Ecole

De l'Impossible Christine Pireaux et Thierry Michel
27 September, 2021

L'Ecole de l'impossible de Christine Pireaux et Thierry Michel

On se sent tout petit au moment de commencer à écrire la critique d'un film dont on sait tout le travail qu'il demande d'une multitude de métiers. Ce film de 103 minutes est le résultat de 140 heures d'images enregistrées. C'est ce que nous a dit Christine Pireaux, après la projection au Plaza à Mons (bondé et magnifiquement remis à neuf). Elle a été longtemps la secrétaire générale de Wallonie Image Productionet bien plus que la femme de Thierry Michel ce qui est à l'honneur du mari. Cette passionnée de cinéma a toujours mis la main à la pâte.

L'École de l'impossiblec'est le Collège Saint Martin à Seraing, autrefois école non d'élite, mais réputée que les Frères Dardenne ont fréquentée. On n'aime pas user de ce terme mais les nuances viendront après -surtout les corrections !-, c'est une école-poubelle, ce qui rime souvent avec multiculturelle comme ici. L'un d'entre nous s'était même dit tout de suite que ce devait être une école professionnelle, vu l'atmosphère de l'établissement. Mais non. Ce sont des humanités générales. Encore un préjugé.

L'Autorité dans une « vraie» école « désordonnée »

S'il y a bien un lieu qui est souvent apparu sur les écrans, c'est bien l'école, et ce depuis très longtemps, pensons notamment à « Zéro de conduite » de Jean Vigo en 1933. Barthes dans les années 1960 a publié un Barthes par lui-mêmeavec une photo de lui en lycéen commentée « Du temps où les lycéens étaient des Messieurs », soit encravatés et costume trois pièces, comme le jeune porte-parole du gouvernement de Macron. C'était « avant la guerre » (1940), comme disent ceux nés juste après, qui ont laissé tomber costumes trois pièces et cravates. Mais qui se taisaient encore en classe, sauf les classes chahutées. Cette image de l'école (parce que, en primaire, elle ressemble encore à cela ?), demeure très présente dans les esprits, même des spécialistes de la pédagogie qui l'ont encore un peu connue mais qui nous disent qu'aujourd'hui, le maître ne demande plus le silence, mais de faire moins de bruit. Ici, il y a beaucoup de brouhaha, des élèves qui flirtent en classe, mais les professeurs gardent non pas d'abord leur autorité en général, mais cette autorité spéciale qui est celle du pédagogue, de celui qui apprend. On le voit au cours de mathématiques, au cours d'anglais, au cours de religion, au cours de français, au cours de droit social avec un Liégeois corpulent et truculent, dont l'accent sert aussi à faire apprendre et comprendre. Thierry Michel et Christine Pireaux n'ont pas commis l'erreur du Cercle des poètes disparus, avec un professeur surhomme grandement invraisemblable. Ou celle du film de Laurent Cantet Entre les murs(Palme d'or à Cannes en 2008), qui a laissé bien des enseignants sceptiques. Philippe Meirieu a vu juste en écrivant de ce film universellement encensé : « le film n'est jamais « entre les murs » de l'école. Ici, il n'y a pas véritablement d'École [mais...] quelque chose qui ressemble à une école [...] sans véritable « École ». » Il l'écrit parce qu'il estime qu'on n'est jamais en situation d'apprentissage, de consignes claires, d'activités encadrées. Il pense que ce que l'on montre dans Entre les murs« c'est un vague cours magistral dialogué [...] où [...] le professeur est contraint de jouer avec la séduction, la pression et la sanction... » en raison de l'absence de structuration pédagogique. C'était un film de fiction mais la force de la fiction, on le sait, n'est pas de fausser la réalité mais de lui être supérieure comme réalité plus réelle. Et non moins.

Des jeunes de 2021

DansL'École de l'impossible, là on est « réellement » à l'école même si cette réalité peut être tout autant « faussée » par un documentaire que par la fiction. Tiens, on pense aussi à l'acteur Jean-François Stévenin disparu il y a peu et à son rôle d'instituteur dans « l'argent de poche » de François Truffaut tourné au début des années 1970 dans la ville ouvrière de Thiers en Auvergne.

L'École de l'impossiblene se contente pas de filmer des apprentissages. Les élèves viennent confier à la caméra leur parcours sans rien jouer à notre avis, confiant leur homosexualité comme cette petite musulmane qui parle aisément et qui, sans rien répéter d'une leçon apprise, sans dogmatisme, parle de l'âme avec la profondeur des grands spirituels, mystiques ou philosophes. Il arrive aussi qu'on sorte de l'École et que l'on suive cette jeune fille qui a subi un traumatisme grave dans sa famille et le compense par la boxe qu'elle pratique avec rage à un très haut niveau : la scène où elle a face à elle un partenaire d'entrainement masculin qui se contente de parer ses coups, est extraordinaire. On assiste aussi à un de ses matchs joués en public face à des spectateurs dont nous avons retenu les supporters masculins. On pense à cette jeune fille qui se rêve plus tard avocate et c'est vraiment tout ce que l'on lui souhaite. Cette école nous apparait comme l'un des (derniers ?) lieux permettant un certain lien et liant social entre ces "Enfants du hasard" pour reprendre le titre de leur précédent documentaire issus de tous les horizons et vivant aujourd'hui dans ce coin de Wallonie.

Un Saint laïque ? Dans leur vraie famille ?

Jérôme Chantraine, le directeur de l'établissement reçoit dans bureau les élèves à problèmes. La caméra (elle tourne 140 heures !), ne pousse-t-elle pas à surjouer ? Ce n'est pas le sentiment que l'on a dans le bureau du directeur ni ailleurs. Il écoute, expose ce qui ne va pas et éventuellement sanctionne ou annonce que trop d'absences signifient que l'année est perdue. On retient la formule qu'il utilise quand l'entretien est terminé : « allez sauve-toi maintenant », mélange d'autorité assumée et de bienveillance. On saisit aussi la toute petite différence qu'il met dans ses gestes et expressions de visage lorsqu'il reçoit une fille ou un garçon, par ailleurs traités sur le même pied : un homme congruent. Comme le corps professoral (les délibérations de fin d'année sont vraiment bien filmées, même si ce n'est qu'une petite partie du film), il est au courant des drames que toutes ces filles et tous ces garçons ont vécu. Comme celui qui dit qu'il a été élevé par sa marraine parce que sa maman ne le voulait pas. Comme cet homme d'origine africaine qui a passé huit mois en prison, comme cet ancien élève qui se fait tirer dessus lors d'un braquage d'une station-essence qui donne lieu à une marche blanche des élèves en sa mémoire... Comme, aussi les professeurs à qui ce directeur écrit une lettre ferme reprochant vertement à certains leur absentéisme (une plaie). Il serait facile de le qualifier de Saint-laïque et pourtant il y a chez lui un extraordinaire engagement à ce que, malgré tout, chacun et chacune des élèves aient une chance qui sera peut-être la seule qu'ils ou elles connaitront durant toute leur existence.

Irions-nous jusqu'à écrire que pour beaucoup cette école est, dans leur vie quotidienne, leur « vraie » famille car famille d'élection là où ils ou elles sont acceptés tels qu'ils sont ou tels qu'ils ou elles se veulent ? Là aussi, on retrouve un thème cher à Thierry Michel, celui du rapport au collectif, grandir et mûrir seul est impossible, l'individu existe et se constitue dans son rapport à l'altérité.

La chance du cinéma wallon

Un spectateur au Plaza à Mons a fait allusion à l'état actuel du sillon industriel wallon qu'il a désigné curieusement avec les mots plus récents de « dorsale wallonne ». On ne peut s'empêcher de penser que du temps de sa « prospérité », la Wallonie n'avait pas de dorsale ce qui rendait le déplacement en chemin de fer d'une ville wallonne à une autre plus que difficile comme la chose l'était, bien plus encore, par route. On a longtemps opposé à la réalisation de cette dorsale et en tout cas au tracé de l'autoroute de Wallonie, l'idée que les liaisons importantes en Belgique étaient les liaisons Nord-Sud. Thierry Michel a répondu à cette intervention sur la dorsale : l'insistance du film sur le paysage de Seraing où se situe L'École de l'impossibleavec ce qui reste des structures sidérurgiques aujourd'hui à l'arrêt souvent montrées et son étonnement que, dans toute l'école, il n'y ait qu'un enfant de sidérurgiste. Puis il a comparé avec la fermeture des charbonnages en Hainaut. Au fond, Thierry Michel aborde dans ce film un sujet qui retrouve souvent dans sa filmographie : celle de l'avenir de ces adultes en devenir...

Le débat était vraiment animé à Mons et c'est normal quand un film vrai nous invite à visiter le réel vrai. Il s'agit d'une très grande réussite, il y a un travail de montage exceptionnel qui rend le film à la fois fluide et prenant dans un immense respect de tous les participants. Et une fois de plus, nous écrirons que nous avons bien de la chance d'avoir des auteurs de cinéma d'une telle qualité parmi nous...