Les paradoxes écossais : les élections
Lors de notre précédent article dans TOUDI nous nous étions penché sur la deuxième élection du Parlement Ecossais, nous aimerions aborder ici l'issue du vote du 1er mai dernier où, pour reprendre l'expression d'un commentateur, une campagne « ennuyeuse » a finalement débouché sur un changement dramatique, ce qui devrait nous évoquer d'autres élections récentes sur le continent européen1.
Des Écossais un peu « belgicains »
Au soir du 1er mai, si l'ordre des 4 grands partis restait inchangé, la fragmentation de la représentation politique écossaise s'est donc confirmée voire renforcée. Sur un total de 129 sièges, il y a maintenant 17 MSP (Membre du Parlement Écossais), soit 14%, qui n'appartiennent pas à ces partis contre seulement 3 élus en 1999. Simultanément, le taux de participation est passé en 4 ans de 59.12% à 49.41%, soit une diminution de 9.71%. Comment expliquer cet apparent paradoxe entre un engagement politique moindre et un paysage politique fortement chamboulé ?
Le professeur John Curtice, politologue à l'Université de Strathclyde, remarque que si le taux d'abstention est supérieur à celui enregistré lors des dernières législatives britanniques de mai 2001, il demeure toutefois moindre que celui des élections locales qui se tenaient le même jour dans tout le Royaume-Uni. Ces chiffres constituent pour lui un reflet de la place occupée dans l'opinion publique par ces diverses institutions. Si, en 1999, 41% des Écossais pensaient que leur futur Parlement serait l'organe le plus influent ou déterminant dans leur vie quotidienne, ils ne sont plus que 15% à le croire en 2003. Le Parlement britannique est perçu comme le plus influent par 66% des Écossais contre seulement 39% il y a 4 ans. Ainsi, le Parlement d'Édimbourg apparaît toujours comme relativement important mais plus comme déterminant ou fondamental.
Il demeure difficile de déterminer s'il s'agit d'une perception déformée ou pas de l'opinion publique de la réalité des pouvoirs du Parlement écossais. Selon Curtice, celui-ci ne pourra favoriser la réconciliation d'une vaste majorité des Écossais avec leur système politique que s'il renforce sa stature face à Westminster. Par ailleurs, l'abstention est plus élevée dans les circonscriptions urbaines et ouvrières que dans celles plus «middle-class » rurales et péri-urbaines, il faut ajouter à cela le facteur de l'âge, la tranche 18-24 ans votant en moyenne trois fois moins que les tranches plus âgées.
En outre, nous nous demandons si le fait que de nombreux candidats sont aussi des élus locaux ou membres de la Chambre des Communes n'aurait pas tendance à, en quelque sorte, provincialiser le Parlement écossais en en faisant une sorte de gros « conseil supra-régional ». Sur les 129 MSP, 12 siègent aussi à Londres (soit 9.3%), 47 sont des élus locaux (soit 36.4%), il faut ajouter à cela les 28 MSP ayant déjà pris part à diverses élections. La nouvelle assemblée aura probablement du mal à se donner un profil plus « national », le poids des élus locaux étant même légèrement renforcé par rapport à 1999.
Si l'on ajoute à cette perception relativement basse par l'opinion publique de l'importance ou de l'effectivité des institutions écossaises ainsi qu'au phénomène de l'abstention, l'existence d'un système électoral « mixte » combinant mode majoritaire et proportionnel (il est en effet prouvé que les électeurs qui se sont exprimés ont souvent émis des votes différents sur leurs deux bulletins de vote), on comprend que tout cela ait contribué au bouleversement du paysage politique écossais.
Les résultats électoraux, les paradoxes écossais à nouveau
Les travaillistes ont perdu un peu plus de 4% de leurs suffrages et 6 sièges pour n'en conserver que 50, les « souverainistes » du SNP ont perdu de 5 à 6.5% de leurs suffrages et 8 sièges pour ne plus en obtenir que 27.
Ce qui est marquant dans la défaite du SNP (Scotish National Party), c'est son effondrement dans les sièges « proportionnels » où il passe de 27.3% à 20.9% et de 28 à 18 sièges. Il réussit en effet à conquérir trois sièges « majoritaires » aux travaillistes tout en en perdant un au profit des conservateurs. Ces derniers et les libéraux-démocrates n'ont pas connu de gros bouleversements en récoltant, comme en 1999, respectivement 18 et 17 sièges. Notons toutefois l'élection de conservateurs dans trois circonscriptions majoritaires contre zéro en 1999.
Les Verts ont effectué une véritable percée avec près de 7% des suffrages et 7 sièges contre 1 en 1999, avec des pointes dépassant les 12% dans la région d'Édimbourg. Les SSP, gauche radicale et socialiste, les suivent de près avec 6 sièges (+5) et 6.7% des suffrages, devenant même le troisième parti dans certaines circonscriptions de Glasgow !
Enfin, deux indépendants, en fait des élus sortants brouillés avec leurs partis respectifs, et deux candidats plus « catégoriels », l'un porte-parole des griefs du troisième âge et l'autre luttant contre la fermeture d'un hôpital public, viennent compléter l'assemblée. Il faut enfin remarquer qu'une quasi parité est en vue puisque 51 MSP sont des femmes, soit 39.5% de l'assemblée (notons qu'elles ne sont que 18% à Westminster). Au fond, ces élections ont donné au Parlement écossais un visage très continental et ont renforcé son éloignement du modèle « britannique ». Mais jusqu'ici, les quatre grands partis ont surtout reproduit à Édimbourg les comportements «londoniens », ce qui a sans doute accentué la faiblesse de perception par la société écossaise du changement de culture politique provoqué par ces nouvelles institutions.
Le sursaut de celles-ci pourrait toutefois être facilité à l'avenir par l'arrivée du sang frais que constituent la venue d'élus verts, SSP et indépendants. Cela s'est déjà manifesté lors de la prestation de serment des MSP, nombreux étant ceux qui, dans un premier temps refusèrent de prêter serment d'allégeance à la reine, au profit d'un serment vis-à-vis du Peuple et/ou de la Nation. La coalition travailliste/libérale-démocrate au pouvoir, bien qu'amoindrie, a été reconduite pour 4 ans, mais les libéraux ont obtenu l'imposition du scrutin proportionnel pour les prochaines élections locales, ce qui devrait influer sur la culture et la pratique politique écossaise future.
Et ceci constitue sans doute l'ultime paradoxe de ces élections : alors que l'on pourrait y voir un recul politique du sentiment national écossais, elle marque en fait une distanciation probablement structurelle de la société écossaise par rapport au modèle « britannique ». Au profit d'un certain alignement sur le modèle politique continental, en particulier scandinave, dans la diversité des partis représentés. La pratique politique en Écosse pourrait se rapprocher de celle existant dans la République d'Irlande voisine ou des nations scandinaves, les travaillistes prenant la place du Fianna Fail ou des partis sociaux-démocrates comme parti dominant et comme clé de toute coalition. L'option souverainiste du SNP, toujours incapable de gagner seul, l'empêche de trouver actuellement des partenaires pour renvoyer durablement les travaillistes sur les bancs de l'opposition. Ceux-ci, même s'ils ne rassemblent plus que 17% de l'électorat total de l'Ecosse ou environ 33% des suffrages, demeurant incontournables pour quelques années encore.
- 1. Le présent article se base notamment sur l'excellent dossier sur le résultat de ces élections rédigé par le Centre d'Information du Parlement Ecossais (SPICe), nous ne pouvons que renvoyer le lecteur intéressé au site web ou est disponible ce dossier: www.scottish.parliament.uk . On rêve de voir cet exemple repris par le Parlement wallon lors des prochaines élections régionales !