Rebondissement étonnant de l'affaire Parizeau au Québec lors de la campagne électorale
Il y a le délit d'offenses racistes ou xénophobes. Mais l'accusation portée à tort contre certaines personnes à ce sujet est peut-être plus grave encore.
On le sait, en 1995, lors du référendum sur l'indépendance du Québec, son Premier Ministre d'alors, Jacques Parizeau, avait eu ces mots maladroits lorsqu'il fut obligé de reconnaître sa défaite : «C'est à cause de l'argent et du vote ethnique. » Jacques Parizeau démissonna non pour cette déclaration mais parce qu'il avait dit qu'il démisonnerait en cas d'échec du référendum.
La déclaration de Parizeau en octobre 1995
En fait la déclaration de Parizeau visait deux phénomènes distincts. Le premier c'était la gigantesque manifestation anti-séparatiste organisée par l'État canadien à la veille du référendum et qui vit des dizaines de milliers de Canadiens venus des autres Provinces défiler à Montréal pour demander aux Québécois de rester avec eux et leur dire qu'ils les aimaient. Or le financement de cette seule manifestation coûta à l'État canadien une somme équivalent à l'ensemble des dépenses effectuées au Québec lui-même par les partis briguant soit le OUI, soit le NON. Quant au « vote ethnique », Parizeau voulait signifier par là, ce qui s'est vérifié, que dans certains quartiers peuplés à 100% de personnes de telle ou telle origine, le NON l'avait emporté à 100%. En décembre 2000, une autre personnalité politique québécoise, Yves Michaud avait souligné la chose en spécifiant qu'il s'agissait de quartiers juifs (quartier Côte St Luc à Montréal). Il fut aussitôt blâmé par l'Assemblée nationale du Québec unanime alors que l'examen de ses propos et toute la vie de cet homme permettaient de montrer que ses propos n'avaient rien d'antisémite. Yves Michaud, candidat PQ à une élection partielle (dans Mercier) fut obligé de retirer sa candidature. Il a été en quelque sorte officieusement lavé de toute accusation (par le caucus des députés du PQ), bien que le Parlement de Québec n'ait pas annulé le blâme de 2000.
L'attaque malhonnête contre Parizeau au débat télévisé de la campagne
Or, le lundi 31 mars avait lieu en soirée un important débat télévisé opposant les deux principaux candidats au poste de Premier Ministre et l'out-sider Mario Dumont. Les élections québécoises avaient lieu en effet ce 14 avril. Finalement. Peu avant que le débat ne commence, par l'intermédiaire de son site, Cyberpresse rendait compte d'une intervention de Jacques Parizeau dans l'après-midi en ces termes:
L'ex-premier ministre Jacques Parizeau a ramené sur la table, hier à Shawinigan, son explication controversée de la défaite référendaire de 1995. Une fois de plus, il a évoqué que l'argent et le vote des communautés culturelles sont principalement responsables de la victoire du camp du NON.
En fait on a pu depuis établir le verbatim de la déclaration de J.Parizeau
Question de la salle
Pourquoi le dernier référendum n'a pas marché et pourquoi le prochain marcherait?
Réponse de J. Parizeau:
Le dernier référendum, quand vous le perdez par 50 000 voix sur 5 millions, vous cherchez des causes et des explications. Euh.... moi un moment donné, j'en ai sorti une que j'ai traînée avec moi longtemps. En parlant du «vote ethnique et de l'argent».
C'était deux choses différentes. L'argent, c'est important parce que la grande manifestation d'amour à Montréal, ç'a impressionné les gens. Il s'est dépensé dans cet après-midi -par des organismes fédéraux ou d'autres provinces sur lesquels la loi québécoise ne s'appliquait pas- ils ont dépensé deux fois plus d'argent cet après-midi que le camp du Oui et le camp du Non ensemble pour toute la campagne. Ça, c'est ça l'argent.
Et puis, le vote de communautés ethniques, qui traditionnellement donnait aux souverainistes 7, 8, 9 % du vote, et qui là sont ramenés à 3 %... Y'a une grosse diminution de ce côté-là. Dans certaines communautés, ça été presque l'unanimité. Ça s'est beaucoup amélioré ça.
À l'heure actuelle, par exemple, on vient de faire un sondage à Montréal sur 2800 fils d'immigrants ou immigrés à 2 ans, 3 ans au Québec. À cause de la loi 101, y'ont tous dû passer par l'école française. Alors on fait un sondage sur 2800 d'entre eux et on demande la question référendaire à ces jeunes-là. Et 40 % répondent Oui et 60 % Non.
Entre nous, ça s'applique maintenant à ce qu'on appelle «les enfants de la loi 101»: y'a une véritable discussion qui est absolument la même que la nôtre. Ils sont intégrés et ils sont maintenant dans la société québécoise. Ç'a beaucoup évolué, c'était pas du tout ça. Cinq, six ans. Puis chaque année apporte son contingent d'enfants de la loi 101, qui sont passés par les écoles françaises et donc se sont intégrés dans la société francophone, quelles que soient leurs origines.
Les conséquences sur le débat télévisé et les sondages !
Le texte erroné de Cyberpresse a été mis à la disposition du libéral Jean Charest (Parti Libéral du Québec, PLQ) quelque temps avant l'émission télévisée ce qui lui a permis d'embarrasser gravement son concurrent le plus sérieux à savoir le Premier ministre actuel du Québec Bernard Landry (du Parti Québécois, souverainiste, PQ). Ce qui a donné ceci à la télévision :
Bernard Landry (PQ) : Bien monsieur Charest, vous m'avez déçu en matière constitutionnelle puis là c'est un souverainiste qui parle, mais un nationaliste québécois. Votre position constitutionnelle, quand elle est sortie, je ne veux pas vous bousculer, elle a été accueillie avec une froideur totale dans le reste du Canada et dans l'indifférence aussi complète au Québec. Vous êtes allé et ça, ça m'a déçu profondément parce que vous êtes un successeur de Robert Bourassa plus bas qu'Adélard Godbout. Alors moi la question que je vous pose : je crois que vous êtes d'accord avec le fait que le Québec forme une nation, je vous l'ai déjà entendu dire. Monsieur Dumont aussi d'ailleurs je le pense. Si je Québec forme une nation, voulez-vous m'expliquer pourquoi cette nation a le statut politique d'une simple province d'une autre nation ? C'est ça la question du Québec et je ne veux pas qu'on la mette sous le boisseau parce qu'on n'a pas l'énergie ou le courage d'en parler. Moi aussi je suis fatiguée de parler de souveraineté puis je cesserai d'en parler quand elle sera faite. C'est comme ça que j'interprète mon devoir.
Jean Charest (PLQ) : Monsieur Landry...
Bernard Landry (PQ) : Et ous, pourquoi ne parlez-vous pas de la question nationale ? En avez-vous parlé dans vos discours tout au long de la campagne ? Moi j'en ai parlé dans tous mes discours.
Jean Charest (PLQ) : Ça m'a fait plaisir d'en parler d'autant plus que je suis très fier d'être Québécois. J'ai présenté effectivement une approche qui est très différente de la vôtre et que vous n'approuverez jamais. Avouez que vous n'approuverez jamais mon approche. Ça là-dessus on s'entend parce que vous êtes souverainiste, même si vous cherchez à le cacher.
Bernard Landry (PQ) : Je ne cache pas.
Le moment où Landry perd les élections
Jean Charest (PLQ) : Mais aujourd'hui Jacques Parizeau qui est à Trois-Rivières disait ceci : l'ex-premier ministre a persisté et signé en attribuant à l'argent et au vote des communautés culturelles la défaite référendaire de 1995. Vous vous rappelez sa fameuse déclaration ? Étiez-vous en accord avec cette déclaration-là, vous ? Il a rappelé que 61 pour cent des francophones du Québec avaient voté Oui. Monsieur Parizeau estime que lorsqu'on vient si près du but, il est clair qu'on doit recommencer un processus référendaire. Êtes-vous en train de nous dire que vous êtes d'accord avec sa déclaration regrettable de la soirée du référendum qu'il était en train de répéter aujourd'hui même, Monsieur Landry.
Bernard Landry: Sûrement pas.
Jean Charest : Il est en train de nous diviser à nouveau et les Québécois..
Bernard Landry : Sûrement pas.
Jean Charest : ... et les Québécois ne veulent plus un gouvernement qui nous divise. On s'est prononcé là-dessus en 80, on s'est prononcé en 95. À un moment donné il faut pouvoir passer à autre chose et oui je sais que le Québec peut faire mieux à la condition qu'il assume son leadership ce que vous ne ferez jamais vous parce que vous n'y croyez pas, mais moi j'y crois et j'ai l'intention à partir du 14 avril prochain de rassembler les Québécois. Pas les diviser comme Jacques Parizeau le fait aujourd'hui. Et si vous avez des principes, dès maintenant vous allez rappeler à l'ordre Jacques Parizeau, vous n'attendrez pas un instant de plus...
Bernard Landry : D'abord...
Jacques Moisan : Monsieur Landry.
Jean Charest : ... pour qu'il permette, pour qu'il continue à diviser les Québécois.
Bernard Landry : Il n'y a jamais personne qui a fait un consensus semblable à celui que j'ai fait avec les autres premiers ministres. D'habitude c'était le Québec...
Jean Charest : Vous ne répondez pas à la question. Êtes-vous d'accord avec Jacques Parizeau ?
Bernard Landry : Je n'ai jamais été d'accord avec quelque déclaration qui puisse heurter quelque segment de la population québécoise qui est multiethnique.
Jean Charest : Vous n'êtes pas d'accord avec Jacques Parizeau. Bon. Alors vous n'êtes pas d'accord.
Bernard Landry : Et qui est fière quand même de sa culture et de sa langue. Mais si... je vais vérifier, la déclaration de Parizeau est absurde, la vôtre quand vous dites que je cache le fait que je sois souverainiste l'est plus encore. Soyons sérieux.
Déstabilisation, suite et fin
Jean Charest : Vous cachez votre agenda.
Bernard Landry : Ça fait 30 ans et plus qu'avec des millions de personnes... Il nous a manqué 30 000 votes au référendum. On avait 50 pour cent des voix.
Jean Charest: Vous cachez votre agenda, Monsieur Landry.
Bernard Landry : Il y a des millions de gens là qui nous écoutent et qui sont souverainistes autant et plus que moi.
Jean Charest : Monsieur Landry, je peux tu vous poser une question ? Je peux tu vous poser une question ? C'est quoi votre première priorité vous le lendemain ? Est-ce que c'est la santé ou la souveraineté ?
Bernard Landry: Bien j'ai montré ce que je pouvais faire comme priorité. J'ai géré le Québec comme...
Jean Charest : Êtes-vous capable de répondre à la question? C'est tu la souveraineté ou la santé?
Bernard Landry : ... jamais vous n'avez pu le faire. L'économie n'a jamais aussi bien...
Jean Charest : Vous ne répondez pas.
Bernard Landry : ... tourné, le déficit est à zéro....
Jean Charest : Vous ne répondez pas.
Bernard Landry : ... si on peut mettre de l'argent en santé...
Jean Charest : Vous ne répondez pas. Vous ne répondez pas.
Bernard landry : ... c'est parce que nous sommes prospères. Vous voulez qu'on divise la vie nationale comme un saucisson.
Jean Charest : Vous ne répondez pas.
Bernard Landry : Oui ! Je vous réponds, mais vous ne m'écoutez pas.
Jean Charest : Est-ce que c'est la souveraineté ou la santé ?
Bernard Landry : On ne divise pas l'avis d'un peuple, dire économie, santé, travail, question nationale...
Jean Charest : Vous ne répondez pas.
Bernard Landry : Je travaille sur tout en même temps. Je suis au service du Québec. C'est l'histoire de ma vie. (...)
Chute dans les sondages
Il était très frappant de voir que le surlendemain du débat, le PQ (Landry) qui précédait le PLQ (Charest) dans les sondages s'était fait re-dépasser par le PLQ.
Et aussi de voir à quel point il est facile pour les adversaires d'un projet autonomiste ou indépendantiste de jeter une suspicion «humaniste » sur les positions de leurs opposants, au point de parvenir à les déstabiliser. Lorsqu'il s'agit d'un État indépendant et reconnu, les leaders qui commettent des dérapages (réels ou prétendus), ont moins de peine à mettre les choses au point. Il y a des exemples célèbres comme celui du général de Gaulle parlant du peuple juif comme d'un peuple «sûr de lui et dominateur » mais qui, en tant que président de la République, reçut quelque temps plus tard le Grand Rabbin de France qui l'exonéra de tout soupçon.
Les calomnies constantes dont a été victime le mouvement wallon à cet égard sont la preuve que nous serons logés à la même enseigne que les Québécois tant que la Wallonie ne sera pas souveraine.
Peut-être la cause de la défaite du PQ?
Depuis cet incident télévisé, la cote du PQ n'a fait que chuter et il s'est retrouvé largement distancé par le Pari Libéral du Québec. Dans notre société surmédiatisée, le moindre accroc à l'image que l'on donne peut tuer. C'est vrai d'une entreprise (on se souvient de la saga du Coca-Cola chez nous). Ce l'est encore plus pour un parti politique. Bien que cet incident ne soit sans doute pas le seul facteur de la défaite du PQ, il a joué son rôle dans des élections dont les résulats sont de plus aussi volatils qu'une action en bourse. Au-delà même du Québec, cela mérite toute une réflexion.
avec la collaboration de Bernard Frappier directeur de VIGILE