Wallonie 1940-1944
Les progressives prises de conscience wallonnes au cours du 20esiècle et en particulier, l’insurrection contre le retour de Léopold III, la grande grève de l’hiver 60-61, la parution à partir des années 60 et 70 d’ouvrages historiques savants ou de vulgarisation sur la Wallonie l’ont incitée à se considérer comme un ensemble humain, comme un lieu de délibération et de décision politique, d’histoire, de culture, surtout de citoyenneté et de solidarité. A cet espace correspond, maintenant, une Région qui, en réalité, a l’allure et les dimensions d’un Etat étant donné l’importance de ses pouvoirs, de ses compétences dont l’exercice se prolonge sur la scène internationale. Comme on l’a vu lors du rejet du CETA par la Wallonie.
C’est l’une des raisons pour lesquelles il arrive bien souvent que le public wallon éclairé s’interroge par exemple, sur l’absence dans les dernières années de toute publication importante en matière d’histoire de la Wallonie ou encore sur la façon dont les médias l’ignorent. La manière dont on désigne la Belgique à la RTBF comme « notre plat pays » (c’est encore arrivé au JT de la RTBF le 25 février), en est emblématique. Au moins de ce point de vue de géographie physique, voilà quelque chose qu’il serait impossible de dire de la Wallonie si on la prenait en compte. Ce qui n’est pas le cas. Aller de Liège à Arlon puis d’Arlon à Namur et Mons en passant par Charleroi (et Wavre) amènerait certainement ceux qui utilisent cette expression à ne plus le faire puisque, notamment pour la RTBF, c’est là que la grosse majorité de leur public vit, travaille, habite. Sociologiquement, ce « plat pays » renvoie à ce bon exemple de contradiction dans les termes « Il n’y a pas d’identité wallonne. »
On peut trouver dans le bel album La Wallonie sous l’Occupationde Fabrice Maerten et Alain Collignon (Renaissance du livre et CEGES, 2012), les lignes suivantes qui démontrent que le regard de ceux qui font toujours de la Wallonie un non-lieu et une non-identité a des racines profondes et, dans des circonstances tragiques et étranges, influencent même le regard de l’étranger. Les circonstances tragiques sont celles de la guerre. Nous dirons en conclusion un mot de leur étrangeté. Voici ce qu’écrivent Francis Maerten et Alain Collignon :
« Le matériau iconographique à la base de cet ouvrage présente une répartition entre types d’auteurs très différente de celles prévalant dans les albums sur Bruxelles et Anvers [albums analogues parus dans la même collection : notons l’importance démesurée donnée à ces deux villes]. En effet, l’analyse des collections du CEGES montre que les villes wallonnes et la Wallonie en général intéressaient beaucoup moins la propagande allemande que Bruxelles et les grandes villes flamandes. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple significatif, le photographe des services de propagande allemands Otto Kropf (1903-1970), dont les clichés de guerre sont conservés dans notre institution [le CEGES], a réalisé environ 100 diapositives (en couleurs) et 1.400 photos (en noir et blanc) sur Bruxelles, 10 diapositives et 700 photos sur Anvers, et seulement 8 diapositives et 150 photos pour l’ensemble des villes wallonnes. » (La Wallonie sous l’Occupation, p. 10-11).
Les médias dominants actuels, concentrés à Bruxelles, surtout ceux qui manipulent les images connaissent-ils les mêmes disproportions ? Pas autant, mais leurs acteurs, souvent très « plat pays », ont tendance à étaler dans ce qu’ils nous présentent comme « nôtre » un pays qui ne l’est pas. Les auteurs de l’album qui remarquent aussi que les vues sur la Wallonie dans les fonds du CEGES sont rares, évoque l’hypothèse que ce serait en raison du fait que l’agence dont ils proviennent s’occupait surtout de Bruxelles et de la Flandre (Sipho), et que les collections de celles qui concernent la Wallonie (agence Sado), sont moins accessibles. Mais ils relativisent : « Plus fondamentalement, la Wallonie (urbaine), n’exerce pas le même attrait pour la propagande allemande que Bruxelles, symbole de la domination du Reich sur le pays, et, Anvers, lieu où, par excellence, la collaboration envahit l’espace public. « (ibidem). Ils poursuivent : « A vrai dire, seuls la puissance industrielle de la Wallonie, le savoir faire de ses ouvriers, une organisation sociale censée assurer leur bien-être et certaines manifestations de la collaboration semblent intéresser l’agence de presse pro-allemande, qui mène aussi en 1944 des reportages sur les bombardements alliés. »
On parlait plus haut de la situation tragique du pays et de l’étrange circonstance qui fait que en temps de guerre, la Wallonie intéresse dans des proportions semblables avant ou après. C’est à la fois tragique et étrange à certains égards (logique à d’autres), parce que c’est en Wallonie que se concentre l’essentiel de la Résistance populaire à l’Allemagne, concentration dont on sait maintenant qu’elle n’est pas pour rien dans le refus de la restauration de l’Ordre ancien en 1945 que l’on voulait consacrer par le retour de Léopold III en 1950, retour auquel le peuple wallon opposa un veto juste, violent et sanglant. On ne veut pas ici gagner un point Godwin. Mais ce qui était vrai pendant la guerre devait être vrai avant aussi et le demeure après : la Wallonie n’a pas la place qui lui revient dans l’Etat belge. Il est frappant de voir que cela fut confirmé sous les nazis.