capitaliste sur l’État qui en est le sanctuaire. Or, cette prépondérance accordée à l’économique et au technique (si l’on veut), se révèle peut-être l’erreur la plus grave commise par les interprétations courantes de l’état du monde. On y reviendra.

Le concept d’Empire

Alain Joxe dans L’Empire global et ses luttes locales pense que les catégories romaines sont à utiliser, non parce qu’elles font partie de notre culture mais parce qu’elles sont utiles. L’empereur, c’est l’ imperator, le général en chef, doté du pouvoir de vie et mort sur ses soldats. Il agit dans le temps bref de la décision et de la destruction. Alors que le Sénat détient l’autorité qui peut augmenter, car il se situe « dans la temporalité lente et cumulée de la production et de la vie » (p. 146). Le Sénat, ce sont les élites sociales et économiques de l’Empire dont l’empereur doit faire partie. Il faut que son action soit conforme aux intérêts de la classe dominante. Sinon il serait « tyran », visant à rencontrer les intérêts des classes populaires d’Orient et d’Occident.

L’Empire américain se distingue des autres empires de l’histoire. Il n’absorbe pas concrètement de territoires, mais impose un système économique néolibéral et s’oppose aux régimes « tyranniques » ou « despotiques » qui, « au nom d’une version patrimoniale locale de la souveraineté » (p.148), s’opposent à l’empire néolibéral. Soit parce qu’ils veulent gérer le patrimoine local en vue de leur intérêt (Berlusconi), soit parce qu’ils veulent le faire au bénéfice des populations locales (comme Chavez au Vénézuéla).

L’Empire britannique dominait les mers pour contrôler la planète. L’Empire américain est aérosatellitaire, c’est-à-dire que ses avions, ses fusées, ses missiles peuvent atteindre n’importe qui, n’importe quand, n’importe où.

Les nations européennes portent une lourde responsabilité dans la naissance de cet Empire, car elles se sont révélées incapables de réguler l’effondrement du communisme dans les Balkans. Tant dans le conflit entre Bosnie, Croatie et Serbie, que dans le conflit du Kosovo, les Américains parviennent à imposer leur solution aux Européens : via les Croates et Bosniaques, ou par bombardements de la Serbie en 1999. Sans s’engager eux-mêmes sur le terrain, ce que voulaient les Français, du moins pour le Kosovo.

En Yougoslavie, contrairement à la guerre du Golfe, il n’y a pas d’intérêts économiques importants en jeu. Alain Joxe souligne : «Entre la guerre de Bosnie et la guerre du Kosovo, l’action impériale est devenue un but en soi, car on ne peut pas dire, comme pour la guerre du Golfe, que la région représente un enjeu économique mondial. Il y a donc eu création d’un intérêt impérial purement politico-militaire, ce qui est la première manifestation d’une autonomie des objectifs militaires et stratégiques dans l’Empire de l’après-guerre froide. » (p.153). Cet Empire connaît une extension à travers l’intervention militaire en Afghanistan.

Les USA ne semblent concevoir que des ripostes impériales - c’est-à-dire violentes -, à la dérégulation qu’ils imposent au monde via leur néolibéralisme. Face à cela, l’Europe est instruite de la vanité de la violence. Les Français en Algérie furent victorieux militairement du FLN. Mais de Gaulle savait qu’il ne pouvait le vaincre politiquement. Pour Joxe, l’Europe, instruite par toutes ses violences, a des critères politiques fort opposés aux USA. Mais si les choix qu’elle propose comme en Colombie ou en Palestine, ne s’imposent pas, on va - les militaires américains l’ont déjà prévu dans des scénarios -, vers des ripostes aux révoltes des pauvres qui transformeront certaines zones du monde en zones de massacres purs et simples. Les militaires américains regardent avec lucidité les conséquences d’écarts entre riches et pauvres, du fait de la dérégulation néolibérale. Ils voient qu’ils ne seront plus supportables. Et ils ne cachent pas qu’ils étudient des scénarios extrêmes pour les régler éventuellement par la violence. L’auteur cite Attac, Susan George...

L’illusion occidentale de la prépondérance économique ou technique

Au demeurant, est-ce que même la simple supériorité économique est suffisante ? Maurice Bertrand, dans De l’Europe apaisée à l’Europe pacifiante ?, met en avant l’illusion dans laquelle nous sommes que ce sont les progrès technologiques qui mènent le monde et qui mettent les riches à part, dans le camp des dominants. Il remarque: « Les politiques étrangères et militaires dans l’histoire ont toujours été fondées sur des fantasmes collectifs et sur les représentations que les dirigeants et les peuples ont eu du monde et de la société. J’entends ici par représentations, au sens géopolitique du mot, la vision du découpage territorial du monde en unités politiques et de la dynamique qui anime ces unités sur la scène internationale, et, par ”fantasmes ”, les rêves, faits par les acteurs, dirigeants et peuples de ces unités, de grandeur, de gloire, de supériorité identitaire, de rôle satisfaisant dans le jeu des relations entre ces unités. » (pp 170-171). C’est ce que nous disions pour commencer. Nous voudrions montrer que cette réflexion s’applique aussi aux USA. Nous pensons trop naïvement que c’est leur seule capacité économique et technologique qui les mène à l’Empire. Mais revenons aux « représentations » de Maurice Bertrand.

Le fantasme de conquête c’est le rêve de Louis XIV : accomplir des actions singulières « pour », selon ses propres mémoires, « mériter l’applaudissement du public » (cité p.172). Mais c’est à partir du moment où les peuples sont associés aux entreprises des princes qu’il y a la montée aux extrêmes. Et notamment les guerres coloniales dont l’intérêt est que l’adversaire y est plus faible

Cependant, voici que pointe une sagesse européenne après les horreurs des deux guerres mondiales, les bombardements en masse en Allemagne et surtout au Japon. Le fantasme de conquête apparaît dans sa débilité. La vision de l’espace politique mondial devient celui d’un découpage arrêté, quoique n’étant pas encore fixé en certains points chauds.

À ces fantasmes de conquête succèdent des fantasmes de sécurité pour le quartier des riches du monde. Les riches se considèrent « comme les seuls vraiment civilisés les seuls vraiment vertueux, respectueux des droits de l’homme et de la démocratie, et surtout les seules capables d’imposer au monde un ordre conforme aux principes de civilisation. » (p.174). Mais, aujourd’hui, l’hégémonie américaine par exemple, c’est surtout sa supériorité militaire. En réalité, il y a partout dans le monde des ingénieurs, des techniciens, des informaticiens, des professeurs qui valent ceux des USA ou de l’Europe. Et qui peuvent fabriquer aussi les armes à même de les frapper. Face à cela, il y a trois conceptions de la sécurité internationale.

Trois conceptions de la sécurité dans monde

La première est la conception militariste américaine qui a comme conséquence qu’on considère qu’il ne faut pas signer les conventions internationales comme celles sur le droit des enfants, la Cour pénale internationale, le protocole de Kyoto et que l’on peut prendre des mesures protectionnistes en faveur de l’acier américain. L’appareil de guerre américain est énorme, coûte autant que le budget total de la France, mais est parfaitement inadapté à la réponse au terrorisme, car il est tout entier conçu pour mener des guerres classiques.

Une deuxième conception qui est aussi militariste, c’est celle de l’Europe. Elle pense cependant qu’il faut adapter les appareils militaires, mais qu’il faut parallèlement une solidarité accrue avec les pays pauvres. Elle demeure cependant fidèle à l’idée qu’il y a un quartier des riches à défendre.

Une troisième conception vise à assurer la sécurité autrement. Elle a ses racines dans l’horreur engendrée par la Première guerre mondiale puis par la Seconde. Elle peut se prévaloir aussi des rapprochements entre l’Europe de l’ouest et de l’est ce qui donnera la SDN, l’ONU et, à partir de l’Acte final d’Helsinki (1975), la CESCE (Conférence sur la coopération et la sécurité en Europe). De proche en proche, tout ce processus a abouti à la destruction de quantités énormes d’armements, à la transparence dans les relations (par exemple l’autorisation de vols de reconnaissance des territoires respectifs). On commençait à envisager de tels processus pour l’Asie ou pour les pays de la Méditerranée. La logique du désarmement intervenu entre les deux camps affrontés en Europe aurait dû conduire à un désarmement plus général encore. Et même à la création d’une armée de la paix commandée par l’ONU, chargée d’organiser la sécurité planétaire.

Mais les USA n’en ont pas voulu sous l’influence du complexe militaro-industriel. Et on a, par exemple, élargi l’OTAN dans cette perspective.

En fait, l’insécurité provient de situations de déséquilibres inacceptables qui rendent difficiles ou impossibles pour les peuples du sud : l’accès des enfants à l’éducation, l’accès à l’eau potable, des systèmes de santé publique etc. L’aide publique au développement atteint 60 milliards de dollars et les budgets militaires 800 milliards de dollars. Dont près de la moitié dépensés par les USA. La baisse des budgets militaires entraîne d’ailleurs, comme on l’a vu avec le processus d’Helsinki, une sorte de course aux armements à l’envers. Elle seule est susceptible de faire baisser les budgets militaires dans les pays pauvres eux-mêmes et de dégager ainsi, là aussi, localement, de nouvelles ressources.

Qu’est ce que le « système mondial » ? Existe-t-il ?

Braudel peut aussi nous aider à comprendre les enjeux du 21e siècle à travers la définition qu’il propose de l’économie-monde. C’est à quoi nous convie Robert Fossaert dans son article Le système mondial vu des débuts du XXIe siècle.

Braudel définit une « économie-monde » comme une aire assez vaste (par exemple l’Empire romain avec ses prolongations en Afrique et vers l’Asie) effectivement unifiée « par un flux régulier d’échanges économiques » (p.9). Un exemple, c’est justement la Méditerranée qui est, au temps de Philippe II, au 16e siècle, un «milieu géographique riche en ressources complémentaires ; une économie fondée sur l’échange, proche ou lointain ; la coexistence, paisible pu non, de ”civilisations” concurrentes, qui ont néanmoins en commun un ”référence rituelle à une unité passée” ; une situation géographique, valorisée par une histoire plurimillénaire, comme carrefour entre trois continents ; un cadre politique, marqué au XVIe siècle par l’affrontement entre deux empires, le turc et l’espagnol. » (p.10). Mais ce n’est pas cela le système mondial.

Il n’y a d’échanges qu’intermittents entre systèmes-mondes et on peut contester l’idée d’une histoire qui serait mondiale depuis toujours. On peut plutôt opposer à cela « l’idée qu’une pluralité de systèmes mondiaux, distants et autonomes, a existé de tout temps sur notre planète, sauf à se résorber peu à peu sous les coups de ” la ” modernité européenne ... » (p.16).

Il y a, de fait, un bond en avant avec la révolution industrielle aux XIXe et XXe siècles. Il s’agit de quelque chose de nouveau. Ce n’est pas seulement le prolongement des enrichissements locaux et médiocres des siècles précédents.

Aujourd’hui, le système mondial est d’extension planétaire, comme ses prédécesseurs immédiats (les empires coloniaux européens par exemple). Mais le système mondial « est particularisé par l’implosion de l’URSS, la débandade des partis qui se réclamaient d’elle, l’anémie mortelle des idéologies ”communistes”. Les conséquences de cette novation se déploient dans et hors des sociétés étatiques-socialistes, ce qui n’a rien de surprenant : tout système mondial est une structure mobile, un faisceau de relations sociales en perpétuel devenir. La disparition des isolats socialistes accentue l’effet de la décolonisation qui avait, antérieurement, supprimé les ”chasses gardées” impériales. » (p.19)

Il y a la toute-puissance du marché... « La tendance prévalente serait à la suppression des contraintes qui retardent l’épanouissement de tous les commerces ». Mais, il y a aussi résistance des États à la mondialisation. On peut dire que « certains des arguments aujourd’hui invoqués contre les États-nations européens rappellent les débats d’il y a un siècle qui soulignaient l’exiguïté de ces États au regard des grands espaces économiques qu’étaient déjà les États-Unis et la Russie. » (p.16) Ce décalage s’est résorbé notamment grâce à l’Europe unie. De même, la pulvérisation étatique (la naissance de plus en plus d’États), risque de renforcer l’hégémonie américaine. Mais les coopérations interétatiques pourraient, en se renforçant, multiplier les pouvoirs politiques aptes à modérer ou à contester l’emprise des États-Unis.

Enfin, le système mondial n’est pas qu’économique. Il est aussi politique et culturel. Et l’aspiration à l’identité culturelle se développe selon les rythmes qui sont les siens et qui sont les mouvements lents des civilisations et des cultures. De cette aspiration « sourd un fréquent refus de la mondialisation qui souvent se manifeste par l’aspiration à des États mieux ajustés à la taille des peuples... ». (p.24) En fait ici, la meilleure réplique à l’Empire serait « des communautés de peuples ». Elles adapteraient « leurs institutions politiques en vue de défendre en commun leurs intérêts économiques et de protéger autant qu’ils le souhaitent leurs différences culturelles ». Et ceci serait plus efficace que l’émiettement des États à l’échelle des peuples. « Mais le bâti de véritables ”fédérations d’États-nations” est freiné par l’inertie des États existants et bousculé par les diverses pressions mondialisantes, si bien que l’échelle à laquelle s’accomplira l’accouplement des peuples et des États est sans doute l’inconnue principale des prochaines décennies. »

N’empêche qu’il y a la toute-puissance des USA présentement. Elle n’est contrée que par des associations d’États. Dont l’exemple le plus brillant est l’Union européenne. Les USA s’efforcent d’empêcher le regroupement européen des industries d’armement, d’aéronautique, spatiales et l’armée européenne. Mais, selon l’auteur, l’hégémonie américaine n’aura qu’un temps.

La résistance la plus évidente à la mondialisation est celle des cultures, celle des nations, dont les résistances « beaucoup plus puissantes sont enfouies au cœur de chaque peuple, là où son "discours social commun" se manifeste comme une identité collective. Ces siècles de cohabitation à peu près pacifique et de labours étatiques opérés par les voies de l’administration, de la justice, de l’école, de l’armée et des médias modernes ont été requis pour convertir des provinces, déjà assemblées de longue date, en nations effectives. » écrit Robert Fossaert.

La puissance économique et militaire n’est pas tout

On en revient aux observations de Maurice Bertrand qui souligne que la prépondérance économique et militaire n’est pas tout. D’ailleurs, les États-Unis en sont la meilleure illustration... Dans la revue Quaderni (n° 50-51), numéro intitulé Images de l’Amérique, Divina Frau-Meigts, Professeure à l’université d’Orléans, remarque, dans un article intitulé Les clivages de l’américanité au miroir des médias, que les USA aussi se mobilisent à partir de valeurs. Elle écrit: « La supériorité des valeurs américaines et les événements du 11 septembre 2001 ont donné une raison morale au pays tout entier pour s’aligner face au danger étranger, sur les valeurs réinterprétées par la Nouvelle Droite. D’où la vague porteuse de l’idée d’un choc des civilisations, qui permet, comme pendant la guerre froide, de retrouver un ennemi de l’extérieur utile en ce qu’il pacifie les conflits de l’intérieur. » (p.171).

Nous voudrions, pour finir, parler de Pierre Musso qui, dans la revue Quaderni également propose une réflexion intitulée Américanisme et américanisation : du fordisme à l’hollywoodisme. Il est moins optimiste quant à la résistance des civilisations et des cultures à l’hégémonie américaine. Nous le citons longuement : « Le triomphe des ” industries de l’imaginaire” ne se limite donc pas à une dimension économico-financière. Le transfert d’activités d’un secteur à l’autre, de l’État à l’Entreprise, a aussi une portée politico-symbolique : est opéré simultanément un transfert d’activités et de production culturelle, c’est-à-dire une véritable transfusion d’hégémonie de l’État vers l’entreprise. Dans le cas français, ce transfert est effectué par l’État lui-même, par auto-neutralisation politico-symbolique, comme s’il s’agissait d’effacer une trop grande présence antérieure dans l’industrie ”colbertisée” et dans l’information radio-télévisée contrôlée. Ainsi dans les processus contemporains de déréglementation, l’État libéral s’auto-ampute sur le plan industriel (démonopolisation, privatisations, transferts partiels de régulation à des autorités administratives indépendantes), mais il le fait simultanément sur le plan symbolique, notamment en Europe et dans les pays latins de droit romain. Le retrait de l’État du champ de la communication, poussé par la critique sociale de la ”société civile” (dans le cas de l’audiovisuel), et tiré par la ”fiction guerrière” du management de l’industrie de la communication, conduit à la mise en invisibilité du politique. Dès lors la dérégulation fonctionne comme une économie symbolique qui permet aux visions néo-libérales et néo-libertaires de célébrer en commun la fin de l’emprise étatique et politique sur la communication et de poursuivre cette communion anti-étatiste, afin de faire advenir la ”société de communication libre et autorégulée”. Ainsi ”vivons-nous le temps où le pouvoir revendique sa propre disparition” dit bien Pierre Legendre1. L’invisibilisation du politique a pour corollaire la surexposition des “hollywoodiens” : Berlusconi parvenant même à investir le pouvoir politique, grâce à sa sur-exposition managériale (le self made-man) et télévisuelle. » (p.242). C’est d’autant plus grave, pour Pierre Musso, que selon Éric Weil l’État est l’organe par lequel une communauté pense.

Cependant, notre optimisme revient - certes très paradoxalement ! - du fait que le néolibéralisme n’est pas un processus qui s’imposerait sans peines ni heurts à l’échelle de la Planète. Les souffrances indicibles qu’il engendre dans les continents dévastés, comme les appelait Habermas dans La révolution d’après coup2, ont eu leur répercussion sur les deux tours du WTC qui se croyaient le monde (et abritées du monde). Les USA contrairement à l’Europe et au reste du monde n’avaient jamais été bombardés. La réapparition du tragique a du bon en ce sens. Car, somme toute, les souffrances, parfaitement injustes et ignominieuses, imposées par les terroristes à New-York, renvoient aux milliers d’injustices mille fois plus grandes dont les morts innocents des Tours ne sont pas coupables, mais dont le système, qui les dominent aussi, est responsable. Cela tend à faire perdre toute crédibilité à l’invisibilisation hollywoodienne du politique chère à Pierre Musso!

On a parfois comparé la manière dont les USA se font Empire à la manière dont l’Europe y parvient. Elle y parvient, elle, par consensus, valeurs et bien-être partagés. Cela permet évidemment aussi aux marchandises de sauter par-dessus les barrières douanières. Mais l’Europe n’est pas qu’une union douanière. L’Europe est née aussi d’une volonté de ne plus se faire la guerre qui n’intègre pas encore assez la dimension des injustices du monde, mais qui l’intègre mieux que les USA.

En définitive, la plus grande motivation qui existe de combattre le néolibéralisme, c’est de restaurer les nations. Mais dans des cadres plus vastes que les États-nations, c’est-à-dire dans des fédération d’États-Nations, non seulement pour restaurer la dignité des citoyens face à l’hollywoodisme, non seulement pour répondre aux contraintes systémiques qui sont planétaires....

Mais aussi et surtout pour éviter que le 21e siècle ne soit encore plus sanglant que le 20e.

  1. 1. Pierre Legendre, La question dogmatique en Occident, Paris, Fayard, 1999, p. 64.
  2. 2. Jürgen Habermas, La révolution d’après-coup, in TOUDI, annuel n°4.