Critique : La Confiture de morts

Catherine Barreau La Confiture de morts, éditions Weyrich, Neufchâteau, 2020
23 December, 2020

Les mers et les fleuves sont habités de même que l'air ;

les anciens Sages ont nommé Ondins ou Nymphes cette espèce de peuples.

Ils sont peu de mâles, et les femmes y sont en grand nombre ; leur beauté est extrême ;

et les filles des hommes n'ont rien de comparable.

(Abbé de Villars, Le Comte de Gabalis ou Entretiens sur les sciences secrètes, 1670)

Catherine Barreau, Prix Rossel, 2020, pour "La Confiture de morts", Weyrich

Dans ce roman qui ne manque jamais de hardiesse (éditions Weyrich qui travaillent avec le plus grand soin, c'est à signaler), il y a aussi ce que l'on appelle des « morceaux de bravoure » qui le sont moins, quoique... Comme cette visite d'une classe d'adolescentes d'un collège BCBG de Namur à des marginaux du refuge L'Oasis. Les filles vont aider à éplucher les légumes d'un repas dans le cadre du cours de religion.

Mais l'héroïne du roman qui en est aussi la narratrice, Véra, une jeune fille de 15 ans à la révolte narquoise (comme son auteure, Catherine Barreau, je pense), trouve que c'est absurde, « ce ne sont pas des manchots ». Sa prof de religion insiste sur le fait que c'est l'intention qui compte. De sorte que convaincue, arrivée sur place, Véra se met à parler avec ces hommes, qui sont des rejetés de la vie et ont l'allure de leur condition d'exclus. Rejetés par la malchance, oui, mais qui face à cette empathie se mettent le plus naturellement du monde à s'exprimer et même l'un d'entre eux, cultivé, surnommé « le poète », à réciter des vers en anglais. Ils apprécient la jeune fille et lui demandent si ses copines ont peur d'eux.

Elle leur propose alors d'aller les retrouver là où elles épluchent, à la cuisine. Catastrophe. L'épluchage sur lequel s'étaient ruées les autres élèves était un refuge : « Quelques hommes sont entrés dans la cuisine. Terreur des filles. Pas question de se laisser toucher par ces sales types, Astrid se croisait les bras sur sa poitrine, comme si elle craignait qu'ils la pelotent, ce qui bien sûr leur en donna l'idée. Les gueux adoraient leurs petits cris d'hirondelles, ils insistaient, ils chatouillaient, ça grouillait de vie là-dedans. Jumbo, qui n'avait pas quitté son coin, hurlait maintenant en français [« le poète » a récité des vers de Bukowski] , « Mettez en veilleuse votre cul, votre tête et votre cœur ». » (p. 39) Scandale. La jeune fille en prenant au sérieux le sens de l'initiative en a révélé le biais en partie inconsciemment, en partie sans doute en le sachant. Elle passe devant une sorte de conseil de discipline. Personne ne la soutient sauf son père en sortant qui lui dit : « Tu croyais vraiment qu'il fallait partager, montrer de la solidarité et vivre de la joie ?» (p.42).

Elle a eu bon de le croire peut-on penser.

Un père

Beaucoup d'amies m'ont parlé de l'homme qui compte dans leur vie : leur père. Il est l'homme de la situation pour une Véra qui sent souvent « la violence rôder dans [s]on ventre. » (p.44). Ils ont de longs moments d'intimité dans leur maison en contrebas de la Citadelle accrochée au flanc du versant de la Sambre allant rejoindre la Meuse « qui coule vers la mer du Nord » (beau refrain du livre). Ce père, vrai père, mais devenant peu à peu ami et confident, malgré ses travers, ses ambiguïtés est le personnage le plus réussi qui aide à réussir celui de Véra (au sens de la littérature et au sens de la vie).

Etrangement, cet avocat des droits de l'homme, qui défend les réfugiés, passe ses week-ends à Mortepire, un hameau imaginaire à quelque distance de Florenville sur la Semois. Véra y a une cousine, Lucie, elle en fut inséparable. Et une tante, Claire, l'épouse du demi-frère de Renaud, Alain, tante qu'elle déteste. Même avant la Loi de Beaumont qui rétablissait le commun des bois et des eaux (dans son Histoire de France, Michelet l'admire comme Florenville dans la brochure de son 700eanniversaire), les gens de Mortepire ont toujours résisté à tout empiètement de leur commun, depuis la nuit des temps. Renaud et Alain (Allard dans la légende), très présents, sont les prénoms de deux des quatre cavaliers de Bayard, le cheval-fée connu dans toute l'Europe qui marque Ardenne, Gaume et Meuse par mille toponymes. Deux autres frères qui complètent l'équipage, quasi absents du livre, ont quitté Mortepire.

Les pages sur ce hameau et sa sauvagerie sont parmi les plus belles du roman. Comme ce rêve, lié à ce toponyme explicite, où Véra monte sur une laie qui l'invite à la chevaucher. Sur cette monture elle traverse les bois de Muno, franchit la Semois au pied de la Roche Pinco, là où la rivière a plusieurs mètres de profondeur, y sent frétiller les brochets et les anguilles, galope vers le Fond de Conge. Plus loin la bête glisse sur une plaque de schiste. Véra tombe et voit plein d'éclats coupants de la roche qui s'approchent d'elle en dandinant comme une petite armée : « Ils incisent ma peau, me recouvrent, se transforment en écailles qui s'installent : ils forment une armure et cuirassent mon corps en me laissant calme et blindée dans la senteur ferreuse de l'ardoise humide et du sang. » (p. 58-61). Pour aller de Bouillon à Muno à vélo, on quitte l'Ardenne au moment où la route descend longuement vers la douce Gaume, la frontière naturelle entre les deux régions. Véra et sa cousine Lucie la découvrent plutôt en humant vents et températures. Lire cela dans un roman et si bien dit, rejoint l'universel comme dirait Pierre Mertens. Parvenue à l'adolescence, Véra ne veut plus revoir Lucie pourtant cousine et amie ni surtout la mère de celle-ci, Claire trouvant son père trop faible devant sa tante. Lucie lui a dit que Mortepire, c'est la Résistance depuis avant les Romains, aux Francs, aux diverses dominations des « Charles » de nos livres d'histoire, mais aussi au christianisme incarné par le débonnaire Père Joseph. On apprend par un carnet mystérieux les prénoms des deux autres Aymon, Guy et Richard, sans surprise, et que c'est leur père qui les a baptisés « les quatre Aymon », non par fantaisie mais pour perpétuer une sorte de séparatisme à la Macron, celte, magique, païen. Ce véritable patriarche « a deviné » (dit le carnet, écrit par Renaud sous la dictée d'Alain) « que ceux de Bruxelles et les Flamands, ils seraient prêts à payer des mille et des cents pour venir chasser ou pêcher chez nous » (p.162). Tous les gens du hameau l'ont quitté, mais le patriarche a réussi à ce que se constitue un empire de bois, de vergers et d'eau qu'il faudra gérer. Les études de droit du père de Véra s'expliquent ainsi.

Entretien d'Œdipe avec la Sphinge

Oedipe et la Sphynge de Gustave Moreau

Véra, elle, entreprend des études d'agronomie à Gembloux. A la fin de son avant-dernière année, elle est internée dans un hôpital psychiatrique. Son père vient de mourir. Il y a un lien (qui surprendra) entre cette mort, les 21 ans de Véra et le nouveau morceau choisi qui suit. On lui demande de suivre un traitement dont elle n'a pas envie, mais ne pourra pas sortir autrement. Elle s'y prête pour cette seule raison, parle de ses études qu'elle veut achever, de ses plans d'avenir, au psychiatre qui l'a prise en charge : « Pas mal mon petit aveu. Il sourit, il fronce les sourcils. Il ne bouge pas, on dirait la Sphinge, je suis Œdipe, je dois résoudre l'énigme qu'il me prépare. « Tu te sens mieux ? » , me demande-t-il. Oui, depuis que j'ai repris la parole, ils avaient raison, parler guérit, il m'a beaucoup aidée, beaucoup aidée. Je vais mieux. » (p. 70-71). Le médecin se méfie évidemment. Véra lit à l'envers ce qu'il entoure dans les mots qu'il note : « deuil », « déni », « clivage », « réalité ». Finit par lui dire qu'elle y voit plus clair grâce à lui, ajoute (pour le lecteur) « L'inspiration vient en mentant » puis que les « grognements satisfaits et narcissiques du psychiatre [la] renseigne sur la progression de [ses] chances de sortie... » (p. 73). Elle n'a plus qu'une aspiration : « Quitter Bruxelles, je déteste cette ville sans rivière » (p. 80). De cette page jusqu'aux pages 245-260, le fil conducteur du roman, c'est le retour à Mortepire (Pierre Mertens rassure : sans provincialisme. Ouf !)

Gjin

Ce fil conducteur en partie formel, en partie réel c'est l'itinéraire en train : Ottignies-Gembloux-Namur-Ciney-Marloie-Jemelle-Libramont-Bertrix-Florenville. Il ne cache pas le fil plus profond, la vie de Véra dont il est la métaphore. D'abord, avant Ottignies, l'amitié de Véra avec une famille de réfugiés albanais, venue s'installer près de la maison au flanc de la vallée sambrienne. Surtout celle de la maman, Rreeze, mais aussi des quatre fils et en particulier celle de Gjin dont l'affection profonde qu'il a pour elle se maintient sans angélisme (c'est un coureur), dans les « limites » de la fraternité, l'amitié, se renforçant l'une l'autre. Véra voudrait aller « plus loin » (alors que justement, dans ce cas, c'est lui qui va « loin ») : chez les Hoxha, raconte-t-elle, « Je m'asseyais à la droite de Gjin, je les voyais tous sauf lui, j'observais ses mains, il avait des poils noirs sur les phalanges, ça me touchait. Je le regardais caresser son index mutilé avec le pouce. Plus les semaines passaient et moins j'osais me tourner vers lui quand il parlait, j'avais l'impression que je m'empourprerais, que l'on verrait mon trouble, que je serais indécente comme aurait dit Rreeze. » (p. 99). Les quatre frères lui font penser à sa cousine de Mortepire qui rêve de voir revenir un jour le cheval-fée, Bayard, porteur lui aussi de quatre hommes. Lorsqu'elle nage avec elle dans la Semois où elle apprend cet exercice, Lucie lui dit « que les bruissements de l'eau des forêts était un récit de fées » (p. 122) En matière de chemin de fer, on est à Ciney. A Gembloux Véra a fait une première allusion à son petit ami Mads (assistant chercheur à la Faculté de Gembloux, d'origine danoise, rencontré de manière un peu rocambolesque), puis contemplé sa propre maison au versant de la citadelle à Namur.

A Ciney, Véra raconte l'amitié avec Lucie : « J'ai vécu des courses pieds nus dans l'herbe humide, la pêche aux ombres et à la truite, l'odeur des foins coupés, celle de la vase à l'étang. J'aimais les bêtes domestiques et les bêtes sauvages, les fruits, la forêt, l'odeur d'humus et de pourriture, le beurre rance, les cris du crépuscule, le silence à la Roche des fous. La fatigue après avoir coupé du bois. Le sommeil d'ours. Les nuits sans lune et sans étoiles, les ténèbres qui guérissent et qui tuent. » (p. 122). Communion avec la nature, le lieu commun n'est que de moi, pas du livre. Elle racontera avec la grande franchise des femmes écrivains (Madeleine Bourdouxhe déjà en 1937 dans La Femme de Gilles), sa découverte progressive de la sexualité, du plaisir si complice de la joie de l'union en une seule chair.

Revient encore obsédante la légende de Bayard avec une photo, qu'elle a pu voir à Mortepire, de Renaud et ses trois frères, sur un cheval de trait, avec Alain mais aussi Guy et Richard, leurs prénoms officiels, ceux des deux autres frères, les fameux quatre. A Marloie, les souvenirs s'en vont vers une visite à Avioth et la découverte du carnet qui raconte l'histoire de la famille, les deux autres « Aymon » ont quitté Mortepire. Le carnet mystérieux continue à se lire peu avant Libramont. Il est piquté de gaumais.

Les génies des eaux

La Roche Pinco

Quand la voyageuse change de train pour aller à Florenville par Bertrix, la Semois n'est plus loin et apparaît le long des voies : elle observe Véra « de ses eaux poissonneuses. On a pêché ici. Avec Lucie. On entrait dans l'eau glacée pour approcher à contre-courant des berges herbeuses. A force de penser comme eux, j'entendais le chant des ombres, mes poissons préférés, leur chair au goût de thym est si fragile qu'il valait parfois mieux les relâcher. Ils aiment le graveleux. Ils restent en bandes, au fond, il fallait les aguicher. Méfiants. Frétiller, on pêchait et j'étais un poisson, j'étais le courant et avec Lucie, nous étions la rivière. Puis un banc d'ombres m'emportait. Pas passer par la Vanne aux Moines, Oh ! ça non, pas la passer ! Il paraît qu'on prend la mouche trop vite. Méfiants. Gaffe ! Allez, on reste groupés, ondule, ondule. Les filles d'un redoutable viennent, on le sent, elles approchent. Attention, attention. Elles nous prennent, aïe, pas assez méfiés, aïe, gaffe les gars. On nous poinçonne. Après, quand on a eu mal, aïe ça pique ; ouf ! elles nous relâchent. Bizarre, vite, vite, ondule, ondule. Nage, nage, face au courant. Personne pour le moment ? Slalome, slalome. Dire qu'il y a des cons qui nous prennent pour des hotus. » (p. 226-227). Des ondines aux ombres.

Un matin, en s'éveillant aux côtés de Mads, entendant les chiens aboyer elle cite ce vers : « Avant l'aube, un chien aboie, les anges commencent à chuchoter. » Véra ne sait plus de qui c'est et avoue : « Je retiens des vers, pas des poètes, pas toujours les noms des poètes. Pour ça, il faut que j'aille dans les livres, que je fouille, que je m'y vautre et alors je suis embarquée dans le rythme, dans la beauté longue, un vertige qui ne me laisse pas de mémoire ; tout ce que je peux faire avec les vers isolés qui me servent de bouée de sauvetage, qui me sauvent de la vie. » (p. 225).

La métaphore des ardoises

Je suis arrivé aux deux tiers du roman en en zappant tant d'épisodes ! Et je peine à raconter le reste, pourtant très, très bien raconté. Il y a autour d'Alain « analphabète » qui travaille dans les ardoisières de Gaume-Ardenne et qui en attrape la schistose (analogue de la silicose), une atmosphère de mort et de crime liée à ces mines. Mines qu'on trouve aussi à Oignies-en-Thiérache et qui y ont tant tué là aussi. Véra a connu Mads, assistant-chercheur à Gembloux en lui demandant de pouvoir choisir le Fond'Ry des chiens de Nismes (région de Couvin) pour ses travaux pratiques en sous-groupe de géologie (l'autre proposé était trop près de Mortepire). C'est une mine aussi mais de fer, non pas creusée comme plus loin à Couvin à même le sol, mais un gouffre aux parois abruptes de vingt mètres dont les mineurs ont extrait l'énorme masse de sable qui recouvrait le métal.

J'ai écorché Pierre Mertens dans ce compte rendu trop court. On a dit de La Confiture de morts (qu'on trouve à Mortepire, composée des fruits de vergers en contrebas du cimetière local), que c'est un roman wallon. On ajoute souvent en ce cas-là : mais universel. On ne le dirait pas d'un texte espagnol, français, allemand, que sais-je ? Ne le disons donc plus même si, avec Madeleine Bourdouxhe, Nicole Malinconi, Caroline Lamarche, Brigitte Kaquet, Gabrielle Bernard, Marguerite Bervoets, Catherine Barreau, dans ce très grand livre, nous permet de continuer à signer l'universel, de notre nom.

Au bout de ce long périple, Véra dort pour la première fois avec Mads dans la maison au flanc du versant de la citadelle. Elle n'a jamais aimé comme elle aime cet homme et constate que les éclats de schistes de sa fameuse chevauchée par la Roche Pinco qui la recouvraient sont tombés : « ma peau est rose, lisse et nouvelle ; une force d'embryon circule en moi, je peux inventer. » (p. 325). Dans le jardin, les ardoises qui veillent sur la jeune femme comprennent que leur boulot est fini, mais trouvant qu'elles ont encore trop l'air d'ardoises se broient encore, se concassent : « Quelques convulsions, encore des murmures : « Aïe !Allez, c'est reparti : s'agréger se désagréger, ça recommence pour quelques milliers d'années, les gars. Roulez, bougez, rompez, on a bien travaillé. Il était temps. » »

Catherine Barreau La Confiture de morts, éditions Weyrich, Neufchâteau, 2020 16 €.

La Confiture de morts et les réécritures de Renaud de Montauban

Renaut de Montauban est la chanson de geste française du 12e siècle qui inspire tout ce qui tourne autour du cheval Bayard lui-même inspiré de mythes celtiques et peut-être extra-européens. Dans les années 60, elle a inspiré un ballet de Béjart qui y peint la révolte de la jeunesse. Rita Lejeune a trouvé un manuscrit sans doute écrit à Liège, datant de 1250, qui y raconte la tentative de noyade de Bayard dans la Meuse à Liège par Charlemagne vivement critiqué par toute son armée. Bayard est précipité dans le fleuve avec au cou une énorme meule, mais il la fracasse de ses sabots et trouve refuge dans la forêt d’Ardenne (1).

« Bayard est échappé de cette mésaventure.

On raconte encore au pays, et l'écriture le dit,

qu'il est dans la forêt où il trouve sa pâture. »

Miniature début du 14e siècle

Durant l’Occupation, Herman Closson écrivit une pièce de théâtre Le Jeu des Quatre Fils Aymon qui est en réalité un acte de résistance aux nazis. Sarah Baudelle-Michels a montré tout l’intérêt de cette réécriture à partir du texte originel et dans quel but elle a été opérée, restreignant le lieu de l’action à la seule Ardenne.

Selon elle « La geste des Quatre Fils Aymon se fait ici hymne à la patrie, geste à la gloire de tout un territoire, non pas tant la Belgique – désignation anachronique qui n’apparaît jamais– que l’Ardenne : « Ardenne en fleurs, Ardenne ardente/, Pays des ciels, pays des monts/, Pays brûlant du sang wallon […]» » (2)

Ce sont les presque derniers mots du spectacle qui fut interdit. Sarah Baudelle-Michels explique en note que « Closson avait toutes les raisons de s’interdire de mentionner la Belgique. » Mais ne décide pas quelle aurait été la plus puissante de celle-ci : « A-t-il cherché à contourner la censure en masquant derrière une poésie du terroir un discours en réalité patriotique ? Ou bien a-t-il écarté la Flandre parce que la collaboration y fut plus active qu’en Wallonie ? S’agissait-il tout simplement de suivre au plus près ses sources ? » On pourrait aussi évoquer le très beau roman d’André Dhôtel Le Pays où l’on n’arrive jamais et les allusions qu’il y fait à un cheval bai. Cette légende est omniprésente en Wallonie et ailleurs.

Chez Catherine Barreau on pourrait dire que l’épopée y est aplatie : les quatre frères chevauchent non un cheval-fée mais un modeste cheval de trait. Peut-être même pas ardennais ! C’est un homme autoritaire, ivre de son pouvoir, qui met en place les références à l’épopée. Un symbole du patriarcat qui n’aura même pas de descendance mâle. Et la résistance à ses plans est incarnée en somme par sa petite-fille Véra, qui accepte pour vivre de ne pas porter d’armure. Il me semble qu’on peut l’interpréter comme cela, le sens du nom de Mortepire étant sans conteste, à mon sens, quelque chose comme « pierre morte » ou « morte pierre » qui est plus dur encore. Là aussi c’est un intéressant travail de réécriture même s’il ne se fait pas à même ce que l’on appelle l’hypotexte, Le Jeu des quatre fils Aymon ou La Confiture de morts étant des hypertextes. Ce dernier détonne.

(1) Rita Lejeune Les Légendes épiques in La Wallonie. Le Pays et les hommes, Arts et Lettres, Tosme I, la Renaisance du livre, Bruxelles, 1977, p. 119-135, p. 128.

(2) Sarah Baudelle-Michels, « Une relecture de Renaut de Montauban », Cahiers de recherches médiévales, 2 | 1996, 25-35. Consulté en ligne le 23 décembre 2020 https://journals.openedition.org/crm/2478